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AU COMMENCEMENT ETAIT L’UNITE CULTURELLE
L’Etat rwandais s’est formé lentement et sur plusieurs siècles. De Gasabo au Busozo-Bukunzi, du Gisaka au Bushiru, du Mubari au Buyenzi, en passant par le Bugesera : ce sont autant de pans entiers de royaumes ou de petites chefferies qui ont été rattachés progressivement au noyau central que fut le Rwanda de Gasabo. Mais le plus important, par delà l’unification territoriale, c’est l’unité culturelle et sociale dont disposaient ces royaumes avant même leur unification politique. Les territoires conquis avaient le même substrat culturel que le royaume : même langue, mêmes clans, mêmes groupes sociaux, même économie agro-pastorale, mêmes valeurs sociales, morales et culturelles, etc. Ils avaient des institutions semblables comme l’Ubwami, l’Ubwiru, la même religion, les mêmes cultes et rites.
Comme l’écrivait le professeur E. Ntezimana, «l’ensemble de ces éléments divers qu’il nous semble déjà autorisé d’appeler «ikinyarwanda» (culture rwandaise), formait le «substratum» du peuple-nation Abanyarwanda» (1). «Les jeux de légitimation, de préséance, d’alliances d’échanges, et de prépondérances aboutissant à la formation d’entités reconnaissant la primauté de certains chefs de lignage et petit à petit une panoplie de royaumes d’étendues et de longévité variables se formèrent» (2). Tout au début le «Rwanda de Gasabo» fut l’un de ces petits royaumes. Il finira par émerger et absorber tous les autres royaumes qui lui étaient culturellement semblables : mêmes valeurs partagées, même structure mentale et même organisation socio-politique. Avant donc que le Rwanda ne soit un Etat constitué, il était d’abord une nation : ses habitants avaient conscience de leur unité culturelle et sociale. Au Rwanda, c’est donc la Nation qui a fait l’Etat et non l’inverse.
Une fois l’Etat formé, toutes les composantes de la société nationale se reconnaissaient comme «Abanyarwanda» : «ubunyarwanda», c’est-à-dire la «rwandité, était une valeur fondamentale partagée par tous les membres de la société, hutu, twa et tutsi confondus. Chacun se reconnaissait et reconnaissait l’autre comme Umunyarwanda. Personne, mais personne alors, n’aurait jamais mis en doute cette vérité absolue. «Ubunyarwanda» était une valeur reconnue à chacun par tous. Ces «Abanyarwanda» se rencontraient dans plusieurs cercles concentriques dans des Institutions qui les soudaient ensemble et cimentaient leur «Ubanyarwanda». Ils se rencontraient sous la même Institutions-Ubwami, dans différents corps d’armées (Ingabo) pour la défense de la Nation. C’était l’occasion de développer ensemble des valeurs comme : «ubutwari» (courage), «ubugabo» (bravoure), «ubucuti» (amitié), «ubwitange» (abnégation), etc. ils partageaient les mêmes clans dans lesquels on cultivait «ubuvandimwe» (fraternité), «ubumwe» (unité) et «ubusabane» (serviabilité). Plusieurs autres circonstances renforçaient les valeurs de solidarité (gufashanya), de bon voisinage (ubuturanyi), et de convivialité (urugwiro). On cultivait l’amitié (ubucuti) par toutes sortes de dons et de contres dons, y compris les inter-mariages. On s’entraidait à travers l’échange de différents services : dans les travaux de champs (guhingirana), de construction (kubakirana), de portage des malades (guhekerana abarwayi), et de secours mutuels (gutabarana).
Les Rwandais partageaient les mêmes cultes, les mêmes rites, les mêmes us et coutumes, les mêmes mythes, fables et légendes. L’univers mental-psychologique et religieux – était le même. On ne relevait nulle part un secteur, un domaine exclusivement propre aux Hutu ou aux Tutsi : tout était strictement en commun. Tout le monde recherchait les valeurs positives comme la noblesse (ubupfura), la générosité (ubuntu), l’amour (urukundo), la tolérance (ubworoherane), le patriotisme (ishyaka), la confiance (ubwizerane) et la perspicacité (ubushishozi). On demandait à chacun de cultiver et d’avoir de la patience (kwihangana), de l’équité (ubutabera), de la générosité (ubuntu), de la sagesse (ubwenge) et du cœur (umutima). Le culte de la vérité était recherché (ukuri), comme aussi la bonne manière (uburere), la probité (ubunyangamugayo), la dignité et la noblesse du cœur (ubupfura). Certes tout n’était pas parfait. Loin de là. On pouvait rencontrer des valeurs négatives comme de la jalousie (ishyari), de l’avarice (ubugugu), de la lâcheté (ubugwari), de la perversité (ubutindi) et de la méchanceté (ubugome). On blâmait la félonie ou la trahison (ubugambanyi), la gourmandise (ubusambo), la gloutonnerie (inda nini), ainsi que la lâcheté (ububwa) et la mauvaise éducation (uburumbo). Etaient aussi décriés le mensonge (ikinyoma), l’intrigue (ubutiruganya), la paresse et la fainéantise (ubunebwe), la division (amacakubiri), la hargne (umushiha) et la cupidité (irari ry’ibintu) etc. (3).
De toutes les valeurs positives partagées, la vie (ubuzima) était la plus sacrée. Les rwandais croyaient seulement au bonheur terrestre. Ce dernier se traduisait par l’expression «avoir le lait et le miel», c’est-à-dire avoir de nombreux enfants, des amis et de l’aisance matérielle. Tous les vœux de bonheur convergeaient vers le but ultime de la vie humaine qui était d’avoir une bonne santé (Kugira ubuzima buzira umuze), avoir la bénédiction d’Imana (Dieu) (kugira Imana). Mais la vie dépassait tout. Elle était considérée comme suprême valeur. Cette valeur était tellement recherchée que son souhait était introduit dans toutes les formules de politesse échangées entre rwandais. La notion de vie intervenait dans chaque formule de salutation, le soir comme le matin, le jour comme la nuit. Pour se saluer, on de demandait après une longue absence : «vis-tu toujours ?» (uraho) ou «bouges-tu toujours» (uracyakoma) ? Le matin, au réveil, on se disait : «est-ce vivant que tu as vu le jour (waramutse) ? A la fin de la journée, la formule de salutation était «as-tu survécu à la journée» (wiriwe) ? Et pour se dire au revoir, on se lançait la formule usuelle de «reste en vie» (urabeho). La valeur-vie (ubuzima) était tellement sacrée que quiconque se permettait de l’ôter à l’autre à son tour puni de la peine de mort. On lui enlevait à son tour la valeur suprême qu’est la vie. La coutume de la vendetta (guhora) était reconnue de tous et institutionnalisée en vue de protéger la vie.

PUIS VINT LA COLONISATION ET SES MULTIPLES DESTRUCTIONS
La société rwandaise s’étant construite sur plusieurs siècles, la population avait eu le temps d’intérioriser toutes les valeurs partagées. Ces dernières étaient des réponses suscitées et vécues de l’intérieur même de la société. La colonisation apporta des bouleversements brusques et profonds aussi bien sur le plan social que culturel, économique et politique. Sur le plan culturel, l’école coloniale joua un rôle déterminant. Elle servit à transmettre les connaissances véhiculées par la colonisation, à produire et à reproduire une nouvelle élite différente de l’élite traditionnelle et, enfin, à répandre les valeurs dominantes de la puissance envahissante. La colonisation, par le biais de l’Ecole et de l’Eglise, se mit à inculquer dans la nouvelle élite indigène le savoir-faire l’écriture, la culture et la langue nécessaire à l’implantation des valeurs occidentales. Le savoir-faire ancien était d’office dévalorisé. La nouvelle élite était en opposition avec élite traditionnelle aussi bien sur le plan des intérêts que sur celui des idées et des valeurs. Et vite elle supplanta cette dernière, devenue obsolète, qu’elle parvint à déclasser et à jeter au rancart du passé. Les références de cette nouvelle élite, comme ses valeurs, étaient celles lui transmises par l’Ecole coloniale. Elle avait à son tour mission de les transmettre ou, au besoin de les imposer à la mase du peuple dans le but de mieux la dominer.
L’élite de l’Ecole coloniale et missionnaire reproduisit tous les mythes, fantasmes, valeurs stéréotypes et préjugés que l’occident nourrissait à l’endroit de notre peuple, comme le «mythe hamite », le mythe de «l’origine étrangère» des Tutsi, le «mythe de trois races», et tous les clichés collés tantôt aux Tutsi, tantôt aux Twa et tantôt aux Hutu. Cette même élite essaiera de reproduire au Rwanda ce qu’elle avait appris de l’histoire de la France. En effet ces jeunes «évolués» de l’époque (certains allaient jouer un rôle prépondérant dans la «Révolution» de 1959) voyaient le passé, le présent et l’avenir du Rwanda à travers le miroir de l’histoire de France. Les discussions et même les exercices écrits portaient sur les comparaisons entre les institutions et les dénominations du Rwanda et de la France. A titre d’exemple, on comparait les ordres «oratores» avec Abiru, Abasizi, Abapfumu ; (Bellatores) avec Imfura, Abatutsi ; «Labores» avec Abahutu. Ils établissaient une analogie entre les réalités telles que féodalités, fiefs, bénéfices, immunités, corvées, corvéables, suzerain et vassal d’une part et Ubuhake, ibikingi, amakoro, umusogongero, uburetwa, abanyakazi, abarenzamase, shebuja, umugaragu d’autre part» (4). Cette élite, malade d’elle-même, cherchait en dehors d’elle ses références. A la limite elle forçait les choses : elle faisait des analogies caduques et traduisait par des termes inexacts des réalités absolument dissemblables.

La société rwandaise était comparée à tort à l’Europe médiévale. Il était alors très facile d’y trouver des seigneurs «tutsi», des serfs «hutu» et des vilains «batwa» taillables et corvéables à merci. Ces schémas se trouvaient dans tous les écrits de l’époque. On avait adopté les termes «races», «castes», «classes», pour dire Hutu, Twa et Tutsi. L’élite des évolués elle-même se classait suivant ces différentes représentations apprises à l’Ecole coloniale. L’élite coloniale cherchait partout à s’identifier à des modèles étrangers, à se couler dans le moule colonial et s’y trouver à l’aise. Ses écrits, ses discours étaient marqués par ces représentations extérieures. Et ses réactions elles-mêmes devaient répondre aux stimuli extérieurs. Plus tard, vers les années 1950-1960, ce sont, de nouveau, des mythes occidentaux que cette élite essaie de reproduire, mal d’ailleurs, au Rwanda. Les mythes des «Elections», de la «Démocratie», de la «Révolution», de la «République», de l’«Egalité» et de la «Liberté». Malheureusement ces nouvelles valeurs seront à leur tour dénaturées, appauvries et vidées de leurs sens réels par l’idéologie ethniste de la contre-élite hutu.


Sur le plan culturel et religieux, le colonisateur et le missionnaire ont opéré des changements considérables. Au bonheur terrestre que cherchait le Rwandais, on ajouta le bonheur céleste. Toute une nouvelle représentation émergea et prit place dans la tête des gens convertis à cette vision : on parla d’anges d’esprits, de saints, de diables, du ciel et de l’enfer. La plupart des anciennes pratiques religieuses furent supprimées : les cultes, les rites, les interdits et la divination furent qualifiés de païens et bannis. Les us et coutumes qui soudaient les gens au cours de différentes circonstances de la vie furent traînés dans la boue. Le non-respect des valeurs traditionnelles fut adopté comme une nouvelle manière d’être et de se comporter. La population étonnée et traumatisée trouva une formule imagée, lapidaire mais très expressive disant que : Kiliziya yakuye kirazira (l’Eglise a interdit d’interdire) pour signifier que les interdit traditionnels étaient sans valeur. En réalité, c’était un problème de changement de voleurs et de références. Même les dix commandements de Dieu prêchés par le christianisme sont à la base de l’ethnique traditionnelle, tout en étant présentés dans un contexte complètement différent.
Sur le plan économique, la colonisation opéra ici aussi de profonds bouleversements. L’apparition de la monnaie, du salariat et du commerce introduisit dans la société d’autres façons de penser et d’être. On pouvait désormais évoluer en dehors des structures traditionnelles de dépendance ou de solidarité. On pouvait se détacher de l’Ubuhake et de ses multiples facettes conviviales ou serviles. Une autre voie d’ascension sociale était désormais possible. On pouvait acquérir des biens sans passer ni par les parents, ni par le «shebuja», ni par le roi. L’accès au pouvoir était plus la voie obligée dans l’acquisition des richesses. Cette nouvelle liberté s’accompagna du coût social trop élevé : dévalorisation de la parenté comme facteur d’unité de production économique ; dévalorisation de l’économie et de l’artisanat traditionnels ; dévalorisation des patriarches (abakuru b’imiryango) parce qu’ils n’étaient plus des dispensateurs des biens économiques comme la terre et la vache, etc.
Ce n’est jamais facile de passer d’une économie à coloration patriarcale à une économie de marché dans laquelle la poursuite des profits est sans limites. « L’économie basée sur la monnaie, dans le contexte colonial, constituait au sens propre du terme, l’école préparatoire de l’esprit capitaliste : elle façonna l’âme du colonisé en lui inculquant la conception purement capitaliste du monde» (W. Sombart). L’individualisme apparut et secoua cette société traditionnelle qui était habituée à ne vibrer que sur base de multiples solidarités. La société chavira et entra en grand désarroi : elle était brusquement déstabilisée. On trouva une formule imagée pour dire que la nouvelle économie a renié toutes les solidarités : «Urumiya rwamize incuti». Des liens socio- économiques verticaux et horizontaux, qui soudaient ensemble les membres de la communauté venaient de se briser. C’était une nouvelle cassure ajoutée à d’autres multiples destructions.
Et même sur le plan politique et idéologique, la colonisation produisit ici aussi de profondes fissures dans le tissu social rwandais : elle introduisit aussi bien dans la théorie que dans la pratique une idéologie à base raciste. Son racisme se manifesta sous plusieurs formes, souvent insidieuses, parfois ouvertes mais rarement affirmées comme tel. C’est à l’Ecole que ce racisme apparut le plus clairement. Par exemple tout au début, «pendant la période allemande, exception faite de quelques Tutsi pauvres, les élèves des écoles missionnaires étaient exclusivement hutu» (5). L’Eglise essaya même, par missionnaires interposés, de construire ce que Linden appelle «une Eglise hutu dans un Etat tutsi» (6). Plus tard avec conversion des chefs et la «tornade du Saint-Esprit» on essaiera de construire une Eglise dont le somment est tutsi et la base hutu. Quant aux écoles, il y en aura pour enfants hutu et d’autres pour enfants tutsi séparément. Cette ségrégation subsistera jusqu’à réserver certaines sections aux seuls enfants de chefs. Certains emplois politico-administratifs seront réservés à la fraction dirigeante tutsi. Les Hutu seront systématiquement écartés sur base non pas de leur incompétence mais de leur origine sociale. Le seul critère valable était l’origine ethnique et sociale des individus. «Petit à petit ce qui était autrefois une frontière ethnique fluide que pouvaient traverser aisément les Hutu qui le souhaitaient devint sous l’administration belge une insurmontable barrière entre les castes qui délimitait l’accès aux fonctions politiques» (7).
La contre-élite hutu en aura un grand ressentiment qui la poussera, plus tard, à récupérer cette idéologie raciste dont elle avait été victime et s’en servira à son tour comme son cheval de bataille dans sa lutte pour le pouvoir. «Cette nouvelle idéologie a été inculquée à la contre-élite hutu qui l’a gobée, intériorisée et mise en pratique à son tour» (8). Elle fut à la base des massacres et des assassinats à caractère ethnique ultérieurs.

DE L’APPARITION DE L’ETHNISME HUTU

Au Rwanda, il existait dans la classe dirigeante tutsi un certain ethnocentrisme nobiliaire qui considérait cette formation sociale comme la meilleure du monde. Cette classe se considérait comme la crème de la société. Elle en était fière sinon hautaine. Cependant, non seulement le sentiment de supériorité était développé dans la classe dirigeante, mais aussi tous les «Banyarwanda, Hutu, Twa et Tutsi confondus, étaient persuadés, avant la pénétration européenne que leur pays était le centre du monde, que c’était le royaume le plus grand, le plus puissant et le plus civilisé de toute la terre» (9). Avec la colonisation les choses changèrent complètement. Cette dernière cultiva le sentiment de supériorité chez les Tutsi dits «évolués», et le sentiment d’infériorité chez les Hutu. Et cela sur base de théories et de pratiques racistes du XIXème siècle européen. Il est clair que le système colonial, en assignant à chacun sa place, non en fonction de ses compétences, mais de son origine sociale et ethnique était réellement frustrant et oppresseur pour la contré-élite hutu en quête d’ascension sociale. Cette contre-élite hutu formée, mais non valorisée, plutôt exclue du pouvoir, ne pouvait que se révolter. Sa révolte se traduisit en un ethnisme idéologique et politique. Ce fut sa malheureuse revanche. Mais la frustration, la peur et le désarroi de cette-élite n’expliquent pas seuls son approche ethniste. D’autres facteurs et d’autres influences ont contribué à l’émergence de l’ethnisme chez une partie de la contre élite hutu. C’est d’abord le racisme colonial : le leadership hutu, au lieu de le dépasser, l’a récupéré, et retourné cette fois-ci contre «l’ethnie» tutsi.


La deuxième influence, nous l’avons dit, provient des leçons de l’histoire, notamment de la Révolution française. C’est à double titre que celle-ci a joué. D’abord la Révolution française, en abolissant la monarchie, devenait une référence à imiter au Rwanda mais aussi cette révolution française avait opposé en son temps les «Nobles Francs aux Gaulois Roturiers». Le leadership du Parmehutu connaissait trop bien l’histoire de cette Révolution à laquelle il ne pouvait que se référer. Kayibanda avait même tellement lu la littérature sur la Révolution française qu’il en avait reçu le surnom de «Robespierre»(10). Une autre influence, et non des moindres, provient de l’idéologie chrétienne et sociale qui avait fait de la lutte contre le communisme son cheval de bataille. Kayibanda, de par sa formation, son séjour en Europe, son catholicisme militant, son emploi à l’ombre de l’Eglise, ne pouvait parler de lutte de classes. Il préféra parler de luttes ethniques. Cette approche avait l’avantage de ne pas effaroucher ses amis et supporters, c’est-à-dire l’Eglise catholique, le Pouvoir colonial et même la petite bourgeoisie hutu en formation.
La quatrième influence dont s’est inspiré le même leadership est celle relative aux querelles entre Flamands et Wallons. On se souvient qu’à cette époque les Flamands revendiquaient leur identité linguistique et territoriale. La contre-élite hutu en fit son modèle et récupéra ce qui pouvait l’aider dans sa lutte politique contre les Tutsi. Les Flamands furent identifiés aux Hutu et les Wallons aux Tutsi. On fit une transposition facile : le problème Flamands-Wallons devint au Rwanda le problème Hutu-Tutsi. C’est en référence à ce modèle que Kayibanda revendiqua le Hutuland et le Tutsiland.
La dernière influence, peu connue mais réelle, est celle de la sympathie à la cause nazie chez Kayibanda. Le leader et fondateur du Parmehutu était un fervent admirateur de Hitler. Il avait beaucoup lu de la littérature allemande et avait fait beaucoup de commentaires sur Hitler et son parti. Dans un mémoire de fin d’études, S. Musangamfura écrit «Mgr Gasabwoya, nous a longtemps parlé des sympathies du leader (Kayibanda) pour la cause nazie. Ces sympathies lui avaient valu le surnom de «Hitler» dont il adoptait souvent la démarche, le salut et le laconisme» (11).
Suite à ces multiples influences, Kayibanda et ses collègues firent appel à la mystique de l’ethnie hutu. Ils en retirèrent une idéologie ethniste qui marqua un tournant décisif et une rupture profonde dans les relations sociales entre Hutu et Tutsi rwandais. De la révolte contre les injustices, la contre élite-hutu opéra un glissement idéologique fatal. Elle se mit à cultiver et à inoculer dans la masse hutu des sentiments d’hostilité jusque là l’inconnus, dirigés contre le groupes social tutsi dans son ensemble. C’était le commencement de la fin : l’Unité Nationale allait vite se briser contre cet endoctrinement de la haine. Et aucune valeur sacrée ne lui résista.


DE LA VIOLENCE A LA DESTRUCTION BRUTALE DES VALEURS SOCIALES
En 1957-62 comme en 1990-94, la violence a d’abord commencé dans la presse. Le journal imprimé fut le principal instrument de la propagande. Tout au début, en 1957-1960, il a dirigé ses attaques contre la fraction dirigeante tutsi. Une campagne anti-tutsi fut lancée à une grande échelle dans les journaux comme «Kinyamateka», «La Revue Nouvelle», «La Cité», « Temps nouveaux d’Afrique», « La Libre Belgique», etc. On forma l’opinion publique contre les injustices, d’ailleurs réelles, mais dont les victimes n’étaient pas les seuls Hutu. La stratégie est aujourd’hui connue : elle consiste en la globalisation et en la simplification. L’ennemie est unique : le Tutsi. On concentre la haine et la révolte contre lui. La campagne anti-tutsi s’en trouve simplifiée mais amplifiée. On crée deux personnes qui représentent tous les autres : il y a d’un côté Gahutu et de l’autre Gatutsi ; on s’attaque à Gatutsi comme à un seul individu. L’attaque est personnalisée. Par une habile éducation de la masse, la conscience et la haine ethnique s’éveillent et se cristallisent.
L’autre procédé consiste à suggérer, à mélanger habilement mythes, mensonges et faits non vérifiables. L’essentiel est de susciter la haine dirigée contre le Tutsi. Le terme hutu est valorisé. On le porte comme un titre de gloire. On recourt au symbolisme, on évoque des périodes de grandeur. On parle de «Ishyaka rya Gahutu», des histoires des roitelets hutu massacrés par Gatutsi ; on revalorise la houe (isuka), la serpette (umuhoro) pour dire que c’est Gahutu qui a viabilisé le pays par son labeur. Gatutsi est traité d’étranger, de colonialiste, d’ennemi du pays. Une fois les esprits chauffés, on passe vite de la violence verbale à la violence physique. Le réflexe devient vite conditionné. Aujourd’hui, après avoir observé comment se sont déroulés la «Révolution» d’ennemi 1959 et le génocide de 1994, il nous est possible de montrer comment l’idéologie ethniste détruit les valeurs nationales. C’est toujours la culture de la haine qui est mise en avant : elle est inoculée insidieusement dans la masse du peuple. La première valeur détruite par la haine est l’identité rwandaise commune : ubunyarwanda. On s’identifie alors d’abord comme «Hutu» et on identifie l’autre comme «Tutsi» ou comme «Twa». Plus de dénominateur commun. Or il était connu avant la colonisation, que l’une des valeurs les mieux partagées par toutes les composantes de notre société était l’«ubunyarwanda» (rwandité), hutu, twa et tutsi se reconnaissant tous comme Abanyarwanda. Il n’y avait pas de toute à ce sujet.
Chaque fois que l’«ubunyarwanda», comme valeur partagée est renié au profit d’«ubuhutu», «ubututsi», «ubutwa», promus comme valeurs identifiantes, on tombe dans le fanatisme ethnique, incompatible avec l’unité et la conscience nationale. Une fois l’identité nationale occultée, au profit des sous-identités ethnique pauvres, on ne peut plus parler de la Communauté Nationale à laquelle tout le monde appartiendrait. La «Révolution» de 1959 et le génocide de 1994 ont détruit le sentiment profond qu’avaient tous les Rwandais d’être nés sur la même terre et de former une même communauté d’intérêts pour le meilleur et pour le pire. En fait, ces deux événements ont semé la confusion dans les esprits des braves Hutu qui découvrait brutalement que leurs voisins séculaires tutsi étaient en fait des étrangers identifiés comme colonialistes et comme l’écrivait le Chanoine de Lacger, «Les indigènes de ce pays (Rwanda) ont le sentiment de ne former qu’un seul peuple, celui des banyarwanda, qui a donné ce nom au territoire. Ce sentiment prend la forme qu’il revêt normalement chez les sédentaires, d’attachement au sol, non pas seulement au foyer, à la commune ou à la province mais au territoire entier, obéissant au même prince» (13).
Les promoteurs de la Révolution de 1959 et du génocide de 1994 ont détruit la volonté et la conscience millénaire, chez les Rwandais, d’avoir vécu et de vouloir vivre ensemble sur le sol national. La nation que constitue le groupement de ceux qui ont le sentiment d’être nés sur la même terre, le même territoire national, était mise en mal sur le plan aussi bien psychologique que social et politique. C’est sûrement la plus grande violence morale et psychologique qu’a connue le Rwanda. Nier au Tutsi son «ubunyarwanda» (citoyenneté) était un fait culturel, social et politique nouveau dans l’histoire de ce pays. Non seulement on coupait les racines au Tutsi qui perdait son passé mais même on le rendait étranger dans son propre pays. C’était une violence brutale jamais imaginée avant la colonisation. En fait, on détruisait «ipso facto» tout le cadre historique, social et culturel passé à travers lequel le Rwandais se percevait, Hutu et Tutsi confondus. Dorénavant, ils devaient se percevoir différemment, se juger et se comporter entre eux comme des étrangers.
Une autre valeur détruite par la «révolution» et le génocide est l’«Ubuvandimwe» (sentiment de fraternité). Nos ancêtres avaient formé des mythes pour souder ensemble les enfants de la même patrie. On parlait des «enfants de Kanyarwanda» (Bene Kanyarwanda), celui-ci étant ancêtre éponyme de tous les Rwandais. On parlait, en terme symbolique, d’Imbaga y’inyabutatu (les trois composantes de notre peuple). Avec la révolution anti-tutsi, cette «imbaga» (masse homogène) était défaite et sa fraternité détruite. Les promoteurs de l’ethnisme hutu ont défaite et sa fraternité détruite. Les promoteurs de l’ethnisme hutu ont détruit l’idéal de fraternité, de solidarité et de conscience nationale commune. Ces valeurs ont été piétinées et foulées aux pieds. La négation de l’identité nationale, la montée de l’ethnisme, les différents massacres et le génocide ont fini par détruire le capital social que les rwandais avaient mis des siècles à construire. Le capital social est une autre valeur que les rwandais avaient tissé entre eux grâce aux multiples réseaux verticaux et horizontaux qui unissent les gens de conditions sociales, identiques ou différentes, Hutu et Tutsi confondus. Ils avaient créé ensemble des réseaux de solidarité, de confiance, d’engagement commun, de collaboration et d’échanges formels et informels. Ils avaient construit ensemble des normes de référence, de réciprocité et de bon voisinage. Cela constituait un énorme capital social qui fut englouti dans les décombres de la «Révolution» ethniste. La nation rwandaise en sortit blessée et traumatisée.

Durant cette «révolution», comme plus tard pendant le génocide, la plus sacrée des valeurs, c’est-à-dire la vie = Ubuzima fut reniée. Le Tutsi n’avait plus droit à la vie. Il ne lui restait plus rien. C’est alors que parut un phénomène auparavant impensable : les massacres des Tutsi à grande échelle et la volonté expresse d’exterminer tout ce groupe social. La haine avait été tellement inculquée aux gens qu’elles avaient finis par briser toutes les valeurs positives qui soudaient ensemble tous les Rwandais. Au contraire, on vit les antivaleurs émerger et prospérer tels la haine (urwamgano), ‘assassinat (ubuhotozi), le vol et la pillage ( ubusmbo n’ubusahuzi), l’intrigue et la dénonciation (ubutiriganya n’amatiku), etc. pendant ces massacres et assassinats de Tutsi, on vit três peu de gens oser braver la haine. Plusieurs trahisent leurs alliances (igihano), certains dénoncèrent leurs voisins (kugambanira abaturanyi). D’autres enfin saccagèrent leurs biens par simple cupidité (umururumba).


Très peu osèrent porter secours à leurs voisins (gutabara abaturanyi) alors que c’était une valeur reconnue entre toutes. Et n’ont pas été nombreux ceux qui ont osé aider les sinistrés (gutabara agize ibyago). Pour la première fois, on vit des gens refuser des blessés à l’hôpital (guheka abatwayi). En fait, il n’y avait plus de valeurs de référence, ni la solidarité, ni la dignité, ni la tolérance, ni la convivialité : tout s’était évanoui. Très peu de gens montrèrent du cœur (ubupfura), du courage (ubutwari), et de bravoure (ubugabo). Ilest clair aujourd’hui que la grande majorité des gens impliqués dans les massacres et le génocide bénéficieront du «privilêge» de l’impunité (kudahanwa). Très peu, peut-être quelque deux centaines de milliers, tomberont sous le coup de la justice. Pour tous, l’Umugayo (Opprobre) restera à jamais collé à leur figure.

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