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III.3 La supériorité du Tutsi sur le Hutu

Ce pré-jugé vient de l’anthropologie occidentale sur les inégalités des races. Cette anthropologie appliquée au Rwanda, le Tutsi devient la race supérieure, noble, hamite, tandis que le Hutu devient la race inférieure, bantu. Ce pré-jugé racial préside au choix des traits caractéristiques opposés qu’on attribue aux deux groupes sociaux.



O. CONCLUSION
On peut se demander si, aujourd’hui, même les chanteurs enthousiastes de cette révolution sont heureux de tous les effets produits par elle ? Le plus catastrophique en est la cassure de l’unité du peuple rwandais. Un ressortissant de la Belgique devrait se dire : on aurait pu mieux comprendre l’histoire de ce pays, mieux orienter les changements et mieux procéder pour ne pas créer l’irréparable. En effet, l’échec de la violence de 1959 a été total. Puis, un Rwanda totalement hutuisé reste une chimère. Après un cauchemar de quelques décennies, les Rwandais finiront par reconstituer leur unité sociale. C’est l’objectif prioritaire de l’actuel Gouvernement d’ Union Nationale. Tribaliser le Rwanda en Hutu ou en Tutsi doit rester dans notre mémoire, un projet colonial qui a lamentablement échoué. Malheureusement, les dégâts sont incommensurables et en grande partie irréparable.
DISCRIMINATION DANS LES ECOLES
Gérard NYIRIMANZI



  1. INTRODUCTION

Dans le cadre de ce numéro, on m’a demandé de livrer à nos lecteurs un témoignage concernant la discrimination dans les écoles à l’époque où j’étais dans cette période de ma formation. Pour respecter, autant que faire ce peut, l’objectivité des faits historiques, je commence par citer quelques documents officiels des principaux responsables de l’enseignement dans notre pays : l’Etat et l’Eglise catholique. La suite sera mon témoignage et mes réflexions concernant la mise en pratique de ces consignes. L’intention qui sous-tend cette contribution n’est pas une affaire de sentiment de vengeance ou de défoulement, mais rappeler un passé qu’il ne faut plus actualiser. Le secteur de l’éducation de la jeunesse est évidements le plus décisif pour l’avenir d’un pays. Aussi, si nous avons à reconstruire le nôtre, c’est par-là qu’il faut commencer et même mettre le paquet.



I. LA DOCTRINE OFFICIELLE DU REGIME

L’enfant hutu est en retard par rapport à l’enfant tutsi dans le domaine de la formation scolaire. Voilà pourquoi, « la révolution sociale » doit commencer par réparer ce tort en pratiquant l’équilibre ethnique. Cette doctrine couvre le règne des deux premières républiques.
I.1 La consigne du régime
Dans sa première déclaration des principes directeurs de son gouvernement, du 28 janvier 1961, le premier président de la république rwandaise, Dominique Mbonyumutwa, a fait la déclaration suivante : « Tous les Banyarwanda sans distinction ont accès aux écoles ; mais pourront être fermés ou réquisitionnées les écoles dont le pourcentage de fréquentation ne répondra pas à la répartition ethnique de la population » (A. Kagame, Un abrégé de l’histoire, 1975, p. 310).Vers la fin de la deuxième république, cette politique était, non seulement de rigueur, mais elle était radicalisée. Nous lisons cette radicalisation dans le 6ème et 10ème des fameux « Dix Commandements des Bahutu » de sinistre mémoire. Nous lisons : - 6. Le secteur de l’enseignement (élèves, étudiants, enseignants) doit être majoritairement hutu. 10. La Révolution Sociale de 1959, du Référendum de 1961 (qui a aboli la monarchie) et l’idéologie hutu, doivent être enseignés à tout Muhutu et à tous les niveaux.


I.2 La caution de l’Eglise catholique
La Conférence des évêques catholiques du Rwanda a eu des prises de position à l’égard de la politique du Gouvernement, assez régulièrement et sur divers sujets. Ses prises de parole et même ses silences ont indiqué l’appréciation de l’Eglise à l’égard de la politique gouvernementale notamment en matière d’enseignement. Fort heureusement, nous avons une Lettre de la Conférence des évêques catholiques du Rwanda, en date du 28 février 1960 qui donne la position de l’Eglise sur l’équilibre ethnique dans les écoles. Lisons d’abord cette lettre. «… Muzi ko politiki y’iringaniza ry’amoko mu mirimo no mu mashuri, rigamije gukosora iryo vangura ry’amoko ryahiriye bamwe rikadindiza abandi. Birumvikana ko iyo politiki idashobora gushimwa na bose cyangwa se ngo ishobore gutunganya iryo ringaniza ku buryo budasubirwaho. Gusa rero ntitwibagirwe ko intego yayo ari nayo yacu twese, ari ugusaranganya imyanya ku kazi no mu mashuri…».
En bref, les évêques approuvent la politique des quotas dans l’emploi et dans les écoles, tout en soulignant que cet avis n’est pas unanime. La raison de cette caution est donnée : corriger la discrimination antérieure qui avait avantagé les Tutsi aux dépens des Hutu. Il faut bien noter qu’entre la date du discours de Mbonyumutwa qu’on vient de citer et qui prônait ce quota ainsi que celle de cette lettre des évêques, il y a 30 ans. Il faut bien noter que cette lettre des évêques intervient 30 ans après la mise en pratique de ce quota ethnique qui fut décidé par le président Mbonyumutwa. En d’autres termes, toutes les années de la première république n’ont pas suffi pour arrêter la discrimination ethnique pratiquée par les Tutsi contre les Hutu !

I.3 Un commentaire
Ces déclarations des hommes d’Etat et d’Eglise ont un point commun remarquable : le mensonge politique. On dit une chose pour faire le contraire. On veut pratiquer la discrimination les yeux fermés, parce qu’on la reconnaît inavouable, moralement inacceptable. Alexis Kagame relève cette contradiction dans le discours de Mbonyumutwa. « Dans la déclaration de départ on regrettera, dit-il, la finale de l’article 6 qui pose le principe de discrimination ethnique dans l’enseignement. Le principe posé, en effet, tendrait de soi à priver d’écoles les localités où la répartition naturelle de la population y donnerait prise. Ce principe était ainsi en contradiction avec l’article 5 de la Constitution ». Le texte épiscopal qui accepte cette discrimination sous prétexte de « corriger l’ancienne » n’est pas plus défendable. Priver d’école un enfant tutsi parce que un enfant hutu l’a été dans le passé, c’est chercher l’équilibrisme dans le mal : rivaliser dans les méfaits. La vraie correction aurait dû être de bannir toute discrimination, à commencer par celle dans les écoles. On ne corrige pas un mal par un autre mal. Encore que, même si discrimination il y a eu, les enfants tutsi n’y étaient pour rien.

II. UNE DISCRIMINATION DIVERSEMENT APPLIQUEE
Quatre situations différentes ont empêché l’unanimité dans l’application du quota ethnique. Les réfugiés, les objecteurs de conscience, les résidents clandestins et les pratiquants zélés, ont eu, bien entendu, des attitudes diverses dans l’obéissance à ces ordres.

II.1 Les réfugiés
C’est vraiment le cas de dire : A quelque chose malheur est bon ! Le phénomène des réfugiés a permis au plus grand nombre d’enfants rwandais d’étudier. Même si la discrimination n’avait pas eu lieu, au total, il y aurait eu moins d’enfants aux écoles, à cause des possibilités d’accueil de nos réseaux d’enseignement qui sont très limités. Les pays de refuge, même là où il y avait une certaine discrimination à l’égard des étrangers, il n’empêche que des possibilités plus larges étaient offertes aux enfants rwandais. Le collège Saint-Albert de Bujumbura est un exemple de ces chances. Combien d’enfants, même non réfugiés, sont allés étudier à l’extérieur grâce à cette diaspora.
II.2 Les objecteurs de conscience
Comme on le sait, maints instituts d’enseignement, pour des raisons de conscience, ont refusé explicitement la règle du quota. Comme chacun sait, également, l’exemple typique de cette « rébellion d’ordre ethnique» fut le petit séminaire de Nyundo. Pour cette raison, et durant une certaine période, il fut « Nationalisé » et placé sous la direction de (M. l’Abbé !) Alexis Kanyarengwe. On se souviendra également que, en 1963, le Grand Séminaire de Nyundo a dû fuir au Burundi, non sans laisser des cadavres derrière lui. Cet exemple était héroïque pour être mentionné explicitement.
II.3 Les résistants clandestins
On peut penser que cette situation devait être le scénario le plus fréquent dans des écoles des religieux et religieuses, surtout celles dirigées par des Tutsi, devait être dans ce cas. Une école qui n’obtempérait pas à cette règle risquait de se voir refuser le diplôme de fin d’études. Ce danger pour toute l’école tempérait la résistance à l’injustice. Le Séminaire de Zaza semble avoir été un des meilleurs exemples pour cette forme de résistance.
II.4 Les pratiquants Zélés
Il n’est pas de bon ton de donner des exemples concrets des écoles et des établissements qui ont mis en pratique avec Zéle et empressement les consignes de discrimination ethnique et même régionale. Chacun connaît des exemples. Dans la région de Gitarama, siège du Parmehutu sous la première république et dans les préfectures de Ruhengeri-Gisenyi sous la deuxième république du MRND-CDR, la consigne fut appliquée avec vigueur. Voilà en résumé et d’une manière globale, la théorie et la pratique de la discrimination des enfants tutsi dans les écoles sous les deux premières républiques. Dans ce qui suit, je vais donner un exemple concret de mon expérience personnelle, depuis l’école primaire jusqu’à l’université, en passant par le secondaire. L’intérêt d’un exemple personnel est de manifester au concret les divers scénarios d’application de la discrimination.

III. UN ENFANT TUTSI DANS L’ECOLE DU PARMEHUTU
III.1 A l’école primaire
Je suis né probablement en janvier 1968. En tout cas, durant l’une des plus suicidaires incursions des Inyenzi dans la brèche de Nshili. De cela, je suis sûr. Ma mère me l’a raconté, pas moins de deux fois. Elle s’en souvenait bien, car venant de l’une de ses consultations prénatales, elle avait croisé l’un des camions militaires qui transportait des cadavres et des blessés par les Inyenzi. S’arrêtant pour voir de prés le contenu du véhicule, cette inquisitrice paysanne a failli payer cela très cher. Au fait, quand elle a remarqué que le camionneur s’arrêtait pour l’interroger sur motif de son regard curieux, elle s’est sauvée à toutes jambes oubliant même le bébé qu’elle portait dans son sein. Ce devait être alors presque dix ans après la fameuse « Révolution» de 1959.
J’ai commencé l’école primaire à la succursale de ma colline. C’est là que la situation de mon ethnie m’attendait. J’ai dû apprendre que les Tutsi avaient opprimé les Hutu, des siècles durant, et que nous devions payer cette dette. Que j’étais le fils d’un seigneur tutsi, venu de l’Ethiopie. Que j’étais rusé et hautain. Que, par contre, le petit Hutu assis à côté de moi sur le banc de l’école, était lui, fils d’un pauvre hère hutu, corvéable et taillable à merci. Mais que justice doit être faite aux fils et filles de Gahutu. Voilà, en résumé, le catéchisme du civisme qu’on nous enseignait à l’école primaire.
J’ai donc grandi avec cette honte du Tutsi oppresseur. Des chansons populaires que nous apprenions par cœur et chantions à tue-tête raisonnent encore dans ma mémoire. L’une d’entre elles disait, en rappelant le Referendum : «Ayo matora twihitiyemwo, ko abatsinze mwibonera, nka Loni yindi izava he» ? (Les élections que vous, Tutsi, avez voulues se retournent contre vous, dès lors, de quel autre ONU attendez-vous le salut ?). L’allusion était évidement faite aux Tutsi qui pensaient naïvement que la consultation populaire de 1959 allait maintenir la monarchie. Ils n’avaient pas encore compris la démocratie de «la majorité ethnique».

III.2 A l’école secondaire
De ce qui précède, on a compris que mon milieu social me collait à la figure l’étiquette de Tutsi. Je suis tel parce que nous sommes dans un système culturel patrilinéaire dans lequel l’enfant prend l’ascendance du mari légal de sa mère. Celle-ci n’y est pour rien. Je suis donc tutsi parce que mon père est socialement «réputé» tel. Savoir à quoi correspond cette qualification est une autre question. On y reviendra. Toujours est-il qu’il était presque impossible de ne pas connaître son ethnie. Lorsque je devais passer du primaire au secondaire, cette étiquette me fermait presque automatiquement la porte aux écoles publiques. Il était plus facile d’être admis dans le séminaire de Karubanda, du Diocèse de Butare, non sans l’intervention insistante de mon oncle prêtre, auprès de l’évêque du lieu. L’étape du secondaire fut marquée par une plus grande conscience de mon malheur d’être tutsi. Cette conscience est fixée dans ma mémoire par des check-up ethniques que l’on faisait régulièrement en classe pour raviver en nous ce sentiment de «parias». Pendant des contrôles réguliers, les élèves des deux ethnies en lice devaient lever la main. Les Hutu le faisaient ostensiblement et bruyamment. Les Tutsi le faisaient à la sauvette, en levant le bout du doigt et en le rentrant rapidement sous le banc. On aurait préféré être Twa qui n’a, au moins, rien de traumatisant. Un Twa dans la classe, malheureusement, ça ne se cachait pas. On ne pouvait même pas tricher de cette façon. Il fallait subir héroïquement le sort de son ethnie. Durant ces années du séminaire, le régime issu du coup d’Etat de Habyarimana était dit clément envers les Tutsi. En prenant le pouvoir, il avait ré-introduit dans l’usage le terme de la paix qui avait été oublié au précédent régime. Partant de ce changement de vocabulaire, les mauvaises langues avaient accrédité l’idée que Habyarimana avait pour ancêtres des immigrants ugandais. Peut-être, pensait-on, que du sang tutsi coulait dans ses veines. On le chuchotait de bouche à oreille. De fait, à l’avènement de la deuxième république, un air de détente politique s’esquissa. On entendit des chansons et des slogans populaires, ayant pour thème l’unité nationale. Mais moi, je ne me faisais pas beaucoup d’illusions : les quotas ethniques dans les établissements d’enseignement n’avaient pas bougé d’un iota. Au séminaire, la vie était plus supportable pour nous que dans les autres écoles. L’allusion à l’ethnie était moins fréquente. Les activités religieuses occupaient beaucoup de place et insistaient sur les valeurs de la fraternité. Le personnel enseignant était aussi politiquement plus varié : des Blancs, des Hutu, des Tutsi, plutôt modérés en général. Certains, comme l’Abbé Boniface Musoni, étaient si bien doué en humanité qu’ils nous rendaient la vie presque normale.
III.3 A l’Université
Après le petit Séminaire, je suis allé, et Dieu seul sait par quelle voie, à l’Université dans le Campus de Nyakinama. Pendant plus de trois ans, j’étais le seul de « mon espèce » dans ma classe. Tout au moins, j’ai été le seul à assumer le sort réservé à ma condition, pendant que, peut-être, d’autres ont réussi à ce procurer la carte de «la bonne race». Dans cette région, il ne fallait pas jouer avec la vie. Je me souviens d’un prototype tutsi de Rwamagana qui logeait dans le Muko par manque de place au Campus. Les gamins de la place qui le voyaient passer disaient : voila Gwabugiri ! Au Petit Séminaire de Butare, le Recteur Abbé Modeste Mungwarareba avait pu refuser catégoriquement le quota ethnique. Ce courage lui avait valu de ne pas pouvoir faire accepter ses lauréats à l’Université. A Nyakinama, les choses étaient autrement. Le lieu était le berceau même du MRND-CDR. Au sein du corps professoral se trouvait les tristement célèbres Léon Mugesera, Ferdinand Nahimana et deux prêtres défroqués : Roger Herémas, ancien Père Blanc et Dominique Maniragaba Baributsa, ex-dominicain. Ces deux derniers avaient trafiqué l’Evangile de Jésus-Christ contre celui de l’ethnie hutu. Quant aux deux premiers leurs racisme est de notoriété actuellement internationale. Heureusement,il y avait des intellectuelles de valeur comme le Professeur Ntezimana Emmanuel qui ramenait souvent à la raison ses collègues extrémistes. Il avait remarqué à temps «le cancer» qui rongeait cet institut et avait su transcender l’ethnisme petit-bourgeois. Il en a justement payé le prix plus tard. Il fut emporté par une maladie mystérieuse qui, pour beaucoup, n’est rien moins que de l’empoisonnement. Mon séjour au Campus de Nyakinama a traversé deux périodes. Ma première vivable de passa sous la protection du régionalisme. La seconde fut un véritable calvaire, à la veille de la catastrophe finale. Je précise.
III.3.1 A l’ombre du régionalisme
Au début, le régionalisme nous fut salutaire. Le Campus de Nyakinama, justement situé dans cette région, qui avait hébergé notre ancêtre commun Gihanga, était encore peu disposée à intégrer totalement les Abanyenduga, toutes ethnies confondues. Pour les Nordistes (Abakiga), aucun Hutu des autres régions n’avait plus le sang pur de la race des fils et filles de Gahutu. Il fallait donc les mettre tous dans le même sac. Bien entendu, cette globalisation des Abakiga envers les Abanyenduga avantageait les Tutsi. Elle fut salutaire lorsque le FPR-Inkotanyi commença d’inquiéter cette région par sa voix tonitruante et sa descente sur la ville de Ruhengeri. A cette occasion effectivement, les étudiants tutsi de ce Campus de Nyakinama ont failli être éliminés. Heureusement, dans les réunions où l’on préparait cette décision, il y avait ces Abanyanduga, politiquement assimilés aux Tutsi, qui connaissaient le moment de notre livraison à la machette et qui nous ont avertis à temps. Cette complicité salutaire avec nous était d’autant plus importante pour eux que la liste des victimes contenait certains noms des leurs.
III.3.2 Au fond du gouffre raciste
Quelques mois avant le paroxysme génocidaire de 1994, la mort du fameux Bucyana, le gros bonnet du CDR, précipita la situation de notre sursis. Le régionalisme qui nous avait protégés vola en éclat. L’extermination des Tutsi fut remise à l’ordre du jour. Il fallait, en effet, venger le militant de la race pure du sang hutu. Les plus recherchés vivaient désormais en cachette. En tous cas pas dans leurs chambres déjà identifiées. Sous l’initiative d’un Lieutenent Kanimba, la décision de se débarrasser des Inyenzi déguisés que nous étions ne fut pas votée. Ces «inyenzi déguisés» étaient les membres d’une coordination des activités des «caders» de cette région, surtout au sein des universités (Nyakinama, Mudende, Busogo et Saint-Fidèle), laquelle coordination était l’une de mes attributions. Les Abakiga, plus que furieux depuis lors, ne pouvaient qu’attendre le moment propice pour mettre à exécution leur projet de se débarrasser de nous une fois pour toutes. Dans les rangs des Abanyenduga qui nous ont sauvés la vie, il y avait des militaires du Sud venus en renfort dans cette région en guerre.
C’est en ce moment-là que commença le «génocide silencieux». Des massacres en masse s’organisent au Bugesera, au Bigogwe, à Kibirira et ailleurs. Les coupables sont loués publiquement. Des appels au génocide des Tutsi sont officiellement lancés dans des réunions publiques. Le président Habyarimana donne le ton. Dans une réunion du 15 novembre 1992 à Ruhengeri, il traite « les accords d’Arusha de «chiffon de papier». A. Gasiza, dans un discours enflammé, Léon Mugesera définit clairement le travail à accomplir : renvoyer les Tutsi chez eux en Ethiopie par le chemin le plus court» (par l’Akagera qui véhicule leurs cadavres). Tous ces mots d’ordre nous ont convaincus qu’en principe et pratiquement nous sommes perdus.

Le seul élément gênant dans cette atmosphère génocidaire était le FPR qui était toujours informé de tout, même de ce qui se passait au-delà des zones démilitarisées. Souvent, ces rebelles dénonçaient à leur radio Muhabura, les exactions commises par le régime en place à Kigali. Leur mouvement menaçait de rompre les négociations d’Arusha et reprendre les armes si ses sympathisants continuaient d’être tués. Sur ces entrefaites, le ciel du Rwanda se déchira. Une date fatidique : le 6 avril 1994, vers 20 heures, l’avion du président Habyarimana, l’invincible (Ikinani) explose en vol au moment où il s’apprêtait à atterrir à Kigali et s’écrase sur la résidence présidentielle. Périssent dans cet avion le président Cyprien Ntaryamira du Burundi, le général Nsabiman, chef d’Etat-major des Forces Armées Rwandaises, et trois membres français de l’équipage, à savoir le colonel Jean-Pierre Minaberry, le major Jacky Héraud et l’Adjoint-chef Jean-Marie Perrin. Cette date et cet événement furent le signal du début du génocide officiel. La suite est bien connue. Je vais plutôt poursuivre mon récit personnel.


IV UNE BARRIERE DEVENUE UN TREMPLIN
Je me suis toujours demandé pourquoi l’écolier, élève et étudiant tutsi n’est pas devenu le paria dans son âme selon la formation que lui donnaient les écoles suivies durant tant d’années sous les régimes du Hutu-power ? Je me demande encore où il a trouvé une telle force d’âme pour devenir le fer de lance du grand sauvetage national. Je continue d’espérer que toutes les solutions pour sauver ce pays viendront de sa jeunesse. Cet espoir est fondé sur trois qualités de la jeunesse : sa force, son regard tourné uniquement vers l’avenir et son innocence dans le gâchis rwandais.
IV.1 La force d’âme de la jeunesse
Pour enchaîner avec ce qui précède de mon histoire, je signale que j’ai quitté le Campus de Ruhengeri juste la veille de la mort de Habyarimana. C’est le soir de mon arrivée dans ma Commune de Runyinya en Préfecture de Butare que j’ai appris la nouvelle par la radio nationale. Tout de suite, j’ai compris que le salut était dans la fuite. Le matin, les tueurs sont arrivés à notre maison, avec une intention particulière d’avoir ma peau le tout premier. Malheureusement cette terrible primeur choisit mon cousin Viateur qui reçut en pleine poitrine un coup de lance qui le cloua raide mort sur le sol. Toute la famille se dispersa et put se reconstituer en route vers le Burundi. Nous eûmes des morts en cours de route dont ma mère. A partir de Bujumbura, j’ai retrouvé d’autres jeunes, anciens condisciples ou de nouveau, dans la guerre de libération du pays. Après la guerre, j’ai repris mes études à l’UNR/ Butare pour terminer avec une Licence en langue anglaise. Et maintenant, au bout de ce parcours, je scrute ma conscience pour comprendre. Comprendre quoi ? Comprendre comment, moi, mes camarades, avons pu survive au génocide de plus d’un million des nôtres ? A présent, je vais essayer de répondre à ma question : qu’est-ce qui a permis à la jeunesse tutsi, crétinisée des décennies durant, de ne pas tomber dans le nihilisme ? A mon avis, c’est la force d’âme de la jeunesse dont la discrimination subie a joué le rôle de creuset, de conscientisation et de refus d’aider nos fossoyeurs. La réponse est dans l’adage rwandais : Wirukana umugabo kera ukamaumara ubwoba (A force de poursuivre un homme, tu finis par lui enlever la peur).
IV.2 Un regard vers l’avenir
La force d’âme, le courage qui frise la témérité, c’est bien le propre de la jeunesse. Mais tout de même ! Les jeunes réfugiés, les jeunes restés dans mon pays et même les moins jeunes, au moment de la guerre de libération, sont tombés d’accord pour aller se faire trouer la peau à la guerre. Combien y en eut-il au juste qui, de fait, sont restés sur le champ d’honneur ? Dieu seul le sait. Qu’il les accueille dans son paradis. Un regard uniquement tourné vers l’avenir est une autre explication de ce courage. Naître et grandir dans un pays étranger, grandir comme étranger dans le pays de ses ancêtres, n’avoir ainsi aucune patrie est pire que la mort physique. Les anciens réfugiés ou les marginalisés dans le pays, n’ont eu, dans leur jeunesse, aucune véritable patrie. Etre des citoyens rwandais à part entière devait leur servir de définition, d’identité culturelle. Mais n’avoir rien été de tout cela ou peu s’en faut, est humainement insupportable. Ainsi donc, comme la jeunesse ne véhicule aucun passé, elle a, comme on dit, «tout son avenir dans l’avenir». Voilà pourquoi elle est prête à tout pour être quelque chose dans la vie, dans l’histoire de son pays. Eh bien, regarder les effectifs de nos Forces Armées, de nos cadres politiques et de nos hommes d’affaires, ils sont tous des anciens écoliers des années de leur néantisation politique. Maintenant, ils peuvent dire : nous avons un pays et c’est nous qui l’avons fait nôtre.
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