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1939-) Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres qui sont résumées et commentées


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Les nuits de "l'Underground"”
Roman de 260 pages
Le lecteur est introduit, par une nuit d'hiver, dans le bar “l'Underground” de Montréal dont le nom même met en évidence la clandestinité du lieu et de ses habituées qui s’y rencontrent la nuit, des femmes qui n'ont en commun que l'amour lesbien dont la valeur est affirmée, célébrée : Lali Dorman qui est absolument belle, mystérieuse et envoûtante ; Marielle, l'ouvrière ; «la Grande Jaune», la droguée ; René [sans «e»] la «butch» [la femme masculine] ; des danseuses ; des mannequins ; des étudiantes.... La sculptrice française Geneviève Aurès, âgée de trente ans, venue à Montréal pour préparer une exposition, désertant ainsi son amant, découvre le visage de Lali Dorman dont elle admire la sévère beauté qui provoque chez elle l'amour «comme une passion pour une œuvre d'art». Mais leur liaison se solde par un échec.

Dans un deuxième temps, Geneviève fait la connaissance, à Paris, de Françoise, femme du monde vieillissante et malade mais combien plus humaine dans sa fragilité.

Le roman se termine sur «l'explosion radieuse», dans une campagne ensoleillée, de la communauté de “l'Underground”, à laquelle répond comme une promesse l'amour régénérateur de Geneviève pour Françoise.
Commentaire
Le roman est d’abord une étude du milieu des homosexuelles qu’on n’avait pas encore faite dans la littérature québécoise. Avec cette mosaïque de femmes entre elles, on passe d'une réalité androcentrique à une utopie gynocentrique fondée sur la solidarité des femmes qui transcende toute différence raciale, sociale, linguistique et culturelle, passage présenté comme une libération. L'affranchissement de l'interdit jeté sur ces marginales par la société les conduit à une renaissance hors de tout référent masculin, laquelle est soulignée, tout au long de l'ouvrage, par une série de procédés convergents. Ainsi le roman qui s'ouvre sur une froide nuit d'hiver se termine dans la chaleur de l'été ; de même, la communauté lesbienne confinée au début dans le bar sombre et enfumé, soumise aux harcèlements des policiers, s'épanouit, aux dernières pages, dans la campagne ensoleillée, lieu privilégié de son «explosion radieuse».

L'étude de ce milieu de femmes se double d'une réflexion sur «les rapports entre l'art et la vie, entre l'amour de la beauté et l'amour des êtres». (Gilles Marcotte).

C’est aussi l’éducation sentimentale, l'apprentissage amoureux de Geneviève Aurès. C’est à travers les yeux, la sensibilité de ce personnage, au demeurant plutôt abstrait, que le lecteur découvre les femmes de “l'Underground”.

Lali Dorman est la Don Juane moins soucieuse d’amour que de conquête ; elle est, en quelque sorte, masculine, comme l’est René.

Françoise est l’amante maternelle. Et Marie-Claire Blais examine les liens étranges qui unissent un être jeune et un être vieux, voyant, dans la vieillesse, non pas les flétrissures ou les rides, mais les marques et les offenses que la vie laisse sur la peau des gens sensibles. Pour elle, il y a entre vieux et jeunes une pédagogie certes, mais c’est surtout l’exercice de la compassion du plus jeune envers le plus vieux qui compte.

L'action quelque peu réduite de ce roman dense, partagé en quatre chapitres seulement, est largement compensée par la poésie sensuelle des phrases longues, amples, fluides et musicales où domine l’imparfait du style indirect qui est aussi celui de la réflexion, de la suggestion, de la nuance.


Marie-Claire Blais oppose l’amour lesbien et l’amour hétérosexuel, et pose ce postulat que l’espoir de la Terre réside dans le premier. Les souffrances que connaissent les lesbiennes du roman sont universelles, sont celles de toute la communauté humaine. Et la méditation porte sur l’amour quel qu'il soit, sur la passion quelle qu'elle soit. Si le livre est écrit du point de vue de Geneviève, qui est une femme à l’esprit conventionnel, la réflexion accompagne sans cesse l’événement :

- «Cette liberté qui était la grâce et le malheur d'une vie et qu'elle n'avait pas su apprécier parce qu'un autre être, tout en s'en emparant, lui en faisait don.» (page 38).

- «Tout amour est peut-être un don, une merveille, mais un don marqué par nous du signe de sa propre folie, de sa propre perte?» (page 68).

- «Geneviève se reprochait aussi d'avoir l'instinct d'aimer plus que celui de plaire, car on souffre moins, pensait-elle, avec le second qu'avec le premier.» (page 112).

- «Pourquoi l'amour devait être autre chose qu'un jeu sans gravité, léger et souriant, quand la vie, elle, était si meurtrière?» (page 125).

- «On dirait peut-être alors que ceux que nous avons tant aimés avec les yeux de nos âmes mais que nous pleurons par les yeux du corps viennent à nous par cette voie du silence dont ils habitent toutes les heures sans les remplir.» (page 134).

- «Cette vulnérabilité qu'éveille l'amour physique lorsqu'il est partagé.» (page 202).

- «Cette friabilité des êtres, de ce que l'on devenait soi-même auprès d'eux soudain quand, hier, on ne les connaissait pas.» (page 202).

- «C'était cela [...] qui nous désarmait tant chez les êtres, cette façon qu'ils avaient d'agir, à eux seuls, ce pouvoir des dieux que leur accordait l'amour, en toute liberté, en toute inconséquence.» (page 216).

- «L'amour vit dans ses propres régions inhumaines, sous un règne de terreur qui n'est que le sien.» (page 219)

- «Un être englouti dans sa propre captivité comme le sont tous les hommes.» (page 227 : «les hommes» sont ici «les êtres humains», précision nécessaire chez Marie-Claire Blais !).

- «Que sommes-nous finalement pour les autres, même pour ceux que nous aimons le plus?» (page 232 : ne faudrait-il pas dire plutôt : «pour ceux qui prétendent nous aimer le plus»?).

- «L'amour le plus grand ne nous met-il pas en danger lorsqu'il nous livre brutalement à nous-mêmes, dans la foule de ces milliers d'autres qui ne semblent plus nous reconnaître, quand c'est nous qui, avec le choix d'une seul être, les avons tous écartés?» (page 262).

- «Ces deux femmes ne seraient longtemps encore pour beaucoup ''que deux lesbiennes'', un couple dénoncé dans tous les coeurs, et pour ceux qui associaient l'amour entre les femmes à la pensée du vice, l'image de quelque pervers accouplement dans un lit.» (page 263).

- «L'amour est un acte trop lucide, son passage dans nos vies ne déchire-t-il pas des années d'habitudes, parfois ne chasse-t-il pas tout un passé?» (page 263).

- «Cette prison qu'est le corps humain lorsqu'il est soumis à la torture.» (page 263).

- «Tout ce que l'on possédait pour parler à la chair souffrante de chacun, n'était-ce pas que cela, l'amour?» (page 264).

- «Pourquoi la liberté, la joie de vivre doivent-elles finir ainsi, pourquoi sommes-nous pris au piège?» (page 264).

- «La plus sévère des captivités [...] n'était-elle pas [...] chez les êtres [...] la captivité de l'esprit, l'incarcération de leur être véritable plié, dissimulé peu à peu à un monde social auquel ils ne correspondent plus?» (page 265).

- «On ne peut changer les êtres.» (page 265).

- «La vie nous oblige à trahir cette première fidélité à soi-même.» (page 265).

- «Avec l'égoïsme de vivre, l'espoir renaissait dans les coeurs.» (page 266).


L’épigraphe est une citation de «Vita-Sackville West» (en fait, Vita Sackville-West) qui, dans ce texte, demande que soit reconnue la psychologie des «gens de son type», ce qui reste énigmatique si on ne sait que cette amie de Virginia Woolf, a célébré les amours entre femmes. tout en étant mariée à l'homosexuel Nigel Nicolson, co-auteur du ''Portrait of a marriage'', ouvrage dont est tirée la citation.
Le livre a reçu un accueil mitigé. Quelques critiques ont été profondément choqués par l'audace du sujet ; d'autres lui ont reproché une protagoniste peu ou pas assez développée, des phrases trop longues, trop compliquées, faussement proustiennes. Par contre, des voix, et pas des moindres, ont trouvé au roman un dessin «ferme et élégant» (Gilles Marcotte), un style astucieusement adapté à une thématique (Lise Gauvin), une «œuvre riche, très travaillée» qui «augure bien des oeuvres à venir.» (André Brochu).

Le roman fut traduit en anglais sous le titre “Nights in the “Underground”” (1979).

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1979


Le sourd dans la ville
Roman de 214 pages
À Montréal, dans un seul lieu, le minable ”Hôtel des voyageurs”, dans une brève journée de printemps, en une tragique simultanéité, un petit nombre de personnages, qui appartiennent à différents milieux et n'ont donc entre eux que des liens très lâches, sont animés, chaque fois pendant quelques instants, au long d'un discours mental ininterrompu de la première à la dernière page.

Le jeune Mike Agneli, enfant sans âge qui est atteint d’un cancer qu’il combat à chaque instant, est, à la suite d’une tumeur au cerveau, «le sourd dans la ville» autour duquel ils gravitent tous selon des orbites plus ou moins éloignées.

L’impudique et généreuse Gloria, sa mère, patronne de l’hôtel et, une fois par jour, danseuse qui se déshabille à “L’infini du sexe”, rêve d’un voyage à moto avec Mike en Californie où il pourrait être guéri grâce à un traitement magique.

Ses trois autres enfants, héritage de l’union avec Luigi, mafioso assassiné, sont Berthe qui, fuyant dans les études et voulant réussir, fait son droit ; Lucia qui, à treize ans, est déjà débauchée, soumise à John ; et Jojo.

Son mari, Charlie, ne fait à l’hôtel que de courts séjours entre ceux qu’il fait en prison.

Le vieil ivrogne Tim l’Irlandais qui est triste, amer, quelque peu vicieux, qui s’exclame en un étrange anglais, fantasme l’Irlande comme le paradis perdu de son enfance, et pleure le deuil de son chien qui portait le même nom que lui, qui était son maître, sa conscience, et qu’il a tué par amour-haine, assumant la culpabilité subséquente.

Judith Langenais, dite «Judith Lange», est une jeune professeuse de philosophie opposée à sa famille, qui parle des atrocités qui se produisent dans le monde et, en particulier, des camps d’extermination nazis, à des élèves qui regardent plutôt le lilas blanc qu’ils voient par la fenêtre, et qui scandalise sa mère, une stricte bourgeoise, épouse d’un chirurgien.

La bourgeoise Florence Gray qui, abandonnée par son mari et en proie au désespoir, tourmentée par «cette lancinante douleur de la lucidité et de la conscience», vient à l’hôtel avec une valise, et y passe ses dernières heures avant de se suicider, ressassant son malheur et observant, depuis les marches de l’escalier, les allées et venues des uns et des autres, se sentant en communion avec Mike.


Commentaire
Le roman, long et poignant lamento, méditation angoissée sur la douleur de vivre, fait irrésistiblement penser à “Le cœur est un chasseur solitaire“ de Carson McCullers, en particulier par la présence, au centre d’une constellation de personnages, de Mike, le sourd qui attend, tandis que, sourds, les autres personnages le sont tous, car ils restent emmurés dans leur difficulté d'être.

Se trouvant tous dans ce triste lieu de passage qu’est l’Hôtel des voyageurs, ils ne sont tous, victimes et bourreaux, que des passants assoiffés de tendresse, tous des exilés sur terre. Ils sont regardés avec compassion, mais sont enfermés dans leur fonction de représentation. Ce sont tous des êtres qui aiment ou ont un certain souvenir de l’amour, qui subissent le tourment d’une pensée solitaire, sont figés sous «la stérile lumière de la conscience» (page 37) qu’ils ont, cependant, à des degrés très différents, certains étant extrêmement primaires (sans qu’il y ait de jugement porté sur eux), vivant au jour le jour avec leur dimension à eux, leurs besoins.

Le roman est aussi, en quelque sorte, un document sociologique sur les bas-fonds de Montréal, le peuple étant évoqué non sans misérabilisme, Marie-Claire Blais s’intéressant toujours à des marginaux, à des étrangers qui le demeurent longtemps après avoir émigré, alors même qu'ils sont coupés de leurs racines et qu'ils ne parviennent jamais vraiment à s'en fabriquer de nouvelles. Mais l’Hôtel des voyageurs, où se côtoient différentes classes sociales, différentes nationalités (Gloria est d’origine norvégienne, parle anglais et québécois, a donné un nom anglais à Mike qu’elle appelle aussi «mon Michel», un nom italien à Lucia car son père, Luigi, était Italien ; Tim est Irlandais ; John a un «nice feeling»), est un lieu égalisateur, figuration de la planète tout entière.

Du sein de cette communion des souffrants, Marie-Claire Blais réinvente la Passion. Gloria, dont les occupations servent à faire ressortir son infini dénuement et son infinie bonté («elle parlait “de la vie, du sexe et de la mort” et encore “du sexe, de la mort de la vie”» qui sont pour elle un seul et même mystère) est «la Mère de la Douleur», «une madone sans mystère», tandis que Mike, son fils «crucifié», la victime désignée, l’agneau sacrifié, désire non pas sauver les humains mais racheter les crimes du Père. Comme dans le tableau du peintre Munch, “Le cri”, le cri silencieux qui l’habite n’arrive pas à éclater. Enfermé dans son silence intérieur, emblème de la souffrance, de la solitude et de la mort, il n’est plus qu’un «sourd dans la ville» mais qui sent que c’est la mort en tous deux qui l’unit à Florence.

Regard centralisateur et médiateur du roman, Florence, au seuil du suicide, s'est enfin mise à voir la détresse de ses semblables. Elle a tout misé sur une relation amoureuse qui était le rejet de sa vie propre, sur une passion extrêmement violente. Elle se retrouve au bout du compte aussi démunie qu’au départ. Fatiguée de tout, elle n’existe qu’à peine, seulement attentive mais en spectatrice désabusée de la vie qui l’entoure sans l’atteindre. Son nom rappelant la ville éponyme si riche en œuvres d'art, elle incarne la tragique et lucide lumière de la conscience telle que réfractée dans les tableaux des peintres qu'elle affectionne : «Ils [Mike et Gloria] étaient à l'image de ces œuvres d'art qu'elle avait admirées autrefois dans les musées, sans reconnaître alors, entre l'œuvre d'art et la vie, cette tragédie de l'existence qui les liait l'une à l'autre, les rendait inséparables.» (page 208). Même si elle peut recourir à l’art, les tableaux l’aidant à se retrouver elle-même, elle commence à perdre le sens des couleurs, devient aveugle à tout et vient «s’éteindre là, dans cette lancinante douleur de la lucidité et de la conscience.» Elle témoigne de la futilité de vivre : «retourner du côté humain, ce serait d’abord cela, pensait-elle, connaître le secret de leurs méditations, de cette sérénité à l’ombre des ténèbres, ce qui était en eux tous et dont ils ne parlaient pas, c’était une musique que nul n’entendait peut-être, mais cela affluait jusqu’à leurs regards, leurs visages...» Ce qui retarde son suicide n’est pas évident, même pour elle ; pourtant, elle est déjà de l’autre côté des choses et ceci n’est pas nécessairement une contradiction car elle n’en finit plus de chercher le sens et l’instant de sa chute. Elle incarne une forme de passivité et d’esprit et de corps. Être fort de la fragilité de sa chair et de son âme, elle est au centre de ce roman mais le contraire exact d’une héroïne, «le soleil noir de la constellation» (Réginald Martel).

À cette vaine rédemption, édifiée sur une sourde souffrance, la romancière oppose le sourire miséricordieux de Judith Lange, qui s'étend à tous sans distinction, et sa mémoire de flamme qui garde vivant le souvenir des victimes de l'Histoire. Elle connaît la solitude par excès de fraternité humaine. Elle est l’amie des suicidés. Mais elle vient trop tard dire à Florence : «Reviens, reviens avec moi sur la terre.» (pages 210-211), voulant lui imposer le devoir de vivre.

Marie-Claire Blais a expliqué que «le sujet, c’est ce passage de l’extase de vivre à l’abandon de tout, sans aucune résignation. Aucun personnage n’est résigné, pas même le personnage suicidaire qui est peut-être le moins résigné, qui est très conscient des valeurs de la terre, qui a le souvenir de sa passion qui la lie à la Terre jusqu’à la fin, qui est presque un mystique de la vie à l’état brut. Florence, ayant des valeurs sûres, a bien plus à quitter que si, comme les autres personnages qui sont déjà un peu dépossédés, elle quittait une terre sans valeur pour elle

Le roman examine les relations humaines (rapports entre hommes et femmes, relations des femmes entre elles, ambivalence de l’amour-haine, sexualité) ; oppose l’amour de la vie et le suicide, l’altruisme et l’égoïsme, l’engagement et le désabusement. Marie-Claire Blais, en mettant en scène presque exclusivement des femmes, tout aussi remarquables les unes que les autres par leur sincérité, leur complexité, leur intensité et l’âpre quête d’elles-mêmes qu’elles entreprennent, y manifeste un féminisme appuyé. Les hommes, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent (qu’ils soient gangsters, médecins ou juge), sont soit minables soit cruels. Gloria n’a retenu de ses voyages que la propension des hommes à s’entretuer. Elle remet Tim fermement à sa place : «Tim, qu'est-ce que t'en sais, hein? Rien, je parierais, parce que c'est à nous autres, les femmes, de savoir ça. Moi, j'suis mère, femme et mère avant toute chose, et maîtresse tout autour, ou bien “lover” si tu préfères, “my old boy”.» (page 11). Le postulat, présenté dans “Les nuits de l’”Underground””, que l’espoir de la Terre réside dans l’amour lesbien, s’érige ici en certitude, celui entre hommes et femmes étant marqué par l’égoïsme, les mâles qui dorment dans la chambre de Gloria étant mauvais, étant des sourds qui engendrent non pas la vie mais la souffrance et la mort des femmes et des enfants, devenant des monstres en vieillissant.

Un roman dont l’action est absente et dont les personnages sont enfermés dans leur fonction de représentation ne peut échapper au discours philosophique, tourne même à la thèse et au plaidoyer, non sans humour et satire. La réflexion est provoquée par l’épigraphe qui est une citation de Rilke (qui distingue la mort voulue et la mort subie) et elle est entretenue par de nombreuses sentences morales. La question de la conscience est capitale et récurrente et on peut déceler des échos sartriens : l'être-au-monde est conscience vide, englué dans la souffrance, dénué de cette «existence propre» dont jouit la moindre «chaussure battue et attristée».

Le pessimisme de l’autrice est presque intégral dans la peinture de cet univers disloqué, dans la constatation de la très simple douleur de vivre, de l’égalité de tous ces êtres devant la mort, dans la réduction de tous les points de vue qui installe une sorte de regard impassible et détaché qui pourrait être celui du Destin inéluctable qui égalise tout, qui réduit à néant toutes les conduites, qui remplace tout pathétique par une sérénité revenue de tout car tout est joué d’avance. C’est un livre tragique où l’ombre de la mort plane à chaque page. Dans le monde inversé de Marie-Claire Blais, la vie est ombre, mirage, vestiges et ruines, tandis que la mort est blanche et feutrée, a couleur d'aube et de songes : «une blancheur de lait, au fond du tableau, était pour elle symptôme de mort, et le blanc de ses rêves, pensait-elle... c'était le signe que la mort était là, présente, sous une forme ou une autre.» (page 47).

Tant de déréliction composerait un univers d'absolue désespérance si l'autrice ne montrait ses personnages accédant à la conscience et à la mémoire par le truchement de l'art et de l'écriture qui, comme toujours, dans son œuvre, sont chargés de signifier, de témoigner, de dénoncer. La tragédie de l’existence rend indispensable l’art qui aide à rester sur la terre, d’où les références aux tableaux de Munch («cette figure de la Douleur telle que l’a peinte Edvard Munch dans “Le cri”»), Dix, Toulouse-Lautrec, Grosz, Degas, à la peinture chinoise, à l’art égyptien, à l’architecture de Chartres, à une collection de tableaux que possède Florence ; à la musique de Mozart, de Strauss, de Bach, à une berceuse ; aux livres de Dostoïevski, de Tolstoï, les livres étant pour Florence «la morne explosion sonore de son silence intérieur», l'écriture étant définie comme « une révolution nocturne faite de douceur et de silence, mais dangereuse et prophétique.» Et, de ce climat parfois irrespirable, se dégage une esthétique de la douleur orientée vers une conscience régénératrice.

La stratégie narrative que privilégie Marie-Claire Blais fait ressortir l'indifférence de tous et l'isolement de chacun : une voix extérieure, anonyme, distante, entame d'abord le récit des misères humaines puis est relayée par des monologues intérieurs fragmentés, inaudibles, qui enferment chaque protagoniste dans son mutisme et sa surdité.

Le texte est un unique paragraphe de plus de deux cents pages, aux phrases non terminées et interminables, enveloppant le lecteur qui devrait le lire d’une seule traite. Cette écriture expressionniste, vertigineuse, ouverte, coulante, sinueuse mais constamment tendue, ne présente pas de transitions, pas de ruptures pour des dialogues, puisqu’il n’y en a pas, mais seulement des conjonctions («et», «mais», «car»), indiquant le passage d’une scène à l’autre, permettant de véritables réembrayages du texte où se mêlent narration et monologues intérieurs (annoncés par le verbe «pensait-il», «pensait-elle», qui est répété à satiété, par exemple, aux pages 57, 73, 91, 101, 113, 125, 137, 143, 163, etc.). La focalisation est mise successivement sur différents personnages. Le point de vue change constamment, il y a sans cesse passage d’une conscience à une autre, entremêlement et imbrication des récits des protagonistes sans qu’aucun ne s’impose. Le flot de ce monologue polyphonique, comme émis d’un seul souffle, est aussi un cercle où la dernière page pourrait bien amorcer la première. Ainsi s’impose, dès les premiers mots de ce texte fébrile, une musique insistante et heurtée, le rythme emporté, haletant et oppressant d’un rêve constamment sur le point de se briser mais se reprenant chaque fois au moment même où il allait se perdre dans le silence ou l’incohérence. C’est un collage animé, une sorte de kaléidoscope. Le simultanéisme abolit le temps, fait que tout coexiste, qu’il n’y a pas d’enchaînement d’événements successifs, car l’action est absente, le seul événement étant le suicide de Florence, et les gestes sont mécaniques. Plutôt qu’une action, on a des états d’âme, mais l’atmosphère s’obscurcit de plus en plus.
Le sourd dans la ville”, quatorzième roman de Marie-Claire Blais, qui transcendait tout ce qu'elle avait livré auparavant, a été souvent loué par la critique qui l’a salué comme un retour à la puissance manifestée dans “Une saison dans la vie d’Emmanuel”, comme une preuve de la maturité atteinte (elle a reconnu que «la conscience, cela grandit avec la réflexion et avec le travail d’écriture»), qui a apprécié la rigueur du travail d'écriture. Pour ce roman, elle reçut le prix du gouverneur général du Canada.

Il fut traduit en anglais sous le titre “Deaf to the city” (1980).

Il a, en 1987, été adapté à l’écran par Mireille Dansereau (prix Mostra au Festival de Venise).

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1980

Fantôme d’une voix


Pièce de théâtre
Deux artistes dressent le bilan de leur vie de couple. Tout au long, la musique a été la source de leur passion, de leur amour, de leurs conflits et de leur bonheur. Aujourd'hui, LUI se retrouve à la fin de sa carrière, tandis qu’ELLE décide de lancer la sienne, mise en veilleuse jusque-là pour sauvegarder le couple.
Commentaire
La musique exécutée au violoncelle prend une part importante.

La pièce a été créée à la radio de Radio-Canada, à l’émission ‘’Premières’’, le 18 janvier 1980.

Elle a été traduite en anglais par Nigel Spencer sous le titre de ‘’Ghost of a voice’’ (1992).

Elle a été publiée dans ‘’Théâtre’’, avec quatre autres pièces (1998).

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1982

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