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1958 tableau des états-unis


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CONCLUSION


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[p. 337]

Chapitre 35.

LES ÉTATS-UNIS


ET LA CIVILISATION
OCCIDENTALE



I



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Europe, race blanche, civilisation occidentale, c'étaient hier encore trois termes synonymes. Aujourd'hui les sections dirigeantes de la race blanche ne sont plus en Europe et la civilisation occidentale déborde hors du vieux continent, cependant qu'une partie même de ce vieux continent lui échappe. Il n'y a pas si longtemps que les deux notions d'Europe et d'Occident se superposaient, à peu près aussi exactement que des figures géométriques. Mais où sera, dans l'avenir, le centre de gravité de l'Occident ? Si c'est en Amérique, la civilisation occidentale ne va-t-elle pas s'engager dans une voie nouvelle, où l'Europe ne se reconnaîtra plus ? Telle est la question qui se pose depuis que les États-Unis sont devenus, en concurrence avec la Russie, les leaders de la planète. Quand on parle des États-Unis, on est tenté de le faire comme s'il s'agissait simplement d'une puissance, accédant à son tour à l'hégémonie politique, mais c'est comme un continent, comme une civilisation, comme un âge de l'humanité qu'il faut les envisager : toute autre vue est trop étroite, et c'est ainsi seulement que le problème américain prend toute sa portée.

Les États-Unis, au même titre que les Européens, relèvent de la tradition chrétienne, de l'humanisme démocratique du siècle des lumières, de la Révolution industrielle enfin ; leurs conceptions de la connaissance, de l'individu, de la technique sont les nôtres. À première vue donc ils ne font que continuer, en la développant magnifiquement, une orientation issue de nous. [p. 338] Ce sont en effet ces fondements qui font la personnalité de notre commune civilisation, ce qui ne saurait plus se dire de l’U.R.S., mais c'est la combinaison de ces valeurs, dans des proportions et selon une hiérarchie nouvelles, qui est en train de faire de l'Amérique un monde nouveau, différent du nôtre – le vieux – non seulement par les dimensions mais par la qualité.

Si le christianisme et l'humanisme ont traversé l'Atlantique, il n'en est pas de même d'un trait, essentiel dans la formation de l'Europe, qui est la tradition classique, sous sa forme gréco-latine. Le contact méditerranéen est pour nous une réalité : l'originalité de l'Europe provient largement de ce qu'elle associe, dans un mariage bien équilibré, l'esprit anglo-saxon synonyme d'efficacité et l'esprit latin sous forme d'individualité intellectuelle, l'esprit pratique et l'esprit critique. Cet équilibre ne s'est pas transmis aux États-Unis, encore que les éléments méditerranéens y soient nombreux. Les immigrants italiens, espagnols, portugais, grecs, roumains qui se sont établis en Amérique du Nord provenaient le plus souvent de couches sociales inférieures et ils n'ont eu d'autre souci, reniant allégrement tout leur passé, que de s'assimiler le plus vite possible à une société d'esprit nordique. La culture latine n'est plus connue ou comprise que de milieux universitaires spécialisés. Il ne s'agit plus que d'un contact livresque.

Dans ces conditions l'esprit critique, individuel par nature, diminue d'importance par rapport aux pratiques collectives du rendement : la culture proprement dite, avec tout ce qu'elle comporte de personnel, tend à être éclipsée par la technique et les prestiges de l'outillage. Il s'ensuit une civilisation de plus en plus tournée vers les réalisations du type collectif, dans laquelle l'individu agissant seul, pensant seul, est réduit à l'impuissance : le mass man prend le pas sur l'anarchic individual, les nécessités de la production moderne le veulent ainsi. L'accent est mis sur la science, dont les progrès, qui sont merveilleux, étonnent le monde et demain sans doute l'étonneront davantage encore. Il est mis surtout sur la technique, dont les méthodes infaillibles sont considérées comme pouvant s'appliquer à n'importe quoi. L'homme qui compte, c'est l'expert, devant lequel chacun s'incline.

Il peut exister une mégalomanie de l'outillage, qui de moyen devient but en soi. On en a quelquefois l'impression dans certaines universités, presque trop bien équipées. La radio dans [p. 339] chaque pièce, la télévision, le cinéma, le trop grand confort matériel sont conseillers de paresse mentale. Il peut exister aussi une mégalomanie de la technique ; peut-être la ressent-on dans certaines méthodes poussées à l'excès de la médecine ou de la psychiatrie. Ce n'est qu'une question de proportions, car il n'y aurait pas d'objection si une place suffisante, du moins suffisamment proportionnelle, était faite à la culture, c'est-à-dire à l'homme lui-même, dans le sens traditionnel de la Grèce et de l'Europe. L'homme est moins considéré comme un être pensant que comme un être agissant, à la façon de Théodore Roosevelt, qui, selon Henry Adams, était pure act, et comme l'action exige la compétence spécialisée, on risque une sorte de déséquilibre par excès de recours au spécialiste.


II


La civilisation occidentale, sous sa forme européenne, avait atteint une pleine maturité spirituelle avant que la technique, née de la Révolution industrielle, ne l'eût pénétrée et n'eût tendu à la dominer. Cette tendance, qui ne peut que s'accroître, va sans doute transformer le destin de l'Occident : nous la voyons pleinement à l'œuvre aux États-Unis, sans que les freins qui la retardent en Europe y jouent efficacement.

L'enseignement américain est de plus en plus inspiré d'une préoccupation technique. Les humanités n'y tiennent pratiquement aucune place, au sens ou nous les entendons selon la formule du Lycée français. L'équivalent de nos études secondaires – qui sont chez nous la source véritable de la culture – se trouve dans la High School, qui donne à tous, sans sélection, une excellente éducation primaire supérieure axée sur la pratique, mais ne comportant qu'un bagage intellectuel léger. C'est à l'Université qu'il faudra demander la culture, mais on ne l'y trouvera qu'accessoirement sous la forme classique. Les humanités, dans la mesure où elles subsistent, sont reléguées le plus souvent dans des sections annexes, que l'on soupçonne un peu d'être réservées à des raffinés et vers lesquelles se dirigent curieusement une forte proportion d'étudiants étrangers. Dans la religion, un jugement analogue s'applique souvent au contemplatif, évidemment égaré dans ce pays de l'action.

[p. 340] C'est que les conditions dans lesquelles se forme un esprit de culture humaniste sont après tout fort différentes de celles que réclame la formation d'un travailleur efficace dans le domaine des réalisations collectives, qu'il s'agisse d'industrie, de chirurgie ou d'action sociale : le spécialiste, bien informé de sa spécialité, s'impose alors ; on lui aura donné une technique, non une culture. On constate ainsi partout la préoccupation de sélectionner, dès l'enseignement secondaire, les compétences qui seront appelées à figurer, soit dans les grandes entreprises, soit dans l'armée ou la marine. Une fois admis, selon les règles d'une orientation dirigée, les candidats seront pris en main, encadrés, suivis jusqu'à leur entrée dans la pratique. Ils auront appris beaucoup de choses et seront effectivement renseignés sur les faits et les chiffres, facts and figures, mais on ne leur a pas ouvert de fenêtre sur les grands problèmes de l'esprit.

L'Américain nous apparaît ici – et ce n'est pas la première fois que nous en faisons la remarque – comme le meilleur élève de l'Allemagne. Il a hérité d'elle, avec l'efficacité dans l'organisation, un respect presque fétichiste pour la méthode, pour l'objectivité, pour la Science et tout ce qui peut se réclamer d'elle. La leçon germanique a produit tous ses fruits dans le terroir américain. La conscience (Gründlichkeit), l'esprit objectif (Sachlichkeit) des Allemands se retrouvent en Amérique, mais avec la correction d'un bon sens anglo-saxon que le manque de mesure allemand n'a jamais possédé. Le résultat est efficace : il s'agit de plus en plus d'un cadre complexe et parfaitement conçu, dans lequel chacun est appelé à se classer. L'enseignement consiste surtout à préparer ce classement. Dans les examens tendant par exemple à la sélection d'un personnel, on procède souvent par des questions écrites, nombreuses et très simples, auxquelles le candidat répond par oui ou par non, système qui ressemble beaucoup à celui des tests. L'examinateur s'assurera simplement que les oui et les non figurent au bon endroit, et le relevé, s'il s'agit de grands nombres, se fera mécaniquement, comme pour le dépouillement des statistiques (et, s'il faut en croire Sinclair Lewis, des conversions de revivals religieux).

Le système donne des gens compétents, mais il ne garantit pas que ces compétents soient cultivés. L'élève a beaucoup absorbé de nourriture, mais en ne s'est pas préoccupé de lui apprendre à la mâcher et à l'assimiler. Le conseil de Cocteau est pertinent : « L'esprit doit avoir des dents robustes. Mâchez les [p. 341] choses avec des dents robustes, ne les laissez pas n'être que l'ornement du sourire des stars. » Cette assimilation des nourritures de l'esprit, c'est la vraie leçon des humanités, mais sous cette forme l'Amérique semble les considérer comme démodées : elles n'ont pas été remplacées, ou l'ont été de telle façon que leur esprit véritable ne se reconnaît plus. Dans tel recrutement administratif qu'on m'a cité, les matières exigées comportent 80 p. cent de données techniques ou scientifiques, cependant que les 20 p. cent réservés à la culture générale correspondent, non à la littérature ou à la philosophie, mais – remplacement significatif – à la sociologie. Il y a là toute une conception de la vie, qui est bien celle où s'engage notre siècle : les États-Unis sont à l'avant-garde. Avons-nous tort, comme la femme de Loth, de regarder en arrière ?

III


Dans ce régime, où décidément la technique a le pas, certains, attardés ou précurseurs, ont la nostalgie de quelque chose d'autre. À Harvard, à l'University of Chicago, se distingue le souci de rendre aux humanités une place de quelque importance, car des esprits avisés se demandent si, à la longue, une spécialisation excessive n'en viendrait pas à tarir les sources créatrices profondes de l'esprit national. Le Committee on Social Thought de l'Université de Chicago a entrepris de lutter contre l'abus quantitatif des informations, contre les divisions rigides dont on encadre la connaissance, dans lesquelles on l'enferme ; il cherche par contre la conscience des rapports qui situent la connaissance véritable. Certains signes sont en effet propres à faire réfléchir. Depuis l'hitlérisme et la seconde guerre mondiale, la source créatrice de la science américaine provient largement des savants de l'Europe centrale ou orientale que la persécution a rejetés hors du vieux continent. On est amené à se demander si les Anglo-Saxons, dans leur tendance à se spécialiser, dans leur propension à donner au sport une place d'honneur dans les hiérarchies universitaires, n'ont pas négligé la formation de ces personnalités de haute culture qui sont l'âme d'une civilisation. Ce serait la condamnation, à longue échéance, d'un type de société concentré sur l'outillage et les instruments de la technique appliquée, où l'outil devient plus important que sa fonction.

[p. 342]


Le nouveau monde n'est du reste nullement hostile à l'idée générale servant d'inspiration, car il sent malgré tout un vide qui doit être rempli, mais ses réponses ne sont pas celles du classicisme. Il sera tenté de former le « spécialiste des idées générales », c'est-à-dire une fois encore un expert. En toutes choses il semble s'intéresser aux méthodes plus qu'aux choses elles-mêmes. Renan écrivait : « Les Grecs firent des chefs-d’œuvre, puis ils crurent qu'on peut trouver des règles pour faire des chefs-d'œuvre. » Les Américains devraient méditer cette pensée. La formation donnée aux futurs professeurs et instituteurs consiste surtout en interminables classes sur la psychologie de l'enfant : comme en Suisse, comme en Europe centrale, l'accent est mis sur l'éducation et ses méthodes. Dans les universités on a quelquefois l'impression que la haute direction se préoccupe plus des buildings, en effet splendides, que de l'enseignement. Ou bien la nostalgie de l'esprit s'exprimera sous la forme mystique. L'Amérique est un pays où la religion continue de susciter un intérêt passionné. Hier c'était l'aspect traditionnel du non-conformisme puritain. C’est parallèlement et sans doute de plus en plus, sous la forme de succédanés divers. De même que la mythologie connaissait sous Hitler une vogue insensée dans les universités allemandes, des cours de religion, mais au sens large et souvent non orthodoxe du terme, sont réclamés partout. Ce besoin d'émotion, qu'on prend pour de la culture, peut produire d'étranges associations. Le Kinsey Report sur le comportement sexuel a été un best seller : ces problèmes, loin d'être envisagés sous l'angle gaillard d'Henri IV, le sont éventuellement dans l'esprit d'une sorte de mystique. Que sur pareille mystique on branche un idéal d'action et l'on obtiendra une civilisation orientée dans un sens bien nouveau, encore que par certains côtés très ancien aussi.

On a l'impression que ce pays d'immenses possibilités, de complet bon vouloir et d'intense sincérité, aurait besoin d'une cure de classicisme. Il lui faudrait un Montaigne, c'est un Emerson qu'il a eu. Dominé par la préoccupation didactique du siècle, il pourrait risquer d'oublier que le but essentiel d'une civilisation n'est au fond ni la technique, ni le rendement, ni l'outillage, mais l'homme lui-même. L'Europe reste pénétrée de culture gréco-latine et elle se souvient avoir été civilisée avant la machine. La Russie, qui se sépare d'elle, est adoratrice de la technique, disciple industrielle non de l'Allemagne ou de la [p. 343] France, mais des États-Unis. De ce point de vue, Amérique. et U.R.S.S., encore que passionnément opposées l'une à l’autre, inclinent à une même conception technique de la civilisation : de part et d'autre leurs grands espaces, favorables à la standardisation et à la masse, les y incitent naturellement. Par-dessus la tête de la petite Europe, ce sont les continents massifs qui imposent au monde une norme différente de l'ancienne tradition.

Que deviendra, dans ces conditions, notre civilisation occidentale, si son foyer, désertant l'Europe articulée, se fixe dans l'Amérique massive ? Elle conservera sous cette direction nouvelle ce qui faisait son essence : une conception de la science fondée sur l'objectivité, une conception de l'individu fondée sur le respect de l'homme. Mais sous la pression d'une insistante pédale, la science se fera plus technique que contemplative et l'idéal de l'homme sera davantage celui d'un être agissant que d'un être pensant. La tradition classique sera sensible encore, sous cette réserve que l'Américain sera plutôt un homo faber évolué qu'un homo sapiens à la manière de Socrate. De même la tradition chrétienne restera vivante, mais moins exclusivement sous sa forme grecque que selon l'inspiration de l'Ancien Testament, d'où le déclin de l'influence méditerranéenne et, selon le mot profond d'Amiel, l'accent mis davantage sur « cet aspect oriental que le christianisme représente dans notre culture ». Dans la course éclatante où l'entraîne l'Amérique, la civilisation héritée de l'Europe aura laissé en route quelques bribes d'esprit contemplatif, quelque chose de l'esprit critique chez l'individu, pour s'orienter vers une conception nouvelle, plus sociale, de la dignité humaine. L’essentiel aura été préservé : ce sera toujours la civilisation occidentale, ce ne sera plus la civilisation européenne, et l'homme du vieux monde pense avec mélancolie au vers de Corneille : « Un grand destin finit, un grand destin commence. »

FIN


1 Geoffrey Gorrer, Les Américains, p. 164.

1 Armand Colin, tome XIII, p. 35.

1 These United States, tome I, p. 263.

1 Jules Romains, Visite aux Américains, p. 95.

1 Henry M. Stanley, Autobiographie, tome I, p. 130.

 À voir sur Les Classiques des sciences sociales : http://classiques.uqac.ca/classiques/gobineau/gobineau.html [MB]

1 Rappelons que le mille anglais équivaut à 1 km 609 m.

1 Revue Survey, mars 1951.

1 Au sujet du Ku Klux Klan, cf. p. 233.

1 Zangwill, Le Creuset, acte II.

2 Barrès, L'Ennemi des lois, p. 170.

1 Cf. A. J. Jaffe et Ch. D. Stewart, Manpower resources and utilization (principles of working force analysis), New York, John Wiley and Sons.

1 Raymond Cartier, op. cit., p. 223.

1 Raymond Cartier, op. cit., p. 19.

1 Sheldon, Philosophy of management, p. 213.

1 Raymond Cartier, op. cit., p. 169.

1 Frances Perkins, The Roosevelt I Knew, p. 166.

1 Cf. Louis Rosenstock Franck, L'Expérience Roosevelt et le milieu social américain, p. 53.

1 Tournée électorale ferroviaire dans laquelle, à chaque arrêt du train, la foule, alertée à coup de sifflet, écoute l'orateur s'adressant à elle depuis son wagon.

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