Ana səhifə

André Durand présente l’intérêt documentaire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


Yüklə 0.73 Mb.
səhifə5/9
tarix24.06.2016
ölçüsü0.73 Mb.
1   2   3   4   5   6   7   8   9

Un antisémitisme moderne, qui était celui de la bourgeoisie, fut exprimé par Mme Verdurin, Morel et Albertine.

De la première, il fut dit qu’« un antisémitisme bourgeois et latent s’était réveillé et avait atteint une véritable exaspération. » (II, pages 252-253).

Morel, pensant que Bloch voulait lui prendre sa place auprès de Charlus, ajouta : « C’est bien d’un youpin ! » (II, page 1107).

À Albertine, Mme Bontemps avait appris « la haine des Juifs » (II, page 356). Devant les sœurs de Bloch, elle déclara : « On ne me permet pas de jouer avec des israélites » et Marcel commenta : « La façon dont elle prononçait ‘’issraélites’’ au lieu d’’’izraélites’’ aurait suffi à indiquer, même si on n’avait pas entendu le commencement de la phrase que ce n’était pas de sentiments de sympathie envers le peuple élu qu’étaient animées ces jeunes bourgeoises, de familles dévotes, et qui devaient croire aisément que les juifs égorgeaient les enfants chrétiens. » (I, page 903). Elle désigna à Marcel Bloch comme son « youpin d’ami »  (III, page 335).


Cet antisémitisme conduit à un ostracisme qui fut présenté comme analogue à celui dont étaient victimes les homosexuels : « Certains juges supposent et excusent plus facilement l’assassinat chez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisons tirées du péché originel et de la fatalité de la race. » (II, page 615) - «Le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les Juifs autour de Dreyfus » (II, page 616) - « Comme les Juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) [...] ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques et moraux d’une race [...] ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux, comme les Israélites disent de Jésus qu’il était juif.» (II, page 616) - aux invertis solitaires « peut-être l'exemple des Juifs, d'une colonie différente, n'est-il même pas assez fort pour expliquer combien l'éducation a peu de prise sur eux, et avec quel art ils arrivent à revenir, peut-être pas à quelque chose d'aussi simplement atroce que le suicide » (II, page 624) - Proust voudrait « prévenir l'erreur funeste qui consisterait, de même qu'on a encouragé un mouvement sioniste, à créer un mouvement sodomiste et à rebâtir Sodome » (II, page 632).

Certains antisémites soulignaient l’« impossibilité de la race juive à se nationaliser » (III, page 913).


Ainsi, sur plusieurs années, l’écrivain juif qu’était Proust, là aussi tout à fait ambigu, artiste d’abord guère soucieux de revendiquer ses origines, qui avait intériorisé le préjugé antijuif tel qu’il fleurissait à la fin du XIXe siècle, avait dressé un tableau péjoratif sinon injurieux des juifs, s'était acharné en particulier sur un de ses personnages juifs, avait exprimé un antisémitisme qui, après la Shoah, n’est plus supportable, à moins qu’on veuille à toute force considérer ses plaisanteries antisémites comme de l'humour juif. On peut d’ailleurs remarquer qu’il se montra xénophobe aussi à l’égard du directeur du Grand-Hôtel de Balbec. Son alter ego, Marcel, ne s’engagea jamais, n’osa guère interrompre les fadaises antijuives à la Drumont de Charlus !

Mais l'affaire Dreyfus, en rendant évident l'antisémitisme d'une société résolue à conserver ses préjugés, le mit face à ses contradictions. Il reconnut « que le kaléidoscope social était en train de tourner et que les Juifs allaient être précipités au dernier rang de l’échelle sociale » (II, page 190).

Il faut donc ici rejoindre le déroulement des événements de l’époque qui trouvèrent un certain écho dans ‘’À la recherche du temps perdu’’.

_________________________________________________________________________________


Les événements de l’époque
En arrière-plan d’’À la recherche du temps perdu’’, se dessine une peinture de l’époque, la Belle Époque qui allait devenir les années folles, d’abord à travers une certaine évolution matérielle, l’apparition de différents signes du progrès.

On voit les Verdurin acheter un hôtel du quai Conti qui était éclairé à l’électricité, progrès qui avait été annoncé dans ‘’Un amour de Swann’’ (I, page 268). Des électriciens, il est dit qu’ils étaient une aristocratie de la technique, qu’ils « comptent aujourd’hui dans les rangs de la Chevalerie véritable». (I, page 781). L’électricité permit l’ascenseur et le « lift », le garçon d’ascenseur dont Marcel put dire : « personnage encore inconnu de moi [...] et qui, au plus haut de l’hôtel [...] était installé comme un photographe derrière son vitrage [...] se mit à descendre vers moi avec l’agilité d’un écureuil domestique, industrieux et captif. Puis en glissant de nouveau le long d’un pilier il m’entraîna à sa suite vers le dôme de la nef commerciale. » (I, page 665). Elle permit aussi le tramway dont « le timbre résonnait comme eût fait un couteau d’argent frappant une maison de verre. » (III, page 25), qui est conduit par un « wattman » (III, page 866).

Le téléphone, qui fascina Proust, un des premiers écrivains à l’avoir, permit que parvienne « un escadron volant de mots » « avec une vitesse instantanée » (III, page 155) ; Marcel lui trouva un « bruit de toupie » (II, page 731) et, pour désigner un coup de téléphone, employa le mot « téléphonage » (II, page 866 - III, pages 559, 733, 734). Il nota d’abord qu’on venait de l’installer à Doncières (II, page 123), qu’il « n’était pas encore à cette époque d’un usage aussi courant qu’aujourd’hui » (II, page 133) ; puis, dans ‘’La prisonnière’’, il constata que de cet « instrument surnaturel devant les miracles duquel on s’émerveillait jadis, on se sert maintenant sans même y penser, pour faire venir son tailleur ou commander une glace » (III, page 32) ; il faut pourtant « invoquer les Divinités implacables » et entendre tout de même : « Pas libre » (III, page 99) ; quant à Françoise, « une timidité et une mélancolie ancestrale, appliquées à un objet inconnu de ses pères, l’empêchaient de s’approcher d’un récepteur, quitte à visiter des contagieux «  (III, page 155).

Furent mentionnés aussi des « instruments de musique enregistreurs » (II, page 11).

De la motocyclette, « le jeune valet de pied de Françoise » écrit dans sa lettre : « dont j’ai appris dernièrement » (II, page 566).

Pour l’automobile, qui succéda aux « voitures » hippomobiles, aux « calèches » et aux « victorias », les obscures machinations par lesquelles Morel fit congédier le cocher des Verdurin pour faire prendre sa place par le chauffeur qui était son ami et son complice (II, page 1029) étant révélatrices de cette mutation, Proust observa, assez platement, qu’elle supprime les distances et modifie même l'art « puisqu’un village, qui semblait dans un autre monde que tel autre, devient son voisin dans un paysage dont les dimensions sont changées » (II, pages 996-997) ; que « la figure du pays semblait toute changée » (II, page 1004). Marcel en offrit une à Albertine, dont, toutefois, on le la vit jamais se servir ; et on peut se demander s’il n’était pas prêt à lui en offrir une seconde puisqu’il mentionna «  la Rolls Royce qu’elle désirait » (III, page 421), avec « le yacht dont je lui avais parlé » (III, page 157) et qui fut mentionné encore en III, page 421, présents qui paraissent invraisemblables.

Enfin, surgirent les « aéroplanes » « encore rares à cette époque » (II, page 1029), dont les premiers « qui ne purent quitter la terre mais où résidait, non encore le moyen secret et qui restait à découvrir, mais le désir du vol » (III, page 892). Mais la découverte qu’en fit Marcel se situant dans ‘’Sodome et Gomorrhe’’, c’est-à-dire en 1900, un problème de chronologie se pose car les aéroplanes capables de tels vols ne furent mis au point que bien après les vols des frères Wright, en 1903 aux États-Unis. Il reste que l’aviateur était « un personnage mythologique » qui rendit Marcel « aussi ému que pouvait l’être un Grec qui voyait pour la première fois un demi-dieu », le fit même « pleurer », « fondre en larmes ». (II, page 1029), lui permit cette comparaison : « Comme un aviateur qui a jusque-là péniblement roulé à terre, ‘’décollant’’ brusquement, je m’élevais lentement vers les hauteurs silencieuses du souvenir. » (III, page 858) !

Détail à signaler au passage : Proust fut tout à fait dans l’erreur quand, au sujet du « certificat d’études » qu’a passé Gisèle, une des « jeunes filles en fleurs », il prétendit qu’elle avait eu à choisir, pour la composition française, entre ces deux sujets : « Sophocle écrit des Enfers à Racine pour le consoler de l’insuccès d’’’Athalie’’ » - « Vous supposerez qu’après la première représentation d’’’Esther’’, Mme de Sévigné écrit à Mme de La Fayette pour lui dire combien elle a regretté son absence », et qu’il y avait aussi un « examen d’espagnol » (I, page 911) : de telles matières ne figuraient évidemment pas au programme du certificat d’études primaires où il y avait plutôt une dictée et des exercices d’arithmétique !

À Doncières, Marcel découvrit le quartier de cavalerie (II, page 71), alla « souvent voir le régiment faire du service en campagne » (II, page 91).
‘’À la recherche du temps perdu’’ se déroule dans la France de la Troisième République des années 1870 à 1920, Proust manifestant un certaine préoccupation d’historien puisqu’il put dire qu’il se permettait une parenthèse de plus « mais utile pour décrire cette époque. » (III, page 789).

Au fil des pages, on peut relever quelques étapes de cette Histoire.

Dans ‘’Un amour de Swann’’, celui-ci « se penchait avec une angoisse impuissante, aveugle et vertigineuse vers l’abîme sans fond où étaient allées s’engloutir ces années du début du Septennat » (I, page 313), c’est-à-dire le premier mandat présidentiel de sept ans qui fut voté en 1873.

Au début d’’’À l’ombre des jeunes filles en fleurs’’, il est indiqué que M. de Norpois, ancien ambassadeur, « avait été ministre plénipotentiaire avant la guerre et ambassadeur au Seize Mai », ce qui désigne la crise politique du 16 mai 1877, une des crises politiques les plus importantes de la Troisième République, qui porta à la fois sur le rôle du président et sur la domination contestée des forces royalistes. Après un affrontement au sujet des fonctions respectives du président et du parlement, le président Mac Mahon, qui était royaliste, démit le premier ministre Jules Simon, qui était un républicain modéré. Le parlement refusa de soutenir le nouveau gouvernement et fut dissous par le président. De nouvelles élections marquèrent une victoire éclatante des républicains. Ainsi prévalut sur un système présidentiel un système parlementaire, et fut concrétisée la défaite du mouvement royaliste, achevée en 1883 avec la mort du comte de Chambord.

Dans ‘’Albertine disparue’’ fut prêté à M. de Norpois un rôle essentiel en 1870.

Dans ‘’Un amour de Swann’’, Cottard s’étonna que Swann « frayât avec le Chef de l’État », Jules Grévy qui, le 30 janvier 1879, était devenu président de la République (I, page 216).

Il fut fait mention de « la fête de Paris-Murcie donnée pour les inondés de Murcie » (I, page 225) qui fut célébrée le 18 décembre 1879.

Ce fut à l’occasion de la visite en France de Nicolas II (qui eut lieu en octobre 1896), que Marcel rencontra la princesse Mathilde (I, page 543).

Ce fut au cours de l’hiver 1900 que Barnum montra les soeurs siamoises Rosita et Doodica (III, page 72).

Au chapitre I de la deuxième partie du ‘’Côté de Guermantes’’, il est question de « la guerre russo-japonaise » : on serait donc en 1904.

Lors du repas qu’elle tint chez elle, « Mme de Guermantes lançait parfois des réflexions sur l’affaire Dreyfus, sur la République, sur les lois antireligieuses» (II, page 514) : c’était la loi de 1904 interdisant l’enseignement à tous les « congréganistes » (les membres des congrégations religieuses auxquels les radicaux reprochaient un « enseignement contre nature » [IIII, page 913]), la loi de séparation de l’Église et de l’État de décembre 1905. De l’affaire Dreyfus, il avait déjà été question auparavant et il allait en être question encore à de nombreuses reprises : elle est au coeur d’’’À la recherche du temps perdu’’ comme l’est la condition des juifs.
L’affaire Dreyfus
À la fin de l'année 1894, un capitaine de l'armée française, Alfred Dreyfus, juif d'origine alsacienne, polytechnicien attaché au deuxième bureau de l’état-major général de l’armée au ministère de la guerre, fut accusé, sur simple ressemblance d’écriture sur un bordereau, d'avoir livré des renseignements militaires à l’attaché militaire allemand à Paris, le major Schwartzkoppen. Arrêté, il fut, par le général Mercier, ministre de la guerre depuis 1894, traduit devant un conseil de guerre qui le jugea de façon sommaire et le condamna pour trahison à la dégradation militaire et au bagne à vie, et le fit déporter sur l'île du Diable. Après une première flambée d’antisémitisme dans la presse et dans l’armée, l'opinion comme la classe politique françaises étant unanimement défavorables à Dreyfus, l’affaire fut oubliée jusqu’en 1896. Mais, certaine de l'incohérence de cette condamnation, la famille du capitaine, derrière son frère Mathieu, tenta de prouver son innocence, engageant à cette fin le journaliste Bernard Lazare, tandis qu’un autre journaliste, Cornély, bien que monarchiste, fit lui aussi campagne pour la révision du procès. Parallèlement, le commandant Georges Picquart, chef du contre-espionnage, constata en mars 1896 que le vrai traître avait été le commandant Ferdinand Walsin Esterházy, le dénonça et exigea la révision du procès. Afin d'attirer l'attention sur la fragilité des preuves contre Dreyfus, sa famille contacta en juillet 1897 le respecté président du Sénat Auguste Scheurer-Kestner qui fit savoir, trois mois plus tard, qu'il avait acquis la conviction de l'innocence de Dreyfus, et qui en persuada également Georges Clemenceau, ancien député et alors simple journaliste. Le même mois, Mathieu Dreyfus porta plainte auprès du ministère de la Guerre contre Esterházy qui, traduit en conseil de guerre, fut acquitté (janvier 1898). L'état-major refusa de revenir sur le jugement de Dreyfus, et affecta Picquart en Tunisie.

Fut entamé un processus de scission profonde de la France entre « dreyfusards », intellectuels, socalistes, radicaux, républicains modérés antimilataristes (réunis dans la Ligue des droits de l’Homme) et « antidreyfusards » (la droite nationaliste, antisémite et cléricale, regroupée dans la Ligue de la patrie française. Des émeutes antisémites éclatèrent dans plus de vingt villes françaises ; on dénombra plusieurs morts à Alger. Bien que le gouvernement du premier ministre Méline s’obstinait à affirmer : « Il n’y a pas d’affaire Dreyfus », la République était ébranlée, certains la voyaient même en péril, il fallait en finir avec l’affaire Dreyfus pour ramener le calme.

Or, le 13 janvier 1898, Émile Zola publia dans le journal de Clemenceau, ‘’L’aurore’’, une lettre ouverte intitulée ‘’J'accuse’’, plaidoyer dreyfusard qui entraîna le ralliement de nombreux intellectuels (le terme ayant été forgé à cette occasion). L’écrivain fut poursuivi en justice, et le procès Zola, qui se déroula au palais de justice de Paris du 7 au 23 février 1898 et où il fut défendu par Fernand Labori, qui était aussi l’avocat de Dreyfus, fut l’un des épisodes les plus dramatiques de l’affaire Dreyfus. Il fut condamné à un an de prison et à trois mille francs d’amende. Avait été produite au procès une lettre (datée d’octobre 1896) qui aurait été adressée par l’attaché militaire italien Panizzardi à son collègue allemand Schwartzkoppen et mentionnant le nom de Dreyfus. Or le capitaine Cuignet découvrit que c’était un faux qui avait été rédigé par le lieutenant-colonel Henry, chef du contre-espionnage français, qui, persuadé de la culpabilité de Dreyfus, avait voulu l’accabler. Ce qui n’empêcha pas Cuignet de prendre parti contre Dreyfus. Le « faux Henry » fut dénoncé en particulier par le député Joseph Reinach. Aussi Henry fut-il interné au Mont-Valérien où il se suicida le lendemain, le 31 août 1898.

Cela imposa la révision du procès, qui eut lieu en 1899, alors que la mort du président Félix Faure et la crise politique avaient amené au pouvoir une coalition de gauche. Malgré les menées de l'armée pour étouffer cette affaire, le premier jugement condamnant Dreyfus fut cassé par la Cour de cassation au terme d'une enquête minutieuse. Mais un nouveau conseil de guerre eut lieu à Rennes en août 1899, et, contre toute attente, Dreyfus fut condamné une nouvelle fois, à dix ans de travaux forcés, avec, toutefois, circonstances atténuantes. Quelques jours plus tard, le président Loubet lui accorda sa grâce, et, épuisé par sa déportation de quatre longues années, il l’accepta. Ce n'est qu'en 1906 que son innocence fut officiellement reconnue par un arrêt sans renvoi de la Cour de cassation, décision inédite et unique dans l'histoire du droit français. Réhabilité, le capitaine Dreyfus fut réintégré dans l'armée au grade de commandant et participa à la Première Guerre mondiale. Il décéda en 1935. Le lieutenant-colonel Picquart devint général et ministre de la guerre. La publication des carnets de Schwartzkoppen en 1930 prouva définitivement l’innocence de Dreyfus et la culpabilité d’Esterhàzy.

Loin d’avoir été seulement une erreur judiciaire, l’affaire Dreyfus fut l’une des crises politiques les plus graves de la Troisième République, dont elle consacra le triomphe, étant même un mythe fondateur. Elle suscita un regroupement des forces politiques de droite et de gauche, renouvela le nationalisme, ralentit la réforme du catholicisme français ainsi que l'intégration républicaine des catholiques. Elle eut également un impact international sur le mouvement sioniste au travers d'un de ses pères fondateurs : Théodore Herzl, et de par l'émoi que ses manifestations antisémites provoquèrent au sein des communautés juives d'Europe centrale et occidentale.
‘’À la recherche du temps perdu’’ montre bien que l’opposition entre « dreyfusards » et « antidreyfusards ». Au restaurant où se rendirent Marcel et Saint-Loup, « une petite coterie se retrouvait pour tâcher de perpétuer, d’approfondir, les émotions fugitives du procès Zola […] Mais elle y était mal vue des jeunes nobles qui formaient l’autre partie de la clientèle […] Ils considéraient Dreyfus et ses partisans comme des traîtres. » (II, page 400). Les antidreyfusards dominent le roman puisque l’attention de Marcel se porta avant tout sur le faubourg Saint-Germain.
En effet, les aristocrates étaient antidreyfusards, Swann, causant avec Marcel de l’affaire Dreyfus, ayant pu lui dire : « Au fond tous ces gens-là sont antisémites [...] Tous ces gens-là sont d’une autre race, on n’a pas impunément mille ans de féodalité dans le sang. » (II, pages 581-582). Ce qui explique que le prince de Borodino, le colonel de Saint-Loup à Doncières, qui n’avait pas cet atavisme, « avait laissé échapper quelques assertions qui avaient donné à croire qu’il avait des doutes sur la culpabilité de Dreyfus et gardait son estime à Picquart. ». (II, page 108).

Le plus acharné fut évidemment le baron de Charlus qui, paradoxalement, « protesta au contraire contre l'accusation de trahison portée contre Dreyfus. Mais ce fut sous cette forme : ‘’Je crois que les journaux disent que Dreyfus a commis un crime contre sa patrie […] Le crime est inexistant, ce compatriote de votre ami aurait commis un crime contre sa patrie s'il avait trahi la Judée, mais qu'est-ce qu'il a à voir avec la France?’’ J'objectai que, s'il y avait jamais une guerre, les Juifs seraient aussi bien mobilisés que les autres. ‘’Peut-être, et il n'est pas certain que ce ne soit pas une imprudence. Mais si on fait venir des Sénégalais ou des Malgaches, je ne pense pas qu'ils mettront grand cœur à défendre la France, et c'est bien naturel. Votre Dreyfus pourrait plutôt être condamné pour infraction aux règles de l'hospitalité. » (II, page 288). Mais on le voit avec surprise épargner Swann et regrouper ses attaques contre Bloch.

Le duc de Guermantes affirmait n’avoir « aucun préjugé de races, je trouve que ce n’est pas de notre époque et j’ai la prétention de marcher avec mon temps. » (II, page 235). Mais il traita Rachel de « compatriote du sieur Dreyfus. » (II, page 237). Il prétendit que si « on ne peut pas montrer les preuves de la trahison de Dreyfus […] c’est parce qu’il est l’amant de la femme du ministre de la Guerre, cela se dit sous le manteau. » (II, pages 237-238). À cause de l'affaire Dreyfus (qui « était pourtant terminée depuis deux ans » : on serait donc alors en 1901) et à cause de « sa vieille amitié pour Swann », en faisant valoir « que la duchesse était dreyfusarde, recevait les Rothschild », que lui-même était « à moitié Allemand », il perdit la présidence du « Jockey» au profit de M. de Chaussepierre, alors qu’il était antisémite, qu’il reprochait aux juifs leur « mauvaise foi » (III, page 39).

Aussi répétait-il : « Ce n’est pas une affaire de religion, mais bel et bien une affaire de politique. » (III, page 40). Il en vint à rejeter l’ensemble des juifs qui, pour lui, étaient « dreyfusards dans l’âme » : « C’est même là un argument […] qu’on ne fait pas assez valoir pour montrer la mauvaise foi des Juifs. Si un Français vole, assassine, je ne me crois pas tenu, parce qu’il est Français comme moi, de le trouver innocent. Mais les Juifs n’admettront jamais qu’un de leurs concitoyens soit traître, bien qu’ils le sachent parfaitement, et se soucient fort peu des effroyables répercussions […] que ce crime d’un des leurs peut amener jusque… Voyons Oriane, vous n’allez pas prétendre que ce n’est pas accablant pour les Juifs, ce fait qu’ils soutiennent tous un traître. Vous n’allez pas me dire que ce n’est pas parce qu’ils sont juifs. - Mon Dieu si, répondit Oriane […] Mais c’est peut-être justement parce qu’étant juifs et se connaissant eux-mêmes, ils savent qu’on peut être juif et ne pas être forcément traître et anti-français, comme le prétend, paraît-il, M. Drumont. Certainement, s’il avait été chrétien, les Juifs ne se seraient pas intéressés à lui, mais ils l’ont fait parce qu’ils sentent bien que s‘il n’était pas juif, on ne l’aurait pas cru si facilement traître a priori, comme dirait mon neveu Saint-Loup. - Les femmes n’entendent rien à la politique, s’écria le duc en fixant des yeux la duchesse. Car ce crime affreux n’est pas simplement une cause juive, mais bel et bien une immense affaire nationale qui peut amener les plus effoyables conséquences pour la France dont on devrait expulser tous les Juifs, bien que je reconnaisse que les sanctions prises jusqu’ici l’aient été (d’une façon ignoble qui devrait être révisée) non contre eux, mais contre leurs adversaires les plus éminents, contre des hommes de premier ordre, laissés à l’écart pour le malheur de notre pauvre pays. » (III, pages 41-42). Il trahit même son amitié pour Swann : « Même au point de vue de ses chers amis juifs, puisqu’il tient absolument à les soutenir, Swann a fait une boulette d’une portée incalculable. Il prouve qu’ils sont tous unis secrètement et qu’ils sont en quelque sorte forcés de prêter appui à quelqu’un de leur race, même s’ils ne le connaissent pas. C’est un danger public. » (III, page 680).

Ailleurs, c’est avec une certaine légèreté que la duchesse de Guermantes dit préférer Esterhazy à Dreyfus : « Il a un autre chic dans la façon de tourner les phrases, une autre couleur. Cela ne doit pas faire plaisir aux partisans de M. Dreyfus. Quel malheur pour eux qu’ils ne puissent pas changer d’innocent ! » (II, page 239).

1   2   3   4   5   6   7   8   9


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət