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1958 tableau des états-unis


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Chapitre 13.

VUE GÉNÉRALE
DU PEUPLE AMÉRICAIN




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Nous avons étalé, comme sur une table d'expérience, les éléments humains disparates qui ont contribué à former le peuple américain tel qu'il existe aujourd'hui, mais ces éléments, malaxés dans le creuset, ont-ils abouti à une individualité psychologique ? L'impression qui domine, c'est la transformation du XXe siècle américain par rapport au XIXe, transformation qui porte sur le physique de la race, sur sa psychologie, sur les conditions nouvelles dans lesquelles elle vit.


I


En un sens et paradoxalement, il y avait à la fin du XIXe siècle une civilisation américaine plus achevée, plus fixée que maintenant. Avant l'immigration slavo-latine, les apports irlandais, allemand et juif, se superposant à l'ancienne culture anglo-coloniale, avaient composé une société qui restait anglo-saxonne, mais avec certains piments, certain mousseux qui la faisaient dévier de la classique tradition britannique, Cette société avait ses types devenus légendaires, mais que les gens de mon âge ont encore pu connaître : l'oncle Sam, l'oncle d'Amérique, Buffalo Bill, le capitaine d'industrie, l'aristocrate de la Nouvelle-Angleterre, les Quatre cents, la « belle Américaine », au port de déesse, empanachée, encombrante, ressemblant à une actrice. Relisez Les Transatlantiques d'Abel Hermant ! L'Amérique était bien-ainsi, la fenêtre encore ouverte sur l'Ouest, créatrice, excentrique et passionnée de records. On y pouvait discerner des cultures [p. 109] locales distinctes, évoluant chacune selon son milieu et sa tradition, celle de la Nouvelle-Angleterre avec son puritanisme, de Philadelphie avec ses Quakers et le souvenir de Franklin, de Baltimore déjà sudiste, de la Nouvelle-Orléans où subsistait l'influence française, du Centre-Ouest teinté de germanisme, de la Californie plus latine qu'anglo-saxonne. Il y avait des cuisines, celle de Baltimore, la plus typiquement nationale avec son Virginia ham, sa soupe à la tortue, son Mulligatawny, celle de la Louisiane, créole, celle de San Francisco, italienne et française. Profondément marqués par la tradition anglaise protestante, les écrivains de l'époque étaient pourtant de purs Américains : Mark Twain, Whitman, Edgar Poe, Emerson, James, Adams, Thoreau, Louisa Alcott... Mais peut-être, de même qu'un Lincoln formé par les classiques et par la Bible, étaient-ils quand même plus proches de nous, plus compréhensibles pour nous que les Américains d'aujourd'hui, dont nous avons l'impression que les racines européennes ont été coupées ?

Pourquoi cette Amérique, celle qu'avait encore connue et décrite Bourget dans son Outremer, n'est-elle plus ? Il y a eu la désanglo-saxonnisation de la grande vague slavo-latine. Puis un changement dans le centre de gravité : l'esprit authentique de la tradition protestante a passé au Centre-Ouest, la côte Atlantique, hier forteresse du puritanisme, devenant méconnaissable sous une inondation exotique cependant que les États du Pacifique comptent de plus en plus dans l'équilibre général de la nation. Le physique même de ce peuple a changé. Je ne retrouve plus guère les types de 1900 ; c'est comme une race nouvelle qui remplit les rues de New York, de Chicago. Même impression dans les universités, dont l'effectif professoral comprend un nombre frappant de maîtres dont l'origine allemande ou juive transparaît dans l'accent. Il y a eu certainement un retour offensif de l'exotisme, tandis que, dans le Centre-Ouest qui maintenant déborde sur le Sud, se développait un type nouveau de businessmen, trapus, sérieux, sans rayonnement derrière leurs lunettes, avec je ne sais quoi de germanique dans leur comportement. Zangwill souhaitait un américanisme qui fût américain sans être nécessairement anglo-saxon : peut-être son souhait est-il en train de se réaliser ?

Je crois cependant que le facteur le plus efficace de cette transformation doit être cherché dans l'apparition d'une nouvelle vie matérielle. L'équipement technique du XXe siècle, basé sur le [p. 110] machinisme, la série et la masse, a vraiment renouvelé la société. Ses effets, implacables, irrésistibles, s'exercent sur l'outillage et les méthodes de la production, l'équipement de l'existence quotidienne, l'ensemble des rapports sociaux, qu'il s'agisse de la presse, de la littérature, de l'enseignement, de la religion, de la politique. On passe de l'âge du pionnier, qui s'exprimait dans l'énergie personnelle, l'acceptation d'une vie d'efforts et d'ascétisme, à celui de la production collective, fondé sur l'organisation, le travail en grandes équipes, la discipline de masse. L'impression que laisse désormais la société américaine serait plutôt celle d'une splendide organisation, comportant un peuple immense d'employés ayant chacun son job et bénéficiant d'un niveau de vie supérieur, non pas à l'allemande, car l'atmosphère est restée humaine, avec une apparence de laisser-aller, mais selon un système où la fantaisie, la liberté ont moins libre cours qu'antérieurement.

Peut-on, dans ces conditions, parler d'un peuple américain ? D'une race américaine certainement pas, car, si l'on considère du point de vue physique une réunion d'Américains, tous les types européens, du Celte au Slave, du Scandinave au riverain de la mer Noire, sans oublier les Touraniens ou les Arabes, y sont représentés. L'énumération officielle des peuples ayant contribué à l'immigration entre 1900 et 1910 est fantastique : « Africains, Arméniens, Bohémiens et Moraves, Bulgares, Serbes, Monténégrins, Chinois, Croates et Slovènes, Cubains, Dalmates, Bosniaques et Herzégoviens, Hollandais, Flamands, originaire des Indes Orientales, Anglais, Finnois, Français, Allemands, Grecs, Hébreux, Irlandais, Italiens du Nord et du Sud, Japonais, Coréens, Lithuaniens, Magyars, Mexicains, originaires des îles du Pacifique, Polonais, Portugais, Roumains, Russes, Ruthènes, Scandinaves, Écossais, Slovaques, Espagnols, Syriens, Turcs, Gallois, originaires des Indes Occidentales... » et, scrupuleuse, la statistique se croit obligée d'ajouter : « autres peuples » ! Sauf dans le Sud, les campagnes, la bonne société, on ne peut pas dire que le type anglo-saxon domine. Je me suis souvent amusé à considérer de ce point de vue des groupes d'étudiants américains visitant l'Europe : ils eussent tout aussi bien pu être Méditerranéens ou Slaves qu'Anglais ou Scandinaves.

Il faut conclure cependant qu'en dépit de ce kaléidoscope ethnique il y a là un peuple, dans le plein sens du terme. Tous ces gens, quelle que soit la diversité de leur origine, ont acquis [p. 111] une allure commune : ils ont tous la même façon de s'habiller, de se tenir, de marcher, d'écouter, de répondre, de téléphoner, d'attendre ; tous ont les mêmes réactions spontanées, la même lenteur de pensée, de parole, de mouvements, faisant contraste par exemple avec la vivacité latine, mais coïncidant cependant avec une certaine excitation, une restlessness toute différente du flegme anglais. Il s'agit, paradoxalement, d'un tempérament lent dans un rythme trépidant, implacable, d'où sans doute ces nervous breakdowns si communs aux États-Unis.

Le support de cette unité d'allures réside probablement dans l'unité matérielle de l'American way of life, dont l'équipement n'est si parfait que parce qu'il est si complètement standardisé : partout mêmes trains, mêmes hôtels, mêmes restaurants, même cuisine, mêmes journaux. Il faut noter que cette monotonie est non seulement acceptée mais aimée. L'Américain, jadis excentrique, est devenu conformiste dans ses mœurs : plutôt que de se distinguer par une originalité dans la tenue ou la façon de vivre, on veut être comme les autres ; c'est le moyen pour l'immigré de prouver qu'il est bien assimilé. Cette assimilation, admettons-le, était nécessaire si le pays voulait préserver son caractère initial, mais elle a joué à la manière d'un rouleau compresseur. Il se peut que la prospérité américaine soit à ce prix.


II


Ayant parlé au singulier du peuple américain, peut-on parler au singulier de sa psychologie ? Oui et non, car il est encore, dans une certaine mesure, à la recherche de sa personnalité. Le Français, l'Anglais sont des gens ayant achevé leur maison (je ne le dirais pas de l'Allemand), mais l'Américain, resté nomade, évolue encore, n'étant pas prisonnier comme nous d'un édifice de pierre, construit pour les siècles. Le mieux serait plutôt de se demander où est le centre de gravité psychologique du pays, quels sont les types dominants, quel est l'Américain le plus typique. On est tenté de se dire que c'est celui du Centre-Ouest, chez qui survit la tradition puritaine, coïncidant avec le progrès économique le plus autonome. Mais New York n'est pas moins représentatif de la civilisation nationale. J'y ai vu une pièce de théâtre dont l'auteur était juif, le metteur en scène Arménien, la musique [p. 112] nègre, et la critique parlait d'une victoire de l'art américain. C'était à bon droit : si les quarante-huit États ont chacun leur personnalité, comme il ressort des belles évocations de Gunther (Inside U.S.A.), de Cartier (Les 48 Amériques), ils ont tous un dénominateur commun dans cet American way of life, dont ils sont fiers au point d'en faire la meilleure justification de leur patriotisme.

S'il y a donc diversité c'est dans l'origine, et s'il y a unification c'est dans la façon dont les nouvelles méthodes de production ont permis, ont imposé un genre de vie commun. Les deux affluents qui ont formé le splendide courant de ce peuple restent cependant discernables. On peut distinguer un étage social dirigeant, correspondant à l'élément initial, autochtone et traditionnel, et d'autre part une masse, largement étrangère encore, n'ayant pas participé à la fondation nationale, dans une certaine mesure passive. Ce n'est pas affaire de classe, mais plutôt de caste, car malgré tout l'origine ethnique compte encore, et c'est aussi affaire de structure sociale : dirigeants et employés. Sur cette échelle de Jacob, qui va du dernier manœuvre au président de la République ou au milliardaire, la circulation reste libre, sinon ethniquement, du moins économiquement et socialement : c'est pour le pays une condition indispensable de santé, sans quoi, se figeant, il connaîtrait bientôt les insolubles problèmes sociaux de la vieille Europe.

Ce qui caractérise l'étage dirigeant, ce sont essentiellement des traits actifs, qui proviennent manifestement de la formation puritaine. Individuellement, il faut noter l'efficacité, née du sens de la responsabilité, de la conscience morale appliquée à l'effort. Socialement, – et ceci est plus important encore, – le sens du service, le devoir de collaborer à la communauté, l’esprit missionnaire également, s'exprimant dans le besoin instinctif de transmettre sa conviction, d'améliorer passionnément les hommes et les choses. On ne saura exagérer la part des hommes de cette formation dans l'œuvre magnifique qui, du XVIIIe au XXe siècles, a fait des États-Unis la première nation du monde.

Mais il faut reconnaître que cette psychologie est seulement celle d'une élite. Les dizaines de millions d'immigrants venus du continent européen, dont les fils ou les petits-fils constituent sans doute aujourd'hui la majorité du peuple américain, relèvent d'une autre origine morale. Ils se sont intégrés [p. 113] dans une structure sociale qu'ils n'avaient pas contribué à construire. Or cette structure, issue de l'initiative, de l'effort, de la responsabilité individuelle, s'est muée, du fait des conditions nouvelles de la production, en organisation. Il n'y a plus d'Ouest, de « frontière », de pionniers, mais une société industrielle où règne, avec les grandes entreprises, la discipline collective. Les vertus demandées ne sont plus celles du pionnier, de l'aventurier : il s'agit désormais de régularité dans le travail, d'efficacité dans l'équipe. L'ascension sociale est toujours possible, il est important de le souligner, mais elle se fait normalement dans le cadre d'une hiérarchie où tout le monde, du dernier recruté au directeur général, est employé. Dès le milieu du XIXe siècle, les nouveaux immigrés relevaient d'une psychologie différente. Individuellement, ils avaient souvent un sens artisanal et artistique plus développé, des dons naturels originaux, un sens du débrouillage inconnu des Anglo-Saxons. Mais, venus en profiteurs pour participer à un niveau de vie meilleur, ils n'avaient en rien la tradition civique des premiers Américains ; à la suite des Irlandais, virtuoses en la matière, ils entendaient bien, non pas servir l'État, mais en tirer le maximum sous forme de jobs. À mesure que l'industrie s'est concentrée, constituant des personnels d'ouvriers et d'employés de plus en plus massifs, la préoccupation du job, c'est-à-dire de l'emploi, est devenue de plus en plus dominante.

Il en est résulté une attitude particulière aux masses américaines. Elles acceptent sans le discuter le système américain, qu'elles comparent avantageusement avec celui de l'Europe, et en conséquence, même sujettes à la démagogie, elles ne sont jamais révolutionnaires. En dépit d'une apparence indisciplinée, elles constituent la foule sans doute la plus docile, la plus patiente du monde ; son nationalisme enfin dépasserait, si c'est possible, celui des 100 p. cent : fière d'être américaine, son dédain de la vieille Europe est total. Cette discipline sociale, qui va en s'accroissant, n'est pas un bien sans contre-partie, car elle s'applique aussi au monde des idées. L'Américain moyen a une magnifique confiance dans l'éducation. Les peuples très évolués finissent par comprendre qu'il y a des choses qui ne s'apprennent pas. Ce n'est pas sa conviction, il se plaît même à penser que les méthodes de l'industrie peuvent être appliquées à la diffusion de la pensée : il aime la science mise en boîte, les comprimés de science, les notions faciles, préparées par les experts et que l'on [p. 114] absorbe sans effort, comme des pilules. Il en résulte une certaine paresse intellectuelle, que favorisent encore le cinéma, la radio, la télévision. L'expert, dans ces conditions, prend une dangereuse autorité, au détriment de l'esprit critique, de plus en plus difficile à exercer dans une société où l'organisation surplombe de toutes parts l'individu.

Il se forme ainsi une pâte sociale qui sert excellemment le régime de la production de masse, réagissant admirablement aux directives de la publicité et sur laquelle les propagandes mordent efficacement. Ces traits sont largement ceux de l'enfance. Qu'il était vieux, pliant sous le faix de souffrances et de traditions séculaires, l'immigrant qui débarquait il y a cinquante ans sur les quais de New York ! Le voici rajeuni, presque jusqu'en deçà de l'âge adulte. Il ne ressemble plus en rien à ses ancêtres européens, mais il ne ressemble pas non plus aux fondateurs de la nation américaine. Cependant, s'il n'a pas assimilé leur civisme, il participe de leur optimisme continental : il accepte le jeu, à l'américaine, avec ses risques, persuadé qu'il peut et doit réussir, passionnément dévoué aux États-Unis.

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