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1939-) Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres qui sont résumées et commentées


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Pays voilés
Recueil de poèmes

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1967

L'exécution


Drame en deux actes
Deux collégiens, Louis Kent et Stéphane Martin, qui ont mal lu Nietzsche, Gide et Musil, jouent un jeu dangereux. Ils se sont engagés par serment à commettre un meurtre gratuit, pour le simple plaisir de tuer, parce qu'ils en sont arrivés là dans leur cheminement personnel, mais aussi par une sorte d'étrange amitié-complicité. Un dimanche matin, à l'aube, pendant la messe, ils mettent leur projet à exécution. Ils ont placé dans un chapeau les noms de leurs compagnons ; on tire au sort le nom de la victime : ce sera le jeune Éric, quatorze ans, surnommé «le prince Éric». Un troisième étudiant, complice de Kent et de Stéphane, Christian Ambre (il est dans l'ombre des deux premiers), amène le jeune Éric à la chambre de Kent et de Martin. Après une mise en place à la fois badine et grave, Stéphane, sur le signal de Kent, tue le collégien en lui assenant un coup qui se veut mortel. Par la suite, Stéphane et Christian transportent le corps à l'extérieur du collège, près d'un boisé, où ils lui fracassent le crâne de plusieurs coups de pelle.

Louis Kent, qui a été le manipulateur de cette sordide affaire, se tient hors d'atteinte de tout soupçon, mais consigne dans son journal qu'il a, lui aussi, «offert un sacrifice sur un autel ce matin» et qu'il a connu «le grand secret du sang sans même avoir à le verser». Cynique jusqu'au bout, il profite de son statut de président de la classe pour mettre, apparemment, tous ses condisciples dans le coup : à l'interrogatoire du supérieur, ils se disent tous coupables, sauf Lancelot et d'Argenteuil qui, refusant de jouer le jeu de Kent, apparaissent alors comme coupables. Par la suite, Stéphane, rongé par le remords, fait l'aveu de son crime, et les dernières séquences le montrent en prison, ainsi que Lancelot et d'Argenteuil, tous trois menacés de la peine de mort, alors que le seul véritable coupable, Louis Kent, continue de se faire applaudir par les autres élèves, symboles de la société des suiveurs.


Commentaire
De l'aveu même de Marie-Claire Blais, c’est le meurtre, en avril 1964, du frère Oscar Lalonde, portier du collège de Matane, trouvé assassiné dans sa chambre, qui est à l'origine de sa pièce. À la suite de l’enquête, trois élèves du collège, soupçonnés d'avoir commis le crime, furent arrêtés, interrogés, mis en prison puis, après un procès qui conclut à leur innocence, furent acquittés et libérés. Le meurtre du portier demeura juridiquement inexpliqué : ce fut donc un «crime parfait».

Se déroulant dans une chambre triste et froide d’un collège, la pièce est statique, mais sulfureuse et troublante, mêlant humour et atmosphère tragique dans un style à la fois poétique et direct. Le premier acte est centré sur le meurtre lui-même : préparatifs, exécution, extension de la culpabilité à Stéphane, à Christian, à tous les élèves de la classe. Dans le deuxième acte sont introduits des personnages épisodiques : la mère de Kent et la sœur de Stéphane viennent leur rendre visite au parloir du collège, n'ajoutant rien à l'action, sinon une mise en relief du caractère machiavélique de Kent. Ce personnage, par sa complaisance dans le mal, par son pouvoir dominateur qui l'amène à se mettre à la place de Dieu, rejoint les autres figures étranges de l’univers de Marie-Claire Blais, dépassant en perversion Jean Le Maigre et offrant, dans une atmosphère qui rappelle “David Sterne”, le spectacle d'une nature schizoïde, véritablement psychopathe.

La pièce pose ces lourdes questions : Comment peut-on franchir si facilement la frontière entre le jeu et la réalité? Comment peut-on vivre avec la culpabilité? Mais qui est coupable?

Elle fut créée le 15 mars 1968 au théâtre du Rideau Vert à Montréal. Malgré l'originalité de la mise en scène d'Yvette Brind'Amour et l'interprétation brillante de Daniel Gadouas et d'André Bernier dans les rôles principaux, ce spectacle d'une cruauté aussi gratuite reçut un accueil défavorable auprès de la critique aussi bien que du public.

La pièce a été publiée dans ‘’Théâtre’’ avec quatre autres pièces (1991)

Elle a été traduite en anglais par David Lobdell sous le titre de ‘’The execution’’ (1976).

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Marie-Claire Blais composa une trilogie romanesque formée de :

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1968

Manuscrits de Pauline Archange


Roman de 120 pages
La narratrice, Pauline Archange, adulte, retrace ses souvenirs d'enfance. En 1945, à Québec, elle étaitt une petite fille de cinq ans et demi dans une société confite en dévotion, avec ses prêtres pervers, ses bonnes sœurs sadiques, ses petits bourgeois malveillants, ses boutiquiers rapaces, ses bouchers sanglants et ses vagabonds.

Son père était un ouvrier qui, chez lui, rêvassait ou racontait des histoires. Il croyait aux «miracles de la providence». Pauline a un peu pitié de cet homme fini à quarante ans.

La mère restait à la maison, veillant à tout, selon les mœurs d’alors. Pauline Archange ne sait pas quoi penser d’elle. Parfois, elle l’admire car, sous ses apparences maladives et son caractère irascible, elle était courageuse et était même une «insoumise». Parfois, elle la hait et a peur de lui ressembler en vieillissant.

Pour une raison ou une autre, Pauline Archange ne s’aime pas beaucoup. Elle se trouve sans coeur, désobéissante, infidèle, méchante, et elle ne comprend pas pourquoi elle ne parvient pas à aimer ceux qui l’entourent comme ils le méritent, croit-elle. À son grand désarroi, elle s’aperçoit que son plus grand plaisir est de faire de la peine aux gens, puis de les consoler.

Ce sentiment de culpabilité fut nourri par les sœurs qui s’occupent d’elle au pensionnat où elle passa toute son enfance. Elle les voyait comme des personnes sèches qui «puent légèrement la mort» et dont la bonté, quand elle se manifeste, est «cruelle». Elle éprouva son premier amour pour une petite fille du pensionnat, Séraphine Lehout, dont le visage de martyre l’attira irrésistiblement quoique provisoirement car elle voltigea de petite amie en petite amie, sans se soucier des larmes qu’elle faisait jaillir. Et cet amour s'étiola, soumis lui aussi à la loi inflexible de l’oubli et du temps qui passe. Lorsque survint la mort absurde de Séraphine happée par un autobus, elle avait déjà, depuis plusieurs semaines, cessé d’exister dans le cœur de Pauline qui se reprocha longtemps de l’avoir abandonnée, voyant cet accident comme un viol dont elle était responsable.

Elle tenta d'harmoniser ses rêves avec le milieu, mais découvrit en la Terre un lieu de souffrances et d’humiliations. Elle s'interrogea sur la pertinence de l'amour dans un monde «toujours à feu et à sang», monde sanguinaire et impitoyable où l’innocence a tôt fait de se faner et où les enfants sont vieux et las. Le temps coule en vain, les saisons se succèdent, ramenant les mêmes tourments. Que ce soit chez elle, à l’école avec les religieuses, dans sa parenté ou chez les scouts, partout Pauline rencontrait la maladie du corps et de l'âme. Au sein de cet espace où, comme les animaux, on se réfugiait dans les trous, les caves et les ravins, les mendiants préparaient des guet-apens pour les petites filles, les mères vindicatives se répandaient en reproches, les religieuses imposaient un régime policier, les pères torturaient leurs enfants. Pourtant, il semble que ce soient surtout les doux et les innocents qui étaient voués à la mort. Émile, le petit frère, plante rare remplie de la sève de la miséricorde, n’arriva pas à s'acclimater à l'air vicié qu'on respire ici-bas, l'oncle Sébastien, qui aimait trop le rêve et l'étude, fut emporté par la tuberculose, le débile Jacob fut broyé par le système et l'angélique Séraphine mourut. S'éleva en vain la voix rebelle et sacrilège de Louisette Denis, et trop souvent submergée par d’indéracinables préjugés la mansuétude du médecin, Germaine Léonard.

La précoce héroïne s'affirma dans la révolte et la transgression, et, l’espoir venant de l'écriture, elle écrivit en imagination de «fougueux récits». Mais il est bien difficile d’apprendre l’art d’écrire dans un milieu qui méprise les livres. Quelqu’un de plus éclairé lui en donne un qui s’intitule “Les aventures d'une prisonnière ou Histoire d’un captif sous la terre”, mais l'aspirante à l'écriture n'en a pas moins l'impression que ses «doigts effleurent la liberté au bout de chaque ligne».
Commentaire
La petite fille voit la vie avec le grossissement et les déformations propres à son âge. La romancière n’a guère de pitié pour ses personnages qu’elle décrit d’une plume impitoyable. L’abandon de Séraphine est le sommet du roman, mais elle avait déjà été victime de l’oubli. Marie-Claire Blais créa un texte plein, redondant, saturé, sans air où respirer hors la fétide haleine des infamies. Les mots «parcourent la surface de l'oubli», le texte lui-même fonctionnant comme l'oubli : sitôt racontés, certains événements, certains personnages disparaissent pour ne plus jamais revenir, d'autres réapparaissent, polis par le temps, transformés par l’imagination. Le récit avance dans un temps en apparence sans failles, s’étalant sur l’huile des jours, mais, en réalité, rempli d'ellipses, d’oublis, abolissant ses propres instances, bifurquant au hasard d'un adjectif ou d'un nom de personne.

Pour ce roman, Marie-Claire Blais reçut le prix du gouverneur général du Canada.

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1969

Vivre ! Vivre !”


Roman
Pauline Archange, adolescente, déménage avec sa famille, agrandit le cercle de ses connaissances, poursuit sa quête de la liberté, découvre la littérature.

Par le déménagement, elle s’apprête à oublier le passé, ce qui lui permet de mieux le faire revivre, leçon qu’elle apprend en écoutant le récit que son père fait «d’une féroce tempête du jour de Noël» qui provoque en elle instantanément une «immense tempête» car ce «récit», dit-elle, «semblait refléter, dans un passé lointain, un peu de la fureur désolée qu'[elle] éprouvai[t] dans le présent». Lui est révélé le fait que l'écriture tire l'être hors du temps, annule le temporel pour ne retenir que l'éternel. À son tour, mue par la violente nécessité, elle fournit sa propre version de la tempête qui, évidemment, trahit la réalité de l'autre.

En changeant de quartier, Pauline retrouve la même inhumanité : la maladie de Louisette Denis, l'infirmité de son frère, Jeannot, les condamnations de mère Saint-Georges. Pourtant, une prise de conscience s'effectue car, quittant le domaine étroit de la famille et de l'école, elle rencontre les représentants traditionnels de la société : le médecin, le prêtre, le prisonnier, l'intellectuel. Elle découvre aussi qu’elle est une fille d’ouvriers, qu’elle fait partie des «enfants du malheur» que la société québécoise d’alors produisait et qu’elle ne bénéficie d’aucuns des privilèges des enfants de la bourgeoisie. Elle doit commencer à se frotter à la vie qui, pour elle, sera toujours plus difficile, la plupart des filles d’ouvriers de cette époque devant devenir caissière dans une banque ou quelque chose de similaire. Son destin de fille pauvre est tout tracé si elle se laisse faire.

Elle raisonne sur les êtres qui ne lui paraissent plus aussi simples qu’avant. La doctoresse Germaine Léonard est la première adulte qu’elle regarde avec intérêt et dont elle voudrait attirer l’attention. Mais «Germaine Léonard affiche une bouderie cruelle qui me la rendait souvent étrangère», écrit Pauline Archange, stupéfiée par ce refus, car elle est un peu amoureuse d’elle. N’importe ! Elle la regardera vivre. C’est sur elle qu’elle testera sa féminité et son rôle dans le monde comme femme. Elle pourrait être pour elle le modèle de la femme émancipée qui a réussi dans sa carrière de médecin et qui dispose librement de sa vie affective et sexuelle, en dehors de l'institution du mariage. Germaine Léonard prend en pitié les petites filles du pensionnat et se bat contre les religieuses pour améliorer leur hygiène et leurs conditions de vie en général. L’important pour elle est de se pencher vers les êtres. Elle croit à la médecine sociale et écrit dans “La vie ouvrière”. «Malgré un caractère sensuel, elle a choisi la sainteté laïque et passe sa vie à travailler sans se soucier des hommes outre mesure, bien qu’elle se permette des amants de temps en temps». Pauline l'admire un certain temps, mais, en l’observant, apprend que la sainteté laïque ne vaut pas mieux que l’autre : si Germaine Léonard peut dénoncer dans le journal des ouvriers des injustices dont sont victimes les plus démunis, elle n'arrive pas dans sa vie quotidienne à se défaire des préjugés de sa classe contre les pauvres et les criminels qu'elle considère comme ignorants et pervers. Elle rejette violemment les paroles de pitié du prêtre renégat, Benjamin Robert, qui déploie une charité ardente, dont la parole volcanique ressemble à des torrents de lave, qui, refusant de continuer à incarner la vertu, comme ses confrères, décide, nouveau père Paneloux converti, de rejoindre le troupeau des coupables. Mais cet ange de compassion est pédophile et, s’il ne pêche pas par orgueil, il «succombe à la luxure», comme il dit. Il se lie d'amitié avec le parricide Philippe L'Heureux qui, semblable au Tarou de “La peste”, avec la même intransigeante lucidité, assassine le juge, son père, qui, tout en disant aimer la justice, a condamné à mort un ivrogne «pour un pauvre crime de fatigue, de lassitude...»

Si le monde littéraire offre l'occasion à Pauline de se frotter à la culture et au savoir, il ne lui révèle pas la source vive de la création. L’écrivaine catholique Romaine Petit-Page est toujours à la remorque des écrivains romantiques et écrit des livres d’une sentimentalité haïssable. Les poèmes sublimes de Louis, son fiancé, représentant de la noble France, paraissent bien pâles et artificiels. Julien Laforêt initie Pauline à la connaissance des écrivains de l'antiquité et à l'histoire, mais, même si sa rigueur intellectuelle est admirable, il demeure prisonnier de son érudition, sombrant dans l'abstraction, attaché aux apparences et à l'attrait du pouvoir. Ni les lacunes des maîtres ni leur emprise ne semblent entamer l'intégrité de l'apprentie écrivaine qui continue obstinément à chercher sa propre voie, sa propre voix. Cependant, les extraits de ses manuscrits révèlent un texte malhabile, aux mots de tous les jours, qui a seulement le mérite d'être personnel.
Commentaire
Le livre s'ouvre sur deux récits parallèles, celui du déménagement narré au présent par l’autrice et celui «d’une féroce tempête du jour de Noël» émanant du père et présenté à l'imparfait. Ces deux récits superposés dans le temps et adressés à des destinataires différents, l'un au lecteur, l'autre à Pauline, ont pour fonction de mettre en présence la dialectique de l'écrit et du vécu. Écrire ne se fait pas dans la tiédeur et avec la froide raison, mais constitue un geste incandescent qui opère la déflagration du réel.

Pour la première fois chez Marie-Claire Blais, la tendresse dominait la haine ; elle sortait dans la rue, brossait des tableaux saisissants des petites gens accablés par le travail. Germaine Léonard ressemble beaucoup aux héroïnes de Tourgueniev dans ses derniers textes ou à certaines jeunes femmes de Tchékhov qui travaillent dans les «zemstvo». Le livre contient des pages très intéressantes sur l’esprit qui régnait chez les jeunes gens de cette époque qui discutaient, entre autres sujets, du rôle du clergé dans les hôpitaux.

Les deux tomes furent traduits en anglais sous le titre “The manuscripts of Pauline Archange” (1969).

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1970


Les apparences
Roman de 190 pages
Pauline Archange poursuit son apprentissage, découvrant ce qui se cache derrière les apparences.

Ayant ses premières règles, devenue jeune fille, elle est attentive aux réalités de l'amour. Lui est révélée la fragilité des sentiments humains : l'amour de Louis pour Romaine Petit-Page a perdu de son ardeur. L'admiration de Julien Laforêt pour la poétesse s'est transformée en froideur. Derrière la vie dissolue d'Huguette Poire se cache un «désir d'innocence». Germaine Léonard, loin d'être affranchie, vit dans la culpabilité et la honte sa liaison avec un homme marié ; ses apparences honnêtes couvrent la honte de cet amour interdit par la société.

De son autre poste d'observation, le monde du travail, elle lève encore le voile des apparences. Elle doit affronter la dure réalité, c'est-à-dire «gagner sa vie», expérience qui est d'abord tentée dans deux endroits particulièrement prosaïques et sans âme : le magasin d'Éloi Gagnon et frères et la Banque du Roi. L'argent y règne en maître et divise l'univers en deux : les puissants qui, comme Éloi Gagnon, «souvent plus criminels que les autres», sont protégés par la loi, et les démunis. telle Louisette Denis, qui, pour un petit vol à l'étalage, devra subir «le jugement de la réalité et ses terreurs». Quant au «mortuaire édifice» de la banque, il tue tout sentiment de compassion et toute aspiration noble. Pauline va donc chercher le pain quotidien ailleurs, dans des lieux réservés aux marginaux : à l'asile de Notre-Dame-des-Fous et au monastère des capucins, «autre congrégation de déments». Là sont réunis ceux qui n'ont pas réussi à dompter l'imagination et les rêves et dont l'espace vital s'est rétréci au fur et à mesure que l'espace du rêve les envahissait.

Sa volonté de devenir écrivaine s’affirme, mais se heurte à la difficulté de la mise en œuvre : «Je rêvais tant d'écrire la vie que je croyais parfois la posséder. Mais, quand je voulais écrire ces choses du passé, elles semblaient disparaître dans la brume, ne laissant devant moi que des pages blanches». Ses fréquentations littéraires ne font que la confirmer dans sa conviction que la véritable création ne peut être le fruit de l'imitation pas plus qu'elle ne peut se laisser imposer ses sujets d'inspiration ou ses modèles (au monastère, le père Allaire lui conseille de retenir Paul Claudel et François Mauriac et de rejeter Arthur Rimbaud et Paul Verlaine). Elle n’a pas plus l’opinion de Germaine Léonard qui aime la littérature sociale ou académique. Elle a plutôt celle de l’ami de Germaine Léonard, Pierre Olivier : «Un écrivain transmet sa vision, voilà tout, saine ou malade, c’est toujours une vision du monde !» Il prend comme un bon exemple d’écrivain Philippe L’Heureux. Germaine Léonard dit de lui qu’il «décrit des personnages avancés dans la décomposition et qui cultivent leur délire», et elle l’accuse de justifier la névrose. Lui, lui reproche de croire dans une utopie sanitaire qui ne tient pas compte de l’humanité. On se doute que la liaison de Pierre Olivier et de Germaine Léonard ne durera pas très longtemps.

La dernière rencontre entre Germaine Léonard et Pauline Archange est brève mais dure, car cette dernière, qui n’a pas pu poursuivre ses études, ne travaille plus et commence à «suivre son délire». Elle frise la déchéance et devient presque une vagabonde. À la fin, c’est l’hiver et il neige sur Québec. Pauline marche dans la rue en grelottant. À travers la vitrine d’une boucherie, elle voit un jeune homme en train de dépecer un bœuf. Elle trouve qu’il ressemble à un ange de Dürer, mélancolique et solitaire. C’est un signe du destin. Elle fera partie de la communion des saints et découpera des bœufs puisque tel est le rôle des écrivains.

Au terme de son voyage d'initiation, il apparaît à Pauline Archange que c'est seulement dans le recueillement et la solitude que peut naître la création authentique, engendrée dans le délire et la foi. Tel l'ange de Dürer, «ouvrier solitaire» en qui «tout était violence, méditation passionnée» mais dont la violence «ne s'apaisait que dans le travail».


Commentaire
Dans ce volume, la distance qui séparait le personnage-néophyte de la narratrice-autrice s'est amenuisée grâce au recul de Pauline Archange à l'égard des événements du passé. Si bien que, dans le récit rétrospectif des Noëls d'autrefois qui compose le premier chapitre, la voix de l'adolescente et celle de l'adulte se confondent. Sous les traits de Philippe L’Heureux, on peut reconnaître Jean Genet, Marie-Claire Blais ayant été saisie par le personnage du renégat de la société qui se consacre à célébrer la beauté des marginaux, des déviants, des criminels.

Le livre fut traduit en anglais sous le titre “Dürer's angel” (1976).



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Commentaire sur la trilogie
Si elle se démarque des premières œuvres de Marie-Claire Blais par son réalisme, ce n’est pas une biographie. Elle déclara : «J’ai emprunté à mon entourage des personnages, des situations, tout en évitant d’être tout à fait Pauline Archange. Néanmoins, je crois être partout présente dans la majorité des dialogues. Cette situation me permet d’entretenir un échange toujours fructueux avec mon intériorité.» C’est tout de même une forme spécifique du récit intime : celle d’un moi qui tente de s’exprimer à travers les méandres d’un passé à faire ou à refaire, d’une enfance perdue. On voit tout de suite que cette chronique de souvenirs rassemblés dans un ordre apparemment chronologique fait partie de son « roman familial » dans le sens où Freud l’entendait, même si maints des personnages qu’on y trouve peuvent paraître extraordinaires. Ces mémoires fictifs ne s'ordonnent pas en fonction de lieux chronologiques bien stricts : la narratrice procède plutôt par condensation et par étayage de ses expériences, montrant comment l'écrivaine en herbe qu'est Pauline tente d'articuler le vécu et l'écrit qui s'attirent et se repoussent mutuellement.

Ces livres font une large part à la ville, se situent dans un cadre proche, urbain et ouvrier, mais n'offrent pourtant qu'une réminiscence lointaine avec “Bonheur d'occasion” de Gabrielle Roy. En revanche, Marie-Claire Blais y fit entendre bien des harmoniques familières à l'univers romanesque de Réjean Ducharme. Ainsi la mort de Séraphine n'est pas sans rappeler celle de Constance Chlore : elles sont écrasées par un autobus ; leur meilleure amie est coupable d'oubli ; dans les deux cas, l'angélisme ne résiste pas au quotidien qui le broie littéralement. Marie-Claire Blais se reconnaît elle-même une réelle fraternité dans l'errance et dans la solitude avec Réjean Ducharme.

Elle peignit une famille aliénée, une société sans idéal, un univers hostile et menaçant où le gel des esprits se confond avec le gel de l'hiver, où les consciences se débattent dans les glaces de la morne et lugubre culpabilité qui les ronge toutes sous «l'œil de Dieu brillant de malice et de dureté». La médiocrité et la bêtise règnent ; les injustices et les ignominies se multiplient ; la trilogie est traversée par une véritable théorie de morts et de malades. Aussi a-t-on pu reprocher à l’autrice son misérabilisme.

Les plus favorisés tentent bien de s'élever au-dessus de leur condition par le recours à la magie de l'écriture. Mais en vain. Celle-ci se révèle vite inefficace, soit qu'elle se heurte au mur de l'ignorance et des préjugés, soit qu'elle n'arrive pas à se déprendre des rets de l'autorité littéraire et religieuse.

L’indomptable Pauline Archange veut mourir à la réalité sordide pour naître à la fiction salvatrice. Consumée très tôt par le désir d'écrire, elle s'abîme dans la quête des secrets de la création pour échapper à cette fangeuse vie, pour disposer du pouvoir de rédemption de l'écriture. Il lui faudra donc, tel Fiodor Dostoïevski, laisser les forces de l'irrationnel s'emparer d'elle : «Dis-moi, devant ce corps tordu, cette face convulsive, pourrais-tu nier, la force, l'irrationnelle violence qui ont saisi l'écrivain quand il pénétrait la vie d'un tel personnage... moi je pense qu'il était à la fois Rogojine et son meurtre et le prince qui avait pitié de lui dans un état de merveilleuse hébétude» (“Les apparences”). Dostoïevski, s'identifiant à la fois au prince idiot et au meurtrier Rogojine, assumant en même temps la pitié et la violence du monde, rappelle les deux pôles qui régissent l'univers torturé des “Manuscrits de Pauline Archange”.

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