Ana səhifə

Lettre sur la manière de faire des statistiques De l’importance dont Paris est à la France


Yüklə 1.27 Mb.
səhifə8/20
tarix27.06.2016
ölçüsü1.27 Mb.
1   ...   4   5   6   7   8   9   10   11   ...   20

Il en est de même de l’estimation qu’on fit des terres de Dauphiné en 1639. Il s’y est trouvé si peu de proportion des unes aux autres, et une si grande inégalité, que M. Bouchu, intendant de cette province, en recommence une autre, à laquelle il travaille avec beaucoup d’appli-cation, et une grande exactitude depuis deux ou trois ans. On prétend qu’il lui faudra encore plusieurs années pour l’achever ; et même après qu’il y aura bien pris de la peine et employé bien du temps, il est sûr qu’on s’en plaindra encore. Ce qui doit faire juger de l’extrême dif-ficulté qu’il y a de faire des estimations justes de la valeur intrinsèque des terres, tant en elles-mêmes que par rapport aux voisines, et de celles d’une paroisse et d’un pays à un autre pays ou paroisse.

De plus, il y a des distinctions dans ces provinces de même qu’en Provence et en Bretagne, de terres nobles et de roture, et de plusieurs sortes d’exemptions qui n’y conviennent point : il est de nécessité que tout paie, autrement on ne remédiera à rien.

Il semblerait que dans les pays où les tailles sont réelles, les taillables devraient être exempts des mangeries et des exactions qu’on voit ail-leurs dans la levée des tailles ; cependant on s’en plaint là comme ail-leurs, les receveurs y veulent avoir leur paraguante 65, et leurs officiers subalternes y font leur main tout comme ailleurs, sans que Mr. Pelot par exemple, avec sa sévérité et son exactitude, et tous les intendants qui sont venus après lui dans la généralité de Montauban, même dans celle de Bordeaux, et autres, y aient jamais pu remédier efficacement. Cela n’est pas tout à fait de même dans le Languedoc et en Provence, parce que ce sont pays d’états, mais il y a du désordre partout.

On remédiera à tous ces inconvénients par la perception de la dîme des fruits de la terre en espèce. C’était autrefois le revenu de nos pre-miers rois, et c’est encore le tribut le plus naturel et le moins à charge au laboureur et au paysan. Il a toujours une proportion si naturelle et si précise à la valeur présente de la terre, qu’il n’y a point d’expert ni de géomètre pour habile qu’il soit, qui en puisse approcher par son estime et par son calcul ; si la terre est bonne et bien cultivée elle rendra beau-coup : au contraire, si elle est négligée, ou qu’elle soit mauvaise, mé-diocre et sans culture, elle rendra peu, mais toujours avec une propor-tion naturelle à son degré de valeur. Et comme cette manière de lever la taille et les aides ensemble, met à couvert le laboureur de la crainte où il est d’être surchargé de taille l’année suivante dans le pays où elle est personnelle, on doit s’attendre que le revenu des terres augmenterait de près de moitié, par les soins et la bonne culture que chacun s’efforcerait d’y apporter ; et par conséquent les revenus du roi à proportion.

Voila déjà le premier défaut de la disproportion heureusement sauvé, d’une manière qui n’est point sujette au changement de la part des hommes.

Le second, qui comprend les maux qui accompagnent l’exaction, est aussi banni pour jamais par l’établissement de ce système. Car le la-boureur et le paysan ayant payé la dîme royale sur le champ lors de la récolte, comme il fait la dîme ecclésiastique, il ne devra plus rien de ce côté là, et ainsi il n’appréhendera plus ni les receveurs des tailles, ni les collecteurs, ni les sergents ; et toutes ces animosités et ces haines invé-térées qui se perpétuent dans les familles des paysans, à cause des impositions non proportionnées de la taille dont ils se surchargent chacun à leur tour, cesseraient tout d’un coup ; ils deviendraient tous bons amis, n’ayant plus à se plaindre les uns des autres, chacun se pourvoirait de bétail selon ses facultés ; et comme les passages seraient libres de province à province, et de lieu à autre, parce qu’il n’y aurait plus de bureaux d’aides, et que les douanes seraient reléguées sur la frontière, on verrait bientôt fleurir le commerce intérieur du royaume par la grande consommation qui se ferait, ce qui fournirait au la-boureur et au paysan les moyens de payer leurs maîtres avec facilité, et de se mettre eux-mêmes dans l’aisance.

Il n’est donc question que de voir quel revenu ce fonds rendrait, et à quelle quotité il faudrait fixer cette dîme.

Pour m’en assurer, j’ai crû qu’il fallait prendre une province en par-ticulier pour en faire l’essai ; et j’ai choisi celle de Normandie dans laquelle il y a toutes sortes de terroir bon, médiocre et mauvais ; et je m’y suis arrêté d’autant plus volontiers, que j’y avais un homme de mes amis de l’exactitude duquel j’étais pleinement assuré. Après donc avoir fait mesurer cette province sur les meilleures cartes, on a trouvé que les trois généralités dont elle est composée, savoir de Rouen, de Caen et d’Alençon, qui comprend les deux tiers du perche ou environ, con-tenait 1 740 lieues quarrées mesure du Châtelet, qui fait la lieue de 2 282 toises et demie de long, ce qui donne pour la lieue quarrée 5 millions 209 mille 806 toises un quart, lesquelles réduites en arpents de cent perches quarrées chacun, et la perche de vingt pieds quarrés com-me ci-devant, et le pied de douze pouces, font 4 688 arpents 82 perches et demie.

La mesure de la province de Normandie est l’acre. Cet acre est composé de 160 perches quarrées, et la perche de vingt-deux pieds quarrés, mais les pieds sont différents ; la mesure la plus commune et qu’on a suivie, les fait d’onze pouces, et le pouce de douze lignes. Il faut de cette mesure 679 perches et demie en long pour faire la lieue du Châtelet, ce qui fait qu’elle contient en quarré 2 885 acres trois quarts, d’où il suit que ces 1 740 lieues quarrées doivent contenir cinq millions 21 mille 640 acres. Otez-en un cinquième pour les rivières, ruisseaux et chemins, maisons nobles, bruyères, landes, et mauvais terroir, montant à un million 4 mille 328 acres, restera à faire état de quatre millions 17 mille 312 acres.

On a ensuite examiné ce que pouvait rendre l’acre l’année commune de dix une dans toute la province, le fort portant le faible. Et quoique des personnes très expérimentées aient soutenu qu’il y avait beaucoup plus de terres qui rendaient au dessus de 150 gerbes à l’acre, qu’il n’y en avait qui rendaient au-dessous de cent, et ainsi que la proportion géométrique aurait été de mettre l’acre à 120 gerbes une année portant l’autre ; cependant comme ce fait a été contesté par d’autres personnes aussi fort intelligentes, qui ont tenu que la juste proportion serait de ne mettre les terres qu’à 90 gerbes par acre, à cause de la mauvaise culture où elles sont pour la plupart ; on s’est réduit à cet avis, parce que dans un système semblable à celui-ci, on ne doit rien avancer qui ne soit communément reçu pour véritable.

Après quoi il a fallu examiner ce qu’il fallait de ces gerbes ordinaires pour faire un boisseau de blé année commune. Mais comme le boisseau est une mesure fort inégale en Normandie, on l’a réduite au poids qui est égal par toute la province, et on a trouvé d’un consentement una-nime, que cinq gerbes année commune de dix une, feraient au moins un boisseau pesant cinquante livres.

La livre de blé vaut année commune un sol à Rouen et ailleurs. Donc la dîme de 90 gerbes rendra 90 sols.

Mais parce que les terres ne se chargent pas toutes les années, et qu’en plusieurs cantons de la province elles ne portent du blé que de trois années l’une, on a jugé que dans cette supputation on ne devait compter que deux années de trois, parce que la dîme des menus grains de la seconde année, jointe à la verte des trois années mises ensemble, et à celle des légumes, peuvent valoir l’année de blé. Ces deux années feront donc 9 livres, lesquelles divisées en trois donneront pour chaque année 3 livres par acre, ce qui est environ quarante sols par arpent.

Il est vrai qu’il y a quantité de bois en Normandie, et que ce serait se tromper d’en mettre l’acre sur le pied des terres labourables ; mais comme il y a aussi une grande quantité de prairies et de pâtures qui rendent bien plus que les terres labourables, l’un peut compenser l’autre.

D’où il suit que ces 4 017 312 acres dîmables, rendraient 12 051 936 livres, à les compter sur le pied du dixième.

Or le roi ne tire de la province de Normandie que quatre millions pour les tailles, et environ deux millions sept cents mille livres pour les aides et traites foraines ; sans compter ce qu’il en coûte au peuple pour la levée de ces droits, qui doit aller au quart des impositions pour le moins, par le nombre des sergents et de gardes que les receveurs des tailles et des aides emploient.

Donc cette dîme excéderait ce que le roi tire de la taille et des aides, de la somme de 5 351 936 livres.

Quoique j’aie trouvé ce calcul bien juste, néanmoins comme dans une affaire de cette importance il est à propos de se bien assurer, et de voir si ce qu’on croit vrai dans la spéculation, l’est aussi dans la pra-tique : j’écrivis qu’il fallait mesurer une lieue quarrée de tous sens, dans un terrain qui ne fût ni bon ni mauvais, et voir ce qu’elle rendrait actuellement de dîme ecclésiastique. C’est ce qui fut fait le 24 sep-tembre 1698 à quatre lieues au dessus de Rouen, par mon ami accom-pagné des gens habiles et entendus dans l’arpentage. On ne put faire une lieue de tous sens, parce que le pays est trop coupé par des bois ; mais on fit exactement une demie lieue, qui enferma les deux villages et paroisses de Reninville et Canteloup ; c’est-à-dire, 721 acres sept hui-tièmes de la mesure ci-dessus, qui font 1 172 arpents quatorze perches un quart à vingt pieds quarré la perche, comme ci-dessus, ce qui est justement le quart de la lieue quarrée.

On trouva qu’il y avait environ un quart de très mauvais terroir ; et outre cela, en bois et en communes, cinquante acres qu’on ne dîmait point, non plus que les deux maisons des seigneurs avec leurs parcs et enclos ; cependant la grosse dîme de ces deux paroisses qui appartient aux chartreux de Gaillon comme abbé de sainte Catherine, est actuel-lement affermée six cents livres : et la dîme des curés a été estimée à huit cents livres, ce qui fait quatorze cents livres ; sur quoi on peut faire ce raisonnement. Si un quart de lieue quarrée dans un terroir médiocre, y compris l’étendue de deux maisons nobles et leurs appartenances qui ne paient rien, porte quatorze cents livres de dîme ecclésiastique, la lieue quarrée portera 5 600 livres. Donc les 1 740 lieues qui font l’éten-due des trois généralités qui composent la province de Normandie, porteront 9 744 000 livres.

Ce qui est moins que le calcul ci-dessus de la somme de 2 307 136 livres, et cela doit être ainsi. Car la dîme ecclésiastique sur laquelle on a fait ce calcul, ne dîme ni les bois, ni les prés, ni les pâturages, et ne prend que la onzième gerbe : au lieu que l’on suppose la dîme royale dîmant les prés, les bois, les pâturages, même les légumes au dixième. D’où il suit que cette dîme doit excéder l’ecclésiastique au moins d’un quart, et elle l’excédera de plus d’un tiers des lieux où l’ecclésiastique ne se lève qu’à la treizième gerbe ; et beaucoup davantage, où l’on ne dîme qu’à la quinzième et vingtième, comme en Provence, Dauphiné et ail-leurs ; car la quotité de la dîme ecclésiastique est très différente. Ce n’est pas que je prétende que la dîme royale se doive lever à la dixième gerbe ; je ferai voir ci-après les raisons qui doivent empêcher de la porter si haut. Mais ce qui est dit ici, n’est que pour montrer la pro-portion entre les tailles, la dîme ecclésiastique, et la dîme royale.

Cette expérience est convaincante ; cependant, j’estimai qu’il fallait la pousser jusqu’à la démonstration ; et pour cela, je donnai ordre qu’on fît comparaison du produit de la taille et de la dîme ecclésiastique, dans une cinquantaine de paroisses prises de suite dans le même canton de pays. C’est ce qui fut fait dans cinquante-trois, y compris les deux ci-dessus, et il se trouva que la dîme ecclésiastique excède la taille dans toutes ces paroisses prises ensemble, du tiers en sus et plus ; car ces cinquante-trois paroisses ne paient de taille que quarante-six mille trois cents soixante-dix livres, et elles rendent de dîme ecclésiastique sur le pied des baux, soixante-treize mille quatre-vingt livres .

Ainsi les dîmes excédent les tailles de la somme de vingt-six mille sept cents dix livres, ce qui est plus d’un tiers en sus. Et si la dîme se prenait au dixième, au lieu que l’ecclésiastique ne se prend qu’à l’on-zième, et qu’on dîmât les bois, les pâtures et les prés : il est certain que ces cinquante-trois paroisses rendraient le double des tailles. Ce qui fait voir que la dîme royale au vingtième, peut suffire aux besoins de l’État avec les autres fonds qu’on prétend y joindre.

Il est donc démontré que non seulement cette dîme royale est suf-fisante pour fournir aux fonds des tailles et des aides, mais encore à celui de plusieurs autres impôts qui apportent bien plus de dommage à l’État qu’ils n’y peuvent apporter de profit, et qui ne sont bons qu’à enrichir quelques partisans, et entretenir une quantité de fainéants et de vagabonds, qu’on pourrait occuper utilement ailleurs.

On nous dira peut-être que cette dîme royale, ou cette perception des fruits en espèce, n’est pas un fonds présent comme celui de la taille et des aides, et que le roi pour les nécessités de l’État a besoin d’un fonds sur lequel il puisse compter sûrement, comme il fait sur celui des tailles, des aides, et des douanes qu’on paie de province à autre.

Je conviens que le roi a besoin d’un fonds présent et assuré pour pourvoir aux nécessités de l’État, mais je soutiens que le fonds de la dîme royale est du moins aussi présent que celui de la taille, et qu’il sera toujours très sûr : en voici la preuve.


La taille ne se paie ordinairement qu’en seize mois, encore y a-t-il presque toujours des non-valeurs ; l’expérience de ce qui se passe entre les gros décimateurs, comme évêques, abbés et chapitres, et leurs fer-miers généraux, est une conviction manifeste, que le roi pourrait faire remettre ce fonds dans ses coffres en douze ou quatorze mois sans aucune non-valeur. Car ordinairement le premier terme de paiement de ces fermes est à Noël, et le second à la pentecôte, ou tout au plus tard à la saint Jean. Il y en a même qu’on paie tous les mois par avance ; tel était feu Mr. l’archevêque de Paris, à qui ses fermiers portaient tous les premiers jours de chaque mois mille pistoles : plusieurs autres prélats font la même chose ou approchant, selon les conditions des baux qu’ils passent de leurs dîmes avec ceux qui les afferment.

Or le roi n’est pas de pire condition que les gros décimateurs de son royaume, il sera donc payé dans dix mois comme eux, ou au plus tard dans douze ou quatorze. On peut ajouter qu’il sera mieux payé, parce qu’il est notoire qu’on fraude tous les jours la dîme ecclésiastique, et il n’est pas à présumer qu’on fraude la dîme du roi, pour peu que ses officiers y veulent tenir la main.

Je suppose que cette dîme royale sera affermée comme on fait la dîme ecclésiastique, pour trois, six ou neuf ans : et cela même est néces-saire, afin que les fermiers ne puissent demander aucune diminution pour tous les accidents qui pourraient arriver de gelée, de grêle, d’emmiellure, et autres semblables ; et que le revenu soit fixe et assuré, comme il l’est aux ecclésiastiques.

La dîme est le meilleur et le plus aisé de tous les revenus ; le déci-mateur n’est obligé à faire aucune avance que celle de la levée et cette avance est toujours très médiocre par rapport au revenu ; car trois ou quatre hommes, et deux chevaux dans un pays médiocrement bon et uni, lèveront deux mille gerbes de blé sans les menus grains, et il ne faut pour cela que six semaines de temps au plus. On bat les grains à sa commodité pendant l’hiver ; et ceux qui ne sont pas pressés de leurs affaires attendent que la vente en soit bonne pour les débiter.

C’est pourquoi non seulement le roi trouvera facilement des fermiers généraux pour faire le recouvrement de ce fonds, mais il se trouvera encore un grand nombre de sous-fermiers, parce que le laboureur et le paysan qui n’auront pas lieu d’appréhender d’être surchargés de taille à cause de cette ferme, la prendront d’autant plus volontiers qu’elle ne les occuperait que dans le temps où la terre n’a pas besoin de culture. Et s’il plaisait au roi de permettre aux gentilshommes de pouvoir affermer ces dîmes sans déroger, comme ils ont ordinairement besoin de four-rage, on peut s’assurer que les dîmes seraient extrêmement recherchées, et que pour un fermier on en trouverait dix.

Les curés mêmes les prendraient d’autant plus volontiers, qu’ils ac-querraient par là une protection pour la perception de leur propre dîme, et qu’ils y trouveraient un profit tout clair, en ce qu’ils épargne-raient les frais de la levée, si ce n’est qu’il leur faudrait peut-être un homme davantage, et un cheval, selon l’étendue de la paroisse, pour lever cette dîme avec la leur.

Et quand il faudrait une grange dans chaque paroisse pour renfermer les dîmes dans les provinces qui sont au-deçà de la Loire, car on ne s’en sert point au-delà, la dépense n’en serait pas considérable, d’autant que pour mille ou douze cents livres, on peut bâtir une grange capable de renfermer une dîme de deux mille livres au moins ; et l’avantage que le peuple recevrait par cette manière de lever la taille, qui aurait toujours une proportion naturelle au revenu des terres, sans qu’elle pût être altérée, ni par la malice et par la passion des hommes, ni par le changement des temps, et qui le délivrerait tout d’un coup de toutes les vexations et avanies des collecteurs, des receveurs des tailles, et de leurs suppôts ; et tout ensemble des misères où le réduit la perception des aides comme elles se lèvent, compenserait abondamment la dépense de la grange qui pourrait être avancée par les fermiers, et reprise sur les paroisses pendant les six ou neuf années du premier bail, ce qui irait à très peu de chose.

Au reste, l’exécution de ce système surprendra d’autant moins, qu’il est déjà connu par la dîme ecclésiastique ; et pour grossier que soit un paysan, il comprendra d’abord avec facilité, qu’il est pour lui un bien qu’il ne saurait assez estimer ; vu que quand il aura une fois payé cette dîme royale comme il fait l’ecclésiastique, il sera en repos le reste de l’année, et sans aucune appréhension, que sous prétexte de deniers royaux, on lui vienne enlever le reste ; et il ne craindra point, quelque négoce qu’il fasse, que sa taille soit augmentée l’année suivante ; ce qui le portera non seulement à bien cultiver ses possessions, et à les mettre en état de rendre tout ce qu’on en peut attendre quand elles ont eu toutes les façons nécessaires, mais encore à se servir de toute son industrie pour se mettre à son aise, et bien élever sa famille.

Je crois qu’il ne sera pas hors de propos d’insérer ici un récit fidèle qui m’a été fait de ce qui s’est passé au sujet de la banlieue de Rouen, parce que ceux qui y ont eu le plus de part sont encore en vie, qui pourront en rendre compte au roi si sa majesté le veut savoir ; rien n’étant capable de faire concevoir plus vivement, combien sont grands les maux que cause la taille personnelle.

Ce qu’on appelle la banlieue de Rouen, consiste en trente-cinq ou trente-six paroisses, qui sont aux environs de la même ville dans l’espace d’une bonne lieue et demie, et en quelques endroits de deux petites lieues.

Ces trente-cinq paroisses sont exemptes de taille pour autant qu’il y en a d’enfermé dans les bornes de la banlieue, qui ne les comprend pas toutes dans toute leur étendue, mais qui en coupe quelques-unes, et presque toutes celles qui sont aux extrémités, par des lignes qui se tirent d’une borne à l’autre ; et comme elles ont cette exemption de la taille commune avec la ville, elles paient aussi les mêmes droits d’entrée pour les viandes et les boissons qui s’y consomment.

Quoi que cette exemption ne soit qu’en idée, comme on le verra incontinent, elle a néanmoins fait regarder ces paroisses avec un œil de jalousie, non seulement par leurs voisins, mais même par messieurs les intendants, qui n’ont pu les voir dans la tranquillité et dans une abon-dance apparente, pendant que les difficultés qui se trouvent dans la répartition et dans la perception de la taille, n’apportent que du trouble et de la désolation dans les autres.

Et parce qu’une des plus grandes de ces difficultés, qui se rencontre très souvent, est de savoir à qui l’on fera porter les augmentations que le roi met sur les tailles, ou les diminutions qu’on est forcé d’accorder à quelques paroisses qui se trouvent surchargées ; elle ne s’est presque point présentée de fois, que l’on n’ait à même temps voulu examiner l’exemption des paroisses de cette banlieue, et Mr. De Marillac a été un de ceux qui s’y est le plus appliqué. Il crût ne pouvoir rien faire de plus juste, et à même temps de plus avantageux pour l’élection de Rouen qui est très chargée, que de faire porter une partie du fardeau à ces paroisses. Mais comme en leur ôtant cette exemption de la taille, il fallait les réduire à la condition des autres taillables, c’est-à-dire les dé-charger des droits de consommation et d’entrée ; on s’arrêta moins à l’examen de l’exemption, qu’à la diminution qu’il fallait faire au fermier des aides. Et quand par une discussion exacte on vit que ces paroisses, qui n’auraient au plus payé que vingt-cinq mille livres de taille, payaient actuellement plus de quarante-cinq mille livres de droits de consom-mation, dont il aurait fallu faire diminution au fermier des aides, on ne trouva plus à propos d’agiter la question de l’exemption et du privilège, et on crût avec raison qu’il valait mieux les laisser vivre comme ils avaient vécu par le passé.

On voit par là qu’on a eu raison de dire que ce privilège ou exemp-tion n’a rien de réel, et qu’il n’a son existence que dans l’idée de ceux qui en jouissent ; parce qu’il les tire de la vexation, qu’ils regardent comme nécessairement attachée à l’imposition et à la levée des tailles.

Les habitants des paroisses de cette banlieue ne comptent pour rien cette surcharge de droits, ni toutes les avanies qui leur sont faites par les commis des aides, qui inventent tous les jours de nouveaux moyens de s’attirer des confiscations qu’il est presque impossible d’éviter. Cepen-dant tant que ces habitants seront maîtres de fixer leur imposition par rapport à la bonne ou mauvaise chère qu’ils feront, et qu’ils ne payeront rien en ne buvant que de l’eau et ne mangeant que du pain si bon leur semble, ils seront contents de leur sort, et feront envie à leurs voisins.

On se plaint partout et avec raison de la supercherie et de l’infidélité avec laquelle les commis des aides font leurs exercices. On est forcé de leur ouvrir les portes autant de fois qu’ils le souhaitent ; et si un malheureux pour la subsistance de sa famille, d’un muid de cidre ou de poiré, en fait trois, en y ajoutant les deux tiers d’eau, comme il se pra-tique très souvent, il est en risque non seulement de tout perdre, mais encore de payer une grosse amende, et il est bienheureux quand il en est quitte pour payer l’eau qu’il boit.

Tout cela néanmoins n’est compté pour rien, quand on considère que dans les paroisses taillables, ce n’est ni la bonne ou mauvaise chère, ni la bonne ou mauvaise fortune qui règlent la proportion de l’imposi-tion, mais l’envie, le support, la faveur et l’animosité ; et que la véritable pauvreté ou la feinte y sont presque toujours également accablées. Que si quelqu’un s’en tire, il faut qu’il cache si bien le peu d’aisance où il se trouve, que ses voisins n’en puissent pas avoir la moindre connaissance. Il faut même qu’il pousse sa précaution jusqu’au point de se priver du nécessaire, pour ne pas paraître accommodé. Car un malheureux tail-lable est obligé de préférer sans balancer la pauvreté à une aisance, la-quelle après lui avoir coûté bien des peines, ne servirait qu’à lui faire sentir plus vivement le chagrin de la perdre, suivant le caprice ou la jalousie de son voisin. 66

Enfin les habitants des paroisses de la banlieue se pourvoient d’un habit contre les injures de l’air, sans craindre qu’on tire de cette pré-caution des conséquences contre leur fortune ; pendant qu’à un quart de lieue de leur maison, ils voient leurs voisins qui ont souvent bien plus de terres qu’eux, exposés au vent et à la pluie avec un habit qui n’est que de lambeaux, persuadés qu’ils sont qu’un bon habit serait un prétexte infaillible pour les surcharger l’année suivante.

1   ...   4   5   6   7   8   9   10   11   ...   20


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət