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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Roland Candiano


Dans la nuit du 30 au 31 janvier, les gorges de la Piave et les abords de la Grotte-Noire présentaient un étrange spectacle.

Le sombre passage, les rochers abrupts s’éclairaient de torches dont la lueur pénétrait dans les abîmes au fond desquels roulait le fleuve en grondant.

Autour de ces torches, les premiers plans en pleine lumière, les arrière-plans noyés d’ombre, une foule était assemblée.

Il y avait là cinq cents hommes environ.

Ils portaient tous le costume des montagnards.

C’étaient des rudes figures, des physionomies abruptes comme les rochers de ce paysage.

Ces hommes, appuyés sur leurs arquebuses, le pistolet et le poignard au ceinturon, composaient une assemblée formidable.

Sur la plate-forme qui s’étendait devant l’entrée des grottes, ils formaient un cercle serré.

Ceux qui n’avaient pu prendre place dans ce cercle s’étaient placés comme ils avaient pu, les uns grimpés sur des rochers, les autres accrochés à quelque arbuste...

En dedans du cercle, dans l’espace vide que les torches éclairaient violemment, un homme parlait.

Il était monté sur un échafaud, qui avait été rapidement construit.

Le silence était profond.

On n’entendait que la voix de l’homme.

Ceux qui l’entouraient ne manifestaient ni approbation ni improbation.

Mais à leurs ardents regards, à leurs physionomies tendues vers le chef qui parlait, il était facile de voir que chacune de ses paroles éveillait en eux une indestructible sympathie.

L’homme, c’était Roland Candiano.

Au moment où nous nous approchions de ce groupe fantastique, il achevait :

« Maintenant, vous êtes des hommes, puisque vous avez compris que le grand devoir des hommes n’est pas seulement de protéger les faibles, mais encore d’attaquer et de détruire les forts...

« Qu’est-ce en effet que la protection donnée aux faibles, si, par lâcheté, on tolère que les forts subsistent ?

« Les révolutions des opprimés seront à recommencer tant que ce principe n’apparaîtra pas comme évident.

« Le moyen le plus sûr, le plus honnête et le moins sanguinaire de protéger les opprimés, de les arracher à l’esclavage, c’est de s’attaquer aux puissants.

« En vain vous affirmera-t-on qu’il est des puissants animés de bons sentiments.

« Un homme est dangereux, mauvais, par le seul fait de sa puissance. Plus d’oppresseurs, donc plus d’opprimés...

« Voilà ce que vous avez admis, et c’est pourquoi vous êtes des hommes.

« C’est pourquoi, aussi, moi qui pense ces choses, je n’accepterai pas le pouvoir que vous voulez me confier.

« Si nous triomphons, je prendrai pour six mois la conduite des affaires publiques et, doge par le nom, mais non par l’esprit, je m’efforcerai d’enseigner au peuple de Venise que la liberté est le plus précieux des biens, et qu’il n’a pas besoin de maîtres, surtout de bons maîtres, pour être heureux... Après quoi, je vous dirai adieu pour toujours... »

Roland se tut.

Nous ne nous chargeons pas d’établir ici une critique des idées étranges qu’il exposait. Laissant ce soin au lecteur, nous nous obstinons dans notre rôle de narrateur.

Sans doute, les hommes qui entouraient Candiano étaient de son avis, puisque aucun d’eux n’essaya de le faire revenir sur sa détermination de ne garder le pouvoir ducal que pour six mois.

L’avenir, d’ailleurs, l’avenir de Venise ménageait des surprises à ces hommes et à Roland Candiano lui-même.

Ce qui est certain, c’est que Roland parlait sincèrement.

Mais les motifs d’ordre général et philosophique invoqués par lui n’avaient pas été les seuls à lui dicter sa résolution.

La vérité, c’est que Roland était atteint d’un mal terrible : il s’ennuyait dans la vie.

Sa passion pour Léonore, loin de s’abattre, se fortifiait de jour en jour.

Or, Léonore ne pouvait plus jamais être sienne.

Dès lors, à quoi bon s’intéresser au monde, à la vie d’un peuple même qui le considérait comme le messie sauveur patiemment attendu !

« Oui, songeait-il, si je suis vainqueur, prendre le pouvoir pour écraser à tout jamais les oppresseurs ; enseigner à ce peuple comment on devient libre, puis m’en aller n’importe où, et tout sera fini pour moi. »

Voilà ce que pensait à ce moment-là Roland Candiano.

Lorsque Roland eut fini de parler, il descendit de l’échafaud qui avait été dressé afin que chacun pût le voir et l’entendre. Il entra dans la Grotte-Noire.

Là, les chefs se réunirent autour de lui.

Roland donna à chacun d’eux des instructions précises pour le jour du 1er février.

Chaque chef devait partir dans la nuit même avec ses hommes et se diriger sur Venise, les uns par mer, les autres par la lagune.

Depuis huit jours, mille hommes étaient déjà partis et se trouvaient à Venise.

En tout, Roland disposait d’une force un peu inférieure à deux mille hommes. Nous parlons ici des combattants.

Car, dans le peuple même de Venise, parmi les marins, les barcarols, les débardeurs du port, les ouvriers et même parmi les marchands, l’immense majorité faisait secrètement des vœux pour lui.

Altieri avait les soldats.

Foscari avait les fonctionnaires de toute nature.

Une fois que ce suprême et dernier conseil se fut tenu dans la Grotte-Noire, des bandes commencèrent à descendre silencieusement la montagne.

Roland se disposa à gagner Venise et chercha des yeux son fidèle compagnon.

« Me voici, maître, dit Scalabrino.

– Partons, fit Roland.

– Je voudrais d’abord vous parler, maître », dit Scalabrino. Roland l’interrogea des yeux.

« Tout à l’heure, acheva le colosse, quand tous nos frères seront partis... »

XXVIII



Scalabrino


Les dernières bandes se mirent en mouvement, chacune conduite par son chef.

Il faut remarquer que ces hommes marchèrent sur Venise avec une sorte de gravité calme, non comme des soldats ivres d’enthousiasme pour la bataille, mais comme des citoyens d’une idéale république sachant qu’ils vont risquer leur vie pour l’accomplissement d’une besogne nécessaire.

Quelques années auparavant, la plupart de ces hommes étaient des brigands ; mais ils avaient en eux une lumière qui finit par éclairer les consciences les plus obscures : l’amour de la liberté.

Ces explications et celles que nous avons données dans le court chapitre précédent étaient nécessaires pour faire comprendre le grand drame qui allait se jouer à Venise.

« Parle ! dit Roland lorsqu’il se vit seul sur la plate-forme avec Scalabrino.

– Maître, dit le colosse avec une profonde tendresse, je vais vous dire adieu.

– Que veux-tu dire ? fit Roland.

– Ceci : vous avez distribué à chacun son rôle, excepté à moi...

– Mais toi, tu restes près de moi, tu ne me quittes pas...

– Laissez-moi finir, maître, reprit Scalabrino avec la même profonde tendresse. Je me suis donné un rôle à moi-même... et je vous demande en grâce de ne pas m’interroger là-dessus. Pour l’exécution de ce que j’ai médité, il faut que je vous quitte dès maintenant...

– Scalabrino !...

– Monseigneur...

– Jure-moi que tu ne vas pas te tuer ! »

Ce fut au tour de Scalabrino de tressaillir.

Mais il garda le silence.

Roland prit la main du colosse :

« Ainsi, c’est bien vrai ! La vie t’est devenue insupportable !

– Monseigneur, oseriez-vous affirmer qu’elle vous est supportable ? J’étais une matière impure. Vous m’avez animé, vous m’avez appris à penser, et par conséquent à souffrir. Lorsque j’ai connu Bianca, j’ai cru que le paradis s’ouvrait pour moi. Pauvre homme qu’aucune affection n’avait jamais éclairé au fond de son enfer... J’avais une fille... Mon tort fut de me mettre à l’adorer, à l’idolâtrer, et maintenant qu’elle n’est plus, oui, c’est vrai, maître, la vie m’est insupportable. Mais ne croyez pas que je veuille me tuer... Vous êtes, vous, ma grande affection, et cela seul suffirait pour me réconcilier avec la vie... Je vous jure, maître, que je ne vais pas au suicide... Seulement, ce que j’entreprends... ce sera peut-être ma mort... et c’est pourquoi j’ai voulu vous dire adieu... comme si j’allais mourir...

– Qu’est-ce donc que tu entreprends ?

– Maître... Je vous ai prié... de ne pas m’interroger... »

Roland garda quelques minutes un silence plein d’angoisse.

« Et si tu en réchappes, dit-il, me jures-tu de revenir me trouver sans attenter à toi-même ?

– Oui, maître, dit gravement Scalabrino, je vous le jure !... Et maintenant, comme la chose est pressée, comme il faut que j’arrive à temps... je vous dis adieu, maître. »

Pour la première fois, Scalabrino tendit le premier sa main.

Roland ouvrit ses bras tout grands.

Ces deux hommes s’étreignirent avec la joie immense de sentir dans leur cœur le même dévouement, et la douleur de comprendre que, sans doute, ils se voyaient pour la dernière fois.

Un sanglot déchira la gorge de Scalabrino.

Puis, s’arrachant à l’étreinte, il s’enfuit, disparut derrière l’entassement des rochers.

Roland descendit seul la montagne au pied de laquelle il trouva un de ses hommes qui l’attendait avec un cheval.

Et, mortellement triste, il prit le chemin de Mestre.

Scalabrino, après avoir franchi la ligne des rochers, s’était arrêté. Il vit Roland s’éloigner, et revint sur la plate-forme de la Grotte-Noire.

Tant qu’il put distinguer la silhouette de Roland qui descendait les rampes de la montagne, il la suivit des yeux dans l’obscurité.

Mais bientôt il la perdit de vue.

Un soupir gonfla alors sa vaste poitrine, et, à pas lents, il se dirigea vers l’entassement des rochers qui se trouvait sur la gauche de la grotte.

C’est là qu’une tombe avait été creusée pour Bianca.

Déjà des touffes sauvages croissaient là : des lentisques aux parfums pénétrants, un myrte qui fleurirait au printemps prochain.

Longuement, Scalabrino regarda ces choses, tournant autour des rocs, arrangeant les arbustes, redressant le myrte qui se penchait.

C’est ainsi qu’il faisait ses adieux à Bianca.

Jamais plus il ne reviendrait arroser ces plantes sauvages... mais l’eau du ciel s’en chargerait...

Il ne parlait pas ; sa pensée muette ne lui suggérait aucune parole à l’adresse de la morte.

Mais brusquement, comme il avait fini d’arranger à sa guise les plants que le hasard avait fait pousser de terre, il se laissa tomber à genoux, puis se coucha en travers des rochers, et la tête dans les deux mains, se prit à sangloter.

L’obscurité se dissipa soudain au moment où la lune, en son dernier quartier, se dégagea des nuages et versa sur la plateforme une lueur pâle.

Scalabrino se releva, parut hésiter un instant encore, puis se détournant, commença à descendre la montagne sans retourner la tête vers les rochers sous lesquels sa fille dormait à jamais.

Il marcha à pied jusqu’à Trévise, probablement pour étourdir le désespoir qu’il portait en lui.

Mais à Trévise, où il arriva dans la matinée, une fatigue insurmontable s’empara de lui.

Il fréta une voiture qui le conduisit à Mestre.

De Mestre à la lagune, il fit encore le trajet à pied, traversant cette forêt où Bembo avait poursuivi Bianca.

Enfin, il arriva à Venise le soir du 31 janvier.

Il se rendit droit au port du Lido et entra dans une auberge, où il se fit servir un repas sommaire.

Il y toucha d’ailleurs à peine.

Évidemment, il avait simplement voulu se donner une contenance.

Son repas terminé, une bouteille devant lui, il attendit, le coude sur la table, les yeux fixés sur la porte.

À neuf heures, un homme entra dans la taverne, l’aperçut et vint s’asseoir en face de lui.

Il portait le costume de marin.

« Me voici à l’heure, dit cet homme en s’asseyant.

– C’est bien, fit Scalabrino. Vous êtes prêt ?

– Oui, et vous, vous avez la somme ? »

Scalabrino toucha du doigt sa ceinture de cuir.

La figure du marin s’éclaira.

« Venez donc, en ce cas », dit-il.

Scalabrino paya sa dépense et sortit, accompagné du marin.

« Comment allez-vous faire ? demanda le colosse une fois dehors.

– Venez, vous allez voir. »

Ils marchèrent en silence le long des vieilles maisons du quai.

Dans la rade, les navires de l’État apparaissaient confusément, les lignes de leurs mâts et de leurs cordages enchevêtrés sur le fond du ciel, leurs châteaux de poupe alignant leurs fenêtres éclairées qui renvoyaient dans l’eau des reflets mobiles, semblables à des feux follets voltigeant à la surface de la mer.

Le marin entra dans une maison, monta au premier étage, ouvrit une porte et entra dans une chambre où il alluma une lanterne.

Sur un escabeau, il y avait un paquet enveloppé dans une grande toile. Il le montra du doigt à Scalabrino, et dit :

« J’ai apporté ça hier. »

Scalabrino ouvrit le paquet.

Il contenait un costume complet de marin à sa taille.

Aussitôt, il commença à s’en revêtir, se dépouillant au fur et à mesure des vêtements qu’il portait.

Lorsqu’il retira sa ceinture de cuir, il la jeta au marin en disant :

« Voyez si le compte y est. »

L’homme s’en saisit avidement, l’ouvrit et se mit à compter avec soin.

« Le compte y est, ma foi ! » s’écria-t-il bientôt.

À ce moment, Scalabrino était complètement habillé et transformé en marin de la république vénitienne.

Il demanda :

« À quelle heure embarque-t-on les soldats ?

– À la pointe du jour, répondit l’homme.

– Bon. Comment allons-nous faire ?

– Ne vous inquiétez de rien. Seulement, en accostant, si quelqu’un vous parle, dites comme moi... ou plutôt ne dites rien... Là-dessus, en route ! car après onze heures l’opération deviendrait impossible. »

Le marin cacha la ceinture pleine d’or sous les carreaux de la cheminée qu’il avait dû desceller dans la journée, puis sortit en refermant la porte à triple tour.

Dehors, ils se remirent à suivre la ligne des quais.

Le marin s’arrêta devant une embarcation.

Il y prit place, et Scalabrino y sauta à son tour.

Aussitôt le marin se mit à ramer, se dirigeant droit vers la ligne des vaisseaux d’État.

Au bout de dix minutes, il montra une masse sombre à Scalabrino, et dit :

« Voici le vaisseau amiral. Nous accostons. »

Scalabrino mit alors sa main sur l’épaule de son conducteur.

« Voulez-vous un conseil, l’ami ?

– Donnez toujours...

– Eh bien, après m’avoir fait monter à bord, regagnez la terre, si vous pouvez... et ne revenez plus sur le vaisseau. »

L’homme se mit à rire silencieusement.

« Merci du conseil, dit-il... j’en profiterai d’autant mieux que c’était justement le conseil que j’étais en train de me donner à moi-même... Croyez-moi, j’ouvre l’œil, et j’y vois clair... »

La petite embarcation filait à ce moment sous le château d’arrière du vaisseau amiral. Puis elle se glissa le long du géant assoupi sur les flots et atteignit l’avant.

Là, le marin siffla doucement.

Un coup de sifflet pareil au sien, signe de reconnaissance des marins entre eux, lui répondit du bord.

Alors il attacha son embarcation aux flancs du vaisseau, et saisit une corde à nœuds.

« Saurez-vous monter par un tel chemin ? demanda-t-il inquiet. C’est qu’on s’apercevrait vite...

– Je monterai », dit Scalabrino.

Le marin s’élança avec légèreté. Au moment où il franchissait le bordage et sautait sur le pont, Scalabrino arrivait lui aussi.

« C’est un ancien marin », songea l’homme.

Le pont était désert, à peine éclairé par les pâles reflets des lanternes suspendues de distance en distance aux cordages.

Seules, les sentinelles veillaient : il y en avait trois à bâbord et trois à tribord.

C’est auprès de l’une de ces sentinelles que Scalabrino venait de sauter. Il se dirigea aussitôt vers le grand mât, comme s’il eût parfaitement connu le pont de ce navire.

En même temps, le marin parlementait avec la sentinelle.

« C’est toi, Giuseppo ?

– Oui. Tu rentres en retard. Qui est avec toi ?

– Veux-tu gagner deux écus ? fit le marin sans répondre à cette question.

– Si je le veux ! Moi qui n’ai pas une baïoque depuis des semaines !

– Eh bien, en voici déjà un... prends... mais à une condition : tu ne signaleras pas que nous sommes rentrés en retard, le camarade et moi.

– Ça va... Et l’autre écu ?

– Écoute. Je vais signaler au maître de couchage que je suis là ; puis je m’éclipserai. J’ai fait une conquête... tu comprends ?

– Oui, oui... mais qui sera mis aux fers demain matin ? C’est moi !

– Imbécile ! À quatre heures du matin, je serai rentré.

– Tu le jures ?

– Par la madone. C’est dit ? Tu me laisses filer ?...

– Et tu me donnes l’autre écu ?

– En enjambant le bord !...

– Tu es donc devenu riche tout à coup ?

– Ma conquête... tu comprends ?... »

Le marin s’éloigna, laissant la sentinelle émerveillée, et rejoignit Scalabrino immobile au pied du grand mât.

« Le plus difficile est fait ! murmura-t-il.

– Ne vous inquiétez pas du reste, dit Scalabrino. La sentinelle ?

– Ne dira rien.

– C’est bon. Vous pouvez me laisser ici.

– Ah ! çà ! vous connaissez donc le navire ?

– Oui.


– Et, sans indiscrétion, que voulez-vous faire !... Voyons... quelque coup de poignard à un chef ?... Hein ?... Vous avez dû être matelot sur quelque navire...

– Eh bien, c’est vrai ! dit Scalabrino. J’ai servi autrefois... Un officier m’a mis injustement aux fers et m’a fait fouetter... J’ai su qu’il était maintenant à bord de l’amiral...

– Bon, bon... je comprends... mais je serais pendu à la grande vergue, moi, si on savait...

– Puisque vous vous sauvez... Vous êtes riche maintenant.

– C’est vrai. Allons, bonne chance !... Moi aussi, j’ai été fouetté et mis aux fers, et je voudrais bien me venger... mais je n’ai pas votre courage... Bonne chance, camarade !

– Merci !... »

Le marin revint à la sentinelle, et lui tendit son écu.

« Passe ! Mais sois ici à quatre heures... sans quoi, je te signale comme absent de toute la nuit...

– Sois donc tranquille ! » fit le marin en enjambant le bord et en se laissant glisser le long de la corde jusqu’à son embarcation qui, aussitôt, démarra et fila vers le quai.

Vers le milieu de la rade, il croisa une grosse embarcation qui, à toutes rames, se dirigeait vers le vaisseau amiral.

*

Scalabrino, demeuré seul, s’approcha de la grande écoutille centrale.



Il se pencha, et écouta un instant...

L’intérieur du navire était sombre, silencieux...

Scalabrino leva les yeux vers le ciel, contempla une minute les étoiles qui scintillaient là-haut, puis, lentement, il s’enfonça dans les flancs du vaisseau amiral.

L’embarcation que nous venons de signaler croisant celle du marin fugitif au milieu de la rade atteignit rapidement le vaisseau amiral.

Celui qui la conduisait héla alors les gens du navire.

Il y eut des allées et venues sur le pont.

Un officier interrogea la barque.

Et sur les réponses qui lui furent faites, une échelle fut jetée.

Alors, tandis que rameurs et patron demeuraient à leur place, un homme saisit l’échelle, quitta la barque et se mit à monter avec une rapidité qui prouvait sinon son adresse, du moins sa force et sa volonté.

« Menez-moi à l’amiral », dit cet homme d’un ton bref en touchant le pont du vaisseau.

L’officier comprit, sans doute, que cet inconnu avait le droit de lui donner des ordres, car il ne fit aucune objection, le conduisit au château d’arrière, frappa à une porte et s’effaça.

La porte s’ouvrit et se referma aussitôt sur l’inconnu.

Mais si vite que ce mouvement se fut fait, si peu qu’eut duré le rayon de lumière venu de l’intérieur, l’officier eut le temps d’apercevoir le visage du visiteur.

« Le capitaine général ! murmura-t-il. Diable ! le moment approche... »

C’était Altieri en effet.

Il demeura vingt minutes dans la chambre de l’amiral, puis sortit et, escorté par le commandant du bord jusqu’à l’échelle, regagna son embarcation.

Au moment où il avait franchi le bordage, l’amiral lui avait dit :

« Je commence la manœuvre dans un instant. »

Dès qu’Altieri eut disparu, l’amiral réunit dans sa chambre les officiers de son bord et leur exposa la manœuvre qui devait se faire à l’instant même et sans bruit.

Aussitôt, les matelots furent réveillés ; un étrange mouvement se produisit sur le pont du navire ; dans l’obscurité, silencieusement, pieds nus, les marins obéissaient aux commandements qui leur étaient transmis à voix basse... des chaloupes mises à la mer allèrent du vaisseau à la terre, transportant un long câble... puis les ancres du vaisseau furent halées, et bientôt l’énorme masse se mit en mouvement, lentement tirée vers le quai...

À quatre heures du matin, le vaisseau amiral était amarré au quai sans que les autres navires de guerre se fussent aperçus de sa manœuvre.

Sur le quai, les deux compagnies d’Altieri, celle des archers et celle des arquebusiers étaient alignées.

Les soldats commencèrent aussitôt à s’embarquer.

À cinq heures, cette dernière manœuvre était terminée.


XXIX



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