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André Durand présente l’intérêt documentaire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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Dans ‘’Le côté de Guermantes’’, on suit la longue conversation entre Bloch et Norpois où l’aristocrate diplomate qui « était ardemment antidreyfusard […] avait l’air de donner raison à son interlocuteur» qui « ne put arriver à démêler l’opinion de M. de Norpois », « tâcha de le faire parler des officiers dont le nom revenait souvent dans les journaux à ce moment-là » (II, page 233, pages 240-243).

« M. de Cambremer considérait l’affaire Dreyfus comme une machine étrangère destinée à détruire le Service des Renseignements, à briser la discipline, à affaiblir l’armée, à diviser les Français, à préparer l’invasion. » (III, page 235).

Les seuls aristocrates à échapper à cet esprit de clan étaient Mme de Villeparisis et Saint-Loup. La marquise, « laissant toute une partie de sa famille tonner contre les Juifs, était jusqu’ici restée entièrement étrangère à l’Affaire et ne s’en souciait pas » (II, page 190). Robert de Saint-Loup se fit-il dreyfusard par amour pour Rachel, ou, gentilhomme progressiste, voulut-il rompre avec sa caste? Quoi qu’il en soit, dans sa garnison de Doncières, s’il était préoccupé par l'affaire Dreyfus, il « en parlait peu parce que seul de sa table il était dreyfusard ; les autres étaient violemment hostiles à la révision.» Mais on disait que le colonel « avait laissé échapper quelques assertions qui avaient donné à croire qu’il avait des doutes sur la culpabilité de Dreyfus et gardait son estime à Picquart. » (II, page 108). Comme Saint-Loup était un Marsantes, son dreyfusisme, qu’il devait en fait à Rachel, faisait que les nationalistes traduisaient l’étymologie de ce nom, « Mater Semita », par « mère sémite », alors qu’expliqua Proust « ‘’semita’’ signifie ‘’sente’’ et non ‘’Sémite’’ » (II, page 179). Ce dreyfusisme lui fit refuser d’être présenté à Mme Swann : « C’est une ancienne grue. Son mari est juif et elle nous le fait au nationalisme. » (II, page 264). La duchesse de Guermantes s’étonna que ce « partisan enragé de Dreyfus » voulût être présenté au Jockey Club où on soutenait « qu’il fallait renvoyer tous les juifs à Jérusalem ». Pourtant, il tourna casaque quand il rompit avec Rachel.

L’aristocrate le plus étonnant fut le prince de Guermantes car il fut le seul à changer d’avis, comme, lors de la soirée chez lui, il le révéla à Swann : il lui dit en être arrivé, après un examen de l’affaire, à se convaincre de l'innocence de Dreyfus (II, pages 705-706, 708-709), au point de faire dire par un prêtre « sa messe pour Dreyfus » et constater alors qu’il y avait « un autre catholique que moi qui est convaincu de son innocence » et apprendre que c’était la princesse ! (II, page 711).
Les petits-bourgeois aussi étaient antidreyfusards. La seule des habitants de Combray à ne pas partager cet esprit était Mme Sazerat (« seule de son espèce à Combray elle était dreyfusarde » [II, page 152]) non sans une curieuse gymnastique. En effet, elle « avait été indignée que mes parents eussent reçu le jeune Bloch, tant elle était antisémite. Mais le dreyfusisme, comme une chasse d'air, avait fait, il y a quelques jours, voler jusqu'à elle M. Bloch. Le père de mon ami avait trouvé Mme Sazerat charmante et était particulièrement flatté de l'antisémitisme de cette dame qu’il trouvait une preuve de la sincérité de sa foi et de la vérité de ses opinions dreyfusardes, et qui donnait aussi du prix à la visite qu’elle l’avait autorisé à lui faire. Il n’avait même pas été blessé qu’elle eût dit étourdiment devant lui : ‘’M. Drumont a la prétention de mettre les révisionnistes dans le même sac que les protestants et les Juifs. C’est charmant cette prosmicuité !’’» (II, pages 289-290). Le père de Marcel, étant l’ami de Jules Méline (président du conseil des ministres qui était hostile à la révision du procès), « était convaincu de la culpabilité de Dreyfus » (II, page 152). Mme Bontemps était antidreyfusarde (II, page 582).
Les juifs étaient dreyfusards.

Rachel plaignait Dreyfus : « S’il était innocent, quelle horreur ce serait qu’il fût à l’île du Diable ! » (II, page 147) - « Le pauvre martyr, dit-elle en retenant un sanglot, ils le feront mourir là-bas (II, page 164).

On a vu Bloch, qui affectait l’antisémitisme, tenir prudemment avec Norpois une conversation sur l’affaire Dreyfus, puis adopter un dreyfusisme militant, s’occupant d’« une circulaire à signer » pour obtenir la révision du procès (II, pages 712-713).

Swann, qui s’était jusqu’alors contenté d’être un esthète, fut happé par l’affaire Dreyfus où il considéra d’abord « les opinions commandées par l’atavisme », avant de trouver « indistinctement intelligents ceux qui étaient de son opinion », c’est-à-dire ceux qui étaient dreyfusards, « mêlant encore à son ardente conviction d’Israélite la modération diplomatique du mondain, dont il avait trop pris les habitudes pour pouvoir si tardivement s’en défaire », ne voulant même pas apposer son nom à la circulaire : « Il le trouvait trop hébraïque pour ne pas faire mauvais effet. Et puis, s’il approuvait tout ce qui touchait à la révision, il ne voulait être mêlé en rien à la campagne antimilitariste. » (II, page 712). Et Marcel constata avec un mélange de dérision et d’admiration : « Le dreyfusisme avait rendu Swann d’une naïveté extraordinaire et donné à sa façon de voir une impulsion et un déraillement plus notables encore que n’avait fait son mariage avec Odette ; ce nouveau déclassement eût été mieux appelé reclassement et n’était qu’honorable pour lui, puisqu’il le faisait rentrer dans la voie par laquelle étaient venus les siens et d’où l’avaient dévié ses fréquentations aristocratiquesMais Swann, précisément au moment même où, si lucide, il lui était donné, grâce aux données héritées de son ascendance, de voir une vérité encore cachée aux gens du monde, se montrait pourtant d’un aveuglement comique. Il remettait toutes ses admirations et tous ses dédains à l’épreuve d’un critérium nouveau, le dreyfusisme », réhabilitant tout à coup, dans sa mauvaise foi citoyenne, Clemenceau dont il disait qu’il était un écrivain autrement supérieur à Barrès, qui «n’a pas d’os» (II, page 582). Il empêcha sa femme de faire, dans les salons pour les attirer dans le sien, des avances à des antisémites (II, page 747). Mais elle se créa, à la faveur de son antidreyfusisme des relations aristocratiques !


Les Verdurin aussi étaient dreyfusards. D’abord, ils faisaient preuve d’« intransigeance républicaine ». Mme Verdurin, après s’être trouvée chez Odette « au milieu de notabilités aristocratiques [...], le soir, disait avec dégoût à son mari ‘’Charmant milieu ! Il y avait toute la fleur de la Réaction ! » (I, page 600). Elle affichait « son horreur de la calotte », demandant à Charlus qui prétendait vouloir rester sur la côte normande jusqu’à la fête de son patron, l’archange saint Michel : « Ça vous intéresse beaucoup, ces affaires-là? » (II, page 957).

Pourtant, son « antisémitisme bourgeois et latent s’étant réveillé et ayant atteint une véritable exaspération » (II, pages 252-253) fit d’elle une antidreyfusiste. Puis elle fut soudain désignée comme révisionniste, agissant alors « en farouche radicale » qui « était avant tout contre les ‘’calotins’’ » (II, page 583), tenant un « salon dreyfusien » (II, page 744), où, « comme en de véritables séances de Salut Public (si le monde avait pu s’intéresser à l’affaire Dreyfus) se réunissaient Picquart, Clemenceau, Zola, Reinach et Labori » (II, page 747). Dans la nouvelle demeure du quai Conti, le salon Verdurin commença à profiter de l'affaire Dreyfus, ayant alors « attiré des écrivains de valeur » (III, page 235 : « L’affaire Dreyfus avait passé, Anatole France lui restait »).


Quant à Marcel, il se contenta de jouer à l’observateur détaché. Il surprit « une dispute entre notre maître d’hôtel, qui était dreyfusard, et celui des Guermantes, qui était antidreyfusard. Les vérités et contre-vérités qui s’opposaient en haut chez les intellectuels de la Ligue de la Patrie Française et celle des Droits de l’homme se propageaient en effet jusque dans les profondeurs du peuple. M. Reinach manoeuvrait par le sentiment des gens qui ne l’avaient jamais vu, alors que pour lui l’affaire Dreyfus se posait seulement devant sa raison, comme un théorème irréfutable et qu'il ‘’démontra’’, en effet, par la plus étonnante réussite de politique rationnelle (réussite contre la France, dirent certains) qu’on ait jamais vue. En deux ans il remplaça un ministère Billot par un ministère Clemenceau, changea de fond en comble l'opinion publique, tira de sa prison Picquart pour le mettre, ingrat, au Ministère de la Guerre. Peut-être ce rationaliste manœuvreur de foules était-il lui-même manoeuvré par son ascendance. Qand les systèmes philosophiques qui contiennent le plus de vérité sont dictés à leurs auteurs, en dernière analyse, par une raison de sentiment, comment supposer que, dans une simple affaire politique comme l'affaire Dreyfus, des raisons de ce genre ne puissent, à l'insu du raisonneur, gouverner sa raison? Bloch croyait avoir logiquement choisi son dreyfusisme, et savait pourtant que son nez, sa peau et ses cheveux lui avaient été imposés par sa race. Sans doute la raison est plus libre ; elle obéit pourtant à certaines lois qu'elle ne s'est pas données. Le cas du maître d'hôtel des Guermantes et du nôtre était particulier. Les vagues des deux courants de dreyfusisme et d’antidreyfusisme qui de haut en bas divisaient la France, étaient assez silencieuses, mais les rares échos qu'elles émettaient étaient sincères. En entendant quelqu'un, au milieu d'une causerie qui s'écartait volontairement de l’Affaire, annoncer furtivement une nouvelle politique, généralement fausse mais toujours souhaitée, on pouvait induire de l'objet de ses prédictons l'orientation de ses désirs. Ainsi s'affrontaient sur quelques points, d'un côté un timide apostolat, de l'autre une sainte indignation. Les deux maîtres d'hôtel que j'entendis en rentrant faisaient exception à la règle. Le nôtre laissa entendre que Dreyfus était coupable, celui des Guermantes qu'il était innocent. Ce n'était pas pour dissimuler leurs convictions, mais par méchanceté et âpreté au jeu. Notre maître d’hôtel, incertain si la révision se ferait, voulait d'avance, pour le cas d'un échec, ôter au maître d'hôtel des Guermantes la joie de croire une juste cause battue. Le maître d’hôtel des Guermantes pensait qu'en cas de refus de révision, le nôtre serait plus ennuyé de voir maintenir à l’île du Diable un innocent. » (II, pages 296-297).

Ce statut de neutralité lui permit aussi de prétendre, dans ‘’Le temps retrouvé’’, avoir pu constater que, pendant l’affaire Dreyfus, « les gens du pouvoir savaient si Dreyfus était coupable ». (III, page 914), que « le souvenir exécré de l’affaire Dreyfus persistait vaguement » (III, page 958). Il put en apprécier sereinement les conséquences : « Des suites de l’affaire Dreyfus était né un mouvement antisémite parallèle à un mouvement de pénétration plus abondant du monde des affaires par les israélites. Les politiciens n’avaient pas eu tort en pensant que la découverte de l’erreur judiciaire porterait un coup à l’antisémitisme. Mais, provisoirement au moins, un antisémitsme mondain s’en trouvait au contraire accru et exaspéré. » (III, pages 574-575). Il voyait que Mme Swann recevait désormais des « notabilités républicaines » et même des « dames israélites », car la société avait évolué (« le plus récent tour du kaléidoscope mondain avait été provoqué par une série de scandales » [I, page 520] « les hommes, ne changeant pas du jour au lendemain cherchent dans un nouveau régime la continuation de l’ancien. » I, page 520). Il avait annoncé, dès ‘’Le côté de Guermantes’’, l’évolution des aristocrates qui, en 1898, « considéraient Dreyfus et ses partisans comme des traîtres » et qui « vingt-cinq ans plus tard, les idées ayant eu le temps de se classer et le dreyfusisme de prendre dans l’histoire une certaine élégance, les fils, bolchevisants et valseurs, de ces mêmes jeunes nobles dussent déclarer aux ‘’intellectuels’’ qui les interrogeaient, que sûrement, s’ils avaient vécu en ce temps, ils eussent été pour Dreyfus, sans trop savoir ce qu’avait été l’Affaire. » (II, pages 400-401). Pendant la guerre, « toute la Chambre étant à un certain moment devenue révisionniste, c’était forcément parmi d’anciens révisionnistes, comme parmi d’anciens socialistes, qu’on avait été obligé de recruter le parti de l’ordre social, de la tolérance religieuse, de la préparation militaire. » (III, pages 726-727). « Le dreyfusisme était maintenant intégré dans une série de choses respectables et habituelles . […] Il n’était plus ‘’shocking’’ » (III, page 727). « Des dreyfusards comme Reinach collaboraient aujourd’hui avec les patriotes contre un pays dont chaque membre était forcément un menteur, une bête féroce, un imbécile», l’Allemagne (III, page 913).


Car l’affaire Dreyfus n’avait été qu’un épiphénomène dans un affrontement plus large, celui entre la France et l’Allemagne, qui avait conduit à la guerre de 1914-1918.
La guerre de 1914-1918
L’affaire Dreyfus s’inscrivait dans les difficiles relations entre la France et l’Allemagne, apparurent, dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, ponctuées en particulier par :

- la rivalité entre elles au Maroc qui fit peser les menaces d’une guerre à laquelle pourtant Saint-Loup ne voulait pas croire : « Tu n’as qu’à penser à quelle chose cosmique serait une guerre aujourd’hui. Ce serait plus catastrophique que le ‘’Déluge’’ et le ‘’Götterdämmerung’’. Seulement cela durerait moins longtemps.» (II, page 412) ;

- « l’incident Delcassé » qui, en mars-juin 1905, suivit la visite de l’empereur d’Allemagne Guillaume II à Tanger, qui fut le « bluff » de l’Allemagne menaçant de faire la guerre si n’était pas renvoyé le ministre des affaires étrangères français, Delcassé, ce qu’elle obtint (III, page 361) ;

- la menace de guerre en 1905 encore : « Pendant le ministère Rouvier on crut qu’il allait y avoir la guerre entre la France et l’Allemagne » (III, page 576).

La dégradation de ces relations conduisit à la guerre de 1914-1918, affrontement au sujet duquel Marcel s’avisa assez tardivement que « la grande figure France remplie jusqu’à son périmètre de millions de petits polygones aux formes variées, et la figure, remplie d’encore plus de polygones, Allemagne, avaient entre elles deux de ces querelles » pour lesquelles, découvrit-il, on peut appliquer « la psychologie des individus » (III, page 771).

Mais, en dépit du fait qu’il est dit que Saint-Loup « commençait [...] à apercevoir » que la guerre « est humaine, se vit comme un amour ou comme une haine, pourrait être racontée comme un roman» (III, page 982), elle fut quelque peu éludée, comme l’avait annoncé la désinvolture avec laquelle elle avait été mentionnée au milieu de réalités « à peu près identiques pour chacun, parce que quand nous disons : un mauvais temps, une guerre, une station de voitures, un restaurant éclairé, un jardin en fleurs, tout le monde sait ce que nous voulons dire » (III, page 890). Proust aurait-il parlé de la guerre de 1914-1918 avec autant de légèreté s’il avait dû la faire au lieu de rester « planqué » à l’arrière? Quand Marcel déclara que : « Tout en bas, les purs sots, les purs gens de plaisir, ne s’occupaient pas qu’il y eût la guerre. Mais tout en haut, ceux qui se sont fait une vie intérieure ambiante ont peu d’égard à l’importance des événements » (III, page 728), on peut se demander dans laquelle de ces deux catégories il se plaçait !

Proust choisit de retirer de la scène son personnage pendant cette période cruciale, de le faire disparaître dans des maisons de santé desquelles pourtant la guerre aurait pu être vue, comme l’a fait Thomas Mann dans ‘’La montagne magique’’. On apprend seulement qu’à son début, Marcel fit un premier séjour dans une maison de santé, puis qu’il revint d’un second séjour après que « beaucoup d’années » se fussent passées : on est donc sans doute nettement après la guerre, au moins en 1921 comme permet de l’établir la mention de Landru (III, page 205), criminel célèbre dont le procès s’est déroulé cette année-là.
Toutefois, il fut tout de même fait mention de ce conflit terrible, qui avait fait en France deux millions de morts ou de disparus, à quelques occasions qu’on peut essayer de relever :

En 1914, Françoise « trouvait qu’on ne devait pas abandonner les ‘’pauvres Russes’’, puisqu’on était ‘’alliancé’’ » (III, pages 747-748). Comme elle n’avait pas réussi à « faire réformer son neveu », le maître d’hôtel des Guermantes se plaisait à l’inquiéter, affirmant : « C’est toute la jeunesse qui sera en avant, il n’en reviendra pas lourd » (III, page 748). Il ne parlait que de victoires, mais Marcel était cependant « effrayé de la rapidité avec laquelle le théâtre de ces victoires se rapprochait de Paris. » (III, page 750). Bloch « faisait montre des sentiments les plus chauvins » (III, page 737), mais, comme « quoique myope », il avait « été reconnu bon pour le service » (III, page 739), il « n’avait pas envie de se faire ‘’trouer la peau pour Guillaume’’ [l’empereur d’Allemagne]» (III, page 740). Saint-Loup prétendit, avec une fausse assurance enfantine : « Si je ne reprends pas de service, c’est tout bonnement par peur, na ! » (III, page 738) ; mais, en réalité, « il faisait des pieds et des mains » pour que son engagement fût accepté. Le directeur du Grand Hôtel était « germanophobe », mais, du fait de son origine étrangère, on le considéra comme « un Boche » et on l’a « mis dans un camp de concentration » (III, page 747). « L’ancien liftier » cherchait à « rentrer » dans l'aviation (III, page 747), situation inspirée vraisemblablement à Proust par le projet de son ami, Alfred Agostinelli. 

Dans sa maison de santé, Marcel reçut une lettre de Gilberte qui, « effrayée par les raids perpétuels de ‘’taubes’’ au-dessus de Paris » (les « taubes » étant des avions autrichiens monoplan à ailes et queue de pigeon employé dès 1912 à des fins militaires), s’était réfugiée à Tansonville où elle avait été obligée d’héberger « un état-major allemand » qui « s’était bien conduit » au point qu’« elle ne tarissait pas sur sa parfaite éducation […] qu’elle opposait à la violence désordonnée des fuyards français qui avaient traversé la propriété en saccageant tout, avant l’arrivée des généraux allemands» (III, page 751). Il reçut aussi une lettre de Saint-Loup où, étant parti sur le front, il analysait la guerre, trouvait que « des mots comme ‘’passerons pas’’ ou ‘’on les aura’’ ne sont pas agréables » car « c’est ennuyeux de construire une épopée sur des termes qui sont pis qu’une faute de grammaire ou une faute de goût », admirait l’« héroïsme » des « gens du peuple » qui donne « une belle idée des Français » (III, page 752).

À son second retour à Paris en 1916, Marcel fit de plus amples observations qui portaient surtout sur la vie à l’arrière, qui « continuait presque semblable pour bien des personnes qui ont figuré dans ce récit » (III, page 771). Qualifiant les gens du « monde » de « derniers représentants d’une société dont il n’existe plus aucun témoin’’ » (III, page 719), il s’intéressa d’abord aux modes féminines qui avaient changé (III, pages 723-725), constata que, les musées étant fermés, les expositions étaient « des expositions de robes destinées d’ailleurs à ‘’ces délicates joies d’art dont les Parisiennes étaient depuis trop longtemps sevrées’’ » (III, page 724).

Mme Verdurin était, « avec Mme Bontemps une des reines de ce Paris de la guerre qui faisait penser au Directoire» (III, page 723, ce que Marcel répéta page 726 : « Celles du second [les dames du second Directoire] en avaient deux qui étaient vieilles et laides et s’appelaient Mme Verdurin et Mme Bontemps »). M. Bontemps étant un grand fonctionnaire « jusqu’auboutiste » (III, page 728), Mme Bontemps s’était « solidement installée dans le faubourg Saint-Germain » (III, page 729). Les nouvelles de la guerre (avec des mentions de Clemenceau, des généraux français de Castelnau, Joffre, Mangin, Négrier, Pau, Pétain, du maréchal Foch, des généraux anglais Gorringer et Townsend et du général français Sarrail, chefs du corps expéditionnaire de Mésopotamie, de l’Allemand Hindenburg, de Maurice Paléologue, ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg pendant la guerre, du général Roques, ministre de la guerre en 1916, etc.) étaient répercutées dans le salon Verdurin (III, page 729) car Mme Verdurin se donnait un grand rôle politique, se voulant le porte-parole officieux du « G.Q.G. », faisant de nombreux « téléphonages » (III, page 733). Le salon « s’était transporté momentanément dans un des plus grands hôtels de Paris, le manque de charbon et de lumière rendant plus difficiles les réceptions des Verdurin dans l’ancien logis, fort humide, des Ambassadeurs de Venise. » (leur hôtel du quai Conti aurait été l’ancien hôtel des Ambassadeurs de Venise [III, page 709)] - « Tous les gens les plus intéressants, les plus variés, les femmes les plus élégantes de Paris, étaient ravis de profiter du luxe des Verdurin, qui avec leur fortune allait croissant à une époque où les plus riches se restreignaient faute de toucher leurs revenus. » (III, pages 733-734). Notations significatives de l’inconscience dans laquelle on vivait à l’arrière, on apprend que « souffrant pour ses migraines de ne plus avoir de croissant à tremper dans son café au lait, elle avait fini par obtenir de Cottard une ordonnance qui lui permit de s’en faire faire dans certain restaurant », et qu’« elle reprit son premier croissant le matin que les journaux narraient le naufrage du ‘’Lusitania’’ » (III, page 772), paquebot britannique qui fut torpillé le 7 mai 1915 par un sous-marin allemand au large de l’Irlande.

Brichot s’était mis « à écrire presque quotidiennement» des articles où il critiquait le militarisme de l’Allemagne (« Les Allemands ne pourront plus regarder en face la statue de Beethoven ; Schiller a dû frémir dans son tombeau » [III, page 790]) ou le triomphe du communisme en Russie (« Lénine parle, mais autant en emporte le vent de la steppe » [III, page 790]), qui lui firent subir une disgrâce chez les Verdurin, Mme Verdurin s'acharnant contre leur ridicule (III, page 789) et qui inspirèrent des sarcasmes à Charlusles ; il craignait la censure qui était imposée: « Pourvu que très haute et très puissante dame Anastasie ne nous caviarde pas ! » (III, page 767, la censure étant symbolisée par une horrible mégère armée d’immenses ciseaux, dont le nom pourrait être lié au pape Anastase 1er [399-401] qui inaugura la censure religieuse en interdisant la lecture des livres d’Origène qui présentaient une cosmologie jugée non orthodoxe). Le meurtre de Raspoutine, qui eut lieu le 30 décembre 1916, frappa par « un si fort cachet de couleur russe, dans un souper à la Dostoïevsky » (III, page 777), mais donna lieu aussi à cette platitude : « un souper, un meurtre, événements russes, ont quelque chose de russe. » ! On voyait à Paris des « troupes alliées ; et parmi elles des Africains en jupe-culotte rouge, des Hindous enturbannés de blanc.» (III, page 763) : elles n’intéressaient donc Marcel que pour leurs tenues exotiques ! Lui rendit visite Saint-Loup, venu en permission, et il l’avait « approché avec ce sentiment de timidité, avec cette impression de surnaturel que donnaient au fond tous les permissionnaires » (III, page 757) ; ils échangèrent des considérations stratégiques (III, page 760) et des propos sur la beauté des raids nocturnes d’aviation (III, page 758) : « À la tombée du jour », apparaissait dans le ciel « un aéroplane monté par des hommes qui veillaient sur Paris. » (III, page 735) ; pour Marcel, les aéroplanes faisaient « comme des insectes des taches brunes sur le soir bleu, passaient dans la nuit qu’approfondissait encore l’extinction partielle des réverbères, comme de lumineux brûlots», « qui montaient comme des fusées rejoindre les étoiles » tandis que « des projecteurs promenaient lentement, dans le ciel sectionné, comme une pâle poussière d’astres, d’errantes voies lactées. » (III, page 801). Il pensait que « si la guerre n’avait pas grandi l’intelligence de Saint-Loup, cette intelligence conduite par une évolution où l’hérédité entrait pour une grande part, avait pris un brillant que je ne lui avais jamais vu» (III, page 760) ; il s’était « rangé dans cette fraction de l’aristocratie qui faisait passer la France avant tout » (III, page 761).

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