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1958 tableau des états-unis


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Chapitre 23.

NÉO-PROSPÉRITÉ,
DE LA GUERRE
ET DE L'APRÈS-GUERRE



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Dans une tradition séculaire d'optimisme, la crise de 1929 avait surgi comme un avertissement, le signe sur le mur. À ce moment, l'Amérique avait douté d'elle-même. Pour la première fois dans son histoire elle avait connu la surproduction, ce qui déplaçait le centre de gravité de toutes ses préoccupations : autrefois c'était « toujours produire et produire encore » et voilà qu'il fallait se soucier de vendre, comme tout le monde. D'où, par crainte du chômage, cette hantise de l'acheteur capable d'absorber et de payer ; d'où encore ce souci de la sécurité, si nouveau et à vrai dire si troublant au pays de l'entreprise et de la confiance. Cette dépression morale, correspondant à la dépression économique, allait-elle marquer le caractère américain de traits destinés à durer ? La réponse est double : si l'Amérique a retrouvé du fait de la guerre – cause ou bien coïncidence – sa prospérité de base ancienne, la crise n'est pas oubliée ; l'optimisme récupéré n'a plus la pleine et ingénue assurance d'antan.


I


Ce que la guerre a rendu, par contraste avec le marasme chronique de la grande dépression, c'est l'atmosphère de la prospérité, avec cette psychologie de la prospérité qui en est inséparable. En reprenant, après cinq ans d'absence, contact avec les États-Unis en avril 1945, c'est cela, oui cela surtout, qui m'a [p. 197] frappé, dans une impression simple et directe qui ne pouvait pas tromper. Je retrouvais une Amérique que j'avais déjà connue, non pas celle de 1935 ou de 1939, mais celle de 1925 : c'était bien authentiquement l'atmosphère coolidgienne, légendaire, d'une société déchaînée dans l'euphorie de la production, soulevée par une sorte de puissante marée. On avait secoué le poids d'une longue épreuve et le pays redevenait lui-même, conforme au type que nous nous étions accoutumés à lui attribuer : activité prodigieuse, rythme rapide, réalisations se dépassant continuellement elles-mêmes. Je me demande s'il est même possible d'évoquer par la plume cette température spéciale ? Il faut avoir respiré cet air d'un autre monde, et quelle mélancolie pour un européen dans la comparaison !

Au printemps de 1945, la guerre continue encore, mais la victoire est acquise. Quels sont à ce moment les signes distinctifs de cette extraordinaire reprise ? De 1939 à 1944, la guerre a stimulé de splendide façon l'économie américaine, contrainte par les circonstances à intensifier sa production dans « une mesure qu'aucune imagination n'eût pu prévoir : le volume des biens et services produits a augmenté de 50 p. cent, celui des matières premières de 60 p. cent, celui des articles manufacturés a triplé ; l'agriculture a augmenté sa production d'un tiers, le potentiel industriel s'est accru de 40 à 45 p. cent ; la mobilisation économique et militaire a absorbé sans peine 9 000 000 de chômeurs. De cette production hypertrophiée, 40 p. cent vont à l'armement, 50 p. cent à la consommation civile, 10 p. cent aux investissements et aux exportations, car l'Amérique joue vis-à-vis de ses alliés le rôle d'un fournisseur efficace et indispensable. En dépit de cet effort immense de production, les biens de consommation, quoique abondants, ne sont mis à la disposition des civils que sous la réserve d'un rationnement : d'où la demande intense qui s'est fait jour lors de la paix.

Il faut dire que cette activité, poussée au maximum, est universellement rétribuée et profitable. C'est vraiment le « plein emploi », dont on avait la nostalgie au temps du chômage : tout le monde reçoit un salaire et bénéficie de ce fait d'un pouvoir d'achat prêt à laisser tomber sur le pays une manne bienfaisante. Toutefois, dans ce système où la liberté subsiste encore que dirigée, les demandes de la consommation civile sont contrôlées et contenues avec une admirable rigueur. L'impôt éponge inexorablement l'excédent de pouvoir d'achat qui se reforme sans [p. 198] cesse : pour 10 000 dollars de revenus l'income tax est de 2 875 dollars, pour 20 000 il est de 8 290, pour 100 000 de 76 000. Tout est donc canalisé vers les besoins de la lutte et, dans ces conditions, la préoccupation du débouché n'existe plus, ce qui est bien dans la bonne tradition du XIXe siècle. Mais, en raison de la mobilisation massive de millions d'hommes, la main-d’œuvre manque, on en réclame de tous côtés et l'angoisse du chômage cesse de sévir. Là encore c'est l'atmosphère des booms qui se retrouve : il faut mécaniser, mécaniser à outrance pour remplacer les bras qui manquent et il faut aussi tirer de chaque travailleur le maximum de ce qu'il peut rendre, conformément à la tradition classique issue de Taylor. Ainsi la note est technique, non commerciale : le producteur est déchaîné, la guerre apparaît comme une cause magnifique de progrès, je parle naturellement de la guerre qu'on ne fait pas sur son territoire, toute la différence est là ! Le public n'a pu manquer de s'en apercevoir : ces années exceptionnelles lui apparaissent comme réalisant les conditions idéales d'une production libérée de la crainte du chômage et des soucis du débouché, dans laquelle on peut s'abandonner sans réserve à l'ivresse de la vitesse et du mouvement. Dans la mesure où l'on n'était pas au front, compte tenu du fait que les pertes humaines étaient relativement peu nombreuses, on ne peut s'étonner que, dans son souvenir, le peuple des États-Unis associe la guerre au retour de la prospérité. Je sais qu'en suggérant ceci je choque les Américains, mais c'est vrai.

Le retour de la paix peut apparaître comme une menace, car peut-on raisonnablement espérer que ces conditions exceptionnelles se maintiennent ? C'est cependant ce que souhaite l'opinion. L'industriel réclame le retour à la liberté, mais il voudrait quand même conserver d'aussi amples débouchés que lorsque l'État commandait, prenait et payait sans compter. Si son marché intérieur, qu'il considère comme une chasse gardée, venait à être menacé d'envahissement, son protectionnisme éternel reparaîtrait aussitôt, mais, attention ! les solutions qu'instinctivement il recherche ne sont pas celles de la paresse et l'on va assister de sa part au plus magnifique effort d'adaptation.

L'ouvrier, l'employé tiennent surtout quant à eux à la continuation du plein emploi, cette doctrine d'économistes passée maintenant dans le domaine de l'imagination et de la passion populaires. Il va de soi que ce plein emploi doit comporter le maintien d'un taux de salaires tel que, quelles que soient les [p. 199] heures de travail, la feuille de paie demeure la même qu'auparavant : c'est, sous cette forme nouvelle, le vieux « droit au travail », équivalant à la revendication du maintien d'un niveau de vie. Il est entendu également que la main-d’œuvre d'appoint, exceptionnellement recrutée pour les besoins de la guerre, compte bien désormais conserver un emploi : on appellera chômage le licenciement d'une foule de ces travailleurs d'occasion qui naguère fussent tranquillement demeurés chez eux. Il faut maintenant plus d'argent pour vivre, soit parce que les prix ont monté, soit parce qu'on s'est accoutumé à gagner. On pense aussi au chômage, dont une expérience encore récente et non oubliée a révélé l'amertume. La crise a laissé comme un legs un besoin de sécurité que l'Amérique optimiste du passé n'avait pas éprouvé. Jobs, security, ces expressions reviennent sans cesse dans la conversation : elles sont significatives d'un changement dans les préoccupations, dans l'attitude politique aussi. Il n'est question ni de révolution, ni de nationalisations, ni même d'étatisme, mais l'idée s'est établie qu'il faut à tout prix assurer le full employment et que, si l'industrie privée n'y réussit pas, l’État devra y veiller. L'expérience de la guerre paraît avoir persuadé le public que le gouvernement peut beaucoup à cet égard et qu'il serait impardonnable de ne pas essayer de maintenir dans la paix le rythme d'activité économique qu'on avait atteint dans la guerre.

On voit à quel point le souvenir de la grande dépression demeure présent et détermine les réactions de l'opinion : tous les plus de 25 ans en ont souffert et redoutent obscurément son retour. Ils se rappellent aussi le New Deal et Roosevelt et sa promesse de ne pas abandonner le chômeur, de ne pas se laver les mains à la Ponce Pilate quand le peuple serait malheureux. Une page a décidément été tournée dans la politique américaine : une attitude gouvernementale de laisser-faire apparaît désormais inadmissible à la masse. L'attachement affirmé du président Truman à la free enterprise n'empêche donc pas que, continuateur du programme rooseveltien, il croit devoir promettre qu'en présence d'une crise éventuelle et du chômage qui en serait la conséquence, l'État ferait tout en son pouvoir pour garantir le plein emploi.

En dépit de l'optimisme restauré par la guerre et la victoire, l'Amérique croit donc à la possibilité, à la vraisemblance d'une crise. C'est du reste l'avis à peu près unanime des experts, qui n'estiment pas que la reconversion, c'est-à-dire la réadap-[p. 200] tation de l'économie à un équilibre de paix, puisse se réaliser sans de pénibles rajustements. Pour une fois, les Américains doutaient de l'Amérique, mais cette fois ils avaient tort.

II


Les prévisions des économistes, les craintes du public ne se sont pas matérialisées et, pendant l'immédiat après-guerre, aucune crise ne s'est produite. Bien au contraire, la paix retrouvée a entraîné le retour d'une prospérité qui durait toujours, quoique à partir de 1949 avec quelque hésitation, quand, en I950, des menaces de guerre et en fait la guerre elle-même avec l'affaire de Corée ont reparu. D'année en année cette prospérité continuait, s'affermissait, se confirmait, à l'étonnement des observateurs, guettant les signes d'orage et s'émerveillant de ne pas les voir poindre à l'horizon. La production industrielle avait repris dans toutes les branches, battant continuellement ses propres records, et cependant le déséquilibre toujours redouté de la consommation ne se produisait pas. Des Cassandres déclaraient la situation malsaine, par l'excès même de cette euphorie qui ne se fatiguait pas, mais la continuation de la prospérité démentait leurs craintes. On n'avait pas retrouvé sans doute la belle, l'inconsciente sécurité de 1925, mais on était bien obligé de constater que les jours heureux du plus beau passé avaient été retrouvés et continuaient.

Ce retour et cette persistance de la prospérité s'expliquent en somme aisément. Pendant les années de guerre l'industrie avait travaillé à plein et, dans ces conditions, tous ceux qui n'étaient pas mobilisés dans l'armée avaient touché d'importants salaires. Mais, du fait des restrictions, ces salaires ne pouvaient se dépenser intégralement pour les besoins d'une consommation artificiellement réduite (encore que celle-ci eût paru pléthore à la misère européenne), de telle sorte que d'énormes dépôts en banque s'étaient constitués, par le fait d'une épargne qui, pour n'être pas spontanée, n'en était pas moins effective. Il est naturel que ces dépôts, auxquels s'adjoignaient de nouveaux salaires, aient alimenté la consommation de l'immédiat après-guerre, consommation qui était d'autant plus insatiable qu'elle avait été plus longtemps comprimée. Les besoins de maisons, d'ustensiles ménagers, d'appareils de radio, d'automobiles se révélaient pratiquement sans limites et la clientèle manifestait sans la [p. 201] moindre peine la possession de tout le pouvoir d'achat nécessaire pour y faire face. En 1949, un certain flottement se faisait sentir, et déjà le spectre de la crise semblait surgir à l'horizon, mais à ce moment, retrouvant la plus nationale des ses traditions, l'économie américaine reprenait à plein la pratique des ventes à tempérament, ce qui rendait aux affaires une nouvelle impulsion que la reprise du réarmement allait bientôt accélérer. Dix années s'étaient maintenant écoulées depuis les heures sombres de la dépression : si le souvenir n'en était pas effacé, du moins la hantise quotidienne tendait-elle à s'en atténuer ; une nouvelle génération apparaissait ne connaissant la crise – ce qui ne compte pas – que par les récits des parents. L'idée renaissait d'un continent malgré tout privilégié, auquel les lois d'airain de la vieille humanité euro-asiatique ne s'appliquent pas. On revenait à la conception, au fond isolationniste, d'un marché national susceptible d'une absorption pratiquement illimitée, et peut-être ne se trompait-on pas.

Que serait-il arrivé, à cette étape de la conjoncture, si, l'atmosphère de la paix s'établissant pour de bon, l'économie avait dû y adapter son équilibre, la suite des événements ne nous a pas permis de l'imaginer. Ce que nous savons par contre, c'est qu'en janvier 1950 la révélation d'une trahison, celle de l'Allemand Fuchs, employé aux recherches nucléaires les plus secrètes, apprenait à l'Amérique que la bombe atomique n'était probablement plus pour elle un monopole : le réarmement, sous sa forme massive, allait, je crois, partir de là. Mais, dès le mois de juin de cette même année, la guerre de Corée venait, de façon tout à fait inattendue, reproduire les conditions qui, pendant les cinq années de la seconde guerre mondiale, avaient suscité une activité industrielle sans précédent. Ainsi, aux possibilités d'expansion de la paix, qui malgré tout continuait, s'ajoutaient celles de la guerre froide, cependant que les progrès techniques de la production permettaient de mettre à la disposition de la clientèle une quantité toujours croissante de produits, à des prix abordables pour le consommateur. Parallèlement à cette impulsion, le Plan Marshall jouait à la façon d'une prime à l'exportation, servant en somme de garantie contre le chômage en disposant, sous la forme d'une sorte de dumping, d'un excédent possible de production. Enfin le pouvoir d'achat de la masse bénéficiait encore d'un autre soutien, celui du Fair Deal du président Truman, suite du New Deal du président Roosevelt et relevant [p. 202] comme lui de la nouvelle attitude adoptée depuis la crise par le parti démocrate : déficits budgétaires keynésiens, primes largement dispensées à l'agriculture, aux anciens combattants, à toutes sortes de bénéficiaires. Les observateurs recouraient à toutes ces explications pour justifier la persistance, malgré tout considérée comme un peu paradoxale, d'une prospérité qui ne faiblissait pas.

La fin de la guerre de Corée en 1953 pose de nouveau le même problème qu'en 1945 : maintenir dans la paix le niveau d'activité auquel on s'était élevé dans l'excitation et le tumulte de la guerre. En dépit de l'euphorie qu'il suscite, « cet état fiévreux que la santé ne peut imiter », dont parle Pascal, peut-il se confirmer dans le cadre d'une vie redevenue normale ? La question se peut d'autant moins éluder que l'on s'est accoutumé à un rythme de progression dans la prospérité dont le moindre ralentissement s'interprète comme le signe d'une crise.

À la vérité, l'économie américaine d'après-guerre, avant comme après la Corée, est travaillée de deux tendances contradictoires, dont le double jeu a pour effet de lui conférer une sorte d'équilibre, même s'il ne s'agit en somme que d'un équilibre de mouvement. Il y a d'une part une influence inflationniste persistante, qui résulte non seulement du réarmement, mais également d'une politique sociale, issue du Rooseveltisme, dont aucun parti au pouvoir ne pourra désormais se dissocier tout à fait. Le parti républicain se défend de vouloir faire de l'inflation et vise à établir des budgets équilibrés, voyant dans cet équilibre un facteur de confiance qui entraînera des initiatives privées de nature à fournir des emplois. Selon sa doctrine, l'État ne doit intervenir que dans la mesure où il sera constaté que cette conception ne joue pas (ce faisant, il n'agirait évidemment qu'à contre-cœur). Les démocrates au contraire estiment l'équilibre budgétaire secondaire et ils visent avant tout au plein emploi. En sens contraire on aurait tort de méconnaître la portée, essentiellement déflationniste, d'un progrès industriel admirable qui, en réduisant les coûts de revient, fait baisser les prix des articles offerts à la consommation. Pareil effort, inspiré des leçons de Ford, contient d'immenses virtualités de développement économique, pour le temps de paix plus encore que pour le temps de guerre ; s'il n'aboutit pas nécessairement à une diminution globale des prix, il freine cependant la hausse qu'une inflation latente tend sans cesse à leur imprimer.

[p. 203]


Le niveau de vie américain, dans ces conditions, cesse d'apparaître malsain ou même anormal, et l'on s'explique même que l'opinion en attende l'amélioration de toutes les circonstances quelles qu'elles soient, qu'il s'agisse de la paix, du réarmement, de la guerre elle-même. Le New York Times du 16 décembre 1950 écrit :

L'Américain moyen est un natif des États-Unis, de race blanche, de 30 ans d'âge environ, ayant une femme et deux enfants, demeurant dans une zone urbaine et dans une maison, généralement hypothéquée, lui appartenant. Il possède une auto, un réfrigérateur, une radio, le téléphone et ses enfants lui réclameront vraisemblablement la télévision pour Noël. Son revenu est d'environ 3 000 dollars.

Selon la Kiplinger Letter du 21 décembre 1951, 51 p. cent des Américains sont propriétaires de leur home, et 94 p. cent de ces homes ont l'électricité, 94 p. cent un poste de radio, cependant que 21 p. cent des maisons sont neuves, ayant été bâties depuis moins de dix ans. Il y a aux États-Unis, en 1952, 52 000 000 d'autos, ce qui signifie qu'en fait chaque ménage en possède une. Depuis 1929 le revenu de chaque Américain s'est accru de 50 p. cent.

Le maintien de cette prospérité est lié au maintien de l'emploi, du plein emploi, qui dépend lui-même de la capacité d'absorption du marché national, sur lequel on compte avant tout, comme on le faisait au lendemain de la première guerre mondiale. Les Européens, pessimistes et qui méconnaissent l'étonnante élasticité de cette économie, croient généralement la surproduction inévitable et c'est aussi l'idée, l'espoir de l’U.R.S.S. Peut-être se trompe-t-on ? Le progrès des prix de revient industriels, se répercutant sur les prix de vente, peut reculer quasi indéfiniment la limite de saturation du pouvoir d'achat. Mieux que nous l'Amérique a compris ce mot magnifique de Ford : « Le progrès n'est pas une frontière déterminée qu'il s'agit de franchir, c'est une attitude, une atmosphère. » Ces raisons militent en faveur du maintien de la prospérité, mais on ne saurait méconnaître que l'opinion américaine se fait, soit de la prospérité, soit de la crise, une conception particulière qui ébranle les raisonnements ordinaires. Les Américains s'habituent régulièrement au niveau d'activité économique le plus élevé, quelque exceptionnelles que soient les circonstances ayant permis d'y parvenir, avec un rythme de progression battant constamment [p. 204] ses propres records : ils appellent ensuite crise, ou plus modestement recession, tout ce qui s'établit en retrait, même si cette position de retrait est encore absolument satisfaisante. Par-dessus le marché, dès que le courant se renverse, on voit le facteur psychologique prendre le dessus, comme après 1929, ce qui est grave, car l'Uncle Sam est loin d'avoir la résistance nerveuse de John Bull. Sans doute a-t-il bien analysé la conjoncture et sait-il que la néo-prospérité d'après 1940 ou d'après 1945 ou encore d'après 1950, ne relève pas malgré tout de conditions qu'on puisse appeler normales : la guerre froide, la guerre de Corée, le réarmement, sans en être la cause unique ou même principale, lui ont cependant apporté un soutien continuellement renouvelé, et la grande dépression, après tout, n'a pris fin vraiment qu'au coup de tonnerre de Pearl Harbour. Il reste à prouver que sans l'administration de ces excitants (ou de tels autres que le gouvernement en cas de crise serait sommé d'appliquer) l'économie américaine peut se soutenir au niveau maximum où ces circonstances, vraiment exceptionnelles, l'ont portée, avec un équipement industriel conçu pour répondre à la marée la plus haute.

La réadaptation à un régime de paix ou de demi-paix moins fiévreux est susceptible de faire baisser la température économique. Rien à cela dont l'organisme américain ne puisse s'accommoder, mais psychologiquement la tendance, comme on dit à la Bourse, n'est plus la même, d'autant plus que, dans la conjoncture mondiale, il y a comme une haute mer qui commence à se retirer. Que l'Amérique puisse se passer économiquement de l'Europe et être prospère seule, nous le verrons plus loin, mais peut-elle se soustraire à un climat s'étendant à la Planète tout entière ?

[p. 205]

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