Ana səhifə

1958 tableau des états-unis


Yüklə 2.18 Mb.
səhifə16/37
tarix25.06.2016
ölçüsü2.18 Mb.
1   ...   12   13   14   15   16   17   18   19   ...   37

TROISIÈME PARTIE

L'ÉCONOMIE

AMÉRICAINE


__________________________________________________________________

Retour à la table des matières

[p. 117]

Chapitre 14.

LA PÉRIODE HÉROÏQUE


ET LES DÉBUTS DE
L'ORGANISATION
INDUSTRIELLE


Retour à la table des matières

Dans le développement économique des États-Unis, depuis le XIXe siècle jusqu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, on peut distinguer quatre phases principales.

La première, qui couvre l'ensemble du XIXe siècle jusqu'à la guerre de Sécession (1860-1865) et même jusqu'en 1890, se caractérise par la conquête de l'Ouest et la mise en valeur du continent, après quoi, la « frontière » n'existant plus dans cette marche en avant, on s'oriente vers une conception et une organisation nouvelle de la production. C'est alors que se constitue vraiment la grande industrie, dont la guerre de Sécession a déclenché l'épanouissement ; la période héroïque des trusts, après 1870, marque le début d'un programme de rationalisation qui prendra tout son magnifique essor au lendemain de la première guerre mondiale. La troisième phase est celle de la grande dépression, entre 1929 et 1941 : coup d'arrêt grave, qui donne lieu à un profond rajustement, à l'introduction du point de vue social dans la politique américaine. La quatrième, qui coïncide avec la seconde guerre mondiale et son immédiat après-guerre, s'exprime dans une prospérité retrouvée, dans un merveilleux effort de progrès technique, selon des méthodes qui ne sont peut-être pas spécifiquement nouvelles mais qui le sont par leur incomparable dynamisme. Le pays s'étonne de cette prospérité, se demande chaque jour si elle est là pour durer. Il est vraisemblable qu'une cinquième période commence avec la fin de la guerre de Corée, mais du point de vue de ce livre elle appartient à l'avenir.

[p. 118]

I


Il y avait, dès les guerres du Premier Empire, une industrie américaine, mais c'est seulement à partir de la guerre de Sécession que cette industrie dessine son véritable développement. Tout l'y invite alors, la guerre elle-même, ruine pour le Sud mais prospérité pour le Nord, comme aussi l'expansion agricole et minière rapide d'un Ouest requérant pour sa mise en valeur un immense équipement. L'atmosphère de l'époque est celle d'une création aventureuse relevant encore de l'esprit de conquête, avec ses exagérations, ses désordres, son romantisme. Il y a collaboration entre un capitalisme déchaîné, intégral, et une politique de crédit, splendide de confiance, d'acceptation du risque : et ceci dans un pays neuf, encore fruste, dont les possibilités sont illimitées, où l'optimisme déborde parce que tout espoir y est légitimement permis. Ce capitalisme initial est plus financier que proprement industriel, les banquiers en sont les animateurs et le facteur dirigeant ; l'initiative trouve par excellence son climat dans une société sans freins ni traditions, où chacun est pressé d'agir, de réaliser, de réussir, où les forces individuelles tentent leur chance dans une concurrence implacable, à laquelle le libéralisme intégral du milieu n'oppose aucune limite. À vrai dire, cette Amérique n'est pas libérale au sens de Cobden ou de Gladstone, dès l'instant qu'elle est protectionniste dans son cadre continental et que la doctrine du free trade anglais n'a pas traversé l'Océan. Elle se réclame cependant d'une philosophie libérale, en ce sens que tout s'y fait par l'initiative individuelle, en dehors de tout dirigisme de l’État. Le respect de la concurrence est l'équivalent d'une religion et l'on aboutit ainsi à une liberté de tout faire, s'expliquant par la jeunesse même de cette société, qui favorise les fulgurantes ascensions : on pense au mot de La Bruyère, « jeunesse du Prince-source des belles fortunes ». C'est aussi du reste une période de corruption, comportant une collusion entre les affaires et la politique, triomphe des bosses et des « machines » électorales. N'est-il pas naturel qu'un courant si puissant charrie aussi quelques scories ?

Les capitaines d'industrie sont les pionniers de cette grande œuvre. On les voit plus soucieux de créer des industries que de les organiser. C'est la phase de l'achat en Bourse du [p. 119] contrôle des entreprises, pour les amalgamer et leur donner un commencement de grande organisation : corners sensationnels, étranglements massifs de short sellers, comme dans le cas du Panama Railroad ou du Northern Pacific. Les politiciens se prêtent à ces combinaisons, pour lesquelles leur concours est requis. Certains financiers achètent des législatures entières. « J'avais besoin, déclare Jay Gould dans une déposition, de la bonne volonté des législateurs de quatre États. J'ai "fait" les législatures de mon argent : je trouvais que c'était meilleur marché. » Et Havemeyer, président du Sugar trust : « Nous contribuons toujours aux fonds réunis par les partis pour leurs campagnes électorales d'États... Là où l'incertitude est par trop grande, le trust souscrit aux fonds des deux partis, afin d'être assuré d'avoir des droits sur les vainqueurs, quels qu'ils soient. »

D'excellents portraits des grands leaders de l'époque ont été donnés par Abel Hermant dans ses Transatlantiques : le fameux Jay Gould de l'Erie Railroad y figure sous les traits de Jerry Shaw. Mais il y avait également des chefs de plus grande envergure, un Rockefeller, créateur de l'industrie du pétrole, un Cornelius van der Bilt, animateur du New York Central, le maître de forges Carnegie, le banquier Morgan... La richesse fantastique de ces hommes apparaît aujourd'hui d'autant plus phénoménale qu'elle n'était limitée par aucun impôt sur le revenu et qu'une opinion publique complice faisait plus que tolérer, approuvait ses excentricités : somptueux hôtels de la Cinquième avenue, maisons d'été de Newport, fêtes dignes de la tradition romaine. Dans cet âge romantique on a l'impression que chaque Américain se disait : « Demain ce peut être mon tour ! »

Le centre moteur de tout le système restait à Wall Street. Tout reposait, à l'Ouest comme à l'Est, sur le crédit issu de New York, de la Nouvelle-Angleterre : c'est là qu'était la source des capitaux, à supposer qu'un courant venu d'Europe occidentale ne continuât pas à l'alimenter. Dans cette mise en valeur pleine de passion et de dynamisme, il était moins important de posséder que de recevoir d'un prêteur les moyens d'agir, et il s'agissait moins en somme de propriétaires et de non-propriétaires que de créditeurs et de débiteurs. Cette époque, si pleine de personnalité et qui pendant si longtemps nous a fourni l'image classique de l'Amérique, est révolue dès 1900, encore que par vitesse acquise elle survive quelque temps. Entre Carnegie et Ford il y a la différence de deux âges. Dès la fin du siècle cependant se [p. 120] sont formés les trusts, ces précurseurs : avec eux apparaît le premier essai d'une rationalisation de la production, mais compromise par une ambition de monopole, relevant de l'aventure et que l'avenir ne ratifiera pas.


II


Si les trusts se préoccupent d'organiser l'industrie, c'est que, vers la fin du siècle, la conquête du continent est achevée. L'ère des pionniers continue dans le Far West, mais l'Ouest n'est plus géographiquement ouvert aux espoirs infinis : il y a passage, du moins dans l'espace, d'un rêve sans contrainte aux exigences d'une réalité superbe, mais comportant des conditions. En même temps les entreprises tendent à devenir si grandes qu'il faut les organiser, les consolider ; au romantisme erratique de la création succède l'âge de l'administration. Ce n'est pas que l'esprit pionnier disparaisse, mais il se transpose et ceux qui maintenant organisent ne sont pas en somme moins créateurs que leurs devanciers. Il s'agit en tout cas d'un mouvement d'ensemble : en 1890 il y avait seulement 24 trusts, en 1900 il y en a 183, et en 1904 ils contrôlent 40 p. cent du capital industriel. 26 de ces trusts contrôlent 80 p. 100 de la production de leur spécialité, et 8 d'entre eux 90 p. cent. S'il s'est produit après 1920 un second mouvement caractérisé de concentration, et si la tendance s'est toujours maintenue depuis, étant dans l'esprit même du machinisme triomphant, l'inspiration des premiers trusts était cependant particulière.

Elle répondait essentiellement au besoin de diminuer les prix de revient par la mécanisation et la concentration, celle-ci rendue de plus en plus nécessaire par les besoins énormes de capitaux qu'exigeait un outillage immensément accru. Les entreprises, soucieuses de s'assurer le ravitaillement de leurs matières premières et la sécurité de leurs transports, tendaient à la concentration verticale ; elles se trouvaient ainsi logiquement conduites à absorber fournisseurs, transporteurs et petits concurrents. Dès ce moment une vérité troublante se faisait jour obscurément, à savoir que si la concurrence est plus dynamique, le monopole est techniquement plus efficace. Charles Beard, cet observateur avisé, le fait remarquer dans cette phrase lourde de signification : « Les nouveaux barons de l'économie étaient des organisateurs d'hommes et de matériel, des maîtres dans l'art [p. 121] d'administrer, dont les yeux pénétrants apercevaient le gaspillage et les imperfections du système de la concurrence. » Technocrates avant la lettre, ils étaient les ancêtres du dirigisme. La conception dans une large mesure était saine, conforme aux exigences techniques de la grande production moderne, mais l'interprétation des trusts méconnaissait ses exigences économiques et sociales. Dès l'instant que le monopole leur permettait d'imposer leurs prix aux consommateurs, en disposant de l'excédent par dumping –, ce qui tenait compte des conditions de la fabrication de masse –, ils étaient tentés, soit d'étrangler l'acheteur réduit à merci, soit de supprimer par force les compétiteurs gênants, les prix n'étant plus déterminés par le jeu naturel des marchés, mais par la volonté de quelques puissants producteurs. Une logique impérieuse amenait ceux-ci à intervenir dans la politique, car, sans une protection douanière hermétique, la concurrence étrangère fût venue rabattre un système de prix maintenu artificiellement à un niveau trop élevé. Sans doute rencontraient-ils, surtout avec les républicains, un État éventuellement docile, mais ils allaient à l'encontre d'une opinion américaine de base, instinctivement et profondément hostile à tout ce qui fait figure de monopole. C'était le sentiment politique d'une démocratie jalouse, non de la richesse, mais de la puissance abusive que certains pouvaient être tentés d'en tirer.

De là ces mesures anti-trust qui, après plus d'un demi-siècle, demeurent l'axe de la politique américaine, la création, en 1887, de l'Interstate commerce commission, et surtout ce Sherman Act de 1890, dont le chief justice Hughes disait qu'il avait le caractère et la généralité d'une disposition constitutionnelle : « Tout contrat, combinaison ou trust, tentative d'accaparement ou restriction de la liberté commerciale sont déclarés illégaux. Toute personne qui tentera de monopoliser ou monopolisera ou s'associera avec d'autres pour monopoliser une branche de commerce... sera réputée coupable. » Le principe de cette législation correspond, aujourd'hui comme hier, à la volonté populaire, et nul parti ne saurait aller à l'encontre. C'est toutefois affaire d'application, notamment selon l'interprétation donnée par la Cour Suprême. Le parti républicain serait porté à ménager les trusts, l'offensive procédurière de Théodore Roosevelt n'étant certainement pas dans sa ligne. Plus sincères dans leur hostilité sont les démocrates, qui détiendraient dans la baisse du tarif douanier une arme dont ils ne [p. 122] se sont du reste jamais vraiment servis. Dans son jugement historique du 15 mai 1911, la Cour Suprême, dissolvant au nom de la loi Sherman le trust du pétrole, l'autorisait cependant à se reconstituer dans les conditions d'« une restriction raisonnable de la concurrence », considérant que toute mesure législative interdisant « une restriction raisonnable » serait inconstitutionnelle comme contraire à la liberté des contrats. Les trusts se sont ainsi trouvés consolidés en fait, mais en perdant toute possibilité de monopole. En dépit de nombreux avatars juridiques, ils n'ont jamais retrouvé leur puissance initiale, et s'il y a maintenant des corporations géantes, surveillées du reste par une Cour Suprême attentive, elles respectent ce principe fondamental de la concurrence, dont la jurisprudence ne s'est jamais écartée.

L'âge des trusts a néanmoins laissé sur l'évolution industrielle une marque décisive. Il s'agit du premier effort pour organiser rationnellement la production de masse, et à cet égard la vision de ces précurseurs était juste. Mais ils méconnaissaient qu'à cette production de masse doit nécessairement correspondre une consommation de masse et que celle-ci est incompatible avec une politique de monopole, de restrictions ou de hauts prix. C'était moins un crime qu'une faute, une faute que Ford, autre précurseur, n'a pas commise. Les leaders de grande classe qui s'engageaient ainsi dans la voie sans issue du monopole restaient donc, en dépit de leur génie rationalisateur, des aventuriers qu'on doit classer encore dans l'âge romantique des pionniers. Ils marquent en même temps une transition, celle du passage à la grande entreprise du XXe siècle, dominée par son équipement technique dont elle est prisonnière, entité collective dépassant la taille humaine, déshumanisée... Ce néo-capitalisme n'obéit plus aux impératifs de l'individualisme libéral ; tendant à la rigidité, il aboutit en fait à une technocratie. Nous sommes là en présence d'un des grands tournants de l'évolution industrielle moderne et même d'un des grands tournants de la production dans tous les temps. Marx a bouleversé le paysage social du monde actuel en posant le problème de la nationalisation des moyens de production, mais le fait que la grande entreprise ne répond plus à la mesure de l'homme correspond à une étape humaine, ou si l'on préfère inhumaine, dont la portée est peut-être plus grande encore.

[p. 123]

III


Une éthique se dégage de cette jeunesse du capitalisme américain. Si elle ne répond plus aux conditions du XXe siècle, elle a si profondément marqué la société des États-Unis qu'elle y survit, non seulement dans la propagande de la grande production mais dans une tradition populaire restée paradoxalement vivace. Il s'agit d'une morale, au fond conservatrice, tendant à prouver que l'énergie, le travail, l'intelligence sont génératrices de succès et que ce succès est possible dans le cadre existant. On l'affirme doctrinalement avec d'autant plus d'insistance que certains pourraient commencer à en douter. Mais, fin XIXe, quand le slogan du Young man, go West est encore plein de vérité, la mystique du succès, qui reste entière, lui sert de support. Chacun a bien la conviction que, selon le mot de Napoléon, il a son bâton de maréchal dans sa giberne.

Carnegie, symbole lui-même de la plus fabuleuse réussite, se fait, une fois parvenu au sommet, l'apôtre d'une morale fondée sur la conscience et l'initiative des subordonnés destinés à devenir chefs. « Faites votre métier, leur dit-il, mais ne vous contentez pas de faire votre métier, distinguez-vous dans son exercice, en affirmant par votre personnalité, par votre caractère, que vous êtes digne d'une promotion. » Le précepte est vieux comme le monde et chacun connaît l'épingle de Laffitte. La différence est que nous n'y croyons pas trop, tandis que, dans l'atmosphère américaine du siècle dernier, tous les espoirs d'ascension étaient permis. « Il y a toujours de la place au sommet (There is always room at the top) », affirmait non sans raison Carnegie, qui concluait : « Soyez roi dans vos rêves (Be king in your dreams). » Le commentaire que donnait ensuite cet Écossais transplanté dans le nouveau monde était si typiquement américain qu'il vaut encore aujourd'hui :

Il n'y a pas d'homme qui souffre plus que le patron de ne pas trouver pour une place l'homme complet qu'il cherche. Il n'y a pas une entreprise à Pittsburgh qui ne soit à la recherche de capacités commerciales. Tous les chefs vous diront que, sur le marché, il n'y a pas de valeur qui soit plus rare que celle-là. Il y a toujours un boom des cerveaux (there is always a boom in brains). Cultivez donc ce produit, car, si vous le possédez, vous aurez un marché excellent, où la surproduction ne sera jamais à craindre. Plus vous aurez d'intelligence à vendre, plus vous en tirerez de prix.

[p. 124]


J'aime cette citation, d'un optimisme si complaisant, parce qu'elle est vraiment à la température du nouveau monde. Le vice et la vertu, selon Taine, sont « un produit, comme le vitriol ou le sucre », mais Benda s'inquiète que le « clerc » ne « trahisse » en l'utilisant dans l'action. Avec quelle sécurité morale l'Amérique ne considère-t-elle pas la vertu comme un instrument de rendement !

Tout respire, dans ces propos, l'air chargé d'oxygène d'un âge héroïque, dont il faudrait parler dans le style de l'épopée. Mais l'éthique de Carnegie survit dans la propagande, officielle ou camouflée, de la grande production et nous pouvons aujourd'hui même en retrouver authentiquement la trace dans l'optimisme systématique du Reader's Digest. L'élan initial continue donc, en dépit d'une structure sociale dans laquelle il ne s'agit plus de conquérir aventureusement mais de produire rationnellement.

[p. 125]

1   ...   12   13   14   15   16   17   18   19   ...   37


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət