Ana səhifə

1958 tableau des états-unis


Yüklə 2.18 Mb.
səhifə23/37
tarix25.06.2016
ölçüsü2.18 Mb.
1   ...   19   20   21   22   23   24   25   26   ...   37

Chapitre 21.

LA GRANDE DÉPRESSION


I




Retour à la table des matières

Le boom de l'après-guerre s'était déclenché lors de l'élection du républicain Coolidge contre le « radical » La Folette, et en 1928 l'élection du républicain Hoover contre le démocrate Al Smith était venue le confirmer. Conformément à la théorie de la New Era, l'économiste Irving Fischer envisageait la prospérité comme a permanently high plateau, et le nouveau président croyait pouvoir dire : « Bientôt, avec l'aide de Dieu, le temps sera proche où la pauvreté sera éliminée de la nation. » L'envolée de la Bourse entretenait cet optimisme : de 1928 au plus haut en 1929, l'United Steel montait de 146 à 259, la General Motors de 30 à 90. Toutefois, tandis qu'entre 1923 et 1928 les salaires avaient monté de 100 à 112, l'indice des gains de spéculation passait de 100 à 410. C'était un climat béni pour les intermédiaires : les stockbrokers étaient 70 950 en 1930 contre 29 609 en 1920. La hausse, dans ces conditions, ne suffisait plus, il fallait qu'elle fût en état de constante accélération. L'Europe avait commencé par s'inquiéter de cette atmosphère qui annonçait l'orage, puis, voyant que rien ne survenait, elle avait suivi l'Amérique dans son illusion. J'étais aux États-Unis pendant l'été de 1929 ; pas un interlocuteur ne me disait : « Ça ne peut pas durer comme ça ! »

On sait que la crise éclata subitement, en octobre, comme un orage dans un ciel serein. Il y avait eu quelques mauvaises Bourses au début du mois, mais ce n'était, disait-on, que des dents de scie sans portée dans la cote. Le 20 octobre il devint impossible de ne pas voir la vérité : c'était la crise et même, pour [p. 178] employer un terme boursier désuet qui reprenait tout son sens, le krach : l'United Steel retombait en quelques semaines à 151, la General Motors à 36, mais c'étaient là des cotes qui allaient se retrouver en avril 1932 à 30 et à 11. Il semble cependant – et tel est mon souvenir personnel – qu'on se soit mépris sur la gravité de l'événement : « crise boursière », disait-on. Mais, dès l'instant que la prospérité était faite pour une large part des bénéfices d'une hausse maintenant brisée, il était impossible que la dépression demeurât limitée au Stock Exchange : la structure économique tout entière devait être mise à l'épreuve, avec risque de crise générale dans trois mois.

Il est intéressant d'étudier les réactions spontanées de l'opinion devant cette chose si nouvelle pour toute une génération : on refusait d'y croire. Mauvais citoyen, défaitiste (knocker) que celui qui osait parler de crise ! Toute une propagande se développe donc dans ce sens, orchestrée par les dirigeants : la structure est saine, affirment magnats et présidents, au lieu de vendre par panique profitez plutôt de la baisse pour acheter, car Prosperity is round the corner, au premier tournant, et c'est du reste ce que fait le bon sens américain, Wall Street sells but Main Street buys (Wall Street vend mais Main Street achète). Puis, comme le malaise dure, on cherche à se rassurer par l'affirmation qu'on peut par suggestion créer un état d'esprit générateur de reprise : « 90 p. cent du marasme vient de la peur », dit le président Hoover. En juin 1930, un éditorial du journal de Middletown intitulé « Libérons-nous », affirme que toute cette histoire de crise est surtout affaire mentale : « Si demain chacun de nous se réveillait avec la résolution de dénouer le cordon rouge de sa bourse, le premier août au plus tard le pays tout entier pourrait entonner "Les jours heureux sont revenus !" » C'est la phase des comités d'auto-suggestion rappelant notre système Coué, des Buy more clubs, des Confidence weel committees, des Pep committees. D'extraordinaires slogans sont imaginés : Buy now whether you need it or not (achetez tout de suite, que vous en ayez besoin on non), Start your factory going whether you have orders or not (mettez votre usine en marche, que vous ayez ou non des commandes), Spend five dollars a week more (dépensez chaque semaine cinq dollars de plus), Ride in taxis instead of walking (prenez un taxi au lien d'aller à pied), Keep money in circulation (faites circuler l'argent), Eat a steak instead of eggs for breakfast (à la place d'œufs prenez un steak à votre breakfast.). Babbitt porte un [p. 179] Booster club button (on sait que le booster est un optimiste municipal), ce qui est en effet très « Coué », peut-être aussi un peu Christian Science.

Sous ces influences, sous celle aussi d'interventions bancaires, les cours se relèvent légèrement au début de 1930 : l'United Steel remonte à 180, la General Motors à 45. La confiance, qui est ébranlée, n'est pas détruite et l'Europe elle-même refuse d'abandonner l'espoir. Mais bientôt, comme on avait pu le prévoir, la crise, de simplement boursière, devient économique, entraînant une crise de mévente qui se répercute sur tout l'organisme : le chômage apparaît, se généralise, atteint 15 millions de sans-travail, la ruine des valeurs de placement est quasi totale, on assiste à une faillite des débiteurs, à un effondrement du pouvoir d'achat, dont la chute est d'autant plus profonde qu'il avait été escompté à l'avance par les ventes à tempérament. En 1933, à Middletown (ville d'une cinquantaine de mille habitants, dans l'Indiana), on constate par rapport à 1929 une baisse de 67 p. cent sur la valeur de la production manufacturée, de 47 p. cent sur le nombre d'ouvriers employés, de 67 p. cent sur la masse des salaires effectivement payés.

Psychologiquement la chute est lourde, car on tombe de haut. L'après-guerre avait pu légitimement laisser l'illusion que tout était facile, jobs, bénéfices, spéculation, que sans efforts exceptionnels on réussirait toujours, que l'Amérique, God’s own country, bénéficiait par rapport à l'Europe d'un statut privilégié. Or l'Américain passe par l'épreuve d'une sorte de « nuit de Jouffroy » ; selon la légende le philosophe, après une nuit de méditation, se serait rendu compte que sa foi en Dieu était morte, et le matin ses cheveux étaient blancs. Voici que l'homme du nouveau monde, qui s'était cru commercialement immortel, réalise que la crise, la mort peuvent l'atteindre lui aussi, tout comme les autres : dans sa chevelure économique se dessinent quelques fils blancs ! Là aussi il s'agit d'une foi qui s'effondre. L'opinion verse alors dans un pessimisme excessif où nous ne reconnaissons plus notre Amérique. Après avoir cru à une prospérité éternelle on se demande si le marasme finira jamais. Un instinct héréditaire attire les gens vers l'Ouest, mais qu'y trouveront-ils sinon une réplique accentuée de leur malheur : Go West, young man and drown yourself in the Pacific (Allez à l'Ouest, jeune homme, et noyez-vous dans le Pacifique) !

Il est vrai que l'épreuve était terrible et nous nous rendons [p. 180] mal compte à quel point elle a paru catastrophique aux contemporains : c'est par millions que les gens étaient ruinés, que les chômeurs cherchaient en vain du travail ; on vit des employés, des directeurs même qui, ayant perdu leur place, n'en trouvèrent jamais d'autre. L'impression fut si forte que la seconde guerre mondiale n'en produisit même pas de telle. Dans l'histoire des États-Unis, la grande dépression marque une étape aussi importante que 1917 Ou 1941. Ses répercussions, psychologiques, économiques, sociales, politiques ont été immenses.

II


Il y avait eu antérieurement d'autres crises, éventuellement violentes, mais il était entendu que l'individu devait se débrouiller tout seul (Young man, go West !). Ce n'était pas l'affaire de 1'État, mais, s'il s'agissait de secours, de la Charité privée. Tel était l'esprit du président Harding en 1921, du président Hoover en 1929, encore qu'il dût évoluer en instituant la Reconstruction Finance Corporation. L'opinion cependant demandait qu'on fît quelque chose, mais sans bien savoir quoi. On ne constate aucune réaction communiste ou marxiste, malgré la présence cosmopolite ou juive que nous savons, mais plutôt une anarchie de fait : protestation des fermiers contre le paiement des hypothèques, aboutissant à de véritables émeutes ; exodes tragiques et erratiques de chômeurs, souvent dans de vieilles autos... Mais il ne se développe pas d'esprit révolutionnaire, au sens européen. Plutôt un vague esprit anti-capitaliste, en réaction contre la propagande d'antan, s'exprimant dans une littérature hostile aux magnats de la finance ou de l'industrie : La Tragédie de Ford, Les millions de Mellon, Les soixante familles... Une philosophie, à laquelle on n'était pas habitué, nie la gloire du succès, le bonheur fondé sur la fortune (c'est le sujet d'un film : You can't take it with you), l'« Aide-toi, le Ciel t'aidera » des Almanachs de bon conseil.

L'idée se répand d'autre part qu'il s'agit moins d'une crise cyclique, selon la tradition, que d'une crise de fond mettant en cause la structure capitaliste elle-même : on dit Before Crisis, After Crisis, B. C. ou A. C., comme on disait Avant ou Après Jésus-Christ, Av. ou Ap. J.-C. Trois thèses nouvelles, toutes trois pessimistes et contredisant celles de la New Era, concluent [p. 181] que la production est condamnée désormais à toujours dépasser la consommation, que la machine crée le chômage technologique, que le régime bancaire et monétaire américain empêche une saine distribution du pouvoir d'achat. L'ancienne jalousie de l'Ouest contre le crédit monopolisé par Wall Street reparaît. Ainsi, en réaction contre la doctrine du laissez-faire, on incline vers le recours à la puissance publique, qui sera la véritable nouveauté du régime Roosevelt. Le parti démocrate capitalisera ces tendances, interprétées par l'habileté politicienne, mais indépendamment de la politique proprement dite il se développe une extraordinaire floraison de panacées, maintenant oubliées et qui pourtant auront laissé des traces.

Selon la Technocratie, thèse pessimiste et dirigiste, le capitalisme de profit entraîne nécessairement la surproduction et le chômage. Sous la direction d'ingénieurs, une économie technocratique peut résoudre le problème par une rétribution du travail en certificats d'énergie, équivalant à une monnaie fondante. « Prétentieuse ignorance de cranks », dit Lippmann, et cependant c'est un reflet de l'âge des managers.

Le Father Coughlin, le radio priest, dont l’éloquence irlandaise enflamme à la radio chaque dimanche des millions d'auditeurs, soutient que le crédit est la seule source de richesse, qu'il appartient au Peuple seul (avec un grand P), que cet instrument de puissance ne doit pas être abandonné à l'arbitraire des banquiers, qu'il faut donc le nationaliser, de même que la monnaie, pour reconstituer le pouvoir d'achat déficient. Avec les innombrables souscriptions qu'il reçoit, il a fondé à Royal Oak (près de Detroit) la Church of the Virgin of the little flower, dédiée à sainte Thérèse de Lisieux, et il acquiert une immense popularité, car il a touché la corde sensible de la défense du débiteur, de la protestation contre le monopole des puissants. Il faudra que 1'Église, inquiète de cet usage de l'autorité ecclésiastique, lui retire la parole : prêtre discipliné, le radio priest se taira, pour disparaître ensuite dans un oubli profond.

Le Crédit social, selon la doctrine d'un ingénieur anglais, le major Douglas, fort écouté dans certains milieux du nouveau monde, prétend que la société attribue trop d'argent à la production, pas assez à la consommation et que, pour rétablir l'équilibre perpétuellement compromis, il faut distribuer au consommateur un « dividende social ». Si chaque citoyen reçoit un (dividende mensuel (de 25 dollars par exemple) en certificats [p. 182] ayant pouvoir libératoire mais constituant une monnaie fondante devant être dépensée avant la fin du mois, le volume des affaires sera automatiquement accru, ce qui permettra une baisse des prix de revient du fait de la production de masse retrouvée, sans déséquilibre avec la consommation. Le bénéfice réalisé appartient cependant à la collectivité, qui le récupérera en fixant un « juste prix ». La préoccupation est toujours la même, créer un pouvoir d'achat. L'essai de ce programme sera tenté, non aux États-Unis, mais dans la province canadienne de l'Alberta, par le pasteur-politicien Aberhart, sans résultats décisifs, encore qu'en 1953 ses partisans y soient toujours au pouvoir.

Le Townsend Plan, système conçu par le Dr Townsend et qui relève d'une inspiration analogue, est d'une extrême simplicité : toutes les personnes de plus de soixante ans doivent recevoir, à titre de pension, une somme mensuelle de deux cents dollars, mais à condition que ces deux cents dollars soient immédiatement dépensés, faute de quoi ils perdraient à la fin du mois toute valeur. Comment payer cette retraite ? Le docteur, quand la question lui fut posée dans une commission du Congrès, manifesta, paraît-il, quelque impatience : ce n'était pas son affaire, mais celle des législateurs ! Il admit cependant qu'une taxe indirecte sur toutes les transactions fournirait aisément le moyen de financer la proposition. Et c'est tout. L'avantage de la combinaison, c'est que les gens âgés, au lieu de continuer à concurrencer les plus jeunes dans la recherche des emplois, deviendront des consommateurs et d'autant plus qu'ils ne pourront accumuler, en conséquence de quoi les affaires seront stimulées, la consommation relancée.

Qu'était-ce donc que ce docteur Townsend ? Un quelconque docteur californien de Long Beach, faubourg de Los Angeles, que rien dans sa profession n'avait distingué jusqu'alors, un homme âgé, d'allure respectable, très typiquement anglo-saxon avec ses lunettes de professeur, sa correcte petite barbe en pointe d'évangéliste, son regard où la conviction ne s'atténuait d'aucune, non, d'aucune ironie. Rien de l'énergumène, mais ce je ne sais quoi d'inquiétant qui se rencontre parfois chez l'inventeur. Il était venu récemment dans la Californie du Sud beaucoup de gens âgés, retirés sur ces bords heureux avec une petite aisance au temps de la prospérité, et maintenant voici qu'ils étaient ruinés. Le docteur a vu leurs souffrances, il veut les secourir, tout en rendant au pays la prospérité perdue. Partout des Town-[p. 183] send clubs se constituent pour réclamer du Congrès les 200 dollars des « plus de soixante ans ».

Tous ces mouvements, doctrinaires, opportunistes, démagogiques ou simplement naïfs, qui jaillissent d'une même couche souterraine de l'opinion, relèvent d’un même souci, celui de constituer un pouvoir d'achat pour l'opposer, dans un équilibre retrouvé, aux puissances illimitées de la production. Ils relèvent aussi d'un même doute, d'un même pessimisme quant à la possibilité de réaliser ce programme par les simples moyens que, dans son optimisme, la tradition américaine avait jusqu'alors envisagés : dans sa période de rapide croissance d'avant-guerre le pays avait trouvé naturel que la production fût sollicitée par une consommation insatiable ; puis, quand l'immigration avait cessé, Ford avait bien vu que la rationalisation, conjuguée avec une baisse des prix, ouvrirait à l'industrie des débouchés indéfiniment accrus. La crise faisait qu'on ne le croyait plus et, à la vérité, l'Amérique doutait d'elle-même, car ce qu'on réclamait n'était plus dans sa ligne. Cette démagogie au fond inflationniste, œuvre d'inventeurs sociaux généralement primaires, demandait une intervention de la puissance publique : si le pouvoir d'achat n'existe pas, qu'on le crée ; s'il est latent, qu'on le mobilise ; s'il est diffus, qu'on le concentre sur tels points précis où il pourra manifester sa vertu !

De cette atmosphère naît le régime Roosevelt, qui va introduire dans l'économie américaine, et sans doute pour durer, des points de vue entièrement nouveaux.

[p. 184]

1   ...   19   20   21   22   23   24   25   26   ...   37


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət