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1958 tableau des états-unis


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Chapitre 15.

FORMATION, COMPOSIT1ON
ET CARACTÈRE
DE LA MAIN-D'ŒUVRE
AMÉRICAINE




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À partir de 1918, en dépit depuis lors de transformations formidables, on peut parler de l'industrie américaine au présent, car, qu'il s'agisse de la période Coolidge, de la période Roosevelt ou de la période Truman, l'esprit et les méthodes relèvent de la même inspiration, à travers la prospérité et la crise, la paix et la guerre.

La première question rencontrée ici est celle de la main-d’œuvre. Nous allons y retrouver l'aspect démographique envisagé plus haut, mais cette fois sous l'angle de la production.

I


Au XIXe siècle, pour faire face aux besoins d'une consommation constamment accrue et d'une mise en valeur insatiable d'outillages, l'industrie avait dû recruter sa main-d’œuvre plus rapidement encore que la population ne se développait, d'où le rôle décisif de l'immigration dans ce recrutement. Elle fournissait en effet une recrue précieuse, susceptible de servir d'appoint aux heures de booms, plus flexible parce que plus docile que la main-d’œuvre autochtone ou déjà assimilée, et surtout jeune, puisque, dans les trois cinquièmes d'hommes qu'elle contenait, les âges entre 14 et 44 ans figuraient pour 80 p. cent. Le nombre des foreign born était donc important dans l'armée du travail. En [p. 126] 1870, il correspondait à 65 p. cent de l'ensemble dans l'Idaho, 58 p. cent dans l'Utah, 54 p. cent en Californie ; dans l'Ouest en général il était de 42 p. cent, de 28 p. cent dans le Nord-Est, de 26 p. cent dans le Centre-Ouest, mais la présence noire l'empêchait dans le Sud de s'élever au-dessus de 3 p. cent. En 1930, alors que l'appel de la « frontière » avait disparu cependant que la vague slavo-latine avait inondé la côte Atlantique, les foreign born n'étaient plus que 16 p. cent dans l'Ouest et 17 p. cent dans le Centre-Ouest, mais ils restaient 24 p. cent dans le Nord-Est, tandis que le Sud n'en contenait plus que 1 p. cent 1.

Les immigrés, surtout à partir de 1880, sont principalement issus des basses classes agricoles de l'Europe orientale et méditerranéenne, ou d'un artisanat généralement archaïque. On leur demande le plus souvent d'assumer dans les gros travaux la tâche du manœuvre. Ils eussent fréquemment fourni des hommes de métier, mais le handicap de la langue et le dédain où ils étaient tenus les détournaient en fait des étages supérieurs, réservés aux Américains ou à des devanciers déjà adaptés. Un système relevant dans une certaine mesure de la caste présidait à cette division du travail et, à cet égard, l'atmosphère américaine des débuts ressemblait à celle de ces colonies d'exploitation où une élite blanche se superpose à une masse de couleur. L'assimilation, puis la suppression de l'immigration ont conduit maintenant à une intégration croissante de ces éléments disparates, mais les différences originelles sont encore sensibles.

L'assimilation permet à l'immigrant de s'élever dans l'édifice social, cependant qu'il est remplacé à l'étage qu'il déserte par de nouveaux flux d'arrivants. En débarquant il lui a fallu accepter les besognes les moins payantes, qu'il s'agît de l'effort physique de l'homme de peine ou du bricolage artisanal. Déjà son fils, qui s'est adapté, accède à un métier plus relevé, comportant un niveau de vie meilleur et l'admission de fait dans le milieu américain, cette promotion entraînant d'habitude un changement de quartier, le logement misérable de la basse ville passant à quelque dernier arrivé, qui recommence le cycle. De ce fait le même appartement, la même maison voient se succéder dans leurs murs la plus étonnante succession d'Irlandais, d'Italiens, de Russes, de Nègres... Le défilé semble continuer, car en cinq ans tel quartier de New York comportait hier [p. 127] encore 78 p. cent de changements d'adresse. Dans la Nouvelle-Angleterre, l'industrie cotonnière a d'abord, jusqu'en 1870, recruté des Anglais, des Écossais, des Irlandais, remplacés ensuite par une marée de Canadiens français, mais à partir de 1890 environ il s'agit de Russes, d'Italiens, de Slavo-Latins de tous ordres. Que sont donc, dans ces conditions, devenus les premiers ? L'Anglo-Écossais a fait un contremaître, un commerçant, un industriel ; l'Irlandais est devenu politicien, entrepreneur : en réussissant, les uns et les autres (plus lentement dans le cas des Irlandais) se sont perdus dans la masse des assimilés.

Traditionnellement la répartition des travaux s'est donc opérée selon les affinités ethniques. En vertu de ses dons naturels, l'Américain, en cela suivi par l'assimilé, se plaît au travail intelligent et alerte de l'équipe, autour d'une machine, tâche exigeant, en dehors de tout effort physique, une bonne technique mécanique et le sens de l'organisation. Le génie artisanal n'est pas son affaire, il se spécialisera naturellement dans les postes de technicien, d'organisateur, d'animateur, demandant plus de compétence et d'esprit de coopération que d'ingéniosité individuelle ou de goût pour le débrouillage. L'immigré, surtout celui de la première génération, sera bon pour les besognes de force, le travail d'endurance devant les machines automatiques, la bricole des petites réparations, qu'il est seul aux États-Unis à se soucier de faire, et, dans la mesure où l'on a besoin d'un labeur paysan, c'est lui qui le fournira, avec une patience et un sens des lois de la nature qui, en l'espèce, le rendent supérieur à ceux qui méprisent en lui le back bender, le dos courbé vers la terre du serf de la tradition.

À mesure que les immigrants s'assimilent ou cessent d'arriver, ces distinctions tendent à s'atténuer et l'on peut imaginer un temps où elles ne répondront plus à aucune réalité. Elles étaient encore très sensibles dans la période décennale de 1920 à 1930. Les Américains d'origine étaient alors plus de la moitié, dans les professions libérales, parmi les employés de tous ordres ; ils formaient également la majorité des ouvriers qualifiés de la grande industrie et des farmers en tant que chefs d'entreprises. L'origine étrangère dominait au contraire chez les manœuvres, les ouvriers demi-qualifiés du textile, de la chaussure et en général des industries très développées en machines-outils, les ouvriers et employés de l'alimentation, de même que dans certains métiers qui avaient conservé une tradition artisanale, [p. 128] les boulangers, les tailleurs (même mécanisés), les mouleurs, les maçons, les peintres en bâtiment ; la corporation des domestiques était largement étrangère, de même que celle des maraîchers : les étrangers étaient par exemple 53 p. cent dans la métallurgie lourde du fer, 52 p. cent dans les mines de cuivre, 77 p. cent dans la confection, 50 p. cent dans l'ameublement, 49 p. cent chez les boulangers, 60 p. cent (dont 39 p. cent de Noirs) dans le personnel domestique ; les porteurs dans les gares (red caps) et les pullman porters étaient, et sont encore du reste, à 100 p. cent de race nègre. J'avais, en 1925, noté avec soin la répartition des occupations en Californie : Mexicains et Nègres dans la culture du coton ; Portugais dans les artichauts ; Italiens, Français, Arméniens dans les raisins ; Allemands, Suisses, Italiens dans la laiterie ; Slaves du Sud dans les pommes ; Japonais dans les cantaloups ; Japonais, Hindous dans le riz ; Portugais, Grecs, Finlandais, Japonais dans la pêche ; Mexicains dans les terrassements, les routes, les gros travaux ; Français, Italiens, Grecs, Dalmates dans les restaurants. La même enquête, reprise en 1950, donne les résultats suivants : Italiens, Espagnols comme petits possédants ruraux ; Italiens, Français dans les vignobles ; Mexicains dans les tomates ; Espagnols dans la culture du noyer ; Américains dans l'arboriculture scientifique ; Irlandais dans l'élevage ; Russes, Slaves dans les scieries ; Mexicains comme journaliers agricoles, mais hier encore Japonais ou Philippins (« un petit diable jaune vaut trois Mexicains ! ») ; Basques, Français, Chinois dans les blanchisseries ; les Français font prime comme employés de magasins, tel grand magasin s'attachant à recruter des employés ayant l'accent français ou l'imitant...

En vertu de cette hiérarchie, moins sociale qu'ethnique et relevant de la caste plus que de la classe, la société américaine apparaît au fond moins totalement égalitaire qu'on ne le croit d'habitude, et elle ne reste vraiment démocratique que parce que ces distinctions ne sont pas figées, un courant permanent se maintenant de bas en haut. Il y a en effet toute une série de travaux dont l'Américain ne veut pas, soit qu'il les estime trop pénibles ou insuffisamment rémunérateurs, soit aussi qu'il les méprise comme peu nobles : traire les vaches, servir comme domestique, réparer les objets usagers. Les États-Unis ont en fait disposé jusque tout récemment d'une classe serve, avec laquelle on ne se gênait pas et dont l'appoint, bien commode, [p. 129] correspondait aux avantages d'une colonie d'exploitation. Si sévères pour le colonialisme, les Américains oublient trop qu'ils ont eu, non seulement à l'égard du Nègre mais de l'immigré de basse classe, la mentalité du colon vis-à-vis de l'indigène.


II


Le nouveau régime de l'immigration, qui au lendemain de la première guerre mondiale aboutissait en fait à la supprimer, privait les employeurs d'une source de main-d’œuvre sur laquelle ils avaient toujours compté. La crise était d'autant plus sérieuse qu'elle coïncidait, vers 1924, avec une reprise presque sensationnelle de la production et de la prospérité. L'effort d'adaptation que fit alors l'industrie s'avéra de la plus grande portée, notamment en ceci qu'une intense mécanisation en fut la conséquence. On avait recours en même temps à toutes les mains-d’œuvre de remplacement disponibles : Nègres importés du Deep South, Mexicains dans le Sud-Ouest comme travailleurs de force, Philippins doués de la plupart des qualités chinoises, pauvres blancs du Sud peu exigeants pour les salaires, jeunes filles ou femmes à titre d'appoint... Il s'agissait surtout d'ouvriers peu qualifiés, mais qu'on ne payait pas cher et qui n'étaient pas syndiqués, capables de servir des machines automatiques simples, que l'ingéniosité technique s'attachait à simplifier à leur usage, tendance qui orientait davantage encore la production dans ce qui semblait être son sens unique : le machinisme, la série et la masse.

Comme l'immigration n'a jamais repris, ces conditions ont continué depuis lors de produire les mêmes effets, l'afflux persistant des Noirs et des Mexicains vers le Nord et l'Ouest en étant un signe évident. Mais la seconde guerre mondiale a exercé sur la composition et la répartition de la main-d’œuvre nationale une action décisive, d'où celle-ci est sortie largement transformée. Dès l'instant que l'armée soustrayait à la vie civile des millions d'hommes cependant que la production devait s'accroître dans des proportions inouïes, les besoins de main-d'œuvre se révélaient énormes. Bien que ce fût sans conscription civile ni suppression de l'entreprise privée, le gouvernement avait assumé la direction générale de la production, ce qui lui donnait la haute main sur le recrutement et même la répartition géographique des travailleurs, selon des considérations d'efficacité, [p. 130] d'équilibre social, mais aussi de sécurité. Comme en 1924, mais bien davantage encore, il fallait faire flèche de tout bois : on fit appel aux femmes, notamment à celles qui en temps normal n'eussent point songé à prendre un emploi, aux gens âgés, déjà en retraite, qui autrement n'eussent pas repris d'activité, à toutes sortes de gens que le besoin ne poussait pas à gagner leur vie. L'effectif total occupé passa ainsi de 54 millions en 1939 à 64 millions en 1944, dont 53 millions dans la production civile et 11 millions dans l’armée. Le vide provoqué par celle-ci avait été comblé par un recours à des forces exceptionnelles.

Les circonstances étaient exceptionnelles en effet, mais il en est résulté des conséquences durables, en particulier sous la forme d'une redistribution géographique monstre de la labor force : on estime que, de 1940 à 1945, 15 millions d'Américains ont changé de résidence, cependant que l'immédiat après-guerre suscitait encore une nouvelle vague de migrations portant sur plusieurs millions de travailleurs. Les répercussions, économiques, sociales, politiques, de ces mouvements massifs sont considérables, mais mal connues encore. On observe une attraction générale des campagnes vers les villes : plus de cinq millions de gens quittent les milieux ruraux pour s'établir dans les cités, plus exactement dans leurs faubourgs, qui s'enflent démesurément, souvent au détriment des centres urbains anciens qui s'inquiètent de voir émigrer leurs grands magasins et jusqu'à leurs buildings vers la périphérie. La statistique repère, sous le nom de rural not farm, toute une population spécifiquement urbaine qui s'établit à la campagne, sans participer en rien à sa vie. Par un choc en retour l'agriculture, qui manque de bras, s'attache à s'en passer en se surmécanisant. Nous avons montré plus haut comment les nouvelles industries de guerre et d'après-guerre sont attirées par la Californie, le Texas, tout récemment enfin vers le vieux Sud, réveillé d'une longue léthargie.

Cet étonnant brassage a pour effet, non seulement d'unifier une main-d'œuvre hier encore marquée de sa diversité d'origines, mais d'en accroître l'effectif de façon permanente. Beaucoup de femmes, de gens âgés, que les besoins de la guerre avaient exceptionnellement appelés au travail, se sont accoutumés à toucher un salaire et entendent maintenant continuer, prêts à se déclarer chômeurs si la demande faiblit : demain on appellera crise ce qui peut n'être que le simple retour à la normale.

[p. 131]

Ainsi, une fois de plus, comme au temps des pionniers, l'Ouest a exercé son appel. Un regain de nomadisme s'est manifesté dans ce peuple d'esprit nomade : le moment n'est pas encore venu où il se stabilisera, sa maison n'est pas achevée.


III


En 1950, année de recensement décennal, la civil labor force des États-Unis est de 62 millions d'unités, soit 41,3 p. cent de la population, contre 38,5 en 1940. Sur quatre hommes, trois en font partie, mais une femme seulement sur trois : l'effectif féminin comprend surtout des jeunes filles de moins de vingt ans et des femmes de plus de trente-cinq ans ; entre vingt et trente-cinq ans, le ménage et le soin des enfants prennent le pas sur le travail. De façon générale, c'est entre quinze et soixante-cinq ans qu'on travaille surtout aux États-Unis, mais après cet âge il y a encore 27 p. cent des hommes et 8 p. cent des femmes qui occupent des emplois.

D'un siècle à l'autre on a assisté à un déclin persistant de la population rurale, qui est tombée de 71,5 p. cent en 1870 à 15,6 p. cent en 1950. On ne veut plus vivre à la campagne, où du reste le besoin d'effectifs importants ne se fait plus sentir, les opérations vraiment importantes de transformation se faisant désormais dans les villes. Les récriminations sur la démoralisation résultant de l'exode rural n'ont plus aucun sens dans une société industrielle moderne, où il est normal qu'à un homme aux champs correspondent six ou sept hommes ayant une activité urbaine.

Un regroupement de grande envergure est en cours dans les occupations depuis le siècle dernier. L'agriculture, qui en I870 employait 6 428 000 personnes, n'en occupe en 1940 qu'un chiffre à peine supérieur : 8 475 000. L'effectif industriel et minier a passé de 2 846 000 à 13 542 000, mais celui de la distribution (au sens large, celui des activités tertiaires) de 2 889 000 à 23 149 000. Ces chiffres ne prennent toute leur signification que si on les envisage sous forme de pourcentages : on voit alors que l'agriculture a baissé de 53 à 18,8 p. cent, que l'industrie n'a fait qu'un gain médiocre de 23 à 31,5 p. cent, tandis que la distribution est montée en flèche de 24 à 49,7 p. cent. Ainsi, par comparaison avec 1870, l'agriculture a perdu 34 p. cent, [p. 132] l'industrie n'a gagné que 8,5 p. cent, mais la distribution s'est accrue de 26 p. cent. C'est l'effet d'une tendance de fond qui, dans la production industrielle, met de plus en plus l'accent sur les exigences de l'administration, c'est-à-dire de l'organisation. Rien d'étonnant, dans ces conditions, que le nombre et le pourcentage des effectifs employés dans le bureau, les transports, l'échange, le commerce, les professions libérales, le service domestique (collectif sinon personnel) aille sans cesse en grandissant. D'une enquête récente, il résulte que les jobs devant vraisemblablement offrir le plus de débouchés dans les années prochaines comprendraient surtout le personnel de bureau, les transports, le commerce, les professions libérales, la recherche scientifique, l'enseignement primaire, la police, les pompiers, les experts du téléphone et de l'électricité, le service domestique, le bâtiment... Dans ce mouvement qui conduit vers les activités de la distribution et qui s'étend à toute la civilisation occidentale, les États-Unis ont une fois encore joué le rôle de pionniers.

Cette transformation résulte du passage d'une structure agricole à une structure industrielle, puis d'une structure industrielle mécanique à une structure industrielle administrative. Le changement d'équilibre social qui s'ensuit provient de ce que le machinisme a libéré un quart de l'effectif strictement producteur qui, devenu disponible, a passé à la distribution, de telle sorte qu'il y a relativement moins d'agriculteurs, moins d'ouvriers, et davantage d'employés. Ce reclassement massif, véritable mutation de fabricants en distributeurs, s'opère aux États-Unis sans heurts spectaculaires. C'est que, sous réserve de crises, il se fait dans une économie en expansion et pleine de souplesse, qui a absorbé sans peine un excédent sans cesse croissant de travailleurs. Il s'agit en somme d'une civilisation économique nouvelle, fondée sur des méthodes industrielles proprement américaines, qu'il nous faut maintenant étudier.

[p. 133]

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