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André Durand présente l’intérêt documentaire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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Au sommet de l’aristocratie et au centre d’’’À la recherche du temps perdu’’, trônaient les Guermantes, le prince et la princesse, le duc et la duchesse, le baron de Charlus, le marquis de Saint-Loup, Mme de Villeparisis, une « race altière » dont la « tour jaunissante et fleuronnée qui traverse les âges s’élevait déjà sur la France alors que le ciel était encore vide là où devaient plus tard surgir Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres» (II, page 13). Proust les créa, semble-t-il, en empruntant des traits à la plupart des familles françaises de la première partie du Gotha, et tout spécialement aux Rohan, aux La Rochefoucauld, aux Gramont, aux Caraman-Chimay, aux Montesquiou, aux d'Uzès, aux Luynes, aux Clermont-Tonnerre... Leur nom, dont Marcel voulait à tout prix savoir quelle réalité mystérieuse se cachait derrière lui, est celui d’une commune située au nord-ouest du département de Seine-et- Marne, où se trouvait le château de la comtesse de Dampierre, qui marqua le milieu du XIXe siècle par son humeur fantasque et ses intempérances de langage, à la plus grande joie de ses familiers, dont les frères Goncourt. Proust était l'ami intime du petit-fils d'une des propriétaires qu'il entendait souvent parler de Guermantes. Séduit par la consonance de ce nom qui excitait son imagination, il s'enquit de savoir s'il pouvait « disposer en toute liberté du nom de Guermantes, que je voudrais à la fois illustrer et salir ». Il vint à Guermantes faire une visite pour remercier les propriétaires de l'avoir autorisé à ajouter aux ombres du passé la noble et altière figure de la duchesse de Guermantes.

Utilisant un procédé bien connu des auteurs de romans historiques, accréditant sa fiction en la mêlant à des réalités, il leur donna une histoire véridique et légendaire à la fois, fit d’eux une « famille plus ancienne que les Capétiens » (III, page 820), qui prétendait descendre de Geneviève de Brabant, thème qui revint à plusieurs reprises. « Sous Louis XIV, quasi royaux, [ils] faisaient plus grande figure qu’aujourd’hui. [...] Ne les avait-on pas vus alors s’allier à la famille Colbert par exemple» (III, page 967). Ils furent une famille de militaires, et comptèrent, de par le passé, un connétable et un maréchal de France. Ils étaient alliés avec la plupart des anciennes dynasties d'Europe, en particulier avec les Wittelsbach, ce qui expliquait sans doute la germanophilie de Charlus, et l'une de leurs branches, princière, portait le nom de Guermantes-Bavière.

Ils étaient une race à part au point de vue physique d’abord : ils héritaient d’une sveltesse hautaine qui, souvent, s'exagérait et se figeait ; ils avaient également un regard qui leur était propre et dont la pénétration leur donnait l'air d'inspecter tous les lieux où ils passaient, mais d'une façon quasi inconsciente, par une sorte d'habitude et de particularité animale ; quant à leur teint, à leur couleur, elle conservait « l'ensoleillement d'une journée d'or devenue solide » (III, page 703), ce qui leur donnait un plumage étrange et les faisait ressembler à des oiseaux d'une espèce rare et précieuse. Parfois, ils étaient, comme Oriane, très spirituels, car chez eux « survivait quelque chose de l’esprit alerte, dépouillé de lieux communs et de sentiments convenus, qui descend de Mérimée et a trouvé sa dernière expression dans le théâtre de Meilhac et Halévy » (I, page 334). « Dans ce milieu Guermantes, en exceptant les Altesse et les Duchesses, on était d’une exigence infinie pour l’esprit et pour le charme, on prononçait l’exclusive pour des hommes éminents qu’on trouvait ennuyeux ou vulgaires » (I, page 513), nous apprit Marcel qui, lui, eut l’honneur d’y être reçu (pour quel mérite? mystère !). Ils avaient également un genre XVIIIe siècle plein de verdeur, et n'hésitaient pas à se servir des termes les plus crus. Il y avait cependant, chez presque tous, un « besoin héréditaire de nourriture spirituelle » qui fut peut-être, Proust le nota avec une mordante ironie, la cause de leur décadence, car ce besoin put leur faire perdre une partie de leur situation mondaine ; mais, dans leur assurance, ils furent les derniers à s'en rendre compte.

C’est ce qui était arrivé à Mme de Villeparisis, aristocrate en quelque sorte dissidente, qui était « une de ces femmes qui, nées dans une maison glorieuse, entrées par leur mariage dans une autre qui ne l’était pas moins, ne jouissent pas cependant d’une grande situation mondaine ». (II, pages 183-184). Ce « déclassement » avait été causé par sa jeunesse orageuse, son « mariage inégal », ses véritables « qualités artistiques » et ce besoin de nourriture spirituelle qui lui faisait tenir un salon littéraire et écrire de brillants ‘’Mémoires’’. Mais il ne pouvait pas être dû à sa « liaison, depuis plus de vingt ans », avec M. de Norpois (II, page 184). Elle avait de « bonnes joues bourgeoises », faisait preuve de pondération et de mesure, sa conversation révélant qu’« elle était plus ‘’libérale’’ que même la plus grande partie de la bourgeoisie. » (I, page 709).


Plus fermé encore que les salons siégeait au firmament de cette société le Jockey-Club, un des club français les plus huppés, qui patronnait une course hippique, le Prix du Jockey Club. Il avait été créé en 1834 par la Société d'encouragement pour l'amélioration des races de chevaux, et porta alors le nom de Cercle d'encouragement avant de prendre son nom actuel. Parmi ses 1150 membres, on comptait, sur le modèle des clubs britannique, principalement des aristocrates. Sa direction était exercée par un comité, composé d'un président, de quatre vice-présidents et de vingt-cinq membres, et par un sous-comité. Le comité était réélu tous les ans. Pour en faire partie, il fallait être présenté par deux parrains membres du club, et soumettre sa candidature au vote des membres et atteindre une majorité des cinq-sixièmes, un vote défavorable annulant cinq votes favorables. Ainsi Swann était « un monsieur du Jockey ». Le duc de Guermantes fut évincé de la présidence à cause de l’affaire Dreyfus (III, page 40), tandis que Saint-Loup put entrer « au Jockey malgré l’Affaire ». Et, « depuis tout ça, Swann ne met plus les pieds dans cet endroit.» (II, page 583).
L’aristocratie de province fut représentée par les Stermaria et les Cambremer.

M. de Stermaria était « un hobereau » breton en villégiature à Balbec avec sa fille, Alix. « Leur morgue les préservait de toute sympathie humaine » (I, page 679). Chez Alix, Marcel remarqua « la singularité hardie et toujours belle de ses attitudes [...] la sécheresse d’un regard vite épuisé, la dureté foncière, familiale [...] une sorte de cran d’arrêt atavique [...] cette insuffisance de sympathie humaine, des lacunes de sensibilité, un manque d’ampleur dans l’étoffe qui à tout moment faisait défaut » mais aussi « cette douceur presque humble que le goût prédominant des plaisirs des sens donne à la plus fière » et qui lui « sentir qu’elle eût facilement permis que je vinsse chercher sur elle le goût de cette vie si poétique qu’elle menait en Bretagne », d’autant plus qu’il la croit « pauvre » ! (I, pages 688-689).

M. de Cambremer (nom d’une localité réelle du Calvados) était un hobereau « bas-normand », et, à Balbec, Marcel reçut un faire-part où figurait « tout le ban et l’arrière-ban des nobles de la région » (II, page 786). Puis il reçut la visite de Mme de Cambremer, dont il se plut à décrire l’invraisemblable attirail. L’accompagnait sa belle-fille, qui avait perdu le souvenir d'être née Legrandin (II, page 808), se montrait « si glaciale avec les petits nobliaux », et lui « tendit la main avec un sourire rayonnant » car elle le savait lié aux Guermantes (II, page 807). Charlus ayant adopté la nièce de Jupien, lui ayant donné le titre de Mlle d’Oléron, le fis des Cambremer l’épousa, et Marcel observa : « Voilà les Cambremer ancrés dans ce clan des Guermantes où ils n’espéraient pas pouvoir jamais planter leur tente ; de plus, la petite adoptée par M. de Charlus aura beaucoup d’argent, ce qui était indispensable depuis que les Cambremer ont perdu le leur ; et en somme elle est la fille adoptive et, selon les Cambremer, probablement la fille véritable - la fille naturelle - de quelqu’un qu’ils considèrent comme un prince du sang. » (III, page 658). À la mort de Mlle d'Oloron, « la lettre de faire-part […] mêlait à des noms comme celui de Jupien presque tous les grands noms de l’Europe » (III, page 671-673).

Le snobisme
Proust, qui eut très tôt le goût des salons, leur étude à laquelle il se livra ayant résonné dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, qui considéra l’aristocratie comme supérieure, fut fasciné par elle, lui vouant une admiration béate, ne demandant que de pouvoir vivre dans son ombre, s’était donc révélé un snob au sens littéral du mot qui vient de ce « s.nob. » [« sine nobilita »] qui, dans les registres des collèges anglais, signalait les roturiers. Beaucoup d’entre eux voulant s’agréger à la caste supérieure qu’était l’aristocratie, en l’imitant, en étalant des manières, des goûts qu’ils lui empruntèrent sans discernement, furent dénigrés par le terme de « snobs ».

Il prêta ce snobisme au petit bourgeois qu’était Marcel, qui fut fasciné par les Guermantes dès son enfance où il les avaient crus nés de l'union d'une déesse et d'un oiseau, où il voyait en eux des « dieux » : chez la princesse de Guermantes, qui était d’« une autre planète », se tenait « le festin des dieux » (II, page 272). Leur charme résidait pour lui surtout dans sa mémoire et son imagination. Au cours du repas chez la duchesse de Guermantes, ce pique-assiette invétéré se rengorgea : « Je ne devais plus cesser par la suite d’être continuellement invité, fût-ce avec quelques personnes seulement à ces repas dont je m’étais autrefois figuré les convives comme les Apôtres de la Sainte-Chapelle. » (II, page 512). Quand il reçut une invitation de la princesse de Guermantes, de nouveau son imagination s’enflamma car « parmi les traits particuliers à son salon, le plus habituellement cité était un exclusivisme dû en partie à la naissance royale de la princesse, et surtout le rigorisme presque fossile des préjugés aristocratiques du prince. » (II, page 570). Plus loin, il allait encore se vanter quand, par rapport aux goûters que Mme Verdurin offrait à la Raspelière, il put affirmer : « J’en vais connu à Paris de plus brillants chez la princesse de Guermantes, chez Mme de Galiffet ou Mme d’Arpajon. » (II, page 1000). Il se passionna même pour les généalogies exposées durant le dîner chez la duchesse de Guermantes : elles avaient sauvé sa soirée « d'une déception complète » et rendu « tout à coup aux amis de M. et Mme de Guermantes leur poésie perdue » car les nobles étaient pour lui « les étymologistes de la langue », leurs noms des reliques (II, pages 532, 536). Il avait même des « connaissances héraldiques » (II, page 568), mais il constatait : « Ma curiosité historique était faible en comparaison du plaisir esthétique » (II, page 542). Encore, dans ‘’Le temps retrouvé’’, lors de la réception chez le prince de Guermantes, où, ne voyant pas de raison de ne pas « mener la vie de l’homme du monde », il s’était rendu car allait y être donné un « concert mondain » (III, page 856). il vit la duchesse, qui à ses yeux montrait « ce corps saumoné émergeant à peine de ses ailerons de dentelle noire », comme « quelque vieux poisson sacré, chargé de pierreries, en lequel s’incarnait le Génie protecteur de la famille de Guermantes. » (III, page 927).

Pourtant, auparavant, les considérant « retirés de ce nom de Guermantes dans lequel, jadis, je les imaginais menant une inconcevable vie », ils étaient apparus « pareils aux autres hommes et aux autres femmes » (II, page 524). La désillusion fut achevée quand il constata que le côté de Guermantes avait rejoint le côté de Swann (et de Méséglise), Robert de Saint-Loup ayant épousé Gilberte Swann. Surtout, le prince de Guermantes, qui était devenu veuf et appauvri, ayant épousé la riche Mme Verdurin (III, page 955), ce qui lui permit de se faire construire un magnifique hôtel avenue du Bois, il regretta les changements amenés par le temps dans la composition du « monde ». Cependant, se souvenant des erreurs que, « à peine parvenu », il avait dû commettre à ses débuts dans le « monde », il s’enorgueillissait de faire maintenant « la figure d’homme élégant non titré ». Il reste que, lui qui voulait à tout prix savoir quelle réalité mystérieuse se cachait derrière le nom de Guermantes, qui avait vu les rêves poétiques dont son imagination emplissait ce nom en être chassés l'un après l'autre, mesura à la fin ce qui subsistait, dans sa mémoire et son imagination, du charme de « ces Guermantes qui avaient été pour moi l’objet d’un si grand rêve » (III, page 975).

Et ce snob était évidemment mécontent d’en voir d’autres. À l’Opéra, il regardait avec mépris « des snobs ou des curieux qui voulaient contempler des gens qu’ils n’auraient pas d’autre occasion de voir de près » (II, page 38), « des gens vulgaires qui, ne connaissant pas les abonnés, voulaient montrer qu’ils étaient capables de les reconnaître et les nommaient tout haut » (II, page 39), « les fauteuils d’orchestre » étaient « le séjour des mortels » (II, page 40) tandis que le faubourg Saint-Germain était dans les loges, la princesse de Guermantes dans une baignoire.

Fut surtout poursuivi des moqueries de Marcel Legrandin, un précieux qui admirait « dans les nuages [...] un bleu surtout plus floral qu’aérien, un bleu de cinéraire », qui observait « cette sorte de règne végétal de l’atmosphère » (I, page 130), un beau parleur prodigue en phrases fleuries sur les clairs de lune et les « jolis » états d’âme, qui montrait une apparence d’indépendance frondeuse, feignait l’indifférence à l’égard de ses brillantes relations. Son attitude à l'égard de Marcel, si pleine de contradictions, s'expliqua dès qu'on découvrit qu'il « aimait beaucoup les gens des châteaux », que, « marchant à côté d’une châtelaine du voisinage que nous ne connaissions que de vue », il avait à peine répondu au salut du père de Marcel. Ce fut pour l’impressionner qu’il pensa envoyer son fils en vacances à Balbec. Plus tard, Legrandin reprocha à Marcel d’« être un mondain », de « faire des visites », de porter une redingote, « une livrée dont mon indépendance ne s’accommoderait pas », d’« être capable de rester un instant dans l’atmosphère nauséabonde, irrespirable pour moi, des salons », de « fréquenter la société des châteaux », ajoutant « tel est le vice de la bourgeoisie contemporaine » (II, pages 153-154). Mais, reçu chez Mme de Villeparisis, il lui prodigua des flatteries « avec un grand raffinement d’expression » (II, page 201). Marcel put enfin l’aborder pour lui tenir des propos badins, mais il les considéra pourtant comme une preuve de sa méchanceté, « ses mouvements convulsifs de colère ou d’amabilité étant gouvernés par le désir d’avoir une bonne position » dans la société (II, page 204). Lui, qui « tonnait contre les snobs » en était donc un lui-même, était même un « Saint Sébastien du snobisme », qui, longtemps, « cultiva des relations aristocratiques ». Mais, lorsqu’il eut « une situation mondaine », qu’il devint « le comte de Méséglise », il cessa d’en profiter (III, page 665). Snobe aussi, comme on l’a vu, sa fille qui était devenue Mme de Cambremer.

Par contre, quand Marcel indiqua à Albertine qu’il habitait dans l’hôtel des Guermantes, elle prit « cet air plus qu’indifférent, hostile, méprisant ». Aussi y vit-il « le signe du désir impuissant chez les natures fières et passionnées », considérait ce « dédain républicain », ce « côté esprit de révolution » comme un « amour malheureux de la noblesse - inscrit sur la face opposée du caractère français où est le genre aristocratique » (III, pages 32-33) !

Quand il ne vit « plus de quelque temps Albertine, [il] continua, à défaut de Mme de Guermantes qui ne parlait plus à mon imagination, à voir d'autres fées et leurs demeures » (II, page 741). D’où des considérations sur l’évolution des salons du fait du « goût de la nouveauté » (II, page 742), « chaque époque se trouvant ainsi personnifiée dans des femmes nouvelles » (II, page 743), comme la princesse Yourbeletieff qui faisait la promotion des ‘’Ballets russes’’ (II, page 743), comme Mme Verdurin qui était passée par « différents avatars » (II, page 743) mais avait alors un « salon dreyfusien » (II, page 744), comme Mme Swann dont le salon était antidreyfusard.

Lors de la « matinée » que donnait le prince de Guermantes, pour l’épouse américaine du comte de Farcy, Gilberte était liée aux Guermantes parce qu’elle était une Forcheville (III, page 960), erreur comparable, pour Marcel, aux méprises nobiliaires dénoncées par Saint-Simon (III, page 961). Elle fit une erreur aussi sur Mme Leroi, et Marcel commenta : « Pour les gens qui ne savent pas, ces renseignements par la conversation équivalent à ceux que donne la Presse aux gens du peuple. (III, page 963). Il voyait Bloch, « jadis indiscret autant qu’incapable de bienveillance et de conseil » (III, page 969), devenu discret et être accepté « dans des salons où il n’eût pas pénétré il y a vingt ans. Mais il avait vingt ans de plus. Il était plus près de la mort. À quoi cela l’avançait-il? » (III, page 966). Il se souvint des erreurs que, « à peine parvenu », entrant « plus nouveau que ne l’était Bloch lui-même aujourd’hui dans le milieu des Guermantes » (III, page 967), il avait dû commettre à ses débuts dans le « monde » où il faisait maintenant « la figure d’homme élégant non titré » (III, page 968). La duchesse de Guermantes le soupçonna alors de « ‘’prendre des notes’’ et ‘’faire une étude’’ » (II, page 750). Comme cette « matinée » avait lieu, non pas dans le vieil hôtel des Guermantes mais dans la nouvelle maison construite avenue du Bois, Marcel pensa qu'un charme ne se transvase pas, et qu'en quittant sa résidence héréditaire, le prince avait détruit l'un des éléments de sa « croyance», disons de ses illusions ou de son snobisme.

Proust, ayant élargi le sens du mot « snobisme » pour en faire aussi le souci de bien marquer son appartenance à un groupe social supérieur et de mépriser ceux qui n’en sont pas, il montra que, pour Mme de Saint-Euverte, « recevoir l’hommage de M. de Charlus, c’était tout le snobisme, comme ç’avait été tout le snobisme du baron de le lui refuser» (III, pages 860-861) ; qu’inversement la princesse de Parme était « dénuée de snobisme comme la plupart des véritables altesses » (II, page 55) : elle appartenait à « l’aristocratie princière, qui ne peut chercher à s’élever puisque, au-dessus d’elle, à son point de vue spécial, il n’y a rien. » (II, page 376).

Il poussa assez loin l'analyse de l’esprit de clan, chaque milieu se définissant par la reconnaissance implicite de valeurs communes. Puis il montra le fusionnement et le nivellement de l’aristocratie et de la bourgeoisie après la guerre où, « dans le faubourg Saint-Germain, ces positions en apparence imprenables du duc et de la duchesse de Guermantes, du baron de Charlus, avaient perdu leur inviolabilité. » (III, page 1018) ; il obsera en pervers la décomposition d’un ordre social.

Mais bourgeois et aristocrates étaient d’accord pour exclure les juifs.
Les juifs
Dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, Proust porta une attention constante aux juifs. S’il voulait dresser un tableau de la société française, il ne pouvait pas ne pas évoquer la situation que connurent les juifs de France à la fin du XIXe siècle. Tandis que les juifs d'Allemagne étaient exclus socialement et politiquement, l'émancipation et l’assimilation républicaine voulues par la Révolution française avaient accordé aux « Français israélites » des droits politiques, notamment le statut de citoyen et le droit de vote ainsi que l'accès aux institutions de l'État (l'armée, le pouvoir législatif et exécutif, l'université). De ce fait, une large part de la bourgeoisie israélite avait cru à la possibilité de l'intégration, pensant que mettre en sourdine sa propre culture, se détacher de la tradition judaïque, parfois jusqu’à la honte et à l’effacement, ne surtout pas se distinguer, être comme les autres, lui permettrait de se fondre dans la masse et peut-être même d'accéder au monde clos des salons parisiens. Mais les juifs conservèrent aux yeux des autres comme une marque indélébile leur judaïté, restaient marginalisés, exclus, voire même stigmatisés en tant que juifs, sauf exception déterminée par le talent ou par l'argent, étaient voués à ce sentiment d'altérité au monde qui fonderait une partie du judaïsme.

Or Proust était lui-même à demi-juif par sa mère, Jeanne Weil, car la volonté d’assimilation en France avait conduit la famille juive de celle-ci, originaire d’Allemagne et d’Alsace, à lui faire épouser un gentil. Le romancier était donc un être hybride qui vécut mal son judaïsme, qu’il avait avoué dans une émouvante lettre à Robert de Montesquiou, et qui, pratiquant le mimétisme, adopta d’abord cet antijudaïsme (c’est le mot qu’il faudrait employer puisque « antisémitisme » est en fait impropre, les Arabes aussi étant des sémites ; mais Proust employant « antisémitisme », on fera désormais comme lui !) qui est décelable tout au long de son oeuvre, qu’il a d’abord affirmé nettement avant de l’atténuer et même d’en prendre le contrepied.

On peut d’abord déjà constater dans les cahiers préparatoires à ‘’À la recherche du temps perdu’’, une évolution de son attitude à l’égard des juifs. Dans les premiers cahiers, le grand-père de Marcel exerçait à Combray des plaisanteries antisémites qui visaient Swann. Le Cahier 4 ajouta des éléments importants comme l'allusion au meurtre rituel d’un enfant chrétien que, selon une légende médiévale, commettraient les juifs à Pâques. Dans le Cahier 8, des plaisanteries lancées contre Swann passaient pour de l'humour juif ; la tension était donc moins forte : elle se reportait sur le refus du baiser maternel (à cause du juif Swann). Dans le Cahier 9, le refus de Françoise de servir d'entremetteuse entre le fils et sa mère était présenté comme l’application par la vieille servante française des rigueurs de la « vieille loi juive » ; on y trouve un long développement sur les origines de la mère de Swann qui était considérée comme « fraîchement débarquée d'Orient », sa famille n'habitant la France que depuis cinq ou six générations, et l'idée que la mobilité sociale (qui allait être l’apanage du fils Swann) est le fruit de l'immigration : c’était peut-être à nouveau de l'humour, à moins qu'il ne s’agisse d'une rumination et d'une macération culpabilisantes. En 1913, en corrigeant ses tapuscrits, Proust supprima l'allusion au meurtre rituel, le développement sur les origines de Madame Swann, déplaça sur Bloch, lors de sa visite à Paris, les plaisanteries contre Swann. Ces transformations firent disparaître de "Combray" le côté juif de Swann, qui allait reparaître plus loin dans le roman, dans ‘’Sodome et Gomorrhe’’, à l'occasion de l’évocation de l'affaire Deyfus. Ainsi, c'est tout un roman juif qui fut éliminé de la première partie du roman, pour se redéployer ailleurs. Les tensions affectives n'en devinrent que plus complexes, dans une famille dont l'antisémitisme se reporta définitivement sur l'ami ambigu de Marcel, Bloch.

Dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, on trouve encore de multiples allusions au monde judaïque : Marcel, définissant le code que suivait Françoise, « lui donnait l’apparence de ces lois antiques qui [...] défendent avec une délicatesse exagérée de faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, ou de manger dans un animal le nerf de la cuisse. » (I, pages 28-29), ce qui est une moquerie à l’égard des préceptes de la loi hébraïque. Puis, sanglotant sur des tapis enroulés et avalant leur pousière et ses larmes, il se voyait « pareil aux Juifs qui se couvraient la tête de cendres dans le deuil » (II, page 393) ; devant le restaurant où se il rendit avec Saint-Loup, le brouillard « montrait l’entrée comme la colonne lumineuse qui guida les Hébreux. Il y en avait d’ailleurs beaucoup dans la clientèle. » (II, page 400) et, à l’intérieur, une salle était « réservée aux Hébreux ». On ne peut manquer de trouver ce qualificatif comme injurieux, sinon nettement raciste. Il signala que, dans une famille juive, on conserve « un terme rituel détourné de son sens et peut-être le seul mot hébreu que la famille, maintenant francisée, connaisse encore » (III, pages 325-326).

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