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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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La mère de Buridan


Lorsque Mabel revint à elle, elle se vit seule : la reine avait disparu. Stragildo n’était plus là. En bas, dans les profondeurs de la tour, elle entendait des coups sourds qui se répercutaient d’étage en étage.

Que se passait-il ? Pourquoi Stragildo n’était-il pas là pour la surveiller ?

Mabel se releva péniblement et, d’une voix morne, murmura :

« Le poison a produit son effet. Rien maintenant ne peut sauver mon fils. Et qui a empoisonné mon fils ? C’est moi ! Moi, sa mère ! c’est affreux, c’est impossible, mais c’est ainsi. Rien ne peut faire maintenant que cette chose abominable ne soit pas ! C’est moi qui ai préparé le poison destiné à mon fils ! C’est moi qui l’ai apporté à Marguerite ! »

Coup sur coup, elle éclata de rire et grinça des dents.

« Qui frappe ainsi ? ajouta-t-elle en prêtant l’oreille. Et pourquoi frappe-t-on ? Qu’importe, après tout ! Quelque nouveau malheur, sans doute ! Quelque nouveau meurtre ! Un de plus ou un de moins... Ô tour maudite, ô tour sanglante !... combien de cadavres, combien de sanglots, combien de nuits funèbres ici !... Oh !... la nuit funèbre, c’est celle-ci que je vis à cette heure ! Le cadavre, c’est celui de Buridan ! Les sanglots sont ceux de la mère pleurant son fils... Combien de mères ont ainsi pleuré leur fils ?... Je pourrais en faire le compte, moi ! C’est cela que j’expie en ce moment. Maudite soit la fatalité qui me fait vivre cette nuit ! Maudit soit Dieu de m’imposer une telle expiation !... »

Elle haletait, et, de ses ongles, par instants, elle lacérait son visage sans même s’en apercevoir.

« Mais, si c’est là mon expiation, reprit-elle bientôt, que devra être celle de Marguerite ? »

Sur ces mots, elle se mit à descendre l’escalier tournant, sans idée préconçue et seulement pour le besoin de changer de place, de s’en aller de cette tour où elle sentait l’horreur peser sur ses épaules.

Comme elle atteignait les dernières marches, elle vit des hommes qui, au moyen de masses, défonçaient la porte qui donnait accès dans la salle basse du rez-de-chaussée.

Mabel s’assit sur une marche, mit le menton dans ses mains et attendit.

Heureusement pour elle, Stragildo était trop occupé de sa besogne pour la remarquer.

Lorsque la porte eut cédé, les hommes se précipitèrent dans la salle, et bientôt Mabel entendit de grands cris.

« Partis ! Évadés ! Sus ! Sus ! Cherchons ! »

« Qui est parti ? songea-t-elle. Buridan, mon fils ?... Évadé ? Ah ! oui, évadé !... Va, pauvre petit, tu n’iras pas loin ! »

Elle passa comme un fantôme, sans s’arrêter devant les trois cadavres, sans plus songer à Marguerite, et lorsqu’elle fut dehors, elle se dirigea machinalement vers le pont, en longeant les constructions dont la Tour de Nesle n’était pour ainsi dire que la sentinelle avancée.

Là, elle put se souvenir du mot de passe que lui avait donné le prévôt, et grâce à ce mot, franchir le pont. Sans doute, elle dut longtemps s’arrêter en de funèbres songeries, car, lorsqu’elle parvint au logis hanté du cimetière des Innocents, il faisait petit jour.

Elle monta à son laboratoire et entra dans la pièce habitée par Myrtille.

La jeune fille reposait sur le lit, tout habillée. Elle dormait profondément. Et même, semblait-il, un sourire se jouait sur ses lèvres un peu pâlies. Mabel la contempla quelques minutes.

« Elle dort ! songea-t-elle. Et celui qu’elle aime, à cette heure, est mort ! L’aime-t-elle vraiment ? Tant mieux si c’est vrai !... Je voudrais que tout l’univers souffre ce que je souffre ! Pourquoi la fille de Marguerite serait-elle si paisible quand j’ai le désespoir à l’âme ? »

D’une rude secousse, elle réveilla Myrtille, qui aussitôt se leva.

« Je vais t’apprendre du nouveau ! » gronda Mabel.

Myrtille, pendant les quelques heures qu’elle avait vécues là, avait appris à connaître celle qu’elle considérait comme une geôlière. Tout ce qu’elle avait pu trouver comme défense, c’était d’opposer une sorte d’indifférence à toutes les paroles, à toutes les menaces plus ou moins déguisées de Mabel.

Celle-ci continua :

« Est-il bien vrai que tu aimes Buridan ?

– Bien vrai. Je l’aime comme il m’aime, répondit simplement la jeune fille. Pour lui éviter un danger, je risquerais volontiers la mort.

– Soit ! Eh bien, tu n’auras jamais plus l’occasion de courir un tel risque : Buridan, à cette heure, doit être mort...

– Empoisonné, n’est-ce pas ? fit Myrtille sans émotion apparente.

– Oui, empoisonné... par moi ! »

Mabel éclata d’un rire terrible dont Myrtille ne put comprendre le sens.

« Et, reprit la jeune fille avec une craintive hésitation, l’avez-vous vu, Buridan ?

– Non !


– Qui donc lui a versé le poison ? »

Mabel regarda Myrtille en face et répondit :

« Ta mère !... la reine Marguerite de Bourgogne ! Je dis : ta mère ! »

Cette fois, Myrtille frissonna et son cœur se mit à battre comme si elle eût redouté un malheur.

« Mme la reine a versé le poison... c’est possible, dit-elle ; cependant, c’est vous qui l’avez préparé ! »

Une étrange interversion de rôles se produisit : c’était Myrtille qui interrogeait et c’étaient ses paroles à elle qui torturaient Mabel !

À ces derniers mots, Mabel eut un sanglot et baissa la tête.

« C’est vrai, murmura-t-elle dans un souffle. C’est moi qui avais préparé le poison ! »

Elle demeura quelques instants pensive, puis, d’une voix morne, continua :

« Si j’étais arrivée à temps, j’aurais pu voir mourir Buridan. Mais cela, je ne l’ai pas vu. Non ! je n’ai pas vu cela : peut-être Dieu ne l’a-t-il pas voulu ? Peut-être est-ce lui qui a ouvert les portes du cachot de Buridan et l’a rendu à la liberté, afin que sa mort eût lieu loin de moi... ? »

Myrtille tressaillit d’effroi. Elle donnait à ces paroles un sens de haine qu’elles étaient bien loin d’avoir. Pourtant, dans ce que venait de dire Mabel, une chose l’avait frappée.

« Buridan s’est donc évadé ? fit-elle.

– Je te l’ai dit : il a été mourir loin de la tour, loin de moi... En ce moment, ajouta-t-elle tout bas, il doit être mort ! »

Myrtille joignit les mains avec force, cherchant à calmer la joie puissante qui inondait son cœur. Buridan évadé, Buridan échappé à la double vengeance de la reine et d’Enguerrand de Marigny – de sa mère ! de son père ! –, c’était pour la pauvre petite un rayon de soleil dans son ciel bien noir depuis quelques jours.

« Ah çà ! grondait Mabel. Je lui annonce la mort de celui qu’elle aime, et la joie brille dans ses yeux... Fille de Marguerite, continua-t-elle, je vois bien que tu as l’âme de ta mère ! Tu es heureuse de la mort de ton fiancé, ne dis pas non !... Tant mieux, après tout ! Je n’aurai donc aucun remords à te faire disparaître de cette terre. Fille d’une race maudite, sache donc, avant de mourir, que tout ce qui te touche de près est condamné... Tu ne pleures pas Buridan, que tu aimais, tu es joyeuse de sa mort, eh bien...

– Et vous ! dit ardemment la jeune fille, êtes-vous donc joyeuse de sa mort ?

– Moi ! moi ! » hurla Mabel dans un cri terrible.

Un instant elle fut sur le point de s’élancer sur la jeune fille.

Mais ce même éclat de rire funèbre éclata de nouveau sur ses lèvres et elle haleta :

« Tu le vois bien, puisque je ris !... »

Une sorte d’exaltation transfigura alors le visage de Myrtille.

« Eh bien, dit-elle, écoutez à votre tour ! Vous voulez me tuer, n’est-ce pas, comme vous avez voulu le tuer, lui ! Sachez-le : je mourrai heureuse, car je meurs pour lui...

– Tu meurs pour lui ! bégaya machinalement Mabel.

– Vous ne pouvez rien contre moi que de me faire mourir, continua Myrtille avec une ardeur de fièvre, et ce n’est pas trop cher payer la certitude où je suis que je meurs pour épargner un danger à Buridan... Venez ! Oh ! venez ! Et vous allez savoir ! »

Elle saisit Mabel par le bras, et, avec une force que décuplait l’exaltation où elle se trouvait, l’entraîna vers le sinistre laboratoire d’amour et de mort.

« Là, fit-elle, là ! c’est là que vous avez préparé le poison, n’est-ce pas ?

– Oui ! râla Mabel, persuadée que Myrtille, devenue folle, lui échappait par cette folie.

– C’est là ! c’est bien là, aux pieds de ce Christ, que vous aviez placé le flacon ? »

Cette fois, Mabel ne répondit pas.

Elle fixa sur Myrtille un regard d’angoisse, de doute et d’espérance insensée.

Myrtille courut aux étagères, saisit un flacon, le présenta à Mabel et, d’un accent de joie surhumaine, prononça ces mots :

« Je vous ai vue ! Je vous ai entendue ! Je vous ai guettée ! Vous partie, j’ai pris votre flacon !... Je l’ai remplacé par un flacon identique. Écoutez !... Le flacon que vous avez porté à Buridan contenait de l’eau !... Et quant à celui-ci, qui contient le poison... »

Elle n’acheva pas et porta le flacon à ses lèvres.

Mais, dans le même instant, ce flacon lui fut arraché. Comme en un rêve, elle vit Mabel qui le brisait. Puis, avec des soupirs qui n’avaient plus rien d’humain, Mabel se laissait tomber à genoux, frappait les dalles de son front, riait, sanglotait, saisissait le bas de sa robe et le couvrait de baisers frénétiques... Et comme Myrtille, frappée de stupeur et d’effroi devant ce spectacle, reculait en frissonnant :

« Sais-tu qui je suis ? hurla Mabel qui se redressa, échevelée, transfigurée, sublime d’une sorte de joie puissante et farouche. Je suis la mère de Buridan !... »

Un grand cri lui répondit.

L’instant d’après, la mère et la fiancée de Buridan confondaient leurs sanglots, enlacées dans l’étreinte sacrée de leur bonheur...

Et là-bas, au fond de son Louvre, Marguerite veillait !...


XXXV



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