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Alphonse aulard [1849-1928] Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Paris


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Première partie
LES ORIGINES DE
LA DÉMOCRATIE
ET DE LA RÉPUBLIQUE
1789-1792


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Histoire politique de la Révolution française.

Origines et développement de la démocratie et de la République
(1789-1804).

Première partie.

Les origines de la démocratie et de la République


1789-1792
Chapitre I
L’idée républicaine et démocratique
avant la Révolution

I. Il n’y a pas en France de parti républicain. Opinions monarchistes : 1° des morts illustres : Montesquieu, Voltaire, d’Argenson, Diderot, d’Holbach, Helvétius, Rousseau, Mably ; 2° des vivants influents ou célèbres : Taynal, Condorcet, Mirabeau, Siéyès, d’Antraigues, La Fayette, Camille Desmoulins. — II. Les écrivains visent à introduire dans la monarchie des institutions républicaines, — III. Affaiblissement de la monarchie ; opposition des Parlements. — IV. Les Parlements empêchent la monarchie absolue de se réformer ; ils entravent l’établissement des Assemblées provinciales. — V. Influence de l’Angleterre et de l’Amérique. — VI. Jusqu’à quel point les écrivains sont-ils démocratiques ? — VII. État d’esprit démocratique et républicain.

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Le 10 août 1792, l’Assemblée législative, en établissant le suffrage universel, fit de la France un État démocratique, et, le 22 septembre suivant, en établissant la république, la Convention nationale donna à cette démocratie la forme de gouvernement qui semblait lui convenir logiquement. Est-ce à dire que par ces deux actes fut réalisé un système préconçu ? On l’a cru ; on a souvent écrit ou enseigné, avec éloquence, que la démocratie et la république étaient sorties tout organisées de la philosophie du xviiie siècle, des livres des encyclopédistes, de la doctrine des précurseurs de la Révolution. Voyons si les faits et les textes justifient ces assertions.



I

Un premier fait, et il est considérable, c’est qu’en 1789, au moment de la convocation des États généraux, il n’y avait pas en France de parti républicain.

Le meilleur témoignage sur l’opinion des Français d’alors, ce sont à coup sûr ces cahiers où ils consignèrent leurs doléances et leurs vœux. Nous avons beaucoup de ces textes, divers de nature, divers d’origine : dans aucun la république n’est demandée, ni même en changement de dynastie 1 ; dans aucun il ne se rencontre (si je les ai bien lus) aucune critique, même indirecte, de la conduite du roi. Les maux dont on se plaint, nul ne songe à les attribuer à la royauté ou même au roi. Dans tous les cahiers, les Français font paraître un ardent royalisme, un ardent dévouement à la personne de Louis XVI ? Surtout dans les cahiers du premier degré ou cahiers des paroisses, plus populaires, c’est un cri de confiance, d’amour, de gratitude. Notre bon roi ! Le roi notre père ! Voilà comment s’expriment les ouvriers et les paysans. La noblesse et le clergé, moins naïvement enthousiastes, se montrent aussi royalistes 2.

Il est bien peu de Français, même éclairés, même frondeurs, même philosophes, qui ne se sentent pas émus en approchant le roi et à qui la vue de la personne royale ne donne pas un éblouissement. On jugera mieux l’intensité de ce sentiment à voir combien il était encore général et fort au début de la Révolution, alors que le peuple était déjà victorieux et que la mauvaise volonté de Louis XVI aurait dû le dépopulariser. Le 15 juillet 1789, quand le roi se rendit dans la salle de l’assemblée nationale, sa présence excita un enthousiasme délirant, et un témoin oculaire, le futur conventionnel Thibaudeau, décrit ainsi cet enthousiasme : « On ne se possédait plus. L’exaltation était à son comble. Un de mes compatriotes, Choquin, qui était auprès de moi, se levant, tendant les bras, les larmes aux yeux, éjaculant toute la sensibilité de son âme, s’affaissa tout à coup et tomba les quatre fers en l’air, balbutiant : Vive le roi ! Il ne fut pas le seul qui fut saisi à ce paroxysme. Moi-même, bien que je résistasse à la contagion, je ne pus me défendre d’une certaine émotion. Après la réponse du président, le roi sortit de la salle ; les députés se précipitèrent sur ses pas, l’entourèrent, se pressèrent autour de lui et le reconduisirent au château à travers la foule ébahie et frappée du même vertige que ses représentants 1. » Un député nommé Blanc, suffoqué par l’émotion, tomba mort dans la salle.

Même à Paris, où la populace passait pour avoir toutes les insolences, ni la bourgeoise, ni les artisans, ni même les plus misérables gagne-deniers, personne ne profère ce cri de République ! que le cardinal de Retz dit dans ses Mémoires, avoir entendu en 1649, au moment où l’Angleterre était en république.

Si on avoue que le peuple n’était pas républicain en 1789, on n’admet guère qu’il n’y eût pas de parti républicain dans les salons, les clubs, les loges ou les académies, dans ces hautes sphères intellectuelles où la pensée française se renouvela si hardiment. Et cependant il ne subsiste aucun témoignage ou indice qui décèle un dessein concerté, ou même individuel, d’établir alors la république en France.

Par exemple, les francs-maçons, d’après ce que nous savons d’authentique sur leurs idées politiques, étaient monarchistes, franchement monarchistes. Ils voulaient réformer la monarchie, non la détruire.

Et les écrivains ? les philosophes ? les encyclopédistes ? Leur hardiesse en chaque spéculation n’a guère été dépassée. En est-il un seul, cependant, qui fût d’avis de constituer la France en république ?

Parmi ceux qui étaient morts en 1789, mais dont on peut dire vraiment qu’ils gouvernaient les vivants, qui pourrait-on présenter comme ayant conseillé de substituer la république à la monarchie ?

Montesquieu ? C’est une monarchie à l’anglaise qui a ses préférences.

Voltaire ? Il semble qu’il ait parfois pour idéal un bon despote réformateur.

D’Argenson ? Il loue la république, mais uniquement pur « infuser » dans la monarchie ce qu’il y a de bon dans la république.

Diderot, d’Holbach, Helvétius ? Ils déclament contre les rois ; mais, explicitement ou implicitement, ils écartent l’idée d’établir la république en France.

Jean-Jacques Rousseau ? ce théoricien de la souveraineté populaire, cet admirateur de la république de Genève, ne veut de république que dans un petit pays, et l’hypothèse d’une république de France lui semble absurde.

Mably, ce Mably dont les hommes de 1789 étaient si pénétrés, qui fut le prophète et le conseiller de la Révolution ? Il se déclare monarchiste ; il voit dans la royauté le seul moyen efficace d’empêcher la tyrannie d’une classe ou d’un parti.

Quant à Turgot, il ne songe qu’à organiser la monarchie.

Aucun de ces illustres morts, alors si vivants dans les esprits, n’avait proposé aux Français et pour le France la république, même comme un idéal lointain. Au contraire : la monarchie est pour eux l’instrument nécessaire du progrès dans l’avenir, come elle l’avait été dans le passé.

De même, les penseurs, les écrivains qui sont vivants en 1789 s’accordent à écarter l’idée d’une république française.

Le plus célèbre, le plus admiré, le plus écouté, c’est l’abbé Raynal. Dans son Histoire philosophique des deux Indes (1770), il avait émis toute sorte de vœux, remué toute sorte d’idées, sauf celle d’établir la république en France. Est-il plus républicain sous Louis XVI qu’il ne l’avait été sous Louis XV ? Non : en 1781, dans un écrit retentissant sur la révolution d’Amérique, il met les Français en garde contre l’enthousiasme que leur cause cette révolution, et il formule des pronostics assez pessimistes sur la jeune république 1.

Condorcet, le plus grand (sinon le plus influent) des penseurs d’alors, lui qui, en 1791, sera le théoricien de la république, Condorcet, qu’on peut appeler l’un des pères, l’un des fondateurs de la république française, ne croyait cette forme de gouvernement, avant la Révolution, ni possible ni désirable chez nous. Il ne voulait même pas, en 1788, qu’on criât au despotisme royal 1, et, dans l’établissement des Assemblées provinciales, si on le perfectionnait, il voyait la régénération de la France.

Quant à cette multitude de pamphlétaires qui, à la veille ou au moment des États généraux, exprimèrent avec une franchise hardie leurs vues politiques et sociales, lequel demanda la république ? Ce n’est pas Mirabeau, qui fut toujours si résolument monarchiste. Ce n’est pas Siéyès, qui, dans ses théories sur les droits de la nation, les droits du tiers état, se montra monarchiste et resta monarchiste tant que la monarchie vécut, même après qu’il se fut formé un parti républicain. Cérutti voulait une monarchie très libérale. Je sais bien que quelques libellistes se firent accuser de républicanisme, comme d’Antraigues, dont le retentissant Mémoire sur les États généraux débutait ainsi : « Ce fut sans doute pour donner aux plus héroïques vertus une partie digne d’elles, que le ciel voulut qu’il existât des républiques, et peut-être pour punir l’ambition des hommes, il permit qu’il s’élevât de grands empires, des rois et des maîtres. » Mais ce beau début était suivi par les conclusions les plus monarchiques (et demain, faisant volte-face, d’Antraigues sera un aristocrate décidé). Un autre pamphlet, le Bon sens, anonyme, mais qu’on su être l’œuvre de Kersaint, futur conventionnel, parut républicain. En voici la phrase la plus hardie : « un roi peut-il exister avec un bon gouvernement ? Oui ; mais, avec plus de vertus, les hommes n’en auraient pas besoin 2. » Cela ne revient-il pas à dire que les Français de 1789 n’étaient pas mûrs pour la république ?

Même les hommes qui fonderont et organiseront la république en 1792, Robespierre, Saint-Just, Vergniaud, Danton, Brissot, Collot d’Herbois, les plus célèbres des futurs conventionnels, étaient alors monarchistes.

On cite La Fayette comme le type de républicain français avant la Révolution. Sans doute, la révolution américaine l’avait « républicanisé », et il souhaitait vaguement, sans le dire en public 1, qu’un jour, fort tard, la France adoptât le système politique des États-Unis. Mais en 1789, comme en 1830, il se fit le patron de la royauté, et, de tous les Français, c’est peut-être celui qui contribuera le plus à retarder l’avènement de la République dans notre pays.

Et Camille Desmoulins ? Il écrivit en 1793 : « Nous n’étions peut-être pas à Paris dix républicains le 12 juillet 1789… 2 » Cela revient à dire : « J’étais républicain avant la prise de la Bastille, et presque seul de mon avis. » Eh bien, Camille Desmoulins, pendant les élections aux États généraux, composa une ode où il comparait Louis XVI à Trajan, c’est-à-dire qu’en 1789 il ajournait son rêve républicain.

Est-il donc exagéré de dire qu’en France, à la veille et au début de la Révolution, non seulement il n’y avait pas de parti républicain, non seulement il n’y avait aucun plan concerté de supprimer dès lors la monarchie, mais on ne connaissait pas un individu qui eût exprimé publiquement un tel dessein ou un tel désir ?

Pourquoi ?

Parce que le pouvoir avait été ou paru être à la fois le lien de cette unité française en voie de formation et l’instrument historique de toute réforme pour le bien de tous, parce que le roi avait paru être l’adversaire de la féodalité, des tyrannies locales, le protecteur des communautés d’habitants contre toutes les aristocraties. Cette idée s’exprime sous cent formes diverses, et, par exemple, Mounier dira à la Constituante, le 9 juillet 1789, au nom du Comité de Constitution : « On n’a jamais cessé de l’invoquer (la puissance du prince) contre l’injustice, et dans les temps même de la plus grossière ignorance, dans toutes les parties de l’Empire, la faiblesse opprimée a toujours tourné ses regards vers le trône comme vers le protecteur chargé de le défendre. » Qui eût songé à la république, au moment où le roi, par la convocation des États généraux, semblait prendre l’initiative de la révolution désirée ? Qu’un coup de main renversât le trône en 1789 (hypothèse insensée !), c’était la dissociation des peuples qui formaient le royaume de France, la résurrection de la féodalité, l’omnipotence des tyranneaux locaux, peut-être une guerre civile désastreuse, peut-être étrangère désastreuse. On peut presque dire sans paradoxe qu’en 1789, plus on était révolutionnaire, plus on était monarchiste, parce que cette unification définitive de la France, l’un des buts et l’un des moyens de la Révolution, ne semblait pouvoir s’opérer que sous les auspices du guide héréditaire de la nation.

II

Comment se fait-il qu’en dépit de tant de textes et de faits évidents, on ait cru rétrospectivement à l’existence d’un parti républicain en France avant 1789, et à un dessein concerté de détruire la monarchie ?

C’est qu’il s’était formé, chez ces Français qui ne voulaient pas de la République, un état d’esprit républicain, qui s’exprimait par des paroles et des attitudes républicaines 1.

Si tous les Français étaient d’accord pour maintenir la royauté, ils n’étaient pas d’accord sur la manière d’organiser le pouvoir royal, et on peut même dire qu’ils ne voyaient pas tous les trône avec les mêmes yeux.

La masse du peuple, dans son royalisme irraisonné, ne voyait pas, ne semblait pas voir les excès de l’autorité royale. Sans doute, les intendants étaient impopulaires. Mais les plaintes contre le « despotisme ministériel », comme on disait alors, partaient plutôt de la noblesse, de la bourgeoisie, de la classe éclairée et riche, que des paysans. Ceux-ci gémissaient surtout du « despotisme féodal », parce qu’en effet ils en souffraient davantage. Loin de considérer le roi comme responsable de la conduite de ses agents, le peuple disait que ces agents trompaient le roi, étaient les véritables ennemis du roi, annihilaient ou gênaient son pouvoir de faire le bien. L’idée populaire était de délivrer le roi de ces mauvais agents, afin qu’il fût éclairé et pût mieux diriger sa toute-puissance au profit de la nation contre les restes de la féodalité. Bien que le peuple commençât à avoir un certain sentiment de ses droits, loin de songer à restreindre cette toute-puissance royale, c’est en elle qu’il plaçait tout son espoir. Un cahier 1 disait que, pour que le bien s’opérât, il suffisait que le roi dît : A moi, mon peuple !

Au contraire, les Français éclairés, sachant ce qu’avaient été Louis XIV et Louis XV, redoutaient les abus du pouvoir royal, et le caractère paternel du despotisme de Louis XVI ne les rassurait pas tous. Ils voulaient restreindre ce pouvoir fantaisiste et capricieux par des institutions, de manière qu’il ne fût plus dangereux pour la liberté, tout en lui laissant assez de force pour qu’il pût détruire l’aristocratie et ce qui subsistait du régime féodal, en faisant de la France une nation. Obtenir que le roi gouvernât selon les lois, voilà ce qu’on appelait « organiser la monarchie ».

Cette organisation de la monarchie fut préparée par les écrivains du xviiie siècle.

Avec l’esprit logique de notre nation, ils n’essayèrent pas seulement d’empêcher les abus, de réglementer l’exercice du pouvoir royal : ils discutèrent l’essence même de ce pouvoir, prétendu de droit divin, sapèrent la religion catholique sur laquelle s’appuyait le trône, cherchèrent publiquement les origines de la souveraineté et du droit dans la raison, dans l’histoire, dans l’assentiment des hommes, dans la volonté nationale.

C’est ainsi que, sans vouloir établir la république, et seulement dans la vue d’organiser la monarchie, ils s’attaquèrent au principe monarchique et mirent en vogue des idées républicaines, de sorte qu’en 1789, quoique personne ne voulût de la république, quiconque pensait était imprégné de ces idée républicaines, et c’est ainsi que, quand les circonstances imposèrent la république, en 1792, il se rencontra un nombre suffisant d’esprits préparés à accepter et à faire accepter la forme d’un système dont on avait déjà adopté les principes.

Quelques exemples montreront cette élaboration et cette diffusion des idées républicaines avant la Révolution.

L’esprit républicain a peut-être toujours existé, de quelque manière, dans notre pays, à partir de la Renaissance. Mais, dans sa forme moderne, on peut dire que c’est dès l’époque de la Régence, lors de la réaction antiabsolutiste qui suivit la mort de Louis XIV, que cet esprit se manifesta parmi les Français instruits, non pas pour un moment, mais pour tout le siècle.

En 1694, l’Académie française, dans son Dictionnaire, après avoir défini le mot républicain, se croyait obligée d’ajouter : « Il se prend quelquefois en mauvaise part et signifie mutin, séditieux, qui a des sentiments opposés à l’état monarchique dans lequel il vit. » Dans l’édition de 1718, cette phrase malveillante pour les républicains est supprimée, et l’édition de 1740 donne d’honorables exemples de l’usage du mot républicain, comme âme républicaine ; esprit, système républicain, maximes républicaines, et aussi : C’est un vrai, un grand républicain 1.

Et quelle idée se faisait-on de la république ?

L’Académie française avait défini la république un État gouverné par plusieurs.

C’est bien là ce qu’on ne voulait pas, puisqu’on était unanime à vouloir un monarque.

Mais Montesquieu, en 1748, dans l’Esprit des lois, définit autrement la république : « Le gouvernement républicain, dit-il, est celui où le peuple en corps, ou simplement une partie du peuple, a la souveraine puissance. » Cette définition devint classique. En 1765, elle est reproduite dans l’article République de l’Encyclopédie (t. XIV), qui est entièrement formé de citation de Montesquieu.

Une telle république ne pourrait-elle pas exister avec un roi ? Ce n’est pas ce que pense Montesquieu, mais c’est l’idée de Mably, par exemple, quand il songe à une monarchie républicaine ; c’est aussi l’idée de ceux qui parleront, en 1789, d’une démocratie royale.

Sans doute, Montesquieu se prononce contre la République et croit que dans une république « les lois sont éludées plus dangereusement qu’elles ne sont violées par un prince qui, étant toujours le plus grand citoyen de l’État, a le plus d’intérêts à sa conservation ». Mais d’ailleurs, quel éloge il fait de la république, quand il dit que la vertu en est le ressort, au lieu que la monarchie est fondée sur l’honneur, ou qu’admirant les élections populaires, il écrit : « Le peuple est admirable pour choisir ceux à qui il doit confier quelque partie de son autorité » !

C’est après avoir lu Montesquieu que des Français s’habituent à considérer cette république, dont ils ne veulent pas en France, comme une forme de gouvernement théoriquement intéressante et noble.

Ce théoricien de la monarchie se trouva ainsi avoir ôté à la monarchie une partie de son prestige, et, par ses vues sur la séparation des trois pouvoirs, il toucha à l’essence même de la royauté, qui prétendait, par droit divin, concentrer en elle tous les pouvoirs.

Voilà en quoi Montesquieu, si lu, si admiré, a contribué à l’éclosion des idées républicaines, à la formation de l’état d’esprit républicain 1.

Quant à Voltaire, il n’est certes pas républicain ; il n’admet même pas l’idée de Montesquieu, que la république est fondée su la vertu, et il écrit en 1752 : « Une république n’est point fondée sur la vertu : elle l’est sur l’ambition des autres ; sur l’orgueil, qui réprime l’orgueil ; sur le désir de dominer, qui ne souffre pas qu’un autre domine. De là se forment des lois qui conservent l’égalité autant qu’il est possible ; c’est une société où les convives, d’un appétit égal, mangent à la même table jusqu’à ce qu’il vienne un homme vorace et vigoureux, qui prenne tout pour lui et leur laisse des miettes 1. » Mais, avec son ouverture d’esprit ordinaire, il examine toutes les faces de la question, et il a des remarques bien flatteuses pour la république, en cette même année 1752 : « Un républicain, dit-il, est toujours plus attaché à sa patrie qu’un sujet à la sienne, par la raison qu’on aime mieux son bien que celui de son maître 2. » Dans l’article « Démocratie » du Dictionnaire philosophique, il pèse le pour et le contre (et pour lui démocratie et république semblent synonymes), mais fait plutôt l’éloge de la république, en laquelle il voit presque « le gouvernement le plus naturel ». Conclusion : « On demande tos les jours si un gouvernement républicain est préférable à celui d’un roi. La dispute finit toujours par convenir qu’il est fort difficile de gouverner les hommes. » Ailleurs, il dit qu’il « a dans la tête que la guerre offensive a fait les premiers rois, et que la guerre défensive a fait les premières républiques 3 ». Et en effet, c’est bien la guerre défensive qui fera la république en 1792. Enfin, n’oublions pas que Brutus (1730) est une tragédie républicaine, qui comme telle, sera reprise avec enthousiasme sous la République. Aussi monarchiste que Montesquieu, Voltaire ne contribue pas moins que lui à honorer ce système républicain dont il n’était pas partisan pour la France.

D’autre part, les attaques de Voltaire contre la religion chrétienne, son rationalisme militant ; l’influence qu’il eut sur la société polie d’alors, au point de la détacher en partie de la religion, voilà sa principale contribution à l’élaboration des idées républicaines : au bruit de ses sarcasmes, l’église chancelle, et le trône chancelle avec l’église.

Il n’est pas démocrate, et il est bien possible qu’il aurait eu horreur de l’avènement de la démocratie. Mais personne n’a popularisé autant que lui l’idée que les hommes doivent se conduire par la raison, et non d’après une autorité mystique : or cette idée est l’essence même de la république 1.

Jean-Jacques Rousseau avait dit, dans le Contrat social, « qu’en général le gouvernement démocratique convient aux petits États, l’aristocratie aux médiocres, et le monarchique aux grands ». Il avait dit aussi « qu’il n’y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire », et que, « s’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement : un gouvernement si parfait ne convient pas aux hommes ». Mais il avait préparé la ruine du système monarchique, en disant que « les deux objets principaux de tout système de législation devaient être la liberté et l’égalité ». Réservé et prudent dans ses théories, il avait, par sa conduite, par ses discours et écrits romanesques, prêché la révolte, au nom de la nature, contre l’artificiel et vicieux système social d’alors, et, quoique chrétien dans le fond 2, substitué l’idée républicaine de fraternité aux idées mystiques de charité et d’humilité.

Si Mably est monarchiste, c’est parce que le pouvoir royal « empêche la tyrannie d’une classe ou d’un parti ». Mais, pour lui, l’égalité est le principe constitutif de la société, et il est d’avis que la passion de l’égalité est la seule qui ne puisse pas être outrée. Le souverain, c’est le peuple français. Il croit trouver dans l’histoire la preuve que jadis les Français avaient des Assemblées législatives dont les rois ne faisaient qu’exécuter les volontés. Cette « monarchie républicaine », comme il l’appelle, Charlemagne l’avait réalisée, et cet étrange historien découvre une Assemblée constituante sous Charlemagne 1. « Les princes ; dit-il encore, sont les administrateurs, et non pas les maîtres des nations. » S’il accepte la théorie de la séparation des pouvoirs, ce n’est pas pour les équilibrer, mais pour établir la subordination du pouvoir exécutif au pouvoir législatif. Ce pouvoir exécutif, il veut l’affaiblir, et c’est pourquoi il le divise en plusieurs départements et fait élire tous les magistrats par le peuple. Il ne laisse donc subsister qu’un fantôme de roi, et, sous l’étiquette royale, c’est bien une république qu’il organise, et même il la voudrait communiste 2.

Si Diderot, d’Holbach, Helvétius ne demandaient pas la république, ils avaient déconsidéré et affaibli la royauté, soit en l’injuriant, soit en sapant le christianisme.

Des écrits de ces philosophes ressort cette idée, qui devient presque populaire, que la nation est au-dessus du roi, et n’est-ce pas là une idée républicaine ? Et si les écrivains veulent maintenir la monarchie, ils prennent, je le répète, l’habitude de parler honorablement de la république. Le livre posthume de d’Argenson, Considérations sur le gouvernement, publié en 1765, tend à glorifier la monarchie par une « infusion » d’institutions républicaines, et d’Argenson loue la république, dont il ne veut pas pour la France, en termes si sympathiques qu’on pouvait se méprendre, si bien que ce livre monarchique 3, qui fut fort goûté, contribua à honorer la république 1. Quant aux écrivains qui vivaient et se faisaient lire en 1789, comme Raynal, Condorcet, Mirabeau, Siéyès, d’Antraigues, Cérutti, Mounier, il suffira de dire qu’eux aussi, ces monarchistes, ils ruinent indirectement le principe de la monarchie, et préparent ainsi, sans le vouloir et sans le savoir, la République, puisque la plupart de leurs lecteurs trouvent dans leurs écrits ou en dégagent cette idée que la loi ne peut être que l’expression de la volonté générale 2.

L’idée que le roi ne doit être qu’un citoyen soumis à la loi, faisant exécuter la loi, cette idée est devenue populaire, et les preuves de cette popularité sont innombrables. Quand Voltaire écrivit, dans sa tragédie de Don Pèdre (1775) :

Un roi n’est plus qu’un homme avec un titre auguste,

Premier sujet des lois, et forcé d’être juste,

Il savait bien qu’il se ferait applaudir. Et si on m’objecte que cette tragédie ne fut pas représentée, que ces vers ne furent pas réellement entendus d’un public de théâtre, je citerai ce vers que Favart emprunta à un poème de Louis Racine publié en 1744, et qu’il fit applaudir dans les Trois sultanes, aux Italiens, le 9 avril 1761 :

Tout citoyen est roi sous un roi citoyen.

Que de telles maximes fussent applaudies au théâtre, près de trente ans avant la Révolution, que le gouvernement fût obligé de les tolérer, n’est-ce pas une preuve que l’opinion avait déjà, pour ainsi dire, dépouillé le roi et la royauté du principe mystique de sa souveraineté ? Et cette idée du roi citoyen, unanimement applaudie, n’est-ce pas un des signes les plus éclatants de la républicanisation des esprits ?


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