Ana səhifə

André Durand présente l’intérêt documentaire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


Yüklə 0.73 Mb.
səhifə2/9
tarix24.06.2016
ölçüsü0.73 Mb.
1   2   3   4   5   6   7   8   9

Ce riche bourgeois, qui n’avait pas à compter, se permit de mépriser l’attention tout à fait légitime que les employés portent à l’argent. Au sujet de Françoise, il ménagea cette flèche : « On distinguait sur son visage l’amour désintéressé de l’humanité, le respect attendri pour les hautes classes qu’exaltait dans les meilleures régions de son cœur l’espoir des étrennes » (I, page 53). À Balbec, il remarqua que le « lift » montra un « air d'abattement et d'inquiétude » causé par l’absence du pourboire habituel (II, pages 825-826) et, à cette occasion, il se lança dans un exposé sur l’attitude du personnel de l'hôtel face à l'argent (II, page 827). Il nota aussi qu’un garçon de café servait un groupe d’homosexuels voyants « avec une politesse sous laquelle couve l’indignation » et « aurait plaisir à aller chercher la police s’il n’avait avantage à empocher les pourboires. » (II, page 619). Ce fut avec beaucoup de hauteur qu’il considéra Morel, « le fils, inconnu de moi, de l’ancien valet de chambre de mon grand-oncle » qui « tint à couper le câble avec la domesticité d’où il sortait, en m’apprenant avec un sourire qu’il était premier prix du Conservatoire » (II, page 264), qu’il avait donc plus de valeur qu’il n’en avait lui-même.
Pourtant, Marcel n’appartenait qu’à la petite bourgeoisie dans laquelle le plaça le baron de Charlus (II, page 286), que Proust voyait comme un « milieu immobile » (II, page 376). C’était bien la classe sociale du père de Marcel, qui était directeur dans un ministère (qui devait être celui des affaires étrangères puisque, apparemment, il collaborait avec le diplomate Norpois, faisant même avec lui un voyage en Espagne [I, page 701], souhaitant qu’il l’aidât à se présenter à l’Institut [II, page 225]), de M. Bontemps (directeur du cabinet du ministre des travaux publics), du docteur Cotttard, du professeur Brichot, du peintre Elstir, du musicien Vinteuil, d’Odette qui imposa à Swann ses « relations antérieures » : « d’inélégants fonctionnaires avec des femmes tarées, parure des bals de ministères » (I, page 432), etc.. Les parents de Marcel, dans leur ignorance et leur prétention naïve, considérant Swann simplement comme un bon voisin de campagne, même s’il possédait une propriété à Tansonville, pensaient qu’il en était aussi, et, par ailleurs, voyaient d’un mauvais oeil Marcel rencontrer les Verdurin.
Or Swann et les Verdurin appartenaient à la grande bourgeoisie, qui avait des prétentions intellectuelles (tandis que, pour l'aristocratie, le pédantisme était une faute de goût).

Le juif Swann était un mondain fort lancé et un remarquable connaissseur en matière d’arts, comme allait l’indiquer sa nécrologie : « Parisien dont l’esprit était apprécié de tous, comme la sûreté de ses relations choisies mais fidèles, il sera unanimement regretté, aussi bien dans les milieux artistiques et littéraires, où la finesse avisée de son goût le faisait se plaire et être recherché de tous, qu’au Jockey-Club dont il était l’un des membres les plus anciens et les plus écoutés. Il appartenait aussi au Cercle de l’Union et au Cercle Agricole. Il avait donné depuis peu sa démission de membre du Cercle de la rue Royale. Sa physionomie spirituelle comme sa notoriété marquante ne laissaient pas d’exciter la curiosité du public dans tout ‘’great event’’ de la musique et de la peinture, et notamment aux ‘’vernissages’’, dont il avait été l’habitué fidèle... » (III, pages 199-200). Non seulement il fréquentait les aristocrates du faubourg Saint-Germain, en particulier les Guermantes, mais était même « ami du prince de Galles », était en relation avec l’héritier de la couronne de France, le comte de Paris, en exil en Angleterre (il « avait peut-être dans sa poche une lettre de Twickenham » [I, page 18] ; il « se rappelait les invitations à Twickenham, à Buckingham Palace» [III, page 965]). Son épouse, Odette, put donner des « five o’clock teas » dans son « jardin d’hiver » (I, pages 592-607), tenir un salon.


Il méprisait les Verdurin : « Vraiment ces gens sont sublimes de bourgeoisisme, ils ne doivent pas exister réellement, ils doivent sortir du théâtre de Labiche ! » (I, page 286). Mais, s’ils étaient des bourgeois vulgaires, les Verdurin étaient « excessivement riches » (I, page 188) : pour Cottard, un de leurs « fidèles », ce «ne sont pas des gens chics décatis. Il y a du répondant. On évalue généralement que Mme Verdurin est riche à trente-cinq millions. Vous me parliez de la duchesse de Guermantes. Je vais vous dire la différence : Mme de Verdurin c’est une grande dame, la duchesse de Guermantes est probablement une purée. » (II, pages 880-881). Comme ils se voulaient mécènes mais étaient dépourvus de relations, ils avaient en effet, dans leur maison de la rue Montalivet (c’est-à-dire sur la rive droite) formé un « petit noyau », un « petit clan », de « fidèles », dont on pouvait faire partie en se soumettant à une condition suffisante et nécessaire : adhérer au credo de Madame Verdurin qui classait les réputations intellectuelles ou mondaines selon son bon plaisir et ses possibilités, avait de ridicules prétentions à un raffinement intellectuel (qui n’était qu’un raffinement d'emprunt), s’intéressant à la musique nouvelle (Wagner, Vincent d’Indy, Vinteuil), mais restant traditionnelle en matière de peinture. Or elle« se proposait bien le ‘’monde’’ comme objectif » et élaborait des « plans stratégiques » (I, page 601) pour y parvenir, le passage de la rue Montalivet au quai Conti, en bordure du faubourg Saint-germain, étant significatif. Marcel constata que « les Verdurin commençaient vers le monde une évolution timide, ralentie par l’affaire Dreyfus, accélérée par la musique ‘’nouvelle’’, évolution d’ailleurs démentie par eux, et qu’ils continueraient de démentir jusqu’à ce qu’elle eût abouti. » (II, pages 869-870). D’ailleurs, les gens du monde venaient, dans la demeure de la Raspelière que les Verdurin avaient louée sur la côte normande, voir « une femme dont le salon artistique était célèbre, mais infréquentable à Paris » (II, page 1000). Finalement, « la mère Verdurin », qui n'avait jamais eu accès aux salons du faubourg Saint-Germain, devint princesse de Guermantes, put « se conjoindre » à cette aristocratie vers laquelle les yeux des bourgeois étaient tournés, Proust estimant que « les milieux mondains intermédiaires sont livrés à un mouvement perpétuel d’ascension » (I, page 286).
L’aristocratie : Le tableau qu’en fit Proust, où il entremêla personnages réels et personnages fictifs, faisant pulluler les princes et les princesses, les ducs et les duchesses, les barons, les comtes et les vicomtes, dans un déluge de particules qui fait comprendre que Gide, lecteur chez Gallimard, ait rejeté “Du côté de chez Swann” parce qu’il s’y trouve «trop de duchesses», permet de distinguer la vieille aristocratie, celle de l’Ancien Régime (qui se séparait en une aristocratie parisienne et une aristocratie provinciale [dont la première se moque]) et la nouvelle, née de l’Empire.
À celle-ci appartenaient la princesse Mathilde, le capitaine prince de Borodino et les Iéna. La première, une personne réelle, la fille de Jérôme Bonaparte, était une vieille dame à laquelle Proust avait été présenté, dont il avait fait la conquête et grâce à laquelle il avait fait son entrée dans le « monde », ayant son premier dîner en ville chez elle ; dans ‘’Du côté de chez Swann’’, on voit Mme de Franquetot refuser d’être « exposée à rencontrer la princesse Mathilde - ce que sa famille ultralégitimiste ne lui aurait jamais pardonné » (I, page 329) tandis que les Courvoisier ne voulurent lui faire rencontrer que des « bonapartistes », « une pique-assiette célèbre, veuve d’un ancien préfet de l’Empire, la veuve du directeur des postes et quelques personnes connues pour leur fidélité à Napoléon III, leur bêtise et leur ennui » (II, page 469) ; surtout (preuve supplémentaire du caractère autobiographique d’’’À la recherche du temps perdu’’), les Swann et Marcel la rencontrèrent dans une allée du Bois ; Odette lui dit : « Je vais vous présenter à Son Altesse Impériale » tandis que Swann lui expliqua : « C’est la princesse Mathilde, vous savez, l’amie de Flaubert, de Sainte-Beuve, de Dumas. Songez, c’est la nièce de Napoléon Ier ! Elle a été demandée en mariage par Napoléon III et par l’empereur de Russie.» Elle était « enveloppée dans une toilette Second Empire ». Elle révéla qu’elle avait eu à dîner Musset, qui, cependant, ne desserra pas les dents, étant « ivre-mort » ; qu’elle n’avait pas besoin d’être invitée à « la visite que le tsar Nicolas devait faire le surlendemain aux Invalides » car elle pouvait entrer dans le caveau dont elle avait les clefs. Mme Swann incita Marcel ; « Vous devriez aller écrire votre nom chez elle, un jour de cette semaine ; on ne corne pas de bristol à toutes ces ‘’royautés’’, comme disent les Anglais, mais elle vous invitera si vous vous faites inscrire. »(I, pages 541-544).

Le prince, le colonel de Saint-Loup à Doncières, était, comme il se doit, « impérial » (II, page 73) ; mais lui, que Marcel qualifie de « napoléonide » (II, page 74) dont « le grand-père avait été fait maréchal et prince-duc par l’Empereur, à la famile de qui il s’était ensuite allié par son mariage, puis dont le père avait épousé une cousine de Napoléon III et avait été deux fois ministre après le coup d’État, sentait que malgré cela il n’était pas grand’chose pour Saint-Loup et la société des Guermantes, lesquels à leur tour, comme il ne se plaçait pas au même point de vue qu’eux, ne comptaient guère pour lui. » (II, page 129).



En ce qui concerne les Iéna, on apprend, dans ‘’Un amour de Swann’’, que Basin allait les voir tandis qu’Oriane prétendait ne pas se souvenir de leur nom, disant qu’« ils ont un nom de pont », ce à quoi réagit un général : « Ç’a été d’abord un nom de victoire [...] cette noblesse d’Empire, c’est autre chose bien entendu, mais enfin, pour ce que c’est, c’est très beau dans son genre, ce sont des gens qui en somme se sont batttus en héros. » (I, page 338). Plus loin, Marcel parlant de la princesse d’Iéna à M. de Charlus se vit ainsi rabroué : « Ah ! Monsieur, vous faites allusion ici à un ordre de nomenclature où je n’ai rien à voir. [...] Comme il n’existe pas de princesse de ce nom, j’ai supposé qu’il s’agissait d’une pauvresse couchant sous le pont d’Iéna et qui avait pris pittoresquement le titre de princesse d’Iéna, comme on dit la Panthère des Batignolles ou le Roi de l’Acier. » (II, page 564). Et, plus loin, fut présenté comme un abandon à la facilité ambiante le fait de « recevoir les Iéna » (II, page 619).
La vieille aristocratie, dont Swann put dire : « Tous ces gens-là sont d’une autre race, on n’a pas impunément mille ans de féodalité dans le sang» (II, pages 581-582), se distinguait de l’ensemble de la nation par ses titres, sa fortune, son oisiveté et, surtout, son formalisme. Particulièrement attachés à la pureté de la race, les aristocrates étaient soumise aux « préjugés de naissance » (II, page 109), demeuraient plongés dans le passé par l'histoire de chaque famille (« Les Putbus étaient aux Croisades » [I, page 263]), par le nom, que Proust compara à plusieurs reprises à un beau monument intact. Ils donnaient une grande importance aux généalogies, à l’héraldique. Ainsi, M. de Cambremer parla de ses armes : « Nous portons d’or à trois faces bretèchées et contre-bretèchées de gueules à cinq pièces, chacune chargée d’un trèfle d’or », tandis que ce que Mme Verdurin appelait « cette affaire-là avec ces piquets » étaient celles des Arrachepel « qui n’étaient pas de notre estoc, mais de qui nous avons hérité la maison », qui « portaient d’or à cinq pieux épointés de gueules. » (II, page 963). Ils tenaient à leurs titres : « M. de Charlus répondit à M. Verdurin avec un air de hauteur, je suis aussi duc de Brabant, damoiseau de Montargis, prince d’Oléron, de Carency, de Viareggio et des Dunes » (II, page 942) - il déclara que, « héraldiquement parlant », il avait droit au rang d'Altesse et que l’empereur Guillaume lui donnait « du Monseigneur », illustrant ses prétentions avec des anecdotes historiques (II, pages 946-948). Le prince de Guermantes nous est d'abord décrit comme un « féodal » (II, page 238) infatué de sa noblesse au point de faire asseoir sa femme à sa gauche sous le prétexte que les Guermantes étaient une famille plus ancienne que la maison de Bavière, à laquelle appartenait son épouse. Gardant le souvenir de leurs privilèges, les aristocrates paraissaient presque uniquement préoccupés du rang à tenir, et cela avec un grand souci de la stratégie : « M. de Cambremer, qui était déjà assis, esquissa, en voyant M. de Charlus debout, le mouvement de se lever et de lui donner sa chaise. Cette offre ne correspondait peut-être, dans la pensée du marquis, qu’à une intention de vague politesse, M. de Charlus préféra y attacher la signification d’un devoir que le simple gentilhomme savait qu’il avait à rendre à un prince, et ne crut pas pouvoir mieux établir son droit à cette préséance qu’en la déclinant. » (II, page 943).

« Une certaine liberté d’allures que donne l’éducation aristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas » (II, page 617), une pratique ancestrale du « monde » et des biens de fortune ont fait acquérir aux aristocrates à la fois une fière morgue et une grande subtilité de sens. Aussi, pour Proust, avaient-ils raison d'exclure de leur intimité ceux qui incarnaient le temps présent ; mais ils avaient tort quelquefois, et ils se rendaient ridicules surtout quand ils se mêlaient de professer des idées avancées et de trancher des choses de l'esprit, car ce n’était pas leur domaine. Dans les maisons aristocratiques, la naissance primait dans le choix des invités, d'où l'importance des relations familiales. Les intellectuels sont donc absents (on se demande ce qui valu à Marcel d’y être reçu !) et le principal point faible de l'aristocratie était donc la culture, puisque même Oriane de Guermantes, plus moderne et audacieuse que les autres membres de son groupe social, en était encore en musique à Chopin, mort depuis plus de trente ans, et ne comprenait rien à Wagner. D’ailleurs, pour Rachel, Saint-Loup serait « de naissance, un ennemi de l’intelligence » (I, page 783).

Se voulant évidemment « vieille France », les aristocrates (sauf Mme de Villeparisis ou Saint-Loup) appartenaient à ce que Mme Verdurin appelait « la Réaction », manifestaient aussi leur conservatisme par leur fidélité à la prononciation et au vocabulaire anciens (III, page 37), à la politesse mondaine qui fit que, quand Marcel, en contemplation devant les tableaux d’Elstir, oublia l’heure, nul n’eut l’air, quand il revint au salon, d’avoir attendu, et qu’à la fin de la réception les Guermantes usèrent avec lui d’« un luxe de paroles charmantes, d’actions gentilles, toute une élégance verbale, alimentée par une véritable richesse intérieure » (II, page 545). Et le duc le présenta à toute cette société très choisie, respectant ainsi un de ces « protocoles » dont l’aristocratie a le goût, une des règles d’une politesse qui est « comme un reste d’habitudes plusieurs fois séculaires, d’habitudes en particulier du XVIIe siècle » (II, page 417).

C’était donc en particulier dans l’aristocratie (mais dans d’autres milieux aussi, car le petit bourgeois qu’était Marcel souffrit de voir déçu son espoir d’être présenté par Elstir aux jeunes filles de Balbec [I, page 855]) qu’on usait du rite de la présentation, qui est d’ailleurs un des ressorts dramatiques du roman (qui acceptera de me présenter? qui acceptera ou refusera qu’on lui soit présenté?). Il permettait de nouer de valeureuses relations, de se préserver de celles qu’on ne voulait pas avoir, les aristocrates ayant des exclusives, des préventions, un arbitraire ou une insolence dont il était souvent difficile de saisir les raisons véritables. C’est ainsi que Charlus se récria quand Marcel voulut lui présenter Bloch : « Me le présenter ! Mais il faut que vous ayez bien peu le sentiment des valeurs ! On ne me connaît pas si facilement que ça. Dans le cas actuel l'inconvenance serait double à cause de la juvénilité du présentateur et de l'indignité du présenté. » (II, page 290). Dans le jardin de l’hôtel du prince de Guermantes, Marcel chercha quelqu'un qui le présentât au prince (II, page 638). Ayant finalement profité de cette grâce, il allait, mais longtemps plus tard, dans ‘’Le temps retrouvé’’, lors de la réception chez le prince de Guermantes, accéder à la demande de Bloch « de le présenter au prince de Guermantes », ce qu’il fit, estimant qu’il était devenu « un familier » même s’il n’était pas « un véritable homme du monde » (III, page 953), et sentant « derrière la hauteur dédaigneuse du prince une grande avidité humaine de connaître les êtres » (III, page 954). Cependant, une fois qu’on a été présenté à des gens, il faut « leur mettre des cartes, aller les voir» (II, page 724), comme le recommanda à Marcel la duchesse de Guermantes. L’entrelacs de ces futilités d’étiquette était si étroit, ces obligations si pesantes que, revenu de son snobisme à la fin du livre, il voyait des avantages aux décès qui décimaient les gens du « monde » : « Toute mort est pour les autres une simplification d'existence, ôte le scrupule de se montrer reconnaissant, l’obligation de faire des visites. » (III, page 978).

Entré, grâce à la présentation, dans cette classe de plaisir, en marge de la société active, qu’est « le monde » qui, à Paris, s’était établi dans le faubourg Saint-Germain, on était invité à ces différentes sortes de réceptions auxquelles Proust a tenu à faire une grande place dans son roman fleuve (« dîners », « matinées », « thés », « soirées », « redoute » : la soirée chez la marquise de Saint-Euverte (I, pages 322-353) ; la matinée chez Mme de Villeparisis (II, pages 183-283) ; « la redoute » à laquelle se rendirent le duc et la dichesse de Guermantes (II, page 724) ; le dîner chez la duchesse de Guermantes (II, pages 416-547) ; la soirée chez la princesse de Guermantes (II, pages 633-722) ; la matinée chez le prince de Guermantes (III, pages-856-1031). La liste des invités à ces réceptions se modifiait selon de subtils mouvements, Marcel observant que « les conglomérats de coteries se défaisaient et se reformaient selon l’attraction d’astres nouveaux destinés d’ailleurs eux aussi à s’éloigner, puis à reparaître, des cristallisations puis des émiettements suivis de cristallisations nouvelles» (III, page 992) et méditant sur la diversité des gens du « monde » malgré leur apparente et monotone insignifiance (II, page 569).

Lorsqu'elle donnait des fêtes, la princesse de Guermantes invitant tout le ban et l'arrière-ban de la société parisienne, c’étaient, selon Saint-Loup, « des tueries à s'assommer », où, dans ‘’Le temps retrouvé’’, Marcel, qui, auparavant, tenait tant aux « dîners en ville », pour lors vieilli et ayant abandonné son snobisme, les qualifia de « festins de barbares », « où, pour les hommes en blanc, pour les femmes à demi nues et emplumées, les valeurs sont si renversées que quelqu’un qui ne vient pas dîner après avoir accepté, ou seulement n’arrive qu’au rôti, commet un acte plus coupable que les actions immorales dont on parle légèrement pendant ce dîner, ainsi que des morts récentes, et où la mort ou une grave maladie sont les seules excuses à ne pas venir, à condition qu’on eût fait prévenir à temps, pour l’invitation d’un quatorzième, qu’on était mourant. » (III, page 1039). On se livrait apparemment à la frivolité, au plaisir des conversations qui ont été rendues par Proust avec un grand soin alors que, paradoxalement, avec sa constante duplicité, il reconnaissait que « la conversation même […] est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d’une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur. » (I, pages 906-907), que « dans le monde il n’y a que la conversation. Elle y est stupide. » (III, page 183).

En fait, dans cette société codifiée à l’extrême, tout était secret et déchiffrement (pourquoi cette rougeur, cette émotion, cette intonation?), et la politesse n’était évidemment qu’une comédie, comme cela fut révélé pour le duc et la duchesse de Guermantes qui semblaient, par toutes leurs actions, dire à chacun de ceux qu’ils rencontraient : « Mais vous êtes notre égal, sinon mieux.  […] et ils le disaient de la façon la plus gentille que l’on puisse imaginer, pour être aimés, admirés, mais non pour être crus ; qu’on démêlat le caractère fictif de cette amabilité, c’est ce qu’ils appelaient être bien élevés ; croire l’amabilité réelle, c’était la mauvaise éducation.» (II, page 662). Marcel eut d’abord la naïveté de croire à cette bienveillance, mais signala plus tard « ce dédain pour l’opinion des roturiers qu’avaient au fond tous les Guermantes » (III, page 209). En entendant Charlus parler de « M. Taine », il constata aussi que cette politesse faisait que les « gens du monde » ont « cette irritante habitude du ‘’monsieur’’ inutile » (II, page 1052).

Quand ils n’étaient pas obligés de pratiquer la politesse, les aristocrates se livraient à l’insolence. Elle était poussée à l’extrême par Charlus : « Il était si redouté pour ses insolences qu’autrefois il était arrivé que des gens du monde qui désiraient le connaître et s’étaient adressés à son propre frère, avaient essuyé un refus. » (I, page 749). Et les gens du monde qu’il fit venir chez les Verdurin pour assister au récital donné par Morel firent preuve d’une « mauvaise éducation », d’une grande désinvolture. Dans le restaurant où étaient allés Marcel et Saint-Loup, pour les jeunes nobles qui se trouvaient dans « la salle réservée à l’aristocratie », « l’exercice de l’impertinence, même à l’égard de la noblesse quand elle n’était pas de tout premier rang, semblait être la seule occupation », attitude inspirée par « un snobisme de classe suraigu ». Or on apprend que, « pourris de dettes ils semblaient des rien-du-tout aux yeux de leurs fournisseurs, malgré tout le plaisir que ceux-ci avaient à leur dire : ‘’Monsieur le comte, Monsieur le marquis, Monsieur le duc…’’ » et qu’ils « espéraient se tirer d’affaire au moyen du fameux ‘’riche mariage’’, dit encore ‘’gros sac’’» (II, page 403). Cela aurait pu être Gilberte Swann à qui « un oncle de Swann venait de laisser près de quatre-vingts millions », « ce qui faisait que le faubourg Saint-Germain commençait à penser à elle » (II, page 747). Et, d’ailleurs, Saint-Loup ne l’a-t-il pas épousée alors qu’il était ruiné par ses libéralités accordées à Rachel?



Voilà qui fait découvrir que n’était pas toujours vraie l’allégation de Marcel selon laquelle, dans « le monde », on n'attachait aucune importance à la fortune. Proust peignit cette caste de privilégiés qui menaient une vie fastueuse en ne donnant à cet égard que quelques indications. Les revenus que tirait le prince de Faffenheim-Munsterburg-Weinigen, « il en usait pour avoir cinq automobiles Charron, un hôtel à Paris et un à Londres, une loge le lundi à l’Opéra et une autre aux ‘’mardis’’ des ‘’Français’’ » (II, page 257). M. de Norpois était « colossalement riche » (I, page 454). Alors que le duc de Guermantes, « superbe et olympien, était lourdement assis », « on aurait dit que la notion omniprésente en tous ses membres de ses grandes richesses, comme si elles avaient été fondues au creuset en un seul lingot humain, donnait une densité extraordinaire à cet homme qui valait si cher. […] Je sentis la masse inerte et compacte de trente millions. Il me semblait voir cette statue de Jupiter Olympien que Phidias, dit-on, avait faite toute en or. » (II, page 284). La duchesse de Guermantes « était aussi riche que le plus riche qui n’eût pas été noble» (II, page 68). Le comble de la fortune serait peut-être atteint par Charlus si on en croit un des jeunes hommes qu’il affectionnait, qui dit de lui : « Il paraît qu’il a un million à manger par jour » (III, page 828) ; mais on est dans le domaine du fantasme comme on l’est peut-être aussi quand on lit que « les trois quarts des hommes du faubourg Saint-Germain passent aux yeux d’une bonne partie de la bourgeoisie pour des décavés crapuleux (qu’ils sont d’ailleurs quelquefois individuellement). » (I, page 703). Ainsi Saint-Loup, qui continuait de « donner cent mille francs par an » à Rachel, de « l’entretenir fastueusement », allait se ruiner (II, page 162) et se voir imposer ce « conseil de famille » qu’il trouvait « si sévère », alors qu’il était « composé précisément des parents qui ont le plus fait la bombe, à commencer par le plus noceur de tous, mon oncle Charlus, qui est mon subrogé tuteur, qui a eu autant de femmes que don Juan, et qui à son âge ne dételle pas.» (II, pages 691-692). C’est bien parce qu’il sont ruinés qu’on les dit aussi « décatis ».
1   2   3   4   5   6   7   8   9


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət