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Alphonse aulard [1849-1928] Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Paris


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VI

Tel fut le mouvement républicain à Paris, du 21 juin 1791 au 15 juillet suivant.

En province, il y eut quelques manifestations républicaines.

À Dôle (Jura), le 13 juillet 1791, la Société populaire présidée par Prost, le futur conventionnel, vota une adresse républicaine 2. Des républicains écrivirent sur la statue de Louis XVI ces mots : Premier et dernier roi des Français, que la municipalité fit effacer 3. Pas plus de soixante républicains de cette commune furent décrétés de prise de corps 4.

Le 23 et le 24 juin et le 3 juillet, Bancal des Issarts proposa aux Jacobins de Clermont-Ferrand de substituer la république à la monarchie. Et cette motion, qui enthousiasmait Mme Roland, fut imprimée et fit grand bruit 1.

Ce ne fut pas la seule manifestation républicaine en Auvergne. La Société des Amis de la Constitution d’Artonne (Puy-de-Dôme) félicita les Cordeliers d’avoir demandé « que la France fût érigée en république 2 ».

À Metz, quelques républicains se firent applaudir en prêchant la haine de la royauté et en demandant que la nouvelle législature fût chargée d’établir la république 3.

Dans sa séance de l’Assemblée constituante du 5 juillet 1791, on lut une adresse de la Société des Amis de la Constitution de Bourmont (Haute-Marne), qui demandait « si la royauté est nécessaire à un grand peuple, et si, en la conservant au chef du pouvoir exécutif, l’Assemblée nationale ne pourrait pas rendre le Conseil du roi électif et amovible 4 ».

Mais la manifestation la plus importante fut celle des « Amis de la Constitution et de l’Égalité de Montpellier ». Cette Société jacobine, alors présidée par le futur conventionnel Cambon, adressa à l’Assemblée constituante la pétition suivante :

« Représentants, vous avez grand besoin de connaître l’opinion publique ; voici quelle est la nôtre.


« Il ne nous manquait pour être Romains que la haine et l’expulsion des rois. Nous avons la première : nous attendons de vous la seconde.
« D’après la manière dont le gouvernement est organisé, un roi est inutile : l’exécution peut marcher sans lui, et cet ornement superflu de la constitution est tellement dispendieux, qu’il est instant de le détruire, surtout à la veille d’une guerre avec l’étranger. Nous ne la craignons pas, cette guerre, parce que nous savons que les grands peuples, comme les grands hommes, sont les élèves des circonstances difficiles.
« Nos conclusions ne seraient peut-être pas aussi sévères, si de simples vues d’économie les avaient dictées ; mais nous avons pensé que, dans un gouvernement représentatif, trente-cinq millions étaient dangereux dans la main d’un seul homme, lorsque cet homme a intérêt de corrompre.
« Nous savons bien qu’il ne gagnera pas la majorité des élus du peuple, mais il n’a pas besoin de cela pour maîtriser les résultats de leurs assemblées. Jamais votre majorité n’a été corrompue ; cependant vous avez rendu le décret du marc d’argent, celui sur le droit de pétition. Honneur vous en soit rendu, les décrets de ce genre sont en petit nombre ; mais qui nous assure que toutes les législatures auront la force sublime que vous avez déployée ? Et si elles sont faibles, et que la race toujours corruptrice des rois s’empare des tacticiens de l’Assemblée (ce qui est possible, vous le savez), que deviendra le peuple ?
« Avouez-le, représentants, vous avez eu une idée peu philosophique, quand vous avez pensé qu’il fallait que le pouvoir exécutif fût riche.
« Vous avez fait dans le principe come le législateur des Hébreux : vous nous avez donné des lois qui n’étaient pas bonnes ; mais les préjugés vous forçaient la main. Aujourd’hui les préjugés sont détruits, le peule est éclairé, et son opinion vous permet, vous commande, de le délivrer du mal des rois, du moment que ce mal n’est plus nécessaire. Saisissez l’occasion : vous n’en aurez jamais d’aussi belle. Faites de la France une république. Cela ne vous sera pas difficile. Un mot ôté de la constitution, et vous nous enflammez de toutes les vertus de la Grèce et de Rome.
« Quelle république vous feriez, Représentants ! Elle débuterait avec vingt-cinq millions d’hommes et trois millions de soldats ; ouvrez les fastes du monde, et vous n’y lirez rien de pareil.
« Que si vous repoussez l’honneur qui vous est offert par les circonstances ; que si par vous les Capets et leur trône pèsent encore longtemps sur nous, soyez-en sûrs, Représentants, nous vous maudirons de tous les maux qu’ils nous feront ; et ils nous en feront sans doute, car la race des rois est malfaisante.
« Nous ne vous dirons rien de Louis : Il est avili, et nous le méprisons trop pour le haïr ou le craindre. Nous remettons aux juges la hache de la vengeance, et nous nous bornons à vous demander que le Français n’ait plus désormais d’autre roi que lui-même.

« Cambon président,


« J. Goguet, Aigoin, secrétaires. »

Imprimée 1, cette pétition fut communiquée aux autres Sociétés populaires, avec une circulaire pour solliciter leur adhésion, « l’Assemblée nationale ayant besoin, pour agir commodément, de paraître forcée par l’opinion publique ».

Nous n’avons qu’une des réponses que dut recevoir la Société de Montpellier : c’est la réponse de la Société de Limoges, en date du 19 juillet 1791 2. On y lit :

« … Dans un instant d’anarchie comme celui où nous sommes, dans un instant où les pouvoirs ne sont pas encore déterminés et assis, où nos troupes sont à peu près sans chefs, où la France, divisée en deux partis, est prête à voir des guerres s’allumer dans son sein, nous la diviserions en un troisième parti, et cette division serait le tombeau de la liberté, puisqu’elle s’opérerait chez les patriotes eux-mêmes. Enfin, il est évident qu’en renversant le trône, vous favoriseriez l’usurpateur le plus adroit, et qu’il faudrait recommencer à regagner une liberté qui nous a coûté tant de travaux. D’ailleurs, la position de la France ne permet pas que son gouvernement soit républicain. Consultez l’expérience, voyez l’Angleterre qui ne présente qu’une surface bien moins considérable ; encore est-ce une île. Ce peuple, qui a vu depuis longtemps la lueur de la liberté, a reconnu qu’un gouvernement monarchique était le plus convenable. Consultez là-dessus le règne de Jacques II… »

Nous pouvons conjecturer aussi dans quel sens les Jacobins de Perpignan répondirent aux jacobins de Montpellier. Ils les engagèrent sans doute à ne pas parler de république et à se borner à supprimer, dans la monarchie maintenue, l’hérédité. En effet, ils envoyèrent à l’Assemblée constituante une adresse que Barère inséra dans le Point du Jour du 12 juillet 1791 1, et où ils copiaient mot pour mot presque tout le début de la pétition des Jacobins de Montpellier. Mais, au passage relatif à la république, ils substituaient celui-ci : « Saisissez l’occasion : vous n’en aurez jamais d’aussi belle ; faites que la France ait un gouvernement sans roi héréditaire ; donnez-lui un monarque qui ne diffère de son roi constitutionnel qu’en ce que, composé d’un chef et de six conseillers, lesquels formeraient la direction d’un plus grand conseil, tous seraient élus par le peuple, au lieu de l’être par le roi, et la présidence d’entre eux alternerait. Tous seraient élus et changés de deux ans en deux ans. Alors il n’y aura, pour ainsi dire, que le fléau de l’hérédité du trône à supprimer dans votre sublime ouvrage. Un mot ôté de la constitution : l’hérédité, et vous nous enflammez de toutes les vertus de la Grèce et de Rome…

Nous savons pas quel accueil la pétition républicaine du club de Montpellier reçut des autres clubs. Il n’y a nulle part trace d’un débat à ce sujet aux Jacobins de Paris. Aucun journal « patriote », à notre connaissance, ne la produisit. Elle ne fut reproduite que dans une feuille « aristocrate », le Journal général de la France (n° du 12 juillet 1791), et dans un pamphlet royaliste, la Horde de brigands de Montpellier 2. | l’époque où on put la connaître à Paris, déjà beaucoup de républicains avaient renoncé provisoirement à la république.

Une des feuilles qui persistent à soutenir la cause républicaine, le Journal général de l’Europe, organe du groupe Robert, trouve excellentes, au point de vue républicain, les nouvelles qu’il reçoit des départements. On y lit, à la date du 5 juillet : « Cette diversité d’avis (sur la forme constitutionnelle de l’exécution des lois) commence à gagner dans les départements ; partout on s’est habitué provisoirement à supprimer le mot roi dans toutes les formules où il était précédemment uni à ceux de loi et nation ; dans quelques-uns, on commence à discuter la question si importante de l’abolition ou de la conservation de la royauté ; et nous avons entre les mains des lettres particulières écrites du département de la Moselle, dont l’une prêche le républicanisme, dont l’autre implore l’indulgence de la nation sur la faute de Louis XVI. »

On voit que le mouvement républicain ne resta pas confiné dans Paris, et qu’il y eut des manifestations républicaines en province. Mais il s’en faut que le républicanisme ait eu des adeptes, à cette époque, dans toutes les parties de la France. On remarquera que la plupart des incidents que nous avons relatés s’étaient produits dans l’est de la France (Moselle, Haute-Marne, Jura) ou dans l’extrême-midi, mais encore à l’est (Hérault, Pyrénées-Orientales). Au centre, nous n’avons rencontré de républicains qu’en Auvergne 1. Et encore, ce ne sont dans ces régions que quelques individus, quelques clubs, en fort petit nombre, qui, çà et là, et sans se « fédérer » aucunement, parlent contre la royauté, et ne réussissent nulle part à créer un courant d’opinion dans le peuple ou même dans la bourgeoisie. En réalité, la masse de la France est réfractaire à l’idée républicaine : les adresses reçues de tant de points du royaume par l’Assemblé constituante ne laissent aucun doute sur la persistance de l’esprit monarchique chez la plupart des Français des départements, en juin et juillet 1791. Mais la foi monarchique n’est plus intacte ; Louis XVI n’est plus aussi populaire. On l’a surpris en flagrant délit de mensonge, de désertion de son rôle de chef national de la Révolution. Le prestige de la royauté est ébranlé. De nouvelles fautes du roi, un an plus tard, porteront le coup mortel à ce prestige, et ouvriront la voie à cette république si redoutée, par la majorité des Français de 1791, comme anarchique, comme fédéraliste.



VII

Mais la France n’a pas la même aversion pour la démocratie que pour la République, et on n’a vu que c’est surtout par peur de la démocratie que les Constituants voulaient conserver la monarchie. C’est contre les républicains et les démocrates à la fois que la bourgeoisie fit le coup de force du 17 juillet 1791.

J’ai dû, en racontant les manifestations républicaines de Paris, noter aussi, en même temps, les manifestations démocratiques, celles-ci étant inséparables de celles-là. Pour expliquer les inquiétudes et la violence finale de la bourgeoisie, il faut rappeler l’audace croissante des revendications du Théâtre-Français établissant le suffrage universel dans son arrondissement. Une grande partie des démocrates ne se contentaient pas de la substitution du suffrage universel au suffrage censitaire. Ils voulaient, sinon la démocratie pure, que Rousseau avait bafouée comme chimérique 1, du moins une démocratie où le peuple concourait directement avec ses mandataires, à la confession des lois. On se rappelle que déjà Loustallot, en 1790, avait préconisé et exposé un système démocratique, où les lois étaient soumises à la sanction des Assemblées primaires, par un referendum. René de Girardin avait repris et fait adopter par les Cordeliers, le 7 juin 1791, ce système, un peu renouvelé et précisé, et dont l’idée essentielle était de faire contrôler la Chambre des députés non par une Chambre haute, mais par le peuple. Le Séant, dans cette constitution démocratique idéale, ç’aurait été le peuple français.

Après la fuite à Varennes, les démocrates avancés cherchent à créer un mouvement d’opinion en faveur de ce mode de démocratie. Ainsi les Sociétés fraternelles et le Cercle social demandent avec insistance la sanction nationale pour les lois 2. La formule du club des Cordeliers, c’est « un gouvernement national, c’est-à-dire la sanction ou la ratification universelle et annuelle 3 ».

Une occasion s’offrait pour appliquer ce système : c’était la mise à l’ordre du jour de la question de savoir ce qu’on ferait de Louis XVI.

On a vu que, dès le 24 juin, 30 000 citoyens, réunis sur la place Vendôme, avaient fait une pétition pour que l’Assemblée nationale ne décidât rien sur Louis XVI avant d’avoir consulté les départements. Portée au président de l’Assemblée, cette pétition fut bredouillée plutôt que lue par un secrétaire, si bien que personne ne l’entendit 1. Le 9 juillet, les Cordeliers adoptèrent une pétition dans le même sens, rédigée par Boucher Saint-Sauveur. Mais le président de l’Assemblée constituante Charles de Lameth, refusa de la lire 2. Le 12, la colère des Cordeliers s’exhala dans une adresse à la nation, où ils l’invitaient à annuler elle-même, révolutionnairement, le décret du 24 juin, par lequel avait été révoqué un décret antérieur convoquant les électeurs pour nommer l’Assemblée législative. Et ils osèrent afficher cette adresse. Le 14, une centaine de citoyens de Paris rédigèrent une pétition, lue à l’Assemblée le 15, où ils demandaient qu’on attendît le vœu des communes de France pour décider sur Louis XVI, et dont les signataires étaient les chefs ordinaires des Sociétés fraternelles des deux sexes, auxquels s’étaient ajoutées « 45 femmes et sœurs romaines 3 »

Tout ce mouvement, en vue d’appliquer à la question du sort du roi le système de referendum populaire et d’inaugurer ainsi la démocratie, aboutit à la tragique affaire du 17 juillet, si importante pour notre sujet.

L’autel de la patrie, élevé au Champ-de-Mars, devint le théâtre de manifestations démocratiques, hostiles à Louis XVI, en vue d’obtenir l’appel au peuple, etc. Il n’y avait pas de temps à perdre : le rapport de Muguet de Nanthou, qui innocentait Louis XVI, avait été déposé le 13, et déjà, le 15 au matin, l’Assemblée avait voté quelques articles du projet.

Dès la 14, des rassemblements tumultueux avaient essayé de pénétrer dans la salle des séances de l’Assemblée : il avait fallu employer la force pour les repousser. Le 15, un grand nombre de citoyens adoptèrent, sur l’autel de la patrie, une pétition, rédigée par un certain Massulard, où ils se plaignaient de n’avoir pu « pénétrer dans la maison nationale », et demandaient aux Constituants de suspendre « Toute détermination sur le sort de Louis XVI, jusqu’à ce que le vœu bien prononcé de tout l’Empire français ait été émis 1 ».

D’après les Révolutions de Paris 2, cette manifestation fut mêlée de républicanisme : « On fait, dit ce journal, le procès à la royauté, dans ce même Champ-de-Mars où l’on consacra, dans des temps d’ignorance, les chefs de cette lignée de brigands qui, depuis dans de siècles, ont écrasé la France. » A un officier de la garde nationale qui voulut parler en faveur de Louis XVI, on répondit : « Tais-toi, malheureux, tu blasphèmes : ici c’est le lieu sacré, le temple de la liberté ; ne le souille pas en y prononçant le nom de roi. »

Les pétitionnaires nommèrent deux commissaires 3 qui, suivis d’une foule immense, se rendirent à l’Assemblée nationale. Une patrouille leur présenta les armes 4, mais l’entrée de la salle leur fut interdite. Bailly fit entrer quelques-uns des pétitionnaires dans un bureau, où Robespierre et Petion leur confirmèrent que le décret était rendu, et leur dirent que leur pétition leur confirmèrent que le décret était rendu, et leur dirent que leur pétition était sans objet 5. La foule, avertie, prit une attitude menaçante, hua les députés à leur sortie, et, le soir, força presque tous les théâtres à faire relâche 6.

Voilà le premier acte de cette tragédie du Champ-de-Mars.

Les Jacobins vont bientôt s’y mêler.

On sait qu’ils avaient ardemment blâmé les premières manifestations républicaines. Puis ils s’étaient démocratisés, le pacte avec des Cordeliers avait été conclu. Les voilà maintenant alliés aux républicains pour l’œuvre démocratique. Aussi évitent-ils, par courtoisie, de lancer l’anathème à la république, comme ils l’avaient fait le 22 juin. Ils applaudissent, le 13 juillet, ces paroles conciliantes de Robespierre, qui expriment à merveille leur politique : « On m’a accusé, au sein de l’Assemblée (nationale), d’être républicain ; on m’a fait trop d’honneur, je ne le suis pas. Si on m’eût accusé d’être monarchiste, on m’eût déshonoré : je ne le suis pas non plus. J’observerai d’abord que, pour beaucoup d’individus, les mots de république et de monarchie sont entièrement vides de sens. Le mot république ne signifie aucune forme particulière de gouvernement : il appartient à tout gouvernement d’hommes libres qui ont une patrie. Or, on peut être libre avec un monarque comme avec un sénat. Qu’est-ce que la constitution française actuelle ? C’est une république avec un monarque. Elle n’est donc point monarchie ni république : elle est l’un et l’autre. » Et, le lendemain 14, à l’Assemblée nationale, il écarta de lui le reproche de républicanisme, mais sans rien dire de désagréable aux républicains 1.

Dans la même séance du 13, aux Jacobins, Danton démontra « que jamais les rois n’ont traité de bonne foi avec les peuples qui ont voulu recouvrer leur liberté ». Sans doute, il n’en conclut pas qu’il faille établir la république. Mais il est visible qu’il s’applique, tout comme Robespierre, à ménager les républicains.

À ce moment-là, les Jacobins applaudissent toutes les motions contre Louis XVI, contre l’inviolabilité, pour la déchéance, pour l’appel au peuple.

Le 15 juillet au soir, Choderlos de Laclos (sans doute avec une arrière-pensée orléaniste) demanda aux Jacobins de faire, dans le sens du vœu national, c’est-à-dire en vue d’une consultation préalable de la nation, « Une pétition sage et ferme, non pas au nom de la Société, car les Sociétés n’ont pas ce droit, mais au nom de tous les bons citoyens de la Société ; que la copie littérale de cette pétition soit envoyée à toutes les Sociétés patriotiques, non comme Sociétés, mais comme lieux de rassemblement de tous les bons citoyens, pour être présentée à la signature et être envoyée dans les bourgs, villes et villages de leurs environs ». Et, exagérant la démocratie, il demanda qu’on fît signer tous les citoyens sans distinction, actifs, non actifs, femmes, mineurs, « avec la seule attention de classer ces trois genres de signature 1 ». Il ne doutait pas qu’on ne recueillît « dix millions de signatures ».

Danton et Robespierre soutinrent l’idée de la pétition 2 contre Biauzat, qui allégua que, le matin même, l’Assemblée avait implicitement reconnu l’inviolabilité de Louis XVI 3.

On était sur le point d’aller aux voix, et, semble-t-il 4, de lever la séance, quand la salle du club fut comme envahie par une députation du Palais-Royal, avec plusieurs milliers de manifestants, « hommes, femmes, de tous états ». L’orateur de cette députation annonça l’intention d’aller le lendemain au Champ-de-Mars « jurer de ne jamais reconnaître Louis XVI pour roi ». Le président du club, Anthoine, proposa aux manifestant le projet Laclos comme propre à remplir leurs vœux. Cette assemblée tumultueuse et mêlée (les Jacobins soutiendront plus tard qu’alors leur séance était levée) nomma cinq citoyens pour rédiger cette pétition : Lanthenas, Sergent, Danton, Ducancel, Brissot. La pétition fut rédigée par Brissot, de l’aveu de Brissot lui-même 1. Un conciliabule se tint le soir même chez Danton, avec Camille Desmoulins, Brune et La Poype 2, pour régler les mesures à prendre en vue d’activer les signatures et d’étendre le mouvement aux départements. Le lendemain matin 16, les manifestants se réunirent dans l’église des Jacobins et entendirent lecture de la pétition, qui se terminait ainsi :

« Les Français soussignés demandent formellement et spécialement que l’Assemblée nationale ait à recevoir, au nom de la nation, l’abdication faite, le 21, par Louis XVI, de la couronne qui lui avait été déléguée, et à pourvoir à son remplacement par tous les moyens constitutionnels, déclarant les soussignés qu’ils ne reconnaîtront jamais Louis XVI pour leur roi, à moins que la majorité de la nation n’émette un vœu contraire à celui de la pétition. »



Par tous les moyens constitutionnels ! C’était l’exclusion formelle de la république, le maintien de la monarchie.

La pétition fut approuvée, et, sur le conseil des Jacobins présents, et avec un grand souci de la légalité, les pétitionnaires avertirent la municipalité, qui leur en donna acte, de leur intention de se rendre au Champ-de-Mars 3.

Ils s’y rendirent, et, come l’autel de la patrie était très vaste, quatre commissaires (parmi lesquels Danton) s’y installèrent aux quatre angles et lurent simultanément la pétition 4. Les républicains étaient très mécontents. Plusieurs avaient apporté d’autres pétitions, qui ne nous sont pas parvenues 5. Ceux qui signèrent barrèrent le membre de phrase : Et à pourvoir, etc. D’autres, après ces mots : Louis XVI pour leur roi, ajoutèrent ceux-ci : Ni aucun autre 6. Il circula même des textes imprimés où se trouva cette addition 1. Les commissaires protestèrent. On alla consulter le club des Jacobins, où il y eut un débat confus. La question fut renvoyée à la séance du soir.

Ce qui prouve que les idées républicaines étaient encore bien vivaces, malgré tant de désaveux et de défections, c’est qu’il fallut quatre heures de discussion pour que le club arrivât à un avis sur l’addition républicaine proposée 2. Il fut enfin décidé que le texte primitif serait maintenu sans changement. Mais aussitôt on apprit que l’Assemblée nationale avait rendu son décret, et on décida que la pétition serait retirée.

Le lendemain matin, le club envoya supprimer l’édition de la pétition, et une annonce fut faite au Champ-de-Mars aux citoyens présents, pour qu’ils eussent à y renoncer.

Les Jacobins ne furent pas suivis par les démocrates, républicains ou autres, des Cordeliers 3 et des Sociétés populaires 4. Le 17, une troisième pétition, sur l’initiative des Sociétés populaires, fut rédigée par Robert 5, Peyre, Vachard et Demoy 6, et revêtue de plus 6 000 signatures, entre autres celle de Chaumette, Hébert, Hanriot, Santerre, Meunier, président de la Société fraternelle des deux sexes. Des femmes signèrent aussi 1. Ni Danton ni aucun autre des Jacobins connus ne signèrent.

Les pétitionnaires demandaient à l’Assemblée nationale de revenir sur son décret de la veille, « de prendre en considération que le délit de Louis XVI est prouvé, que ce roi a abdiqué ; de recevoir son abdication et de convoquer un nouveau pouvoir constituant pour procéder, d’une manière vraiment nationale, au jugement du coupable, et surtout au remplacement et à l’organisation d’un nouveau pouvoir exécutif. »

Il n’était pas question de république, mais on ne parlait pas non plus des « moyens constitutionnels », comme dans la pétition du 16. La république pouvait très bien résulter de cette « organisation du nouveau pouvoir exécutif ». En tout cas, on peut dire que cette pétition émanait surtout de républicains. On la considéra comme une pétition républicaine 2.

Cependant les pétitionnaires n’avaient violé aucune loi, n’avaient rien dit contre la constitution, n’offraient pas le moindre prétexte à une répression légale. Malheureusement, le matin du même jour, deux hommes suspects, que l’on avait trouvés cachés sous l’autel de la patrie, furent mis à mort, non par les pétitionnaires, mais par les habitants du Gros-Caillou. L’Assemblée nationale et le maire de Paris crurent ou feignirent de croire que ce meurtre était l’œuvre des démocrates et des républicains. On sait ce qui s’ensuivit : la loi martiale proclamée, le drapeau rouge déployé, l’autel de la patrie jonché de cadavres.

Histoire politique de la Révolution française.

Origines et développement de la démocratie et de la République
(1789-1804).

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