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André Durand présente l’intérêt documentaire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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Proust décrivit souvent des juifs en leur donnant un aspect étrange « comme s’il s’agissait en effet d’êtres évoqués par un effort médiumnimique. C’est l’âme (ou plutôt le peu de choses auquel se réduit, jusqu’ici du moins, l’âme, dans ces sortes de matérialisations), c’est l’âme, entrevue auparavant par nous dans les seuls musées. L’âme [...] des anciens Juifs, arrachés à une vie tout à la fois insignifiante et transcendentale, qui semble exécuter devant nous cette mimique déconcertante [...]. Il me semblait que si j’avais dans la lumière du salon de Mme de Villeparisis pris des clichés d’après Bloch, ils eussent donné d’Israël cette même image, si troublante parce qu’elle ne paraît pas émaner de l’humanité, si décevante parce que tout de même elle ressemble trop à l’humanité, que nous montrent les photographies spirites. » (II, page 191).

Proust insista sur un air oriental considéré de façon péjorative : « Un Israélite faisant son entrée comme s'il sortait du fond du désert, le corps penché comme une hyène, la nuque obliquement inclinée et se répandant en grands « salams », contente parfaitement un goût d'orientalisme. Seulement il faut pour cela que le Juif n'appartienne pas au « monde », sans quoi il prend facilement l'aspect d'un lord, et ses façons sont tellement francisées que chez lui un nez rebelle, poussant, comme les capucines, dans des directions imprévues fait penser au nez de Mascarille plutôt qu'à celui de Salomon. […] Admirable puissance de la race qui du fond des siècles pousse en avant jusque dans le Paris moderne, dans les couloirs de nos théâtres, derrière les guichets de nos bureaux, à un enterrement, dans la rue, une phalange intacte, stylisant la coiffure moderne, absorbant, faisant oublier, disciplinant la redingote, demeurée, en somme, toute pareille à celle des scribes assyriens peints en costume de cérémonie à la frise d'un monument de Suse devant les portes du palais de Darius.» (II, page 190).

Il fit dire à Marcel, qu’il avait connu « bien des étrangers » et qui « déplaisaient - les Juifs principalement, les Juifs non assimilés bien entendu, il ne saurait être question des autres - aux personnes qui ne peuvent souffrir un aspect étrange, loufoque (comme Bloch à Albertine). Généralement on reconnaissait ensuite que, s’ils avaient contre eux d’avoir les cheveux trop longs, le nez et les yeux trop grands, des gestes théâtraux et saccadés, il était puéril de les juger là-dessus, qu’ils avaient beaucoup d’esprit, de cœur et étaient, à l’user, des gens qu’on pouvait profondément aimer. » (II, page 408).

Proust attribua aux juifs de la duplicité : « Tel publiciste juif se fait chaque jour le champion du catholicisme, non pas probablement avec l’espoir d’être pris au sérieux, mais pour ne pas décevoir l’attente des rieurs bienveillants. […] Le chroniqueur circoncis parle à tout propos de la ‘’fille aînée de l’Église’’ et du ‘’Sacré-Cœur de Jésus’’, sans ombre de tartuferie, mais avec une pointe de cabotinage. » (III, page 211).


La distinction introduite tantôt, « les Juifs non assimilés bien entendu, il ne saurait être question des autres », permet de définir la hiérarchie que Proust a établie, à la base de laquelle se trouvaient donc les juifs non assimilés, « qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrée » (II, page 616), où on pourrait placer la famille de Bloch.
Car Bloch « appartenait à une famille peu estimée, supportait comme au fond des mers les incalculables pressions que faisaient peser sur lui non seulement les chrétiens de la surface, mais les couches superposées des castes juives supérieures à la sienne, chacune accablant de son mépris celle qui lui était immédiatement inférieurePercer jusqu’à l’air libre en s’élevant de famille juive en famille juive eût demandé à Bloch plusieurs milliers d’années. Il valait mieux chercher à se frayer une issue d’un autre côté.» (I, page 744). Cette famille était considérée par Marcel comme « une tribu » encombrante et mal élevée. Aussi se faisait remarquer à Balbec« cette colonie juive plus pittoresque qu’agréable. Il en était de Balbec comme de certains pays, la Russie ou la Roumanie, où les cours de géographie nous enseignent que la population israélite n’y jouit point de la même faveur et n’y est pas parvenue au même degré d’assimilation qu’à Paris par exempleToujours ensemble, sans mélange d’aucun autre élément, quand les cousines et les cousins de Bloch, ou leurs coreligionnaires mâles ou femelles se rendaient au Casino, les unes pour le ‘’bal’’, les autres bifurquant vers le baccara, ils formaient un cortège homogène en soi et entièrement dissemblable des gens qui les regardaient passer et les retrouvaient là tous les ans sans jamais échanger un salut avec eux, que ce fût la société des Cambremer, le clan du premier président, ou des grands et petits bourgeois, ou même certains grainetiers de Paris, dont les filles, belles, fières, moqueuses et françaises comme les statues de Reims, n’auraient pas voulu se mêler à cette horde de fillasses mal élevées, poussant le souci des modes de ‘’bains de mer’’ jusqu’à toujours avoir l’air de revenir de pêcher la crevette ou d’être en train de danser le tango. Quant aux hommes, malgré l’éclat des smokings et des souliers vernis, l’exagération de leur type faisait penser à ces recherches dites ‘’intelligentes’’ des peintres qui, ayant à illustrer les Évangiles ou les Mille et une Nuits, pensent au pays où la scène se passe et donnent à saint Pierre ou à Ali-Baba précisément la figure qu’avait le plus gros ‘’ponte’’ de Balbec. » « Ce milieu [...] ne plaisait pas, le sentait, voyait là la preuve d’un antisémitisme contre lequel il faisait front en une phalange compacte et close où personne d’ailleurs ne songeait à se frayer un chemin. » (I, page 739). Il fut encore répété plus loin que « les sœurs de Bloch, à la fois trop habillées et à demi nues, l’air languissant, hardi, fastueux et souillon, ne produisaient pas une impression excellente. » (I, page 903). L’une d’elles se conduisit d’ailleurs d’une façon scandaleuse avec une autre femme au casino de Balbec. Du père de Bloch, on apprend qu’il employait dans l’intimité un dialecte « mi-allemand, mi-juif » (I, page 773). D’ailleurs, le duc de Guermantes disait le nom de Bloch « à l’allemande », en prononçant le « ch » non pas comme un « c » ou un « k » mais avec le « ch » germanique (III, page 823).
Albert Bloch était un juif assimilé ; mais il fit tout de même l’objet de nombreux sarcasmes. Il fut d’abord épinglé pour son physique : « Son nez, sa peau, ses cheveux lui avaient été imposés par sa race » (II, page 297). De plus, « Bloch était mal élevé, névropathe, snob » (I, page 744). Sa vanité de mâle le poussa à prétendre que, ayant rencontré Mme Swann dans le train de ceinture, « elle voulut bien dénouer la sienne » en sa faveur, « trois fois de suite et de la manière la plus raffinée entre Paris et le Point-du-Jour. » (I, page 778). De ce fait, il joua auprès de Marcel un certain rôle d’initiateur sexuel, lui faisant cette révélation : « Les femmes ne demandent jamais mieux que de faire l’amour. » (I, page 575), et il le conduisit « dans une maison de passe ». Voulant lui aussi devenir homme de lettres, étant à cet égard le double négatif de Marcel (au point qu’on pourrait se demander si ce ne fut pas par jalousie que fut regroupé sur lui l'essentiel des attaques antisémites du roman, et les plus virulentes), il chercha à s’introduire dans les salons, mais « n’ayant pas été assoupli par la gymnastique du ‘’Faubourg’’, ni ennobli par un croisement avec l’Angleterre ou l’Espagne, il restait pour un amateur d’exotisme aussi étrange et savoureux à regarder, malgré son costume européen, qu’un Juif de Decamps [peintre qui fut un brillant représentant de l’orientalisme romantique] ». Toutefois, « maintenant jeune auteur dramatique » (II, page 189), il fut accueilli par Mme de Villeparisis qui lui demandait de lui « procurer à l’œil des artistes qui joueraient dans ses prochaines matinées » (II, page 190). Même s’il ne cessait de se transformer, il restait toujours ridicule et toujours marqué par son orientalité : il « avait maintenant le menton ponctué d'un ‘’bouc’’, il portait un binocle, une longue redingote, un gant, comme un rouleau de papyrus à la main. » (II, page 190). Et il se ridiculisa en déclarant : « J’aime beaucoup les personnes extrêmement bien élevées sans se rendre compte, parce qu’il était lui-même très mal élevé, combien ses paroles déplaisaient. » (II, page 218).

Représentatif des juifs honteux que Proust accusait de duplicité, « Bloch savait plaisanter des Juifs » mais « rougissait si on prononçait leur nom devant lui » (III, page 317). À Balbec, il affectait l’antisémitisme : Marcel et Saint-Loup, assis sur la plage, «entendirent d’une toile de tente contre laquelle nous étions sortir des imprécations contre le fourmillement d’Israélites qui infestait Balbec. ‘’On ne peut pas faire deux pas sans en rencontrer. Je ne suis pas par principe irréductiblement hostile à la nationalité juive, mais ici il y a pléthore. On n’entend que : “Dis donc, Apraham, chai fu Chakop.” On se croirait rue d’Aboukir’’. L’homme qui tonnait ainsi contre Israël sortit enfin de la tente, nous levâmes les yeux sur cet antisémite. C’était mon camarade Bloch» (I, page 738). Mais, ressemblant en cela à Proust justement, avec le déclencement de « l’affaire », il devint un dreyfusiste passionné. Par un autre renversement ironique, celui qui scandalisait par sa « mauvaise éducation » fut reçu comme auteur dramatique chez Mme de Villeparisis où Marcel causa avec lui qui exposa sa « vie délicieuse », se déclara « infiniment heureux : Rare est le mortel à qui le Père Zeus accorde tant de félicités.» (II, page 201). Cependant, « entendant que nous parlions de Saint-Loup [il] se mit à en dire un mal si épouvantable que tout le monde en fut révolté. Il commençait à avoir des haines, et on sentait que pour les assouvir il ne reculerait devant rien, ayant posé en principe qu’il avait une haute valeur morale » (II, page 228). Il discuta de l’affaire avec Norpois qui lui « parla, avec beaucoup d’affabilité, des années affreuses, peut-être mortelles, que traversait la France» (II, page 233) ; mais, quand il voulut savoir ce qu’il pensait des officiers qui y étaient mêlés, il ne put « arriver à démêler [son] opinion » (II, page 233). Comme il continua à parler de l’affaire Dreyfus, faisant savoir qu’il « avait pu, grâce à un avocat nationaliste qu’il connaissait, entrer à plusieurs audiences du procès Zola » (II, page 234), Mme de Villeparisis « voulut lui signaler qu’il eût à ne pas revenir » et « trouva tout naturellement dans son répertoire mondain la scène par laquelle une grande dame met quelqu’un à la porte de chez elle » : « les adieux de Bloch, déplissant à peine dans la figure de la marquise un languissant sourire, ne lui arrachèrent pas une parole, et elle ne lui tendit pas la main. » (II, page 248). De ce fait, il en voulut à Marcel de son snobisme. Il devint la cible des sarcasmes antisémites de Charlus qui, pourtant, l’invita.



Pendant la guerre, il manifesta un tel chauvinisme qu’il fut réformé. Après, il réapparut à Marcel chez le prince de Guermantes où il entra « en sautant comme une hyène » (III, page 966). Il montrait « la docte fatigue des vieillards aimables » (III, page 928). Il « avait pris non seulement le pseudonyme, mais le nom de Jacques du Rozier, sous lequel il eût fallu le flair de mon grand’père pour reconnaître la ‘’douce vallée’’ de l’Hébron et les ‘’chaînes d’Israël’’ que mon ami semblait avoir définitivement rompues» ; « un chic anglais l’avait complètement transformé » et il avait « passé au rabot tout ce qui se pouvait effacer », en particulier « ce nez juif disparaissait comme semble presque droite une bossue bien arrangée » (III, pages 952, 953). Il demanda à Marcel « de le présenter au prince de Guermantes », ce qu’il fit, estimant qu’il était devenu « un familier » même s’il n’était pas « un véritable homme du monde » (III, page 955) et sentant « derrière la hauteur dédaigneuse du prince une grande avidité humaine de connaître les êtres ». Il déclara alors trouver la princesse de Guermantes « très racée » alors que c’était l'ex-Mme Verdurin (III, page 955). Mais ne faisait-il pas lui-même figure de grand homme? Pourtant, plus loin, Marcel le vit encore comme « un vieux Shylock attendant, tout grimé, dans la coulisse, le moment d’entrer en scène, récitant déjà le premier vers à mi-voix. » (III, page 967). Et il pouvait craindre que, pour reprendre le mot de Françoise qui lui demanda de se méfier, il soit un « copiateur » (III, page 1034) car il « se donnait en effet un alibi rétrospectif en me disant chaque fois que je lui avais esquissé quelque chose qu’il trouvait bien : ‘’Tiens, c’est curieux, j’ai fait quelque chose de presque pareil, il faudra que te lise cela.’’ (Il n’aurait pas pu me le lire encore, mais allait l’écrire le soir même). » (III, page 1034).
L’autre personnage juif assimilé et lui aussi vilipendé est Rachel. On la découvre dans cette juive, « brune, pas jolie mais à l’air intelligent » que la patronne de la maison de passe vanta à Marcel et qu’il surnomma « Rachel quand du Seigneur» par référence à l’opéra d’Halévy, “La juive” (I, page 577), qu’il retrouva en la compagne passionnément aimée de Saint-Loup qui était alors une actrice qui joua alors dans une pièce, et qui ne réapparut qu’à la fin où, appréciée de la duchesse de Guermantes, une comédienne en vogue, elle donna une récitation.
Au sommet de la hiérarchie établie par Proust se trouvait Swann dont la judéité (que son nom serait peut-être censer indiquer) fut à peine mentionnée quand on apprit que, pour le grand-père de Marcel (chez qui, pourtant, on pourrait détecter une certaine réticence car « chaque fois que je me liais avec un de mes camarades plus qu’avec les autres et que je l’amenais chez nous, c’était toujours un juif, ce qui ne lui eût pas déplu en principe [...] s’il n’avait trouvé que ce n’était pas d’habitude parmi les meilleurs que je le choisissais») «son ami Swann était d’origine juive ». Ce « d’origine » est significatif puisqu’il fut accordé à ce personnage qui fut traité de façon sympathique, tandis qu’il ne l’avait pas été aux autres personnages juifs. Pourtant, son évolution fut jugée avec une nette condescendance car, « comme certains israélites, l’ancien ami de mes parents avait pu présenter tour à tour les états successifs par où avaient passé ceux de sa race, depuis le snobisme le plus naïf et la plus grossière goujaterie jusqu’à la plus fine politesse » (I, page 432). Et Swann lui-même fut ostracisé, même s’il était converti, comme cela apparut lors de la soirée chez la marquise de Saint-Euverte, quand Mme de Gallardon, qui avait dit : « Oh ! je sais qu’il est intelligent en voulant dire par là intrigant. » (I, pages 324-325), s’étonna : « Un Juif chez la soeur et la belle-soeur de deux archevêques [...] Il y a des gens qui prétendent que ce M. Swann, c’est quelqu’un qu’on ne peut pas recevoir chez soi » (I, page 335), ajoutant : « Je sais qu’il est converti, et même déjà ses parents et ses grands-parents. Mais on dit que les convertis restent plus attachés à leur religion que les autres, que c’est une frime, est-ce vrai? » Plus loin, si le grand-père se voulait son ami, comme régnait à Combray un « côté castes » (III, page 658), la mère de Marcel rappela que « la mère Moser », la grand-mère de Swann, disait : « Ponchour Mezieurs » (III, page 659). Mais il fut révélé que cette grand-mère était une « protestante mariée à un juif » qui « avait été la maîtresse du duc de Berri » (II, page 668), ce qui permettait une légende qui voulait que Swann soit son petit-fils, légende à laquelle voulait croire l’antisémite qu’était le prince de Guermantes pour se permettre de l’avoir pour ami !

Et il n’échappa pas à la cruauté de l’examen physique opéré par Proust. Après que Marcel nous ait fait savoir qu’il souffrait d’« un eczéma ethnique et de la constipation des Prophètes» (I, page 402), il fut mentionné que son nez trahit sa judéité sous l’effet de la maladie qui « avait si bien rongé, rogné les joues, comme une lune décroissante, que sauf sous un certain angle, celui sans doute sous lequel Swann se regardait, elles tournaient court comme un décor inconsistant auquel une illusion d’optique peut seule ajouter l’apparence de l’épaisseur. Soit à cause de l’absence de ces joues qui n’étaient plus là pour le diminuer, soit que l’artériosclérose, qui est une intoxication aussi, le rougît comme eût fait l’ivrognerie, ou le déformât comme eût fait la morphine, le nez de polichinelle de Swann, longtemps résorbé dans un visage agréable, semblait maintenant énorme, tuméfié, cramoisi, plutôt celui d’un vieil Hébreu que d’un curieux Valois. D’ailleurs peut-être chez lui, en ces derniers jours, la race faisait-elle apparaître plus accusé le type physique qui la caractérise, en même temps que le sentiment d’une solidarité morale avec les autres Juifs, solidarité que Swann semblait avoir oubliée toute sa vie, et que, greffées les unes sur les autres, la maladie mortelle, l’affaire Dreyfus, la propagande antisémite, avaient réveillée. Il y a certains Israélites, très fins pourtant et mondains délicats, chez lesquels restent en réserve et dans la coulisse, afin de faire leur entrée à une heure donnée de leur vie, comme dans une pièce, un mufle et un prophète. Swann était arrivé à l’âge du prophète. Certes, avec sa figure d’où, sous l’action de la maladie, des segments entiers avaient disparu, comme dans un bloc de glace qui fond et dont des pans entiers sont tombés, il avait bien ‘’changé’’. » (II, page 690). En vieillissant, il avait donc acquis des traits juifs, le judaïsme qu'il cherchait à chasser par la porte revenant par la fenêtre, ce en quoi on peut voir un « retour du refoulé ».

Avec sa duplicité ou son ambivalence habituelles, Proust, à propos de Swann, mêla commisération humanitaire et moquerie cruelle : « Swann appartenait à cette forte race juive, à l’énergie vitale, à la résistance à la mort de qui les individus eux-mêmes semblent participer. Frappés chacun de maladies particulières, comme elle l’est, elle-même, par la persécution, ils se débattent indéfiniment dans des agonies terribles qui peuvent se prolonger au-delà de tout terme vraisemblable, quand déjà on ne voit plus qu’une barbe de prophète surmontée d’un nez immense qui se dilate pour aspirer les derniers souffles, avant l’heure des prières rituelles et que commence le défilé ponctuel des parents éloignés s’avançant avec des mouvements mécaniques, comme sur une frise assyrienne. » (II, pages 704-705).

La fille de Swann, Gilberte, n’échappa pas à cette enquête physiognomonique. Comme Saint-Loup demanda à Marcel, à son sujet : « Ne trouves-tu pas qu’elle a quelque chose de Rachel? » il remarqua « une similitude réelle de quelques traits (dus par exemple à l’origine hébraïque) » (III, page 702).


L’antisémitisme
L’allusion à l’affaire Dreyfus indique qu’à ces juifs français le développement de l’antisémitisme qu’elle déclencha leur montra les limites de leur acceptation par la société française. Dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, il prit deux formes : l’une qui est chrétienne et médiévale, l’autre qui est moderne.
La judéophobie archaïque apparut, comme on l’a déjà vu, dès le début de l’oeuvre avec la méfiance du grand-père de Marcel à l’égard des ami de celui-ci : « Avant de les avoir vus, rien qu’en entendant leur nom qui, bien souvent, n’avait rien de particulièrement israélite, il devinait non seulement l’origine juive de ceux de mes amis qui l’étaient en effet, mais même ce qu’il y avait quelquefois de fâcheux dans leur famille. - Et comment s’appelle-t-il ton ami qui vient ce soir? - Dumont, grand-père. - Dumont ! Oh ! je me méfie. » (I, page 91). Il avait « le flair pour reconnaître la ‘’douce vallée’’ de l’Hébron et les ‘’chaînes d’Israël’’ ». Ce grand-père maternel ne pourrait donc pas être juif puisqu'il tenait des propos antisémites ; à moins qu’il n’ait fait de l'humour juif, « Dumont » pouvant désigner de façon transparente Édouard Drumont, auteur du pamphlet ‘’La France juive’’ (1886) qui fut un manifeste antisémite systématique.

Mais ce fut Charlus surtout qui fut animé par cet antisémitisme médiéval et catholique. Si, dans ‘’Le côté de Guermantes’’, « Bloch allait se figurer que c'était par malveillance antisémitique que M. de Charlus s'informait s'il portait un nom juif, alors que c'était simplement par curiosité esthétique et amour de la couleur locale. » (II, pages 190-191), dans la suite il allait afficher sa haine raciale. Il vitupéra : «La Synagogue est aveugle, elle ne voit pas les vérités de l'Évangile. […] tous ces malheureux Juifs tremblent devant la fureur stupide des chrétiens. » (II, page 289). Il tint des propos délirants, disant à Marcel : « Peut-être pourriez-vous demander à votre ami de me faire assister à quelque belle fête au Temple, à une circoncision, à des chants juifs. Il pourrait peut-être louer une salle et me donner quelque divertissement biblique, comme les filles de Saint-Cyr jouèrent des scènes tirées des ‘’Psaumes’’ par Racine pour distraire Louis XIV. Vous pourriez peut-être arranger cela, même des parties pour faire rire. Par exemple, une lutte entre votre ami et son père où il le blesserait comme David Goliath. Cela composerait une farce assez plaisante. Il pourrait même, pendant qu'il y est, frapper à coups redoublés sur sa charogne, ou, comme dirait ma vieille bonne, sa carogne de mère. Voilà qui serait fort bien fait et ne serait pas pour nous déplaire, hein ! petit ami, puisque nous aimons les spectacles exotiques [plus loin, il parla de « spectacle asiatique » ] et que frapper cette créature extra-européenne, ce serait donner une correction méritée à un vieux chameau.’’ En disant ces mots affreux et presque fous, M. de Charlus me serrait le bras à me faire mal. » (II, page 288). Il considérait que Bloch était un « étranger », ce à quoi Marcel lui répondit « que Bloch était français. ‘’Ah ! dit M. de Charlus, j’avais cru qu’il était juif’’. (II, page 288). Il tempêtait contre « l’affux de messieurs et de dames du Chameau, de la Chamellerie, de la Chamellière.» (II, page 290), se demandait aussi « jusqu’à quel point ‘’madame’’ Sarah Bernhardt est qualifiée pour parler au nom de la France. » (III, page 826). Quand Marcel voulut lui présenter Bloch, « dès qu’il l’aperçut, un étonnement aussitôt réprimé se peignit sur sa figure où il fut remplacé par une étincelante fureurNon seulement il ne tendit pas la main à Bloch, mais chaque fois que celui-ci lui adressa la parole il lui répondit de l’air le plus insolent, d’une voix irritée et blessante.» (II, page 382). Il trouvait scandaleux que Bloch et sa famille habitent un lieu qui, étant appelé « la Commanderie », fut donc possédé par « les Chevaliers de l’Orde de Malte » : « Cela tient à un curieux goût du sacrilège, particulier à cette race. Dès qu’un Juif a assez d’argent pour acheter un château, il en choisit toujours un qui s’appelle le Prieuré, l’Abbaye, le Monastère, la Maison-Dieu. J’ai eu affaire à un fonctionnaire juif, devinez où il résidait? À Pont-l’Évêque. Mis en disgrâce, il se fit envoyer en Bretagne, à Pont-l’Abbé. Quand on donne, dans la Semaine Sainte, ces indécents spectacles qu’on appelle ‘’la Passion’’, la moitié de la salle est remplie de Juifs, exultant à la pensée qu’ils vont mettre une seconde fois le Christ sur la Croix, au moins en effigie. Au concert Lamoureux, j’avais pour voisin, un jour, un riche banquier juif. On joua ‘’l’Enfance du Christ’, de Berlioz, il était consterné. Mais il retrouva bientôt l’expression de béatitude en entendant ‘’l’Enchantement du Vendredi-Saint’’. » (II, pages 1104-1105). Marcel lui ayant indiqué que les bureaux du père de Bloch « étaient rue des Blancs-Manteaux », il s’écria : « Quel sacrilège ! Pensez que ces Blancs-Manteaux pollués par M. Bloch étaient ceux des frères mendiants, dits serfs de la Sainte-Vierge, que saint Louis établit làEt la rue a toujours été à des ordres religieux. La profanation est d’autant plus diabolique qu’à deux pas de la rue des Blancs-Manteaux, il y a une rue dont le nom m’échappe, et qui est tout entière concédée aux Juifs ; il y a des caractères hébreux sur les boutiques, des fabriques de pain azymes, des boucheries juives, c’est tout à fait la ‘’Judengasse’’ de Paris. C’est là que M. Bloch aurait dû demeurer. […] Soyez sûr du reste, tant l’instinct pratique et la cupidité se mêlent chez ce peuple au sadisme, que la proximité de la rue hébraïque dont je vous parle, la commodité d’avoir sous la main les boucheries d’Israël a fait choisir à votre ami la rue des Blancs-Manteaux. Comme c’est curieux ! C’est, du reste, par là que demeurait un étrange Juif qui avait fait bouillir des hosties, après quoi je pense qu’on le fit bouillir lui-même, ce qui est plus étrange encore puisque cela a l’air de signifier que le corps d’un Juif peut valoir autant que le corps du Bon Dieu.» (II, pages 1106-1107). Bloch ayant pris « une chaise de poste ouverte », il fit cette plaisanterie un peu folle sur la circoncision : « Je comprends qu'ils aient reculé devant le coupé superfétatoire. Ç'aurait été un recoupé. » (II, page 1107). Son attitude à l’égard de Bloch pourrait s’expliquer parce que, déçu par Marcel, il s'était intéressé au premier, qu’il était tombé amoureux de lui : « Mais est-ce que votre ami n'est pas le jeune Hébreu que j'ai vu chez Mme de Villeparisis? me dit M. de Charlus. Il a l'air intelligent. » Dans ‘’La prisonnière’’ encore, il interrogea Marcel sur son « jeune ami hébreu » qu’il voulait « inviter un soir » (III, page 216). Comme cette attirance entrait en contradiction avec son antisémitisme archaïque, il se la serait reprochée et l’aurait transformée en répulsion. Les deux hommes s'évitèrent mais s'affrontèrent par deux fois et par l'intermédiaire de Marcel. Partageait aussi cet antisémitisme archaïque le prince de Guermantes qui, selon Basin, « tombe en attaque quand il voit un juif à cent mètres » (II, page 578), qui « quand il était officier, ayant une rage de dents épouvantable, avait préféré rester à souffrir plutôt que de consulter le seul dentiste de la région qui était juif, et que plus tard il a laissé brûler une aile de son château où le feu avait pris, parce qu’il aurait fallu demander des pompes au château voisin qui est aux Rothschild » (II, page 581),

Quand Saint-Loup voulut épouser Gilberte, la princesse de Silistrie « jeta les hauts cris », clama « que si Saint-Loup épousait la fille d’Odette et d’un juif, il n’y avait plus de faubourg Saint-Germain. » (III, page 661). Mme de Cambremer parla d’un certain Sylvain Lévy dont elle dit ensuite « un monsieur dont je ne sais pas le nom, quelque chose comme Cohn, Kohn, Kuhn. » (II, page 916).

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