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Alphonse aulard [1849-1928] Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Paris


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Première partie.

Les origines de la démocratie et de la République


1789-1792
Chapitre III
Bourgeoisie et démocratie
(1789-1790)
I. On ne tire de la Déclaration des droits, ni toutes les conséquences sociales, ni toutes les conséquences politiques. Il n’y a, à cette époque, ni socialistes ni républicains. — II. Organisation de la monarchie. — III. Organisation de la bourgeoisie en classe privilégiée. Régime censitaire. — IV. Mouvement démocratique. — V. Application du régime censitaire. — VI. Les revendications démocratiques s’accentuent.

I

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Nous avons vu que, dans la Déclaration des droits, discutée et votée du 20 au 26 août 1789, il y a implicitement toute la République démocratique et sociale.

On se garda bien d’appliquer tous ces principes, d’en tirer toutes les conséquences.

En réalité, on se borna à légaliser ce que le peuple avait fait, à consacrer les destructions et les acquisitions effectuées.

Au point de vue économique, on s’en tint à la révolution sociale proclamée dans la nuit du 4 août, à l’abolition de la féodalité. On modifia certaines manières de posséder. On affranchit la terre (du moins en principe) et l’homme. Bientôt on abolira le droit d’aînesse, on établira dans le mode d’hériter des règles propres à diviser davantage la propriété foncière, et la vente des biens nationaux par lots et parcelles accélérera cette subdivision.

L’idée, soit d’un partage égal des terres entre tous les hommes, soit de la socialisation générale ou partielle des propriétés foncières, des capitaux, des instruments de travail, cette idée n’est alors, en 1789, soutenue par personne, ou si elle est formulée 1, c’est sans influence et aucun groupe ne l’accepte. Ce que nous appelons aujourd’hui le socialisme (et cela s’appelait alors la loi agraire), c’est une doctrine si peu répandue, si peu populaire, que les plus « conservateurs » des écrivains d’alors ne prennent même pas la peine de la critiquer ou de la foudroyer de leurs anathèmes 2.

Si on veut voir à quel point les esprits les plus hardis répugnaient, dans les premiers temps de la Révolution, au socialisme tel que nous l’entendons, il faut lire, dans la France libre de Camille Desmoulins, un dialogue supposé entre la Noblesse et les Communes. La Noblesse y critique l’idée de faire tout décider par la pluralité. Quoi ! dit-elle, si le gros de la nation voulait la loi agraire, il faudrait donc s’y soumettre ! Les Communes, un peu embarrassées par cette objection, répondent que les propriétés sont dans le pacte social primitif, qui est au-dessus de la volonté générale, et elles ajoutent qu’en fait, les non-propriétaires ne devant pas être électeurs, il est impossible que la loi agraire passe 3.

On peut dire qu’il y a alors, et qu’il y aura quelque temps encore, un accord unanime pour écarter tout supplément de révolution sociale.

Au point de vue politique, on ne demande pas la république, on est d’accord pour garder la monarchie. Comment organisera-t-on la monarchie ? C’est là-dessus qu’on se divise. Personne ne réclame le rétablissement de l’absolutisme. Les opinions vont de l’idée d’un roi très fort, participant à la confection des lois, ayant le dernier mot en toutes choses, jusqu’à l’idée d’un roi annihilé, d’un soliveau, d’une sorte de président de république.

Que la France ne voulût pas la république en 1789, c’est prouvé, évident. Mais n’y eut-il pas un parti républicain à Paris, dans ces démagogiques conciliabules du Palais-Royal ? N’y eut-il pas au moins d’individuelles manifestations républicaines ?

Ce parti, ces manifestations, je ne les vois pas. J’ai beau chercher, je ne rencontre qu’un Français qui alors se dise républicain : c’est Camille Desmoulins. Dans sa France libre, écrite à la fin de juin 1789 et mise en vente le 17 juillet suivant sa confession politique, avoue avoir loué Louis XVI dans une Ode aux États généraux. Jusqu’au 23 juin, les vertus personnelles du roi avaient rallié Camille à la monarchie. Mais la séance royale l’a désabusé. Décidément, tous les rois sont les ennemis du peuple, et il ne faut plus de royauté. Néanmoins, se sentant seul de son avis, il n’insiste pas pour que le trône soit aussitôt renversé, et bientôt il aidera de sa plume les patriotes qui, comme Robespierre, chercheront à améliorer la royauté. Ce procureur de la Lanterne est encore en 1789, malgré ses boutades contre les rois, résigné à la monarchie.

Et les autres agitateurs du Palais-Royal, ce Saint-Huruge, ce Danton ? Ils sont royalistes, comme le peuple dont ils excitent les passions. Et Marat ? Il a peu d’influence alors, mais il en aura tant demain qu’il faut noter son opinion d’alors. Il trace un plan de constitution 1, et c’est une constitution monarchique. Il admet expressément la monarchie héréditaire. Il veut mettre le roi « dans l’heureuse impuissance de faire le mal ». Mais il veut un roi inviolable : « Le prince, dit-il, ne doit être recherché que dans ses ministres ; sa personne sera sacrée. » Et il se vante « d’avoir tracé la seule forme de gouvernement monarchique qui puisse convenir à une grande nation, instruite de ses droits et jalouse de sa liberté ». À cette époque, s’il aime Rousseau, il adore Montesquieu, qu’il trouve « plus héroïque », et qu’il salue d’un long cri d’amour et de reconnaissance.

Dans les innombrables pamphlets de cette époque, un chercheur plus patient ou plus habile que moi trouvera-t-il un jour une autre manifestation républicaine que celle de Camille Desmoulins ? C’est possible ; mais, ce que je puis affirmer, c’est que je n’en ai rencontré aucune autre, et que, s’il s’en produisit une dans la presse ou dans les clubs, elle passa inaperçue de l’opinion.

Aucune gazette, même avancée, même le Patriote de Brissot, ne demande la république ou un autre roi. Les Révolutions de Paris seront plus tard démocrates, puis républicaines. En septembre 1789, c’est un journal monarchiste, dévoué à Louis XVI. Ainsi, on y lit, à propos d’une lettre royale qui demandait aux archevêques et évêques de venir au secours de l’État par leurs prières et leurs exhortations : « Un sage disait que les peuples seraient heureux quand les philosophes seraient rois ou que les rois seraient philosophes. Nous sommes donc à la veille d’être heureux, car jamais prince n’a parlé à son peuple, ou de son peuple avec autant de philosophie que Louis XVI 1. » Et le même journal 2 constate avec satisfaction qu’au Théâtre-Français, le 9 septembre, le public fit répéter ces vers de la tragédie de Marie de Brabant, par Imbert :

Puisse un roi, quelque jour l’idole de la France, De l’hydre féodale abattre la puissance, Et voir l’heureux Français, sous une seule loi, Au lieu de vingt tyrans ne servir qu’un bon roi !

Et dans l’Assemblée nationale ? Y avait-il un parti républicain ou des républicains isolés ?

On l’a cru, on l’a dit.

Nous avons déjà rapporté, d’après Mallet du Pan, ce propos de l’ambassade des États-Unis, Gouverneur Morris, qui, causant avec Barnave dans les premiers jours de la Révolution, lui aurait dit : « Vous êtes beaucoup plus républicain que moi. » Mais il faisait allusion à l’état d’esprit républicain que nous avons déjà caractérisé, et non à un projet d’établir la république en France. Et Barnave, fermement monarchique, théoricien et apologiste de la monarchie en toute circonstance, ne fit jamais aucune manifestation qui ne fût monarchique.

Des constituants, comme Mounier 1 et Ferrières 2, ont cru rétrospectivement, par une sorte de déformation logique de leurs souvenirs, qu’il y avait alors un parti républicain dans l’Assemblée, avec un comité secret : aucun fait ne confirme cette assertion.

Un autre constituant, Barère, imprima en l’an III qu’il n’avait pas « attendu le tocsin du 14 juillet 1789 et la révolution du 10 août, pour être patriote, pour aimer la république 3 ». Et il ne disait pas cela pour les besoins de sa cause, car il avait plutôt alors, sous la réaction thermidorienne, à se défendre d’avoir été démagogue ; il le disait par une sincère illusion d’esprit ; il avait oublié la chronologie de ses propres évolutions d’opinion 4.

À ces allégations fantaisistes, opposons un important et peu connu témoignage contemporain, qui prouve qu’aucun constituant ne se disait alors républicain ou ne se laissait traiter de républicain : c’est celui de Rabaut Saint-Étienne, dans un discours imprimé par ordre de l’Assemblée.

Le 28 août 1789, on avait commencé à discuter l’article premier du projet du Comité de constitution, consacrant la monarchie, puis on avait passé à autre chose. Le 1er septembre, parlant de sa sanction royale Rabaut Saint-Étienne s’exprima ainsi 5 :

« Il est impossible de penser que personne dans l’Assemblée ait conçu le ridicule projet de convertir le royaume en république. Personne n’ignore que le gouvernement républicain est à peine convenable à un petit État, et l’expérience nous a appris que toute république finit par être soumise à l’aristocratie ou au despotisme. D’ailleurs, les Français sont attachés de tout temps à la sainte, à la vénérable antiquité de la monarchie ; ils sont attachés au sang auguste de leurs rois, pour lequel ils ont prodigué le leur ; ils révèrent le prince bienfaisant qu’ils ont proclamé le restaurateur de la liberté française. C’est vers le trône consolateur que se tournent toujours les yeux des peuples affligés ; et quels que soient les maux sous lesquels ils gémissent, un mot, un seul mot, dont le charme magique ne peut être expliqué que par leur amour, le nom paternel du roi, suffit pour les ramener à l’espérance 1. Le Gouvernement français est donc monarchique ; et lorsque cette maxime a été prononcé dans cette salle, tout ce que j’ai entendu réclamer, c’est que l’on définît le mot de monarchie. »

Contre ces paroles, qui furent entendues et lues, personne ne protesta, ni dans l’Assemblée, ni au dehors. Ainsi, du haut de la tribune, un orateur provoqua les républicains à se montrer, et il ne s’en montra pas un 2. Ainsi, tous les Français, qui venaient d’acclamer la républicaine Déclaration des droits, étaient monarchistes, jusqu’à ne pas établir même une courte discussion sur la forme du gouvernement.



II

Le débat sur la constitution eut donc lieu uniquement entre monarchistes, porta uniquement sur l’organisation de la monarchie. Il commença le 28 août 1789 et prit fin le 2 octobre suivant.

On débuta par la lecture et l’examen de l’article premier du projet de Mounier (déposé le 28 juillet) : « Le gouvernement français est monarchique ; il est essentiellement dirigé par la loi ; il n’y a point d’autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle, et, quand il ne commande pas au nom de la loi, il ne peut exiger l’obéissance. »

Les motifs de garder la monarchie avaient été brièvement exposés dans un premier rapport du même Mounier (9 juillet 1789). Il y constatait qu’il y avait un roi depuis quatorze siècles, que « le sceptre n’a pas été créé par la force, mais par la volonté de la nation », que les Français « ont toujours senti qu’ils aveint besoin d’un roi », et, dans l’article 2 de « l’ordre de travail » qui suivant ce rapport du 9 juillet, il était dit que le gouvernement monarchique « convient surtout à une grande société ».

Le débat qui s’engagea aussitôt ne porta nullement sur le principe monarchique, mais sur les applications de ce principe. L’abbé d’Eymar, on l’a vu, demanda (sans succès) que le premier article eût pour objet de déclarer dominante la religion catholique. Démeunier voulait qu’on dît : « La France est une monarchie tempérée par des lois. » Malouet, plus hardi que les autres, proposait comme première phrase : « La volonté générale de la nation française est que son gouvernement soit monarchique. » Selon lui, le pouvoir royal, émané de la nation, devait être subordonné à la nation. Adrien du port aurait désiré qu’on parlât d’abord des droits de la nation, et Wimpffen, qu’on déclarât « que le gouvernement de la France est une démocratie royale 1 ». Robespierre n’intervint que pour proposer « des règles pour une discussion libre, paisible et aussi étendue que les différents points de la constitution pouvaient l’exiger 2 ».

On s’aperçut que l’on n’était pas d’accord sur la définition de la monarchie ; on pensa qu’avant de la définir, il allait l’organiser, et, ajournant l’article premier, on fixa les traits essentiels de cette organisation, les droits respectifs de la nation et du roi (troisième rapport de Mounier, du 31 août). On régla successivement les questions du veto, de la permanence de l’Assemblée, de l’unité du pouvoir législatif (une seule chambre), de l’inviolabilité royale, du mode d’hérédité de la couronne, et enfin, le 22 septembre 1789, revenant à l’article premier, on vota que « le gouvernement français est monarchique ».

Les amateurs de coïncidences remarqueront peut-être que la monarchie fut consacrée trois ans, jour pour jour, avant l’établissement de la République. Il est plus important de constater que ce vote fut enregistré sans commentaire, sans étonnement ou réclamation quelconque, par toutes les gazettes qui le mentionnèrent, par celles de Brissot, de Gorsas, de Barère, de Marat 1.

Voilà donc la monarchie consacrée par l’Assemblée constituante, et la République écartée, sans même qu’on lui eût fait l’honneur d’un débat.

L’inviolabilité de la personne royale avait été votée (15 et 16 septembre) par acclamation, à l’unanimité, et Marat n’avait critiqué, et encore à la réflexion, que le fait d’avoir défini les prérogatives du prince avant de fixer les droits de la nation 2.

Mais cette République, dont on ne veut même pas parler, on « l’infuse » 3 dans la monarchie, si largement que ce roi inviolable n’a plus presque aucun des pouvoirs d’un roi 4.

Voici, en effet, tout l’article voté le 22 septembre 1789 :

« Le gouvernement français est monarchique ; il n’y a point en France d’autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’en vertu des lois qu’il peut exiger l’obéissance. »

C’est clair, et cependant on craint que ce ne soit pas assez clair encore, que le pouvoir divin du roi ne paraisse pas suffisamment aboli et, le lendemain 23, sur la motion de Fréteau, cette article est voté : « Tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation, et ne peuvent émaner que d’elle. » On avait déjà dit cela dans la Déclaration 1 : on le répète ici, pour bien montrer qu’il s’agit d’une monarchie subordonnée à la nation, et, afin de mieux affirmer encore cette subordination, cet article 2 devient l’article 1er, et précède celui qui consacre la monarchie. Cela fut voté, d’après Gorsas 2, à l’unanimité et avec applaudissements.

Si l’on veut comprendre dans quel esprit la Constituante organisa la monarchie, il faut se rappeler que par ce mot : la nation, elle entendait une nouvelle classe privilégiée, celle que nous appelons la bourgeoisie.

Elle veut un roi qui soit entre ses mains, mais qui conserve assez de force pour la défendre contre la démocratie.

Ainsi elle accorde au roi le droit de veto, mais elle ne le lui accorde que suspensif, c’est-à-dire que les effets en cesseront « lorsque les deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret auront successivement représenté le même décret dans les mêmes termes 3 » De la sorte, si le roi, s’appuyant sur un courant d’opinion démocratique, entreprenait de secouer la tutelle de la bourgeoisie, il n’y réussirait pas. Ce n’est donc pas seulement dans une vue anti-démocratique.

C’est ce que Paris ne comprit pas, quand il se leva contre le veto absolu.

C’est ce que Mirabeau comprit, quand, dans son discours du 1er septembre 1789, il présenta le veto absolu comme un moyen d’empêcher la formation d’une aristocratie également hostile au monarque et au peuple. « Le roi, dit-il, est le représentant perpétuel du peuple, comme ses députés sont ses représentants élus à certaines époques. » Cette « démocratie royale 1 », le peuple de Paris n’y comprit rien : il applaudit et siffla. Nous saisissons très bien aujourd’hui la politique de Mirabeau : le roi s’appuyant sur le peuple contre la nouvelle classe privilégiée, la bourgeoisie, comme il s’était jadis appuyé sur le peuple contre l’ancienne classe privilégiée, la noblesse.

Le roi ne comprit pas : il continua à faire cause commune avec la noblesse, cette moribonde, et la cause du peuple parut se confondre avec celle de la bourgeoisie, à tel point que le peuple, dans les querelles de la bourgeoisie et du roi, prit toujours parti pour la bourgeoisie.

Ainsi, le mouvement populaire d’opinion contre le système des deux Chambres, — système proposé par Mounier et le Comité de Constitution, — ne servit au fond qu’à la bourgeoisie, qui comprenait mieux que Mounier ses véritables intérêts, repoussa l’idée d’une Chambre haute pour écarter la noblesse de la scène politique, et reprendra à son profit, en l’an III, l’idée d’une Chambre haute, quand la noblesse, émigrée ou incarcérée, ne sera plus à craindre.

De même, la permanence du corps législatif, le droit de dissolution refusé au roi, ces mesures d’apparence démocratique ne furent prises que pour rendre le roi impuissant contre la bourgeoisie.

Empêcher qu’on ne démocratise le roi, faire qu’il n’existe que pat et pour la nation bourgeoise, voilà une des intentions des auteurs de ces articles de constitution.

Si, dans la Déclaration des droits, il y avait en germe la République démocratique et sociale, on peut dire que, dans la constitution, il y avait en germe une République bourgeoise.

D’autre part, si nous laissons de côté pour un instant cette question de la bourgeoisie et de la démocratie, nous remarquons que ces tendances involontairement républicaines ne se marquent pas seulement dans le texte même de la constitution monarchique de 1789, mais aussi et surtout dans la manière dont l’Assemblée demanda au roi son assentiment à la constitution. Elle voulut qu’il l’acceptât, sans lui accorder le droit de la repousser et sans lui permettre d’exercer, en cette matière, son droit de sanction. Il faut citer et peser la théorie qu’exposa Mounier, à cet égard, dans son rapport du 31 août 1789 :

« Je dois aussi, dit-il, prévenir une fausse interprétation de la sanction royale proposée par le Comité. Il entend parler de la sanction établie par la constitution, et non pour la constitution, c’est-à-dire de la sanction nécessaire aux simples actes législatifs.
« Le roi n’aurait pas le droit de s’opposer à l’établissement de la constitution, c’est-à-dire à la liberté de son peuple. Il faut cependant qu’il signe et ratifie la constitution, pour lui et ses successeurs. Étant intéressé aux dispositions qu’elle renferme, il pourrait exiger des changements ; mais, s’ils étaient contraire à la liberté publique, l’Assemblée nationale aurait, non seulement la ressource du refus de l’impôt, mais encore le recours à ses commettants, car la nation a certainement le droit d’employer tous les moyens nécessaires pour devenir libre. Le Comité a pensé qu’on ne devait pas même mettre en question si le roi ratifierait la constitution, et qu’il fallait placer la sanction dans la constitution même pour les lois qui seraient ensuite établie. »

Le 11 septembre, Guillotin demanda : « Le roi peut-il refuser son consentement à la constitution ? » Mounier et Fréteau répondirent qu’il était opportun et dangereux de s’occuper en ce moment de cette question, « qui était convenue par tous les esprits 1 », et, « la question préalable ayant été réclamée, l’Assemblée, dit le procès-verbal, a déclaré qu’il n’y avait pas lieu de délibérer quant à présent ».

Et le sens de ce vote fut encore précisé par Mirabeau, qui dit à la tribune « que, si l’Assemblée avait jeté un voile religieux sur la grande vérité qu’une constitution n’a pas besoin d’être sanctionnée, c’était parce qu’on avait cru que, dans les circonstance, cette vérité était dangereuse à énoncer, mais que le principe restait toujours le même, et qu’il ne pouvait jamais être abandonné 1 ».

Les articles une fois votés, il fut décrété (1er octobre) que la Déclaration et la constitution seraient « présentées à l’acceptation du roi », et les débats qui précèdent le vote de ce décret firent voir que ce mot d’acceptation était entendu dans ce sens, que le roi ne pouvait pas apposer son veto 2.

Ainsi l’Assemblée n’admet pas qu’en droit et en fait, le roi puisse repousser la Constitution : elle entend la lui imposer.

Quoi de plus républicain ?

Le roi payait bien cher la faute qu’il avait commise en désertant son devoir politique de directeur de l’opinion, de directeur de la Révolution qui s’annonçait. Le voilà réduit à un rôle humilié et passif, que les Cahiers n’avaient ni demandé ni prévu 3.

Il se conduisit alors comme s’il s’était déjà conduit, soit avec les Parlements, soit avec l’Assemblée elle-même. Il eut un soubresaut de colère, puis il céda.

Quand, le 1er octobre 1789, on présenta les articles et la Déclaration à son acceptation (forcée !), il dit qu’il répondrait plus tard. Et la cour prépara un coup d’État. Le 5 octobre, il fit savoir qu’il n’acceptait les articles qu’avec réserve, et qu’il refusait de se prononcer sur la Déclaration des droits. Alors Paris intervint : une multitude armée se rendit à Versailles, et le roi, intimidé, donna sn acceptation pure et simple. Le peuple l’emmena à Paris 1, où il dut résider, à demi prisonnier, et l’Assemblée l’y suivit.

La voilà donc, cette Assemblée, victorieuse encore une fois du roi, mais, encore une fois, grâce au peuple de Paris. La voilà à la merci de ce peuple. Elle aura désormais autant peur de la démocratie que de l’absolutisme, et de là sa politique de bascule, tantôt contre le roi, tantôt contre le peuple.

Contre le roi est rendu le décret du 8 octobre 1789, qui change son titre à forme absolutiste de roi de France et de Navarre en celui de roi des Français.

Puis elle en fait un roi à deux faces, ou plutôt à deux essences : Louis, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, roi des Français (10 octobre), juxtaposant ainsi, dans une même formule et d’une façon empirique, le vieux principe mystique et le nouveau principe rationnel, l’ancien régime et la Révolution. C’est contre la démocratie qu’elle fait ainsi appel à la grâce de Dieu. C’est contre le roi, et en faveur de la classe bourgeoise, qu’elle invoque la loi constitutionnelle. Cette contradiction, ce fut ce qu’on appela, dans la langue politique d’alors, le mystère, qu’il n’était pas patriotique d’éclaircir. C’est aussi ce que Mirabeau avait appelé, dans un discours du 18 septembre 1789, « sauver la soudaineté du passage 1 ».

Contre le roi, par l’organisation départementale (22 décembre 1789), où il n’y place pour aucun agent du pouvoir central, elle établit une sorte d’anarchie administrative 2.

Contre le peuple, elle vota (14 décembre) la loi d’organisation municipale.

On parle toujours de cette loi, comme si elle avait créé ou rétabli la vie municipale en France, ou comme si c’était une loi à tendances populaires. C’est tout le contraire. La révolution a forme municipale, de juillet-août 1789, avait été démocratique, le peuple s’étant installé en maître sur la place publique ou dans l’église, y délibérant en armes. La loi du 14 décembre restreignant cette liberté, supprima la démocratie municipale ; elle ne permit plus aux citoyens des communes de se réunir qu’une fois et pour un seul objet : la nomination de la municipalité et celle des électeurs, et elle ne le permit qu’aux citoyens actifs. Il n’y eut plus même de ces assemblées générales d’habitants que l’ancien régime réunissait encore çà et là dans certains cas. Toute la vie municipale fut également concentrée dans la municipalité, choisie parmi les plus riches, par un suffrage censitaire. Cependant, cette loi concédait (article 62) aux citoyens actifs le droit « de se réunir paisiblement et sans armes en assemblées particulières pour rédiger des adresses et des pétitions ». Ces réunions tinrent lieu, jusqu’à un certain point, des assemblées d’habitants ; elles devinrent, en fait, un des organes importants de la vie municipale. Ce furent les clubs de Jacobins, qui maintinrent la Révolution, unifièrent la France et contribuèrent indirectement, et sans le vouloir d’abord, à l’avènement de la démocratie et de la république.

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