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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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La sorcière


Vers la nuit tombante, les abords du cimetière des Innocents devenaient déserts d’habitude, et bien rares étaient les passants qui osaient passer le long de la haie vive. Mais depuis la dernière danse des morts (ou danse macabre), cette solitude était encore devenue plus profonde. Même ceux qui avaient participé à cette scène funèbre et qui eussent pu, par conséquent, être bien sûrs que les personnages de la danse n’étaient nullement des spectres, ceux-là, disons-nous, étaient peut-être les plus terrorisés. Quoi qu’il en soit, dès le coucher du soleil, les maisons de ce quartier se fermaient, les habitants se barricadaient.

Comme la nuit se faisait, Myrtille avait allumé un cierge. Mabel allait et venait dans son laboratoire. Mais, cette fois, ce n’était pas à une œuvre mystérieuse qu’elle travaillait. Simplement, elle préparait un repas sur le fourneau où, tant de fois, elle avait fait bouillir des herbes en récitant des incantations.

Un étrange bouleversement s’était fait en elle. Ses traits avaient repris une jeunesse nouvelle. La raideur de sa démarche et de ses attitudes avait disparu. Ses yeux brillaient doucement. Un sourire d’ineffable tendresse errait sur ses lèvres colorées. Elle était gaie, elle fredonnait un lai d’amour... Ce n’était plus Mabel, c’était Anne de Dramans telle qu’elle était jadis dans l’éclat de sa beauté. Seuls, ses cheveux gris indiquaient que les ans avaient passé sur cette beauté ; les rides ineffaçables étaient là aussi pour dire qu’avec les ans des souffrances avaient creusé leur sillon sur ce visage. Mais les rares habitants du Louvre qui avaient pu entrevoir ce visage, toujours masqué, dans les moments plus rares encore où il se découvrait, ne l’eussent pas reconnu.

« Allons, à table, fit-elle gaiement en s’approchant de Myrtille, qu’elle embrassa.

– Bonne mère ! murmura la jeune fille.

– Oui, ta mère, ta vraie mère. N’es-tu pas ma fille, puisque tu es la fiancée de mon fils ? Et puisque tu l’aimes comme je l’aime ? Dire que j’ai failli le tuer ! Dire que, sans toi, sans ton intrépidité, sans ton esprit d’ange...

– N’en parlons plus, je vous en prie, dit Myrtille, qui frémit à ce souvenir.

– Soit ; mais toi, tu peux me parler de lui ! Hélas ! tu le connais mieux que moi. Car c’est à peine si je l’ai entrevu. Et dans quelles circonstances, grand Dieu ! Pour l’attirer dans le plus effroyable guet-apens... »

Alors c’était une longue et douce causerie, où il n’était question que de Buridan. Pour une jeune fille amoureuse, c’est un inépuisable sujet que de parler de celui qu’elle aime. Mais il arrive rarement qu’elle trouve un auditeur disposé à écouter patiemment le dithyrambe célébrant les mérites et les vertus du bien-aimé ! Là, au contraire, l’auditrice était plus infatigable encore. En sorte que cet entretien eût pu durer jusqu’au jour. Et comme, en somme, la mère et la fiancée de Buridan ne faisaient que répéter les mille riens dont se compose la double chanson de l’amour maternel et de l’amour virginal, nous remplacerons cet entretien, si intéressant d’ailleurs qu’il eût été à noter, par une ligne de points que voici : .......................................

*

Ladite ligne figurant un laps de temps d’environ deux heures.



Au bout de ces deux heures, la nuit était tout à fait venue et Mabel se disposait à raconter à Myrtille comment elle comptait faire, une fois Buridan retrouvé.

« Une fois réunis, dit-elle, nous fuirons tous les trois. Je suis riche. Ou du moins j’ai assez d’argent pour entreprendre un long voyage et vivre quelques années sans inquiétude. Nous irons en Bourgogne, plus loin s’il le faut...

– Il faudrait donc, murmura Myrtille en pâlissant, que j’abandonne à jamais mon père... cela me sera impossible, et Buridan lui-même ne le voudra pas... et puis... ma mère !

– Ta mère, enfant ! La reine Marguerite ! Comment peux-tu appeler ta mère cette femme qui, dans son cœur, porte de terribles sentiments ?... »

Myrtille mit sa main sur la bouche de Mabel.

« Taisez-vous ! supplia-t-elle. Quoi qu’elle ait fait, dit ou pensé, c’est ma mère et... »

À ce moment, un coup violent ébranla la porte du logis. Dans le même instant, Mabel fut debout. Elle éteignit le cierge de cire et courut à la fenêtre.

« Quels sont ces gens ? murmura-t-elle. Et que veulent-ils ? Est-ce à moi qu’ils en veulent ? Nul au monde ne sait qui se cache ici... Ne tremble pas, ma fille. Ces gens se trompent, sans doute !

– Ah ! bonne mère ! C’est que, par un soir pareil à celui-là, j’ai vu une troupe toute pareille pénétrer dans la Courtille-aux-Roses, et je fus conduite au Temple ! »

Une quinzaine d’archers étaient réunis devant la porte du Logis hanté. Mabel les distinguait à la clarté de la lune. Son cœur battait à grands coups. Elle s’était cramponnée aux barreaux de la fenêtre. En bas, on frappait rudement. On essayait d’enfoncer la porte. Le voisinage demeurait silencieux. Pas une fenêtre ne s’ouvrit pour voir ce qui se passait.

« Je te dis que ces gens se trompent, gronda Mabel. Ce n’est pas à toi qu’ils en veulent. À moi, peut-être. À qui on voudra. Mais pas à toi ! »

Et elle râlait d’épouvante. Car elle avait compris ! Elle entendait les archers jurer contre la sorcière Myrtille. Et la jeune fille entendait aussi !

« Mère ! Bonne mère ! Sauvez-moi !...

– Ce n’est pas possible, c’est un rêve ! murmura Mabel en écartant de son front des mèches de cheveux gris. Quoi ! On arrêtera devant moi celle qui a sauvé mon fils ! Et on la tuera ! Et mon fils... mon fils en mourra !...

– Mère, bonne mère, entendez-vous ? Ils ont enfoncé la porte ! »

Mabel, à demi folle, entraîna Myrtille dans la pièce qui lui servait de laboratoire.

« Vite ! fit-elle dans un grondement. Écoute, tu vas rentrer là. Tu ne bougeras pas. Tu attendras que je t’ouvre. Ou bien, s’ils m’emmènent, tu attendras longtemps... mais ils ne m’emmèneront pas, moi ! »

En prononçant ces mots, d’une voix fiévreuse, elle avait dérangé les tablettes qui supportaient des flacons ; une sorte de niche apparut, juste suffisante pour donner asile à une seule personne.

Myrtille, poussée par Mabel, s’y blottit. Et la mère de Buridan, ayant fermé la porte de ce réduit, remit les tablettes en place. L’entrée du réduit était dès lors invisible.

Mabel remit sur sa figure le masque qu’elle portait d’habitude. Haletante, elle attendit. Elle entendit des pas nombreux qui montaient avec précaution. Puis elle vit la lueur des torches que les archers avaient allumées. Alors, maîtrisant la terreur qui la faisait trembler, elle se dirigea vers la porte du laboratoire et, sans attendre qu’on essayât de la forcer, l’ouvrit toute grande.

*

Simon Malingre, après la peu amoureuse conversation qu’il avait eue avec sa douce fiancée Gillonne, avait d’abord mis en lieu sûr l’argent qu’il venait de lui extorquer. Puis il s’était rendu au cimetière des Innocents et s’était fait montrer le Logis hanté. Une fois bien sûr que ledit logis existait bien, il avait habilement interrogé les voisins et, de leurs réponses plus ou moins contradictoires, avait tout de même tiré cette conclusion que le logis signalé par Gillonne était habité par deux femmes. Alors, il avait couru au Temple, où il avait demandé au comte de Valois :



« À quelle heure le roi doit-il venir voir la sorcière ?

– Vers les onze heures de la nuit, le roi ne voulant pas que cette visite soit connue des Parisiens.

– Bon. À dix heures, nous prendrons la sorcière. »

Valois eut un soupir. Cette sorcière, c’était Myrtille !... Une dernière fois, il y eut en lui une lutte entre la passion que lui inspirait la jeune fille et l’épouvante du gibet. Sûr de tuer Myrtille s’il l’arrêtait, sûr d’être pendu s’il ne l’arrêtait pas, Valois regretta amèrement de n’avoir pas pris la fuite. Au fond, la peur l’emportait sur l’amour.

« Si j’avais fui, gronda-t-il en se promenant à grands pas, Myrtille était sauvée et moi aussi. Pourquoi m’en as-tu empêché ?

– Oui, monseigneur, mais vous laissiez la place libre à ce digne seigneur de Marigny. Fuir ! Et qui vous empêchera, au surplus, de fuir demain ? Seulement, au lieu de fuir seul, vous partez avec la sorcière, mais, si vous m’en croyez, vous n’aurez pas même besoin d’en venir à pareille extrémité... »

Réconforté par ces paroles, le comte de Valois avait réuni une quinzaine de ses archers en qui il avait grande confiance et leur avait exposé la secrète expédition qu’il s’agissait d’accomplir. Puis, vers l’heure indiquée, la petite troupe, commandée par Valois en personne et dirigée par Simon Malingre, avait pris le chemin du cimetière des Innocents.

Plus il y pensait, plus Charles de Valois se persuadait que l’aventure pouvait tourner à son gré. Ce qui pouvait lui arriver de plus terrible, c’était, s’il ne pouvait surmonter sa passion pour Myrtille, de fuir en l’entraînant dans sa fuite. Mais il comptait bien, selon le mot de Malingre, ne pas en arriver à de telles extrémités.

Est-ce qu’il n’était pas gouverneur du Temple ? Est-ce que Myrtille n’allait pas être enfermée au Temple ? Est-ce qu’elle ne serait pas en son pouvoir ?

Ce fut donc l’esprit rasséréné que Valois donna l’ordre d’enfoncer la porte du Logis hanté.

Au Temple, bientôt Myrtille, de gré ou de force, serait à lui. Et après ? Que lui importait ce qui pouvait lui arriver après, puisque l’amour ne se présentait à lui que sous sa forme la plus grossière et que cet amour, il était sûr de l’assouvir.

La porte enfoncée, Valois pénétra dans le logis et, suivi de ses archers (Malingre, cette fois, s’était mis en queue), monta l’escalier. En haut du logis, à la lueur des torches allumées par ses gens, il voyait une porte. Il s’en approcha et il allait frapper du poing, lorsqu’il vit cette porte s’ouvrir devant lui. Valois eut cette seconde d’hésitation et d’inquiétude qu’inspire toujours une porte ouverte à qui venait pour l’enfoncer. Mabel, de son côté, en se voyant en présence de son ancien amant, fut agitée d’un rapide tressaillement. Mais, redevenue presque aussitôt maîtresse d’elle-même, elle prononça :

« Soyez le bienvenu, monseigneur comte, dans l’humble logis de Mabel.

– Mabel ! murmura avec stupeur le comte de Valois. La favorite de la reine !...

– Sans doute, vous venez me transmettre quelque volonté de Sa Majesté la reine.

– Une volonté ? Oui, fit Valois. Mais une volonté du roi. »

Et faisant signe à ses archers de l’attendre dans les salles du rez-de-chaussée, il entra, ferma la porte derrière lui et dit :

« Mabel, tu es dévouée au roi et à la reine. J’en userai donc avec toi plus doucement qu’avec tout autre. Ce n’est pas toi, d’ailleurs, que je pensais trouver ici. Mais, puisque les choses sont ainsi, ma mission n’en sera que plus facile.

– Quelle mission ?

– J’ai arrêté une sorcière nommée Myrtille, accusée de maléfice contre le roi. Cette sorcière s’est sauvée du Temple. Elle est ici. Je le sais, Mabel. Il faut que dans une heure la sorcière ait repris sa place dans son cachot.

– Celle que vous dites n’est pas ici », dit froidement Mabel.

Valois grinça des dents. Il eut un mouvement vers la porte comme pour appeler ses archers. Mais, revenant à Mabel :

« Écoute, je sais que porter la main sur toi, c’est presque la porter sur la reine. Je sais que toute violence exercée sur toi m’attirera la vengeance de ta maîtresse. Je te parle donc encore non en maître, mais en suppliant. La sorcière Myrtille est ici. Le roi veut la voir tout à l’heure. S’il vient au Temple et qu’il ne l’y trouve pas, je suis perdu. J’aime mieux encourir la colère de la reine que celle du roi. Comprends-tu ?

– Sans doute, mais pourquoi vous ménagerais-je, monseigneur ? Voyons, dites-moi cela. Supposons que Myrtille soit ici. Pourquoi vous la livrerais-je ? Pourquoi aurais-je pitié de vous ?

– Pitié ? gronda Valois, en fronçant les sourcils. Eh bien ! soit ! C’est bien le mot. Je t’ai toujours témoigné une amitié que nul ne t’accorde dans le Louvre. Tu es redoutée, haïe. Moi, je t’ai toujours protégée, et même à ton insu. De ton côté, tu as toujours semblé avoir pour moi autant d’affection que tu en es capable. Nous sommes alliés. Voilà des raisons suffisantes, je pense ?

– Il faut, dit Mabel d’une voix aux vibrations contenues, que votre situation soit bien terrible pour que vous vous abaissiez à supplier ainsi une simple suivante...

– C’est vrai, Mabel, c’est vrai... L’heure passe... Allons... rends-moi la sorcière.

– Pourtant, continua Mabel, comme si elle n’eût pas entendu, nous sommes peut-être des alliés au Louvre, mais ici nous ne le sommes pas.

– Pourquoi, Mabel, pourquoi ?

– Parce qu’ici je ne suis pas Mabel.

– Tu n’es pas... oh ! mais qu’es-tu donc ?... Il me semble, en effet, que le son de ta voix n’est pas le même qu’au Louvre et que tu as d’autres attitudes... »

Mabel s’était redressée. Valois la considérait avec une inquiétude grandissante ; mais cette inquiétude ne venait encore que de la perte d’un temps précieux.

« Voyons, reprit-il avec un grondement, finissons-en. Que tu sois ou que tu ne sois pas Mabel, il me faut cette sorcière. Je vais appeler mes gens. Et dussé-je démolir pierre à pierre cette bicoque... »

Mabel frissonna.

Il était à peu près certain que si les archers se mettaient à fouiller et à saccager la maison, Myrtille ne tarderait pas à être découverte. Et lorsqu’elle vit Valois se diriger vers la porte, prêt à jeter un ordre, une terreur insensée s’empara d’elle. Valois vit ce mouvement de terreur et, dès lors, il fut certain que Myrtille se trouvait bien dans le logis.

« Écoutez ! râla Mabel. Je vous jure que cette jeune fille n’est pas ici...

– Simon ! cria Valois.

– Monseigneur ? fit Simon Malingre en entrouvrant la porte.

– Que l’on commence à fouiller !... »

Mabel se tordit les mains. Valois ne la perdait pas de vue. En bas, on entendait les archers qui s’étaient répandus dans les diverses pièces et menaient activement la perquisition.

« Il n’y a rien en bas ! cria la voix de Simon Malingre. Nous montons !

– Comte de Valois, bégaya Mabel frissonnante, puisqu’il te faut une prisonnière, puisque le roi n’a jamais vu celle que tu viens chercher, emmène-moi !

– Toi !

– Moi ! Écoute, comte ! Oui, elle est ici ! Ma faiblesse te l’a fait deviner. Mais avant qu’elle ne soit trouvée, sûrement la nuit s’écoulera tout entière. Dès lors, tu es perdu... Il faut une sorcière à juger, à condamner, à brûler ; prends-moi !... L’heure passe, Valois !



– Tu le veux ? Tu acceptes ? murmura Valois qui frissonnait d’une joie profonde à la pensée de sauver Myrtille sans avoir rien à craindre pour lui-même.

– Oui ; à une condition. C’est que vous emmènerez tous vos hommes. Je veux qu’elle ait le temps de s’enfuir. Si oui, je viens au Temple et, devant le roi, je me déclare la sorcière. Si non, je vous jure qu’il vous faudra plusieurs heures pour trouver celle que vous cherchez, et c’est la corde qui vous attend !

– Soit, rugit Valois. Peu importe que cette Myrtille se sauve ou ne se sauve pas. Ce qui m’importe, c’est que le roi, tout à l’heure, trouve une sorcière dans le cachot.

– Ai-je votre parole et votre serment, comte de Valois ?

– Par ma parole de gentilhomme, aucune recherche ne sera faite ici après notre départ. Et je le jure sur ce Christ ! » ajouta-t-il en se rapprochant de la croix qui surmontait les mystérieux manuscrits où Mabel cherchait ses formules d’incantation.

Un instant, Mabel demeura pensive. Elle eut un geste des mains comme pour laisser tomber son masque. Mais son regard, malgré elle, alla jusqu’à ce pan de mur qui abritait Myrtille.

« Ô ma fille, murmura-t-elle. Ô toi qui es aimée de mon fils ! Sauras-tu jamais le sacrifice que j’accomplis ! Aller au Temple... à la mort peut-être, ce n’est rien... Mais renoncer à montrer à Valois le spectre d’Anne de Dramans !... »

Elle releva soudain la tête, et simplement :

« Emmenez-moi ! dit-elle.

– Arrêtez la sorcière ! » cria Valois d’une voix tonnante et enivrée de joie.

Simon Malingre, suivi des archers, se précipita dans le laboratoire et demeura stupéfait.

« La sorcière ? fit-il, en consultant son maître du regard.

– La voici ! dit Valois.

– Je comprendrai plus tard ! » grommela Malingre en s’apprêtant à suivre les archers qui emmenaient Mabel.

À ce moment, Valois lui mit la main sur l’épaule et murmura à son oreille :

« Demeure ! Poste-toi aux abords de ce logis. Tu en verras sortir Myrtille... »

« Bon ! J’ai compris ! » fit Malingre en lui-même.

*

Une heure plus tard, le roi était reçu au Temple par le comte de Valois. Louis X avait, par bravade, annoncé qu’il voulait voir lui-même la sorcière et lui parler. Mais au fond, il ne tenait pas autrement à cette visite. D’une bravoure éprouvée contre le danger matériel et visible, le roi de France, tout courageux qu’il était, éprouvait une insurmontable terreur devant les dangers d’ordre surhumain. Il était donc venu au Temple, mais il enrageait d’être venu, et pour un peu, il s’en fût retourné sans voir la sorcière, si on lui en eût fourni le prétexte. Mais Valois s’empressa de donner les ordres nécessaires et Louis, ne voulant pas avoir l’air de reculer, s’apprêta à suivre les geôliers.



« Si Votre Majesté le désire, fit Geoffroi de Malestroit, nous l’accompagnerons.

– Allons donc ! Je prétends être seul avec le comte et les porte-clefs », fit le roi qui, d’un signe, ordonna à son escorte de l’attendre.

Lorsque Louis fut parvenu au cachot de la sorcière, lorsqu’on lui eut ouvert la porte, lorsqu’il eut entrevu cette sorte de cercueil de pierre au fond duquel un être vivant était muré, et lorsque, au fond de cette niche, où flottaient les buées de l’horreur, il eut aperçu vaguement une femme enchaînée, scellée pour ainsi dire à la muraille, alors le roi de France, longuement, frissonna :

« Est-il possible qu’on puisse vivre là ! murmura-t-il.

– Aussi n’y vit-on pas, Sire. On commence à y mourir. Ici, c’est l’agonie. Le cachot du Temple, Sire, n’est que l’antichambre de la mort. »

Louis, quelques instants, demeura pensif. Bien qu’il fût d’un siècle où la pitié s’ignorait, bien qu’en ces âges, la lutte pour la vie affectât la forme la plus violente, bien qu’enfin il ne fût guère accessible aux attendrissements, la terreur, à défaut d’autre sentiment plus pur, entra dans son esprit.

« À Dieu ne plaise, dit-il en se signant, que jamais l’un des miens ou de ceux que j’aime subisse une pareille torture ! »

Et il entra seul dans le cachot, faisant signe à Valois et aux geôliers de l’attendre au-dehors.

« C’est pourtant cette torture qui attend quelqu’un que tu aimes, sire roi !

– Qui a parlé ? » fit Louis en reculant de deux pas.

La voix sortait du fond du cachot. Elle était indifférente, sans colère ni tristesse.

« C’est moi qui parle, dit Mabel. Moi. La sorcière.

– Et tu dis ? reprit Louis, en pâlissant.

– Je dis, roi, que quelqu’un des tiens, bientôt, se verra comme moi traîné vivant dans la tombe, et souffrira plus encore que je ne souffre. Car moi, humble, pauvre, habituée au malheur, je n’ai eu qu’un pas à faire pour descendre à ce malheur plus profond. L’être dont je parle, au contraire, sera précipité de la puissance, de la gloire, de l’amour dans la misère, l’abjection et la haine... Oui ! son cachot sera plus sinistre encore que celui-ci qui t’épouvante.

– Et qui condamnera l’être dont tu parles ? haleta le roi.

– Toi, Sire.

– Moi !... Tu mens, sorcière maudite ! Et qui est-ce ? Un de mes serviteurs, peut-être ? Si ton pouvoir infernal te permet de m’indiquer le châtiment, tu peux me dire aussi quel aura été le crime ?...

– Le crime ? Une trahison. Mille trahisons dont tu souffriras comme les damnés d’enfer.

– Sorcière, tu en as trop dit ! De qui veux-tu parler ?

– Cherche autour de toi ! dit Mabel. Cherche dans ton Louvre même. C’est là que tu trouveras celle qui doit te trahir, qui te trahit, et que tu condamneras.

– Celle qui me trahit ! gronda Louis. C’est donc une femme ?

– Une femme, oui ! Si on peut donner le nom de femme à ce démon sanglant qui compte plus de meurtres que d’années dans sa vie et dont le sommeil n’est qu’un long tissu de songes monstrueux où, comme dans les danses des morts, s’agitent des spectres.

– Qui est-ce ! râla le roi hors de lui. Parle, sorcière, et je te fais grâce.

– Cherche ! » répondit Mabel.

Un long silence suivit ces paroles. La lueur des torches pénétrant jusqu’au fond du cachot dessinait la silhouette de la sorcière enchaînée. Le roi entendit tout à coup un bruit de ces chaînes entrechoquées et tressaillit. C’était Mabel qui changeait de position.

« Pourquoi as-tu voulu me tuer ? reprit alors Louis. Qui t’a poussée à faire ce maléfice contre moi ? Dis-moi au moins cela.

– Sire roi, dit lentement Mabel qui retira son masque, je n’ai pas voulu ta mort. Il n’y a pas eu de sortilège contre toi. Regarde-moi, Sire. Approche, ne crains rien. Vois-tu mes traits ?

– Je les vois. Et dussé-je vivre cent ans, je ne les oublierai pas. »

Mabel remit son masque sur son visage.

« Eh bien, reprit-elle, tu as vu les traits d’une femme qui ne te veut aucun mal. Y as-tu lu quelques mauvais sentiments ?

– Non, de par Dieu ! Et ce n’est pas ainsi que je me figurais une sorcière !

– Cesse donc de m’interroger, car je n’ai rien à t’apprendre, n’ayant jamais commis le crime dont on m’accuse. »

Un fois encore, le roi se tut. Puis, avec une sorte de timidité, il reprit :

« Femme, je ne sais pourquoi, mais ta voix, ton visage, tes paroles m’ont ému. Je crois que tu es innocente. Je le crois. Mais tu es condamnée. Veux-tu me dire le nom de celle qui me trahit ? »

Mabel baissa la tête.

« La mère de Myrtille, songea-t-elle avec une amertume désespérée. Hier, quand je ne savais pas, avec une joie farouche, j’eusse crié son nom. Maintenant, Marguerite, je sais ! Je sais que Myrtille est ta fille. »

« Eh bien, dit Louis. Veux-tu parler ?

– Non ! » répondit Mabel d’une voix si ferme que le roi comprit que toute promesse ou toute menace serait également vaine.

Il jeta donc un dernier regard sur la sorcière et sortit du cachot.

« Eh bien, Sire ? dit Valois, triomphant, vous avez vu que la sorcière est bien gardée, dûment enchaînée, et que nul, pas même le diable, son maître, ne peut la soustraire au châtiment ? »

Le roi ne répondit pas et se hâta vers l’escalier. Quand il fut en haut, dans la cour du Temple, avec le ciel étoilé sur sa tête, il poussa un long soupir, et alors seulement, il répondit :

« Oui, elle est bien gardée. Voilà une étrange femme, Valois. J’avoue que son visage m’a produit une forte impression que je ne saurais démêler au juste...

– Vous l’avez donc vue, Sire ?

– Elle s’est démasquée un instant. Jamais je n’oublierai ces traits à la fois jeunes et fanés d’une éclatante beauté sans doute, et creusés, semble-t-il, par les souffrances.

– Est-elle si belle ? fit Valois avec indifférence.

– Je dis qu’elle a été d’une beauté magnifique et je ne connais que celle de la reine qui puisse lui être comparée...

– Vous me donnez envie de voir son visage, moi aussi, curiosité qui, je l’avoue, ne m’est pas venue encore. Mais, si belle qu’elle soit, ce n’en est pas moins une sorcière. Elle est condamnée. Demain matin, elle subira son châtiment. C’est-à-dire qu’elle aura la langue coupée à cause des blasphèmes qu’elle a dû proférer, le poignet droit tranché, car sa main a fabriqué le maléfice, et qu’enfin, elle sera brûlée, afin que son corps, à défaut de son âme, soit purifié. »

Le roi écoutait ces paroles, tête basse.

« Et tu dis, Valois, que c’est demain qu’elle doit être brûlée ? demanda-t-il au bout d’un instant.

– Demain, oui, Sire ! »

Le roi redressa soudain la tête et dit :

« Eh bien, je veux qu’il soit sursis au châtiment.

– Sire !...

– Je dis que je ne veux pas que cette femme meure demain. Voilà ma volonté. Quand il sera temps, je donnerai l’ordre.

– Mais pourquoi, Sire ? Songez que tout est prêt...

– N’as-tu pas entendu ce qu’elle a dit, Valois ? Eh bien, je veux qu’elle parle, comprends-tu ? Je veux qu’elle dise quelle est cette femme qui, dans mon Louvre même, me trahit !... Et pour cela, je veux interroger de nouveau, moi-même, la sorcière.

– J’attendrai donc votre nouvelle visite, Sire ?

– Non, cette fois, je veux qu’on m’amène la sorcière au Louvre. Ces cachots sont trop lugubres à voir et je me soucie peu d’y descendre. Ainsi, mon bon Valois, tiens-toi prêt.

– Pour quand, Sire ?

– Je te le ferai savoir. »

Le roi remonta à cheval et, entouré de son escorte, regagna le Louvre ; quand il fut seul dans sa chambre à coucher, assis dans son grand fauteuil, la tête dans les deux mains, il murmura :

« Les paroles de cette sorcière m’ont frappé jusqu’au cœur. Il y a une femme, dans le Louvre, qui me trahit !... Une femme ! Et comment me trahit-elle ?... Et qui est cette femme ? Oh ! je veux le savoir ! Je le saurai ! »

Il frappa rudement du marteau sur la table. Son valet de confiance apparut.

« Va-t’en jusqu’aux appartements de la reine et enquiers-toi de sa santé », dit-il.

Un quart d’heure plus tard, le valet était de retour et disait :

« La reine, veillée par les princesses Blanche et Jeanne, dort paisiblement ; la fièvre l’a quittée et tout fait présumer que demain elle sera entièrement rétablie. »

Le roi fit un signe de tête. Le valet disparut.

« D’où vient, murmura Louis, que mon cœur est étreint d’une pareille angoisse ? La reine est guérie et je n’en suis pas plus joyeux ?... »

Et plus sourdement, plus au fond de lui-même :

« Qui est cette femme qui me trahit ?... Et quelle est sa trahison ?... »


XXXIX



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