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1958 tableau des états-unis


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Chapitre 10.

LE FACTEUR RELIGIEUX
DANS LA FORMATION
AMÉRICAINE



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Pour la compréhension d'un peuple, son attitude à l'égard du Divin est toujours importante. Ici elle est essentielle. Il faut, dans l'Occident chrétien, distinguer trois conceptions religieuses, qui conditionnent le développement spirituel, le comportement social et par conséquent la formation de l'esprit national. Elles sont issues de trois traditions, celles de Luther, de Calvin, de l'Église catholique romaine. À laquelle convient-il de rattacher les États-Unis ?

Aux yeux de Luther les lois de la nature sont foncièrement mauvaises : dans le domaine politique c'est la force qui règne et les règles de l'Évangile sont en conséquence inapplicables dans le monde. Le chrétien s'attachera donc à préserver la pureté de sa vie intérieure, mais dans les démarches de la vie extérieure il obéira au Prince, dont Dieu a permis, donc légitimé l'existence de fait. La conception, du point de vue de la terre, est pessimiste, mais elle aboutit à un idéalisme spirituel exempt de compromission.

La tradition calviniste au contraire n'admet pas qu'il puisse y avoir deux attitudes morales, l'une de protestation spirituelle, l'autre de soumission politique, car l'idéal chrétien doit s'appliquer dans le monde et pas seulement dans l'intimité de la vie de l'âme. Régénéré par la grâce, l'élu collaborera donc à l'œuvre divine sur terre, ce qui veut dire qu'il entreprendra de moraliser la société et l'État. Le salut ne résulte pas des œuvres, [p. 82] mais celui qui aura reçu gratuitement la grâce devra en témoigner en agissant conformément à la loi divine : ce sera donc un homme d'action, tirant de sa foi un optimisme agissant, car le Royaume de Dieu peut être réalisé sur la terre.

Du point de vue catholique enfin l'Église constitue, dans ce monde mauvais, une société spirituelle distincte. L'individu, en tant que personnalité spirituelle, ne vit que par cette famille particulière, en fonction de cette Église qui, bien qu'existant sur cette terre, ne vit pas pour elle et dont les bienfaits se confèrent par le sacrement, par l'entremise du clergé qui en est le seul dispensateur. L'intérêt principal n'est pas ici-bas, mais sous cette réserve la conception est optimiste.

Disons tout de suite que l'Américain est fondamentalement protestant, de formation calviniste. L'observation est essentielle pour la compréhension de la société américaine. Il y a d'importantes minorités luthériennes et catholiques, mais elles ne sont pas typiques et l'on peut même dire que l'élément catholique n'est pas dans l'axe national.


I


Dans la formation religieuse du peuple américain il est possible de distinguer trois phases d'évolution :

La source initiale, celle dont la marque est demeurée la plus forte, provient des puritains anglais du XVIIe siècle : non-conformistes ayant refusé de se soumettre à l’Église établie, protestants authentiques, de foi calviniste, de constitution presbytérienne. Conformément à cette tradition leur christianisme est un christianisme d'élus, comportant le devoir missionnaire d'une élite (au sens étymologique) chargée d'améliorer le monde : dans cette conjonction de la vie religieuse et de la vie pratique il n'est pas question de se retirer en soi-même, et Dieu bénira les affaires de celui qui le sert. L'attitude américaine s'est toujours ressentie de l'élan moral que lui a imprimée cette conviction des premiers colons : aujourd'hui comme hier tout protestant américain est un évangéliste, qu'il s'appelle Billy Sunday le revivaliste ou Eisenhower, qu'il soit le missionnaire de la vérité biblique, de l'American way of life ou du progrès technique. Ne pas discerner dans cet apostolat social la source religieuse serait en méconnaître le véritable caractère, d'autant plus que, [p. 83] dans cette transposition du spirituel au social, il n'y a rien qui contredise la foi, la loi morale conduisant naturellement au succès matériel.

Le puritain de la Nouvelle-Angleterre était un ascète, considérant comme coupables les joies de la vie : il enseignait que l'homme est pécheur, seulement préservé de la damnation par la grâce. Mais il lui fallait coloniser et mettre en valeur un continent, ce qui nécessitait les vertus de l'action et non celles de la contemplation, de sorte que, dans l'atmosphère du nouveau monde et de la démocratie, le siècle des lumières a trouvé le milieu idéal pour le développement d'un optimisme qui est devenu l'un des traits essentiels de la psychologie américaine. Rousseau traverse l'Océan pour trouver une société où son influence, qui y dure toujours, s'exercera avec plus de force qu'en Europe : Franklin, Jefferson, et avec eux la plupart de leurs concitoyens, croient que les hommes, libérés des conditions sociales injustes de l'ancien régime, se conduiront sagement et vertueusement. Cette transposition curieuse du puritanisme en pragmatisme produit une combinaison dont la remarquable efficacité caractérise encore aujourd'hui l'esprit américain : l'énergie ascétique du puritain, bien loin d'être incompatible avec les réalisations sociales, les sert au contraire admirablement, cependant que la discipline consentie des communautés presbytériennes, habituées à s'administrer elles-mêmes, constitue la meilleure éducation de civisme et de démocratie. Il n'y aura jamais aux États-Unis d'opposition entre le protestantisme et la société civile, parce que des deux côtés l'esprit est laïque (nous verrons qu'on ne peut en dire autant de l'Église catholique).

Au XIXe siècle – troisième phase d'une longue évolution – on tente de jeter un pont entre la tradition du XVIIe et celle du XVIIIe. Il y a glissement du puritanisme ascétique à l'acceptation des biens de la terre, du péché originel à la croyance en la bonté naturelle de l'homme : né pessimiste et calviniste, voilà l'Américain devenu optimiste et rousseauiste ! La doctrine s'adapte en conséquence : on continue d'enseigner que l'homme est né mauvais, mais, dès l'instant que régénéré il devient bon, on affirme en pleine bonne foi la confiance en son énergie, ses possibilités, sa puissance. Le Diable insinue aux États-Unis la dangereuse tentation du succès. Travailler pour la production, n'est-ce pas travailler pour Dieu ? Le quiétisme, le mysticisme, [p. 84] la contemplation ne sont pas condamnés en tant que tels, mais au fond on les désapprouve. C'est surtout l'action qui est recommandée comme saine, presque comme sainte. L'expérience des choses ne va pas toujours dans ce sens, mais au réalisme d'un La Rochefoucauld on préfère cet optimisme dangereux qui prétend réconcilier le succès et la morale.

Il importe de souligner que ce protestantisme n'est pas à proprement parler une Église, au sens où l'entendent les catholiques, mais une religion démocratique d'individus, dans l'esprit non des Églises établies mais du non-conformisme. L'individu y est responsable devant sa conscience, sans intermédiaire entre Dieu et lui. Le sacrement, qui est celui de Zwingle, de Calvin, éventuellement de Luther, n'est pas le sacrement catholique, ce qui signifie qu'il n'entraîne pas l'existence d'un clergé, dans l'acception stricte du terme. La conception d'un clergé sacramentel et hiérarchique est étrangère à l'esprit américain, qui la considérerait même avec une sorte de méfiance comme unamerican. Le pasteur tient autant du tribun que du prêtre. Dans ces conditions la religion peut pénétrer toute la vie, sociale et même politique, d'une présence insistante sans que le caractère laïque de la société soit mis en cause. Il y a séparation constitutionnelle des Églises et de l'État, mais nullement de la religion et de la société, ce qui explique la place énorme tenue par le protestantisme dans une nation qui se veut protestante.

II


L'effectif total des Américains déclarant appartenir à une Église, quelle qu'elle soit, s'élève en 1951, d'après le Year Book of American Churches, à 88 673 000, soit 58 p. cent de la population. Le chiffre correspond à 252 religions ou dénominations diverses (religious bodies) et à 252 592 lieux de culte. Dans cet ensemble les protestants figurent pour 52 162 000, soit 59 p. cent, les catholiques pour 29 242 000, soit 32 p. cent. Le pourcentage des affiliés, encore qu'il soit en progrès, paraît faible, mais il y a plus d'indifférence que d'hostilité et, si le sentiment anticatholique se fait parfois violent, il n'y a guère d'affirmations antireligieuses : d'une enquête faite par le Catholic Digest sur l'étendue de la croyance en Dieu, il ressortirait que 87 p. cent des protestants comme des catholiques y croient absolutely sure, 10 p. cent fairly [p. 85] sure, 2 p. cent not quite sure et qu'il n'y aurait en conséquence que 1 p. cent d'athées, les proportions étant à peu près les mêmes de part et d'autre. D'après la même enquête, 25 p. cent des protestants suivraient assidûment le culte, 43 p. cent irrégulièrement tandis que 32 p. cent n'y paraîtraient jamais, les proportions pour les catholiques étant respectivement de 62, 20 et 18 p. cent. Il convient d'observer ici que la position donnée pour la force relative des deux Églises est trompeuse : les statistiques ne s'appliquent qu'aux affiliés, mais les non-affiliés sont la plupart de formation protestante, de sorte qu'on peut conclure qu'en dépit d'une forte minorité catholique le peuple américain est essentiellement protestant, sans doute dans la proportion des quatre cinquièmes.

Il y a 250 dénominations protestantes enregistrées, dont 97 p. cent relèvent de 50 d'entre elles et 80 p. cent de huit Églises principales ; les sectes repérées ne correspondent qu'à 3 p. cent du total, mais celles qui ne l'ont pas été sont innombrables. Du point de vue protestant, cette diffusion, dans la mesure où elle ne verse pas dans des excès ridicules, n'a rien de malsain, étant dans l'esprit même de la Réforme, et les mouvements d'union ou de groupement qu'on constate actuellement ne sont pas sûrement le signe d'une foi grandissante. En réalité, les dénominations qui comptent vraiment ne sont qu'au nombre d'une dizaine : baptistes 16 728 000, méthodistes 11 387 000, luthériens 5 607 000, presbytériens 3 393 000, épiscopaux (anglicans) 2 417 000, disciples 1 793 000, congrégationalistes 1 241 000, Church of Christ 1 000 000... Ce ne sont cependant là que des groupements, car il y a 22 variétés de baptistes, 21 variétés de méthodistes, 20 variétés de luthériens, 10 variétés de presbytériens, mais il s'agit de familles religieuses bien caractérisées. On notera le peu d'importance relative des épiscopaux et des luthériens, qui représentent une double influence anglaise et allemande : l'ensemble est nettement d'esprit non-conformiste, les grands nombres étant baptistes et méthodistes, mais les presbytériens, les congrégationalistes représentant une valeur qualitative de premier ordre. Les Nègres sont surtout baptistes et méthodistes.

En dehors des Églises se rattachant à la Réforme, les catholiques sont 29 242 000, les Juifs 5 000 000, les orthodoxes grecs 1 859 000, les catholiques dissidents 337 000, les bouddhistes 73 000. La seule minorité vraiment importante (en dehors des [p. 86] Juifs) est celle des catholiques. C'est une minorité compacte, disciplinée, en accroissement numérique constant, ce qui, dans l'équilibre moral et politique du pays, pose un problème délicat, susceptible de s'envenimer à tout instant. Contrairement à ce qu'on croit d'ordinaire, le progrès des catholiques par rapport aux protestants n'est pas évident : entre 1926 et 1951 ils se sont accrus numériquement de 57 p. cent, mais le chiffre correspondant pour les protestants est de 65 p. cent ; par rapport à l'ensemble de la population ils sont 19 p. cent, contre 16 p. cent en 1926, les protestants étant 33 p. cent, contre 27 p. cent en 1926. Les conversions au catholicisme sont spectaculaires et une publicité conforme aux meilleures méthodes américaines ne les laisse pas ignorer, mais en fin de compte le pays n'est pas en train de devenir catholique.

III


La répartition géographique des églises est instructive. Les protestants, issus de la première et de la seconde immigration, se trouvent surtout dans l'intérieur des États de l'Est, dans le Sud, le Centre-Ouest, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, dans la Californie du Sud et les deux États de l'Extrême Nord-Ouest, en somme partout sans exception. Les groupes issus des puritains originels, presbytériens, congrégationalistes, unitariens, se trouvent de préférence en Nouvelle-Angleterre ; les quakers en Pennsylvanie ; les baptistes dans le Sud, mais aussi dans la Nouvelle-Angleterre ; les méthodistes surtout dans le Centre-Ouest, le Sud, la Nouvelle-Angleterre ; les luthériens, Allemands ou Scandinaves, dans le Centre-Ouest (Ohio, Illinois, Wisconsin) ainsi que dans le Nord-Ouest ; les épiscopaux dans l'Est, la Californie et en général les quartiers élégants des grandes villes. Quant aux catholiques, produits authentiques de la seconde et de la troisième immigration, ils se sont principalement accumulés dans les grandes agglomérations urbaines de la côte Atlantique, du Centre-Ouest, de San Francisco, cependant que les populations catholiques de la Louisiane et de l'extrême Sud-Ouest sont respectivement d'origine française, espagnole ou mexicaine.

Non moins significative est la répartition selon les classes sociales. À l'étage supérieur, il y a le groupe des presbytériens, congrégationalistes, unitariens, et celui de l'Église épiscopale. Le premier, dans l'Est et en particulier en Nouvelle-Angleterre, [p. 87] se recrute dans les vieilles familles de richesse ancienne, dans les milieux cultivés, dans une bonne société assez fermée, dont le prestige mondain est du meilleur aloi. Les épiscopaux se rencontrent dans les milieux riches, snobs, un peu anglomanes des grandes villes, non sans être quelque peu envahis de parvenus cherchant à se pousser socialement ; un juif converti se fera volontiers anglican. À l'étage social moyen se rencontrent surtout les méthodistes, Église puissante, politiquement influente, ayant perdu son caractère ancien de secte dissidente pour abriter une masse, confortable et satisfaite, de gens arrivés ou en voie de réussir, éducateurs, pasteurs, hommes d'affaires. Enfin, à l'étage de la petite classe moyenne ou du peuple (dans la mesure où ce mot a un sens aux États-Unis), figurent les baptistes, les catholiques, les membres des sectes. Initialement recrutés parmi les Irlandais, les Italiens, les continentaux européens de la troisième vague d'immigrants, les catholiques n'ont représenté longtemps que les milieux les plus inférieurs, ceux que les protestants antérieurement établis ne considéraient qu'avec condescendance, mais en raison du progrès récent des éléments immigrés ce n'est plus aussi vrai, surtout depuis que des membres de l'élite mondaine se sont convertis. Quant aux sectes, c'est dans les milieux du petit peuple qu'elles prospèrent, exactement comme chez nous dans le Midi de la France : les gens moins fortunés, d'étroite tradition biblique, y trouvent une diversion.

La lecture du Who is Who est à cet égard fort instructive, en tant qu'expressive d'une hiérarchie sociale, presque de caste, curieusement liée à l'affiliation religieuse, dans un pays par ailleurs passionnément égalitaire. La rigueur des distinctions tend sans doute à se relâcher, mais entre les deux guerres il ressortait de l'annuaire que, sur 100 personnes y figurant et déclarant appartenir à une Église, il y avait 21 anglicans-épiscopaux, 21 presbytériens, 14 méthodistes, 11 congrégationalistes, mais seulement 9 baptistes et 5 catholiques. Si j'avais à rédiger un guide de l'attitude religieuse à choisir pour se pousser dans le monde aux États-Unis, je constaterais qu'un presbytérien n'a aucune raison de se faire anglican, mais qu'un méthodiste enrichi ou quelque grand juif n'aura pas tort d'y songer ; j'aurais dit, il y a trente ans, qu'il n'y avait jamais aucun avantage social à se faire catholique, mais je ne le dirais plus aujourd'hui, l'expérience prouvant que c'est maintenant possible sans grave dommage mondain.

[p. 88]

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