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Alphonse aulard [1849-1928] Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Paris


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III

Nous avons vu comment l’Assemblée nationale avait organisé la monarchie. Voyons comment elle organisa la bourgeoisie en classe politiquement privilégiée.

Le lecteur n’a pas oublié que les philosophes et les écrivains politiques du xviiie siècle avaient été unanimes — y compris Rousseau — contre l’idée d’établir en France la démocratie telle que nous l’entendons, le régime du suffrage universel et les Français avaient encore été encouragés à répudier cette démocratie par l’exemple de ces Anglo-Américains, qui avaient établi dans leurs républiques un mode censitaire de suffrage.

Au début de la Révolution, c’est encore le même état d’esprit.

Ainsi, en juin 1789, Camille Desmoulins écrit (31) :

« Les hommes qui se sont réunis les premiers en société ont vu d’abord que l’égalité primitive ne subsisterait pas longtemps ; que, dans les assemblées qui suivaient la première, tous les associés n’auraient plus le même intérêt à la conservation du pacte social, garant des propriétés, et ils se sont occupés de mettre la dernière classe des citoyens hors d’état de le rompre. Dans cet esprit, les législateurs ont retranché du corps politique cette classe de gens qu’on appelait prolétaires, comme n’étant bons qu’à faire des enfants et à recruter la société ; ils les ont relégués dans une centurie sans influence sur l’assemblée du peuple. Éloignée des affaires par mille besoins, et dans une continuelle dépendance, cette centurie ne peut jamais dominer dans l’État. Le sentiment seul de leur condition les écarte d’eux-mêmes des assemblées. Le domestique opinera-t-il avec le maître, et le mendiant avec celui dont l’aumône le fait subsister ? »

Quelques semaines après, Camille Desmoulins changea d’avis, et il ne fut pas le seul. Il y eut bientôt des partisans du suffrage universel, de la démocratie, même parmi les disciples de Rousseau, même parmi ceux qui, comme Robespierre, adoraient Rousseau.

Pourquoi ?

Parce qu’un fait nouveau s’était produit : l’entrée en scène, la prise de robe virile du peuple qui, uni à la bourgeoisie, avait conquis la Bastille, opéré la révolution municipale dans toute la France.

Était-il juste ou possible de reléguer dans la centurie les prolétaires ces ouvriers, qui avaient, dans la rue, fait reculer les troupes du roi, ces paysans victorieux de la féodalité, tant de Français armés ?

C’est cependant ce que fit l’Assemblée constituante.

Mais ce n’est plus là une de ces réformes où les patriotes sont unanimes, et qui semblent le résultat de la force des choses.

L’établissement du régime censitaire n’eut lieu qu’après des débats compliqués et tumultueux, et amena une scission parmi les hommes de la Révolution. Il y a désormais un parti démocratique et un parti bourgeois, innomés encore et à demi inconscients, et c’est dans le premier que se recruteront les éléments du futur parti républicain.

Tâchons d’élucider ce fait, assez mal connu, de l’établissement du régime censitaire, de l’organisation politique de la classe bourgeoise.

Dans le rapport fait par Mounier, au nom du Comité de Constitution, le 9 juillet 1789, il n’y avait rien sur le régime censitaire, ou presque rien : une vague protestation contre l’idée de « placer l’autorité arbitraire dans la multitude ». C’est peut-être que la bourgeoisie avait alors besoin de la « multitude » pour renverser le despotisme royal.

Après la prise de la Bastille, quand la bourgeoisie eut vaincu ce despotisme par le concours du peuple, quand elle crut pouvoir désormais se passer de son concours, l’idée d’éliminer de la vie politique la partie la plus pauvre du peuple se fit jour, et, les 20 et 21 juillet 1789, Siéyès lut au Comité de la Constitution un travail intitulé : Préliminaires de la Constitution, reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme et du citoyen 1, où il distinguait les droits naturels et civils, qu’il appelait droits passifs, des droits politiques, qu’il appelait droits actifs. Il disait : « Tous les habitants d’un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif ; tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc., mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc., mais tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous n’ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics ; tous ne sont pas citoyens actifs. Les femmes, du moins dans l’état actuel, les enfants, les étrangers, ceux encore qui ne contribueraient en rien à soutenir l’établissement public, ne doivent pas influer activement sur la chose publique. Tous peuvent jouir des avantages de la société ; mais ceux-là seuls qui contribuent à l’établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres de l’association. » A quoi reconnaissait-il « ces vrais actionnaires » ? Il ne disait pas, il ne parlait pas formellement de condition censitaire. Mais on voyait clairement où il voulait en venir. Et il avait beau s’écrier : « L’égalité des droits politiques est un principe fondamental, elle est sacrée, etc. », il était clair qu’il entendait seulement par là que tous les citoyens actifs devaient avoir les mêmes droits politiques. En tout cas, c’est lui qui, le premier, prononça les mots d’actif, de passif, et proposa ces formules d’où allait sortir toute l’organisation bourgeoise.

C’est seulement quand la défaite de l’ancien régime parut définitive que les projets censitaires furent annoncés officiellement 1 dans le rapport que Lally-Tolendal fit au nom du Comité de constitution, le 31 août 1789. En y proposant le système des deux Chambres, il demandait que les membres de la « Chambre des représentants » fussent propriétaires, parce que, disait-il, les propriétaires sont plus indépendants. Pour ne pas exclure le mérite, il ne demandait qu’une propriété immobilière quelconque : « Ce sera, ajoutait-il, être moins rigoureux que les Anglais et même que els américains, qui, en exigeant cette propriété, en ont déterminé la valeur. » Mais, quant à la Chambre haute, « chaque sénateur devra justifier d’une propriété territoriale à valeur déterminée (par l’Assemblée nationale) ».

Lally ne parlait que des conditions d’éligibilité. Mounier, dans un rapport et dans un projet qu’il déposé le même jour (31 août), dit que, « pour avoir le droit d’élire, il faudrait être domicilié depuis une année dans le lieu où se fait l’élection, et y payer une imposition directe égale au prix de trois journées de travail ». Et, quant à l’éligibilité, exprimant un avis un peu différent de celui de Lally, il voulait que, pour être éligible au » Corps législatif », on eût « depuis une année une propriété foncière dans le royaume 1 »

L’Assemblée hésiterait visiblement à violer ainsi l’article premier de la Déclaration des droits. On ne fit pas entrer le système électoral dans les articles constitutionnels décrétés en septembre ; on le renvoya au plan de division administrative du royaume.

Ce plan fut l’objet du rapport que Thouret déposa le 29 septembre 1789. Il y calculait que, la population de la France étant d’environ 26 millions d’habitants, il ne devait y avoir qu’environ 4 400 000 électeurs. Pour être citoyen actif, il demandait la condition de trois journées de travail ; pour être éligible à l’Assemblée de la commune et à celle du département, la condition de dix journées de travail ; pour être éligible à l’Assemblée nationale, la condition de payer une contribution directe égale à la valeur d’un marc d’argent. Tout ce système était proposé par Thouret brièvement, sèchement, sans raisons à l’appui.

C’est le 20 octobre 1789 que s’ouvrit le débat sur les conditions requises pour être citoyen actif.

Montlosier demanda la suppression des mots actifs et passifs. Mais il voulait qu’on réservât le droit de suffrage aux seuls chefs de famille.

Le Grand voulait qu’on se bornât à exiger une seule journée de travail 2.

La discussion traînait, comme si l’Assemblée avait honte d’éliminer de la cité ce peuple qui avait pris la Bastille. Une émeute parisienne (meurtre du boulanger François) fournit fort à propos des arguments à la bourgeoisie contre le peuple : le 21 octobre, la loi martiale fut votée au profil de l’ordre bourgeois qui s’annonçait. La discussion reprit le 22, plus vive, plus passionnée, et on y vit aux prises les bourgeois et les démocrates. « M. l’abbé Grégoire, dit un journaliste contemporain, s’est élevé, avec sa véhémence ordinaire et patriotique, contre cette condition : « L’argent, a-t-il dit, est un ressort en matière d’administration ; mais les vertus doivent reprendre leur place dans la société. La pose le Comité de constitution pour nous replacer sous l’aristocratie des riches. Il est temps d’honorer l’indigent ; il a des devoirs à remplir comme citoyen, quoique sans fortune ; il suffit qu’il ait un cœur français 1. »

Adrien du Port, qui était une des lumières de la bourgeoisie, s’éleva lui aussi, et au nom de la Déclaration des droits, contre toute restriction censitaire, et Defermon parla dans le même sens 2. Reubell ne fut pas de cet avis ; mais il lui parut que ces mots : journées de travail, présentaient « une idée avilissante », et, « de même que le Comité proposait une contribution de la valeur d’un marc d’argent, comme condition d’éligibilité à l’Assemblée nationale, il suivait la progression en exigeant une contribution d’une once d’argent, pour être éligible aux assemblées primaires 3 ». Et Gaultier de Biauzat, renchérissant, demanda deux onces d’argent 4. « M. Noussitou disait que, dans le Béarn, on n’avait jamais consulté la mesure des impôts, mais les lumières pour la représentation. M. Robespierre puisait dans la Déclaration des droits la preuve que les citoyens n’avaient pas besoin de payer une contribution pour exercer les droits politiques, sans lesquels il n’existerait pas de liberté individuelle 5. »

Du Pont (de Nemours), « pénétré de l’idée que la propriété est la base fondamentale de la société 6 », émit un avis mixte : que tout homme fût éligible ; mais pour être électeur, il faut être propriétaire 7.

Démeunier défendit le projet du Comité : « En payant trois journées de travail, dit-il, c’est un motif d’émulation et d’encouragement, et cette incapacité n’est que momentanée : le non-propriétaire le deviendra tôt ou tard 8. » C’est déjà le : Enrichissez-vous, de Guizot.

En somme, le suffrage universel fut demandé, dès lors, par cinq députés : Grégoire, Adrien du Port, Defermon, Noussitou et Robespierre. Quelle était l’importance numérique de la minorité au nom de laquelle ils parlaient ? Nous ne le savons pas, et il n’y eut pas de vote au scrutin. Cette minorité dut être assez faible, car nous voyons que des patriotes très « avancés » se résignaient au régime censitaire. Ainsi Petion dira à la tribune, le 29 octobre suivant : « D’un côté, je me disais que tout citoyen doit partager le droit de cité ; de l’autre, lorsque le peuple est antique et corrompu, j’ai cru remarquer quelques nécessité dans l’exception proposée par votre comité de constitution. »

L’article fut voté séance tenante, et devint le troisième de la 1re section du décret du 22 décembre 1789. Il est ainsi conçu :

« Les qualités nécessaires pour être citoyen actif sont : 1° d’être Français ; 2° d’être majeur de vingt-cinq ans accomplis ; 3° d’être domicilié de fait dans le canton, au moins depuis un an ; 4° de payer une contribution directe de la valeur locale de trois journées de travail ; 5° de n’être point dans l’état de domesticité, c’est-à-dire de serviteurs à gages 1. »

Comment et à quel prix seraient évaluées les journées de travail ? Ce furent d’abord les autorités municipales qui eurent à faire cette évaluation 2. Il y en eut qui arrêtèrent un chiffre trop élevé. Ainsi le Comité de Soissons les fixa à 20 sols, quoique le prix moyen de la journée de travail ne fût réellement dans cette ville que de 12 sols 3. Il semble qu’ailleurs ce prix ait été fixé à plus de 20 sols. Aussi, le 15 janvier 1790, le décret suivant fut-il rendu : « L’Assemblée nationale, considérant que, forcée d’imposer quelque condition à la qualité de citoyen actif, elle a dû rendre au peuple ces conditions aussi faciles à remplir qu’il est possible, que le prix des trois journées de travail, exigées pour être citoyen actif, ne doit pas être fixé sur les journées d’industrie, susceptibles de beaucoup de variations, mais sur celles employées au travail de la terre, a décrété… que, dans la fixation du prix de la journée de travail à ce point de vue, on ne pourrait excéder la somme de 20 sols. »

C’est exceptionnellement que les municipalités tendaient à majorer le prix de la journée de travail, à « aristocratiser » le droit de suffrage. On verra plus loin qu’elles avaient en général une tendance à évaluer ce prix au-dessous de la réalité, à « démocratiser » le droit de suffrage, et cette tendance provoqua des observations et instructions du Comité de constitution (30 mars 1790). Il y était dit « que, si les municipalités peuvent évaluer les journées de travail à un prix inférieur à 20 sols, elles ne doivent pas abaisser ridiculement ce prix, pour augmenter leur influence ». Par exemple, pour une évaluation inférieure à 10 sols, elles devraient en référer à l’Assemblée nationale.

La question des trois journées de travail revint devant l’Assemblée dans la séance du 23 octobre 1790, où elle discuta le projet relatif à la contribution mobilière et personnelle, qui devint la loi du 13 janvier 1791. Le Comité de constitution essaya alors de rendre le mode de suffrage plus démocratique et proposa, par l’organe de Defermon, de faire payer à tous ceux qui avaient des ressources quelconques, sauf aux « ouvriers-manœuvres de la dernière classe », une contribution égale à la valeur de trois journées de travail. Les « ouvriers-manœuvres » pouvaient la payer volontairement, et alors ils seraient citoyens actifs. C’était presque le suffrage universel que le Comité tâchait ainsi d’établir par une voie indirecte. L’Assemblée se récria, au sujet de la clause qui permettait de payer volontairement la contribution des trois journées de travail ; on affecta de craindre la corruption, et, au milieu d’un tumulte, la question préalable fut votée. Rœderer insista pour que le reste de l’article fût rédigé de manière à exclure le plus d’ouvriers possible. Robespierre parla dans un sens démocratique 1. Voici ce que vota l’Assemblée : « La contribution des trois journées de travail sera payée par tous ceux qui auront quelques richesses foncières ou mobilières, ou qui, réduits à leur travail journalier, exercent quelque profession qui leur procure un salaire plus fort que celui arrêté par le département pour la journée de travail dans le territoire de leur municipalité 1. » C’était un peu élargir la base de la journée de travail primitivement fixée. Par exemple, dans les communes où la taxe de la journée de travail était fixée à 15 sols, un ouvrier qui gagnait 16 sols par jour devenait électeur.

D’autres mesures furent prises ou avaient été prises pour élargir encore un peu le suffrage. Ainsi, à Paris, le Comité de constitution autorisa « l’admission aux assemblées primaires de tout garde national ayant servi à ses frais, sans qu’il eût à justifier d’une autre contribution 2 ». La loi du 28 février 1790 édicta que les militaires et marins qui avaient servi seize ans au moins seraient électeurs et éligibles sans autre condition de cens 3. Enfin, il semble que les ecclésiastiques aient été admis comme citoyens actifs aux assemblées primaires sans être astreints à la condition de trois journées de travail 4.

Il existe une statistique officielle de la population active de la France. Sur 26 millions d’habitants qu’on croyait que la France comptait alors, il y eut 4 298 360 citoyens actifs, si on en croit le recensement proclamé dans le décret du 28 mai 1791.

Telles furent les conditions requises pour être admis à voter au premier degré, pour faire partie des assemblées primaires, pour être citoyen actif 5. Restait à régler les conditions d’éligibilité. Le Comité de constitution proposait d’exiger le paiement d’une contribution égale à la valeur de dix journées de travail : 1° pour être nommé électeur par les assemblées primaires ; 2° pur être élu membre de l’assemblée de département ; 3° pour être élu même de l’assemblée de district ; 4° pour être élu membre des assemblées municipales. Le débat s’ouvrit le 28 octobre 1789 et se termina le même jour, par l’adoption du projet du Comité 1. Il y avait eu un peu d’opposition. Du Pont (de Nemours) ne voulait aucune restriction censitaire au droit d’éligibilité, et Montlosier opinait de même : « Jean-Jacques Rousseau, disait-il, n’aurait jamais pu être élu 2. » Au contraire, de Virieu demandait qu’on exigeât, en outre, la possession d’une « propriété foncière suffisante 3 ». Les députés démocrates ne semblent pas avoir « donné » dans cette circonstance 4 : ils se réservaient pour le débat sur le marc d’argent.

Ce débat sur le marc d’argent, c’est-à-dire sur les conditions d’éligibilité à l’Assemblée nationale, commença le 29 octobre 1789 5.

Le Comité de constitution, renonçant à exiger la possession d’une propriété foncière, demandait « qu’on s’occupât de la condition de payer une contribution foncière égale à la valeur d’un marc d’argent, pour être éligible en qualité de représentant, aux Assemblées nationales ».

Petion s’éleva contre toute condition censitaire d’éligibilité : « Il faut, dit-il, laisser à la confiance le soin de choisir la vertu 6. »

Un autre député, reprenant l’idée primitive du Comité, demanda qu’on exigeât une propriété, en outre du marc d’argent 7.

Ramel de Nogaret réclama une exception en faveur des fils de famille, qui, dans les pays de droit écrit, ne pouvaient pas posséder tant que leur père était vivant.

L’abbé Thibault fit observer que la condition d’avoir une propriété foncière rendrait peut-être, à l’avenir, tout le clergé inéligible, et il déclara en outre qu’à son avis, un marc d’argent, c’était trop.

Démeunier défendit le projet du Comité, mais sans arguments intéressants.

Cazalès dit : « Le commerçant transporte aisément sa fortune : le capitaliste, le banquier, l’homme qui possède l’argent, sont des cosmopolites ; le propriétaire seul est le vrai citoyen ; il est enchaîné à la terre ; il est intéressé à sa fertilité ; c’est à lui à délibérer sur les impôts. » Et l’orateur allégua l’exemple de l’Angleterre, où, pour être membre de la Chambre des communes, il fallait avoir un revenu de 7 200 livres. Il demanda que la propriété foncière à exiger des éligibles fût d’un revenu d’au moins 1 200 livres 1.

Reubell et Defermon répliquèrent à Cazalès et soutinrent le projet du Comité.

Barère parla contre la condition d’avoir une propriété foncière, et, soutenu par quelques autres, proposa de substituer à la condition du marc d’argent celle de payer une contribution de la valeur locale de trente journées de travail. D’autres orateurs demandèrent que cette contribution pût être payée en grains.

Enfin, Prieur (de la Marne), reprenant l’idée de Petion, proposa de supprimer toute autre condition que celle de la confiance des électeurs, et, appuyé par Mirabeau, demanda la priorité pour cette motion : l’Assemblée vota contre la priorité.

Le premier amendement mis aux voix fut celui d’exiger une propriété foncière quelconque, en outre du arc d’argent : adopté. La minorité réclama, avec Grégoire et une partie du clergé : l’Assemblée ne revint pas sur son vote.

Second amendement : à quelle valeur sera fixée la propriété foncière ? Décrété qu’il n’y a pas lieu à délibérer là-dessus.

Troisième amendement : évaluer la contribution en journées de travail ou en grains. Décrété qu’elle sera évaluée en poids d’argent.

Quatrième amendement : qu’elle sot évaluée à un demi-marc, ou seulement à deux onces d’argent. Décrété qu’elle sera évaluée à un marc.

Alors, le président donna lecture de l’article décrété : « Pour être éligible à l’Assemblée nationale, il faudra payer une contribution directe équivalente à la valeur d’un marc d’argent, et, en outre, avoir une propriété foncière quelconque. »

On réclama ; on prétendit qu’on n’avait pas voté sur le fond et sur l’ensemble, etc. 1 L’Assemblée alla aux voix, et déclara « que tout est décidé ». Les opposants insistèrent. La question des fils de famille revint sur le tapis et inspira un discours à Barère 2, et l’Assemblée, allant encore aux voix, décréta « que le décret a été rendu légalement ». Aussitôt, la discussion recommença, confuse, violente, come si l’Assemblée avait des remords. Elle finit par se déjuger, et, allant une troisième fois aux voix, décida qu’elle « remettait la délibération au premier jour, laissant toutes choses en l’état ».

La délibération reprit le 3 novembre. Il y eut de nouveaux discours en faveur des fils de famille, de nouvelles tentatives pour faire rapporter le décret. L’Assemblée le confirma définitivement.

Le Comité de constitution essaya bientôt d’atténuer les effets anti-démocratiques de ce décret sur le marc d’argent et du système censitaire en général. Le 3 décembre 1789, entre autres articles additionnels sur les élections, il proposa un article 6, ainsi conçu : « La condition de l’éligibilité, relative à la contribution directe déclarée nécessaire pour être citoyen qui, pendant deux ans consécutifs, aura payé volontairement un tribut civique égal à la valeur de cette contribution. »

Cette proposition souleva une tempête de protestations. On hua le Comité. « Mille voix réunies, dit Gorsas 3, ont crié : A l’astuce ! » D’autres crient que la corruption va vicier le suffrage. Le Comité recule ; il amende l’article de manière qu’il ne s’applique plus qu’aux éligibles. Mirabeau soutient cette nouvelle rédaction 4. L’article, mis aux voix, est repoussé. La minorité proteste, obtient l’appel nominal : l’article est définitivement repoussé, par une majorité de quelques voix 5.

Le Comité ne se découragea pas : le 7 décembre, il proposa un article 8, qui dispensait des conditions censitaires pour l’éligibilité, soit aux assemblées administratives, soit à l’Assemblée nationale, les citoyens qui obtiendraient les trois quarts de suffrages. Il y eut encore un débat tumultueux 1. Virieu, parlant des citoyens exclus de l’éligibilité, s’écria : « Qu’ils deviennent propriétaires, et rien ne les empêchera d’en jouir ! » Rœderer et Castellane parlèrent en faveur du projet du Comité. Après un vote douteux, on recourut à l’appel nominal, et l’article fut rejeté par 453 voix contre 443 2.

La question du marc d’argent fut très habilement réintroduite et rouverte par Robespierre, dans la séance du 25 janvier 1790 3. « En Artois, dit-il, la contribution directe personnelle est inconnue, parce que la taille personnelle ou la capitation y ont été converties par l’administration des États en vingtièmes et en impositions foncières. » Ce n’est donc que comme propriétaire foncier qu’en Artois on pourrait arriver à payer un marc d’argent. Et la plus grande partie des habitants de cette province se trouverait ainsi frappée d’une « exhérédation politique ». Robespierre ne demanda pas une mesure particulière pour l’Artois : le projet de décret qu’il lut avait pour objet d’ajourner l’application de la condition du marc d’argent jusqu’à l’époque où l’Assemblée aurait réformé le système d’impositions existant.

Comme toutes les propositions démocratiques, celle de Robespierre mit la majorité en colère. Il y eut réclamations, huées, tumulte, « ouragan et volcan », dit Le Hodey. On réclama la question préalable. Charles de Lameth demanda qu’on discutât, mais en ajournant à une autre séance. Un député 4 obtint le renvoi au Comité de constitution, qui fut chargé de préparer un décret. Robespierre eut gain de cause. En effet, le décret du 2 février 1790 édicta, article 6, que, dans les lieux où l’on ne percevait aucune contribution directe, il n’y aurait pas de condition censitaire pour être citoyen actif et éligible, jusqu’à la nouvelle organisation de l’impôt ; on acceptait seulement « dans les villes, les citoyens qui, n’ayant ni propriétés, ni facultés connues, n’auront, d’ailleurs, ni profession ni métier ; et, dans les campagnes, ceux qui n’auront aucune propriété foncière, ou qui ne tiendront pas une ferme ou une métairie de trente livres de bail ».

Cette nouvelle organisation, quant à l’objet qui nous occupe, ne fut réglée que par la loi du 13 janvier 1791.

Il suit de là, je veux dire de ces faits et de ces dates, que, dans une partie de la France, les élections administratives, judiciaires, ecclésiastiques eurent lieu par un suffrage presque universel ; mais que, pour les élections à l’Assemblée législative, on appliqua toute la rigueur du système censitaire : trois journées de travail, dix journées marc d’argent.

Telle fut l’organisation légale du régime censitaire, et c’est ainsi que la bourgeoisie se forma en classe politiquement privilégiée 1.


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