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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Triomphe de Foscari


Le cortège du doge Foscari, un moment arrêté par le cortège funèbre de Dandolo, reprit sa marche vers les quais du Lido.

À mesure qu’il avançait, Foscari sentait de sourdes inquiétudes monter en lui.

Aux abords du palais ducal, sur la place Saint-Marc, on avait beaucoup crié en son honneur, soit que Guido Gennaro eût placé là un plus grand nombre de ses hommes, soit que les curieux, non initiés à ce qui se préparait, se fussent portés de préférence sur cette place.

Or, une foule indifférente est toujours prête à acclamer le spectacle d’un riche cortège où chatoient les costumes, où éclatent les fanfares, où brillent les armures.

Le peuple enthousiasmé, avait donc crié : « Vive Foscari ! » sans trop savoir pourquoi et uniquement parce qu’il lui fallait à tout prix traduire l’émotion que le spectacle mettait en lui.

Mais peu à peu, malgré les cloches de toutes les églises sonnant à toute volée, malgré les fanfares des hérauts, malgré cette sourde rumeur qui monte des foules profondes, le doge s’était senti enveloppé d’un silence plein de menaces...

Et cela avait duré jusqu’au moment de la rencontre des deux cortèges.

À partir de cet endroit, au silence commencèrent à succéder de nouveaux cris.

Mais si l’on entendait encore des « Foscari ! Foscari ! », les clameurs en l’honneur d’Altieri dominaient.

« Vive le général ! Vive le sauveur de la République ! »

Dans certaines ruelles, partisans de Foscari et partisans d’Altieri en venaient aux mains... le sang coulait déjà...

Altieri marchait près de Foscari qui ne le perdait pas de vue.

Au début, le capitaine général avait voulu se placer trois pas en arrière du doge, par respect, disait-il. Mais le doge avait absolument voulu honorer son capitaine général en le faisant marcher près de lui.

Comme les « Vive Altieri ! » redoublaient...

« Il me semble qu’on vous acclame fort, dit le doge.

– Monseigneur, répondit Altieri, le peuple se trompe quelquefois. »

Comme on approchait des quais, Foscari se retourna et vit Guido Gennaro qui, imperturbable dans son rôle d’huissier, continuait à porter un pan de son manteau.

Il lui fit signe d’approcher.

Insensiblement, l’huissier gagna du terrain et se trouva presque côte à côte avec le doge.

D’ailleurs, à ce moment, l’étiquette de la cérémonie semblait s’être singulièrement relâchée.

Les rangs s’étaient rompus. Dans le cortège même, plusieurs officiers, impatients d’engager la bataille, encourageaient les bandes qui criaient pour Altieri.

Les hallebardiers suisses, pourtant, tenaient bon contre les poussées de plus en plus violentes de la foule.

Ils s’étaient massés autour du groupe dont Foscari et Altieri étaient le centre, et de temps à autre croisaient leurs hallebardes contre les émeutiers qui alors reculaient en grand tumulte.

Guido Gennaro avait rejoint le doge.

« Eh bien, fit celui-ci non sans amertume, me répondez-vous toujours que je vais rentrer vainqueur au palais ?

– Oui, monseigneur, j’en réponds sur ma vie si vous demeurez jusqu’au bout d’un aussi admirable sang-froid.

– Sur votre vie ?

– Sur ma vie ! » répéta audacieusement Gennaro qui en lui-même se disait :

« Je ne donnerais pas un écu de la couronne de Foscari et pas une baïoque de sa peau. »

Foscari reprit :

« Les deux compagnies d’Altieri ?

– Sont embarquées sur l’amiral. Tout va bien de ce côté.

– Mais si elles tentent un débarquement ?

– Impossible ! L’amiral est à huit ou dix encablures du quai, et s’il essaie un mouvement, il sera coulé bas.

– Vous en répondez ?

– Sur ma vie ! » dit Gennaro pour la troisième fois.

À ce moment, le cortège débouchait sur le quai.

Une immense clameur de haine et de malédiction accueillit Foscari.

Livide, le doge jeta un suprême regard sur la rade pour s’assurer que le vaisseau amiral était bien surveillé.

Un cri de fureur, de rage et de désespoir éclata sur ses lèvres.

Il venait de voir le vaisseau amarré au quai, auquel il se reliait par un large pont en planches.

Et sur le pont du vaisseau, noir de monde, les deux compagnies d’Altieri agitaient leurs armes.

« Monseigneur, dit Altieri d’une voix vibrante d’ironie et de triomphe, nous avons voulu vous éviter la peine de vous rendre jusqu’au vaisseau amiral. C’est lui qui est venu à vous.

– Trahison ! trahison ! » hurla Foscari qui, d’un geste frénétique, tira sa dague.

*

Or, tandis que Foscari, Altieri, tout le clergé de Venise, le haut patriciat, le conseil, les dignitaires d’État, pendant que tout ce cortège s’avançait sur les quais, d’étranges mouvements s’accomplissaient en silence.



Au fur et à mesure que le cortège avait dépassé un point important, soit quelque pont, soit quelque carrefour, ce point était aussitôt occupé par une bande.

Chacune de ces bandes, qui prenaient ainsi position dans la ville et semblaient avoir pour objectif de couper toute retraite vers le palais ducal, se composait d’hommes qu’on ne connaissait pas dans Venise, et qui, sur un costume qui laissait libres tous les mouvements, portaient une cuirasse de cuir fauve. Aussi le peuple les appela-t-il sur-le-champ : les cuirasses jaunes.

Ces hommes étaient solidement armés, chacun d’eux ayant, outre son poignard, une bonne arquebuse et un pistolet.

Ces bandes étaient de plus en plus fortes à mesure que le point où elles se plaçaient était plus rapproché du palais ducal. Elles ne se composaient que de quinze hommes vers le Lido, elles en comprenaient cinquante au milieu de la ville, et enfin, aux abords de la place Saint-Marc, il y en avait trois qui se composaient chacune de cent hommes.

Sur la place elle-même, cinq cents de ces combattants s’étaient silencieusement rangés.

En même temps, une bande forte de trois cents hommes marchait sur le palais ducal, désarmait en un clin d’œil les quarante suisses qu’on y avait laissés et occupait aussitôt la salle des Doges.

Alors cinq de ces hommes entraient dans la salle du Conseil et prenaient place sur les sièges.

Trois autres se rendaient dans la salle des séances du tribunal secret.

Tout cela s’était fait avec une rapidité, une audace et un ensemble qui prouvaient deux choses :

D’abord, que ces gens étaient décidés à mourir sur place.

Ensuite, que le mouvement combiné avait été longuement étudié.

Ces bandes, c’étaient celles de Roland Candiano.

Son plan était d’une extrême simplicité :

Laisser Altieri et Foscari en venir aux mains sur les quais du Lido, et se détruire ou tout au moins s’affaiblir mutuellement...

Puis, lorsque le vainqueur, quel qu’il fût, chercherait à regagner le palais ducal, l’attaquer à son tour, par des assauts de plus en plus violents, et s’il arrivait jusqu’à la place Saint-Marc, lui livrer bataille à cet endroit :

Roland Candiano lui-même, escorté de cinq ou six de ses compagnons qui le suivaient à distance, se montra dans la ville dès que Foscari et Altieri eurent atteint le Lido.

Il avait revêtu le costume qu’il portait jadis avant d’être arrêté. Aucun déguisement ne masquait sa mâle figure, empreinte d’une étrange audace qui se voilait de mélancolie.

Pour toute arme, il avait au côté son épée de parade.

Roland était sorti d’une maison qui avoisinait le Lido, et se dirigeait vers le palais ducal.

Une femme du peuple le reconnut la première.

Elle le désigna à quelques commères que la curiosité avait poussées dehors.

Ces femmes se mirent à le suivre en criant :

« C’est Roland Candiano ! Il est revenu ! Il vient nous délivrer ! »

Alors ce nom se répandit comme une traînée de poudre :

« Roland Candiano !... Roland le Fort ! »

Au bout d’un quart d’heure, Roland avait autour de lui une foule délirante qui lui tendait les mains. Des jeunes filles à qui on avait raconté l’histoire de ses amours avec Léonore pleuraient.

De vieux marins, des barcarols qui jadis l’avaient conduit, à qui il avait donné des poignées de main et des poignées d’or, sanglotaient et disaient :

« Venise est sauvée ! Voici Roland le Fort ! »

Des milliers de mains se tendaient vers lui. On s’écrasait, on s’étouffait autour de lui. Et pourtant, le chemin du palais ducal lui demeurait libre. Des clameurs de joie furieuse montaient de ces poitrines haletantes.

Au loin, sur le Lido, les coups de feu éclataient, la bataille rugissait.

Et des gens, se précipitant dans les églises qu’ils rencontraient en chemin, se mettaient à sonner le tocsin.

Roland arriva à un carrefour.

En un clin d’œil, au moyen de tonneaux vides sur lesquels on posa une porte qui fut arrachée de ses gonds, une estrade fut improvisée.

Des centaines de bras se tendirent vers lui. Il fut saisi, porté sur l’estrade.

« Parle ! parle ! criaient les femmes.

– Sauve-nous ! À nous, Roland ! » hurlaient les hommes.

Et comme il faisait un signe, un silence terrible plana tout à coup sur cette foule.

D’une voix forte, Roland demanda :

« Voulez-vous l’esclavage ou la liberté ? »

Ce fut une clameur, un hurlement indescriptible :

« Liberté ! Liberté !...

– Voulez-vous me confier la garde de votre liberté ? »

Et la clameur s’éleva, plus furieuse, plus intense :

« Oui, oui, Roland ! Roland le Fort ! Le doge du peuple !... »

Roland fit signe qu’il acceptait ce que le peuple acceptait.

Ce fut ainsi que fut conclu, dans le tumulte de l’émeute, parmi les bruits de la bataille, le pacte entre Roland Candiano et le peuple de Venise.

Roland descendit de l’estrade et continua à marcher vers le palais ducal.

*

Maintenant, voici ce qui se passait dans les flancs du vaisseau amiral au moment où Foscari et son cortège débouchaient sur les quais du Lido.



Au moment où Scalabrino avait commencé à descendre l’escalier de la grande écoutille, tout dormait dans le vaisseau.

L’heure de mettre les matelots au courant de ce qui allait se passer n’était pas encore venue pour l’amiral de la flotte.

Scalabrino put donc descendre sans avoir été vu par qui que ce fût.

Il descendit deux ponts, puis se trouva enfin dans le dernier pont qui le séparait de la cale.

Alors, sûr qu’on ne viendrait pas le chercher là, il tira de ses vêtements de marin une petite lanterne sourde et l’alluma.

Puis il chercha le trou d’homme qui permettait de descendre à la cale.

C’était, au milieu du pont, une écoutille hermétiquement fermée, le couvercle maintenu par de solides cadenas.

Scalabrino regarda autour de lui et, dans un coin, aperçut une barre de fer.

Avec cette barre, il fit sauter les cadenas.

Puis il leva le couvercle et posait déjà le pied sur le premier échelon de fer lorsqu’un étrange mouvement se manifesta au-dessus de sa tête, dans le vaisseau.

Il s’arrêta court, et prêta l’oreille.

Il entendait de sourdes rumeurs, des grincements de chaînes, des ordres jetés d’une voix étouffée.

Alors, il referma soigneusement l’écoutille, éteignit sa lanterne et remonta d’un étage.

Là, il écouta encore, immobile, l’esprit tendu, cherchant à comprendre ce qui se passait.

Des voix parvinrent jusqu’à lui.

Un balancement plus prononcé du navire lui indiqua que les ancres venaient d’être levées.

Au bout d’une heure de cette attente dans les ténèbres, Scalabrino sourit.

Il avait compris...

Alors, il regagna l’écoutille de la cale et, cette fois, s’y enfonça sans hésiter...

Le fond de la cale était divisé en deux vastes compartiments.

Celui qui s’étendait sous l’avant renfermait des boulets de fer, des balles d’arquebuse, des piques, des sabres d’abordage. Celui qui s’étendait sous l’arrière contenait la poudre placée dans une quinzaine de tonneaux. Chacune de ces chambres était fermée par une porte solide.

Avec sa barre de fer, Scalabrino fit sauter la serrure des deux portes.

Et il visita les deux compartiments.

Il besognait sans se hâter, avec méthode et précision.

Il commença par rapprocher les tonneaux l’un de l’autre.

Puis il pratiqua dans le tonneau central une entaille avec son poignard.

Un peu de poudre s’égrena.

Scalabrino introduisit alors dans l’entaille l’extrémité d’une mèche qu’il tira de sa cotte de marin.

La mèche était assez longue.

« Il faudra à peu près une minute », calcula-t-il.

Alors, il posa sa lanterne sourde près de l’extrémité de la mèche demeurée au-dehors et l’ouvrit.

Puis il se mit à genoux.

Et il attendit.

Soudain, en haut, sur le pont, des clameurs retentirent.

Quelques minutes s’écoulèrent.

Scalabrino, à genoux, sa lanterne ouverte à la main, écoutait.

Les clameurs se turent tout à coup, et des ordres brefs retentirent :

« En avant ! à terre ! à terre !... »

Alors, il saisit le bout de la mèche et le plaça sur la flamme de sa lanterne.

La mèche se mit à pétiller et se tordit comme un serpent de feu.

Scalabrino se releva, laissant là sa lanterne.

« Je lui ai juré de ne pas me tuer », murmura-t-il.

Et d’un pas tranquille, sans hâte, il se mit à remonter.

« Trahison ! trahison ! » tonna Foscari en apercevant le vaisseau amiral amarré au quai.

En même temps, il se retourna vers Guido Gennaro et lui porta un furieux coup de dague à la poitrine.

Gennaro tomba en criant :

« Je suis mort ! »

Et la face contre terre, il ne bougea plus.

Mais si quelqu’un eût eu la curiosité de s’approcher de lui très près, il l’eût peut-être entendu qui murmurait :

« Décidément, maître Molina est le premier armurier du monde ; ses cottes de mailles sont des chefs-d’œuvre. »

Et ce curieux eût vu le mort entrouvrir un œil à la façon des chats et regarder ce qui se passait autour de lui.

Au cri de Foscari, Altieri et les conjurés avaient tiré l’épée.

« À moi, les Suisses ! hurla le doge. À moi, sénateurs, on étrangle la loi, on assassine la liberté !...

– Non pas, tonna Altieri de son côté, c’est vous seul qu’on veut tuer si vous ne vous rendez... Rendez-vous, Foscari ! »

Le doge jeta autour de lui des yeux sanglants. Il vit les conjurés se ruer sur les Suisses qui tinrent bon.

« Courage ! courage ! » leur cria-t-il en se jetant au milieu d’eux.

Les deux bandes en présence se précipitèrent l’une sur l’autre ; les coups de pistolet, les arquebusades, les hurlements de fureur, les gémissements des blessés se heurtèrent, formèrent un chaos de bruits étranges et formidables.

« À terre ! rugit Altieri en faisant signe à ses deux compagnies.

– Je suis perdu ! » gronda le doge.

Du haut du vaisseau amiral, des clameurs répondirent à la clameur d’Altieri, et ses soldats se ruèrent sur le large pont de planches.

À ce moment, une détonation inouïe ébranla les airs.

Le vaisseau amiral s’ouvrit comme un volcan.

Une immense colonne de flammes surmontée d’un panache de fumée noire s’éleva toute droite.

Puis une pluie de feu, débris embrasés, membres déchiquetés, se mit à tomber en mer et sur le quai.

Un instant de stupeur épouvantée suspendit l’ardente bataille.

Puis il y eut un silence lugubre.

Le vaisseau amiral avait disparu, et, avec lui, les deux compagnies d’Altieri, et la plupart des conjurés qui s’étaient embarqués.

Alors on entendit un hurlement féroce.

Et Foscari, levant son épée, ivre de joie, se précipita, entraînant non seulement les Suisses, mais tous les patriciens qui jusqu’à ce moment avaient hésité.

Ce fut une tuerie affreuse.

En quelques instants, deux cents cadavres jonchèrent le sol.

Altieri, avec une dizaine de ses amis, se battait encore lorsqu’un Suisse gigantesque, d’un coup de hallebarde, brisa son épée.

Altieri, alors, jeta sur Foscari un regard de folie.

Il saisit ses cheveux à pleines mains, et un lamentable sanglot éclata sur ses lèvres tuméfiées.

« Qu’on le saisisse ! » tonna le doge vainqueur.

D’un bond, Altieri se mit hors de portée.

On le vit s’enfuir, disparaître au tournant d’une ruelle. Et le doge, dans l’ivresse du triomphe, dédaigna de le faire poursuivre.

« Au palais ducal ! » cria-t-il.


XXXI



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