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1939-) Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres qui sont résumées et commentées


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Visions d'Anna
Roman de 176 pages
Dans le Québec des années 80, à Montréal vraisemblablement, on suit d’abord et le plus souvent Anna, une jeune fille «taciturne et fermée» sur elle-même qui, après une longue fugue dans le Sud, à Paris, etc., a décidé de revenir chez sa mère. Mais, toujours «dressée, vindicative», elle reste dans sa chambre, où elle laisse se dérouler sur le mur «la majesté de ces silencieuses visions», tandis que sa mère, Raymonde, une criminologue qui tente de rééduquer des délinquants, et se voue à leur défense, reçoit des collègues de l’Institut Correctionnel.

Anna se dresse contre sa mère, contre son père, Peter (un chorégraphe américain qui, d’objecteur de conscience drogué, est devenu un directeur de troupe satisfait, à l’esprit conservateur et conformiste), contre l’insensibilité des bourgeois, contre la violence des États, contre la dégradation de l’âme humaine, contre la destruction de la Terre, contre le temps et la mort. Cette révolte l’a conduite à chercher refuge dans la drogue, à se joindre à des «gangs de filles», de «drifters runaway children» comme Tommy (un jeune Noir rejeté par des parents adoptifs blancs) et Manon, qui vivent de prostitution et de vols, à vivre auprès de Philippe, un architecte français soumis à la drogue à laquelle il aurait voulu qu’elle échappe. Elle apprécia aussi Alexandre, le nouveau compagnon de sa mère, écrivain soucieux du sort de l’humanité qui est parti à la rencontre de miséreux, rencontrant alors une «femme qui venait d’Asbestos» qui, avec ses deux fils, fuyait un mari ivrogne.

Anna est proche des deux filles d’une amie de sa mère, Guislaine : Michelle et Liliane. Michelle, la plus jeune, est, elle aussi, en plein désarroi : elle, qui reproche à sa mère de l’avoir conçue sans l’aimer, qui pourrait devenir une musicienne, est droguée, alcoolique, anorexique, suicidaire, tourmentée par la peur de catastrophes. Liliane, au contraire, est forte, dotée d’une inépuisable vitalité, d’une générosité qui la pousse vers l’enseignement et le souci des autres et de la planète, d’une chaude sensualité qui la porte vers les femmes, ce qui scandalise ses parents : Guislaine, médecin qui, découragée par ses deux filles, et révulsée par la sécheresse du froid sociologue qu’est son mari, Paul, comme par la hautaine bourgeoise qu’est la mère de celui-ci, envisage d’aller exercer bénévolement au Brésil.

Alors que Raymonde reçoit ses collègues qui veulent ouvrir «d’autres Centres Sécuritaires», Anna l’entend s’y soustraire et ouvre sa porte. Sa mère, qui n’avait jamais cessé de l’espérer, en la serrant contre son coeur, se dit : «Je pense que cette fois elle est de retour».


Pour une analyse, voir BLAIS Marie-Claire - ‘’Visions d’Anna’’

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En 1982, Marie-Claire Blais reçut le prix Athanase-David.

Elle publia :

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1984

Pierre, la guerre du printemps 81


Roman
Pierre, le narrateur, est un beau jeune homme de seize ans qui appartient à une petite famille équilibrée et bourgeoise, socialement engagée, amoureusement gérée par des parents écologistes issus du mouvement «peace and love». Mais, pour lui, y règnent d'«inutiles délicatesses», car il est fasciné par l'extrême violence et les motards enragés et fascistes. Il décide un jour de se raser la tête, d'acheter une moto et, pendant quelques mois de l'année 1981, de devenir un «Hell's angel» car, pour lui, la seule façon de survivre sur une planète désormais sans pitié est de répondre à la violence officielle par la violence délinquante. En compagnie du Rat, de Cheddy Bear, de Stone et de bien d'autres, il arpente les routes de l'Amérique, vivant au jour le jour de «minables attentats». Avec Stone, jeune femme exploitée et battue par son vieil amant, il vit, dans le désespoir, une sombre et luxuriante sexualité («My Stone, My meat, My foxy nympho»). Il s’interroge sur la nécessité quasi esthétique de la cruauté. Mais il se révèle trop sensible, trop tendre, et en cela réside l’espoir.
Commentaire
Le roman de Marie-Claire Blais se veut, d'une certaine façon, une suite masculine au regard nihiliste féminin de sa création précédente. Il est vengeance là où “Visions d’Anna” était désespoir. Autre témoignage de la compassion de l’autrice, il est placé lui aussi sous le signe de Dostoïevski, et particulièrement d’Aliocha Karamazov qui représente tous les humiliés de la Terre. Reprenant les principes connus de l'attraction freudienne entre Éros et Thanatos, ce roman s’inscrivait dans la tradition narrative des héros révoltés assoiffés de destruction, révolte qui ne symbolise au fond que la quête d'une identité propre. Ce type de fiction avait été rendu populaire dans les années 1950 par la littérature américaine de la «beat generation» et l'image mythique de James Dean. Écrit à l'époque où les jeux vidéos violents faisaient leur apparition et alors que les bandes de motards terrorisaient encore les villes et villages du Québec, le roman confrontait deux univers on ne peut plus dichotomiques : celui des parents et celui de cet antihéros et des compagnons, dont Stone qui devient inexorablement l’Ève future, tatouée, une déesse dévoreuse et terrifiante, la Kali des temps violents.

C’est avant tout un roman d'atmosphère, un roman d'impressions servi adroitement par un narrateur intradiégétique, qui ressasse à toutes les sauces sa paisible mais inacceptable vie familiale, qu'il se plaît à exposer en parallèle avec les atrocités du XXe siècle : Adolf Hitler, la guerre du Viêt-Nam, les meurtres de Garry Gilmore, le suicide collectif provoqué par James Jones, l'invasion de la Tchécoslovaquie... Tout chez lui est prétexte à haine et à violence, représentation, laisse entendre l'autrice, de la virilité, du côté mâle de l'humanité : «Je délaissais cet univers transparent, féminin, de l'amour, pour entrer dans l'âme de l'homme... je devenais soldat», transition qui lui permet, par association, de songer aux femmes lorsqu'il regardait «les meurtres capitonnés de l'hiver à la télévision». Marie-Claire Blais veut ainsi conduire à une approche sympathique de tout être qui, rejetant la norme sociale, ou étant par sa nature incapable de s'y plier, est victime d'une société brutale devenue bourreau de l'individu.

Le texte opaque, bloqué en d’interminables paragraphes et pourtant fragmenté, éclaté, constitué d'un incessant collages de bribes passées et présentes de réalités (conversations, souvenirs, réflexions), avec des fulgurances mais aussi des longueurs et des redondances, veut restituer, par sa construction narrative, la fureur, l'apocalypse, le chaos exigé et vécu par le héros, exorciser la terreur par sa violence poétique.

Le roman a reçu de la critique un accueil mitigé.

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1984

L’exil


Pièce de théâtre radiophonique
Elle et Lui sont exilés depuis quinze ans dans un pays répressif où ils sont les témoins de tortures et de morts. Ils offrent refuge aux sculpteurs, peintres et écrivains, ainsi qu'à leurs œuvres. Le poète Orlief est de ceux-là.
Commentaire
La pièce a été créée par la radio de Radio-Canada

Elle a été publiée dans ‘’Textes radiophoniques’’ (1999).

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1988

L’île


Pièce de théâtre de 84 pages

Des hommes, des femmes se retrouvent sur une île, faite de plages, de mer et de soleil, comme échoués pour la vie, pour la mort. Ils partagent un même destin, qu'ils soient Blancs ou Noirs, jeunes ou vieux, dans la marge ou dans la norme, sur cette île que tous les fléaux modernes attaquent : le racisme, le sida, l'indifférence. Cette île de bonheur et de malheur est la réplique de notre société où rien n'est jamais acquis, où tout doit se négocier. Mais sur cette île nue, la tendresse vient parfois chasser la grisaille et faire place à la joie.



Commentaire
La pièce a été créée à Montréal, au Théâtre de l'Eskabel, le 26 avril 1988. Jean Beaunoyer écrivit dans ‘’La Presse’’ : «‘’L'île’’ de Marie-Claire Blais, c'est le refuge des écorchés, des marginaux de toutes sortes ; c'est un monde réinventé où les règles du jeu ne sont plus les mêmes. […] Marie-Claire Blais capte facilement l'imaginaire, elle laisse son lecteur parfaire son monde.»

Elle a été traduite en anglais par David Lobdell sous le titre de ‘’The island’’ (1991).

Elle a été publiée dans ‘’Théâtre’’ (1998).

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1989

L'ange de la solitude


Roman de 135 pages
Dans une première partie, “L’univers de Johnie”, Johnie, l’écrivaine, Doudouline, la musicienne, Polydor, la théologienne, l’Abeille, la peintre, Sophie, la comédienne, mère de Doudouline, et Paula, son amie, partagent un appartement et une amertume générale, une «pensive léthargie», «l’habituelle langueur», «la négative philosophie de l’existence», «la tiède souffrance du dégoût», «la conspiration de l’attente dans l’ennui», même si l’Abeille est «le peintre de notre génération», si Doudouline est vraiment douée, comme l’atteste le succès de son concert, si Sophie et Paula sont célèbres. Le groupe et les couples se dissolvent : Thérèse avait déjà, pour s’occuper de sans-abris, quitté l’Abeille qui, chaque nuit de pleine lune, fuit la commune pour tenter l’aventure ; Lynda avait jadis préféré à Johnie un homme ; Johnie elle-même abandonne quelque temps Gérard pour aller se reposer au soleil ; finalement, Gérard disparaît, laissant Johnie et les autres dans l’inquiétude et sans nouvelles.

Dans la seconde partie, “Le seuil de la douleur”, après des recherches angoissées, Gérard est retrouvée morte dans l’incendie d’une maison délabrée où elle s’était comme réfugiée plutôt que de revenir à l’appartement de Johnie ou à la commune des filles.


Commentaire
La première partie est très longue, la seconde beaucoup plus brève. La fin tragique n’est pas perçue comme telle à la lecture car, de toute façon, que le désespoir aille ou non jusqu’à la mort physique, la situation de toutes ces femmes était donnée comme désespérée et sans issue depuis le départ. Les divers fils de l’anecdote, donnés comme englués dès le début, restent figés jusqu’à la fin, et le roman ne marque pas véritablement de progression à cet égard, mais évoque plutôt, comme en simultanéité, un étalement, une accumulation et une juxtaposition de solitudes. Le groupe de lesbiennes est décrit en surface à travers des types bien variés, mais Johnie, qui, d’après le titre de la première partie, devrait se distinguer, n’a pas la force requise. Le roman fait démodé, d’autant plus que les «communes» n’étaient plus à la mode au temps où se situe l’action. Et la commune n’empêche pas la solitude de ses membres. L’homosexualité devient la manifestation simplement plus voyante d’une marginalité bien plus générale.

Le roman a été traduit en anglais sous le titre “The angel of solitude” (1994).

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1989

Un jardin dans la tempête


Pièce de théâtre radiophonique de trente minutes
Dans un jardin de Key West, en Floride, un jeune délinquant vit la terrible douleur physique et morale du sevrage de la drogue.
Commentaire

La pièce a été traduite en anglais par David Lobdell sous le titre de ‘’Black town or a Garden in the storm’’ et créée en 1990 par la radio de Radio-Canada (Vancouver).

Elle a été publiée dans ‘’Textes radiophoniques’’ (1999).

Elle a de nouveau été traduite en anglais par Nigel Spencer sous le titre de ‘’Garden in the storm’’ (2005).

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1992


L'exilé
Recueil de dix nouvelles de 178 pages
Commentaire
Trois des textes avaient paru dans les années soixante, les sept autres dans les années quatre-vingt, fruits de diverses participations à des revues ou à des collectifs de nouvelles. On y a adjoint “Les voyageurs sacrés”.

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1993

Parcours d'un écrivain


Textes autobiographiques
Marie-Claire Blais, qui est nomade dans l'âme, qui erre de par le monde (États-Unis, France, Chine), livra pendant un an au journal “Le devoir” les «carnets» qu'elle avait remplis à l’occasion de ces voyages et où elle parlait de cette période de sa vie, au début des années soixante, où elle séjourna dans la maison du critique Edmund Wilson et vécut à Key West. Elle y habite toujours, revenant toutefois au Québec chaque printemps pour s'installer dans une petite maison des Cantons de l'Est où elle trouve la concentration et la solitude nécessaires pour écrire, jusqu’à ce que l'hiver l’en chasse.

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En 1993, Marie-Claire Blais fut élue à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

Elle s’engagea dans un projet romanesque audacieux, proche de la témérité, voulant présenter un état des lieux de la société d'aujourd'hui, des mentalités qui y ont cours dans une immense fresque polyphonique des malheurs de la fin du XXe siècle, centrée sur Key West sans que l’endroit soit jamais nommé, sous la forme d’une trilogie :



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1995

Soifs


Roman de 315 pages
En trois cents pages d'un texte tout à fait compact, une spirale incessante passe de personnage en personnage, qui vivent dans une luxuriante île du golfe du Mexique aveuglée de soleil, noyée dans les reflets bleus de la mer, où se côtoient richesse et misère, qui est en suspens entre le passé et un avenir incertain, entre la beauté du monde et les horreurs de l’Histoire. Sont réunis pour trois jours et trois nuits d’une grande fête marquant la fin du XXe siècle et l’arrivée au monde d’un enfant :

- Renata, avocate, femme d’un juge, en convalescence après l’ablation d’un poumon, tourmentée par la soif (de justice, de plaisirs, d’ivresse), opposée au juge qu’est son mari ;

- Jacques, un professeur de littérature spécialiste de Kafka, qui meurt du sida ;

- le pasteur noir Jérémy, dont la famille est dominée par Mama et qui a du mal à mettre ses enfants dans le droit chemin ;

- la famille blanche de Mélanie, la nièce de Renata, et Daniel, qui est dominée par Mère, témoin de la fête, qui se reproche d'être insensible aux drames des autres et se sent, en fin de vie, «comme une fleur fanée qu'on jette sur le trottoir» ;

- des artistes dont un romancier juif ;

- la femme de ce romancier dont la mère voudrait qu'elle ait une carrière politique ;

- Julio, jeune réfugié cubain dont la famille a péri en mer ;

- des Noirs échappés d'une autre île soumise à la dictature et qui risquent, dans celle-ci, d'être victimes des “Cavaliers Blancs”, membres du Ku Klux Klan qui rôdent autour du jardin, trouvant que la famille de Mélanie favorise trop les fréquentations interraciales.

Les riches comme les pauvres, les vieillards que l’âge rapproche inexorablement de la mort comme les enfants tout à l’innocence de leurs jeux, toute cette humanité est en proie au doute et à la souffrance. Les malheurs du passé, ceux du présent et ceux de l'avenir sont alternativement évoqués, en particulier ceux que connaissent les femmes.


Commentaire
Dans cette fresque tourbillonnante, baroque, hallucinante, Marie-Claire Blais réussit à capter l’air d’un temps qui, pour elle, est apocalyptique. «C'est une vision prophétique, mais limitée à celle d'un auteur, expliqua-t-elle. Je ne suis pas une scientifique, je ne suis qu'un auteur, et j’ai une vision de ce temps que je veux décrire pendant que je la vois, que je la vis.» Elle exprima, par l'entremise de ses personnages et de leurs drames, ses propres préoccupations : l'intolérance, le problème des réfugiés, la survie de la planète. «Mais, insiste-t-elle, il s'agissait de le faire à travers quelque chose de lumineux, qui donne l'idée du monde comme étant encore un lieu où il y a de la beauté, de la candeur, de la générosité

Elle réussit le tour de force de faire une synthèse des tragédies et bonheurs du monde, par l'évocation de près de cent personnages qu'elle nous rend tous fascinants, attachants, touchants. Dans cette île paradisiaque, on croit reconnaître Key West, où l'autrice passe ses hivers.

Dès la première page, il est question de la peine de mort, rétablie dans plusieurs États américains. Marie-Claire Blais s'inquiète de la montée des extrémismes : «J’ai très peur, pas seulement parce que je vis aux États-Unis et que je suis nord-américaine, mais parce que c’est une tendance universelle

Renata, femme autonome et rebelle, prisonnière de sa classe, fume et écrit en cachette de son mari. Avocate, elle refuse qu’il la pistonne pour accéder au poste de juge. Angoissée à l'idée que des innocents puissent être exécutés, elle est aussi révulsée par les récits de viols, et se demande ce qu'elle ferait si elle était juge. «Pour elle, la question du viol est extrêmement grave, parce qu'elle est une femme, expliqua la romancière. On change nous-mêmes devant ce qui nous menace directement. J'imagine qu'elle ne leur donnerait pas la peine de mort, mais elle la contemplerait (sic) comme possible. Ce qui changerait ses principes.» Le drame personnel de Renata se résume dans le mot «justice» qui la hante. «Elle porte le monde sur ses épaules», dit la créatrice.

Au contraire, Mère, sa belle-sœur, «pense beaucoup à sa propre réalisation». Femme d'action, elle remet en question le rôle maternel. «Elle ne croit pas, contrairement à beaucoup de mères, que l'amour maternel... suffise dans une vie. Elle a beaucoup aimé ses enfants, mais elle ne croit pas que ce soit assez pour faire une “vie honorable" : ce rêve d'être d’être une femme engagée politiquement, d'avoir un poste de direction, de déployer beaucoup de compétence dans toutes sortes de domaines. C'est une femme très cultivée, mais elle sent qu’elle est arrêtée par ses enfants.» Elle observe sa fille et Renata dont elle est jalouse, ses petits-enfants dont les cris l'agacent, les servantes haïtiennes.

Dans sa maison du bord de mer, Jacques, le professeur, vit les derniers moments de sa vie dans les souffrances de la dégénérescence, entouré de rares amis, peut-être malades comme lui. Il écoute la musique de Mozart, en pensant à son essai inachevé sur Kafka, ou à Tanjou, son jeune amant pakistanais ; il regarde la mer, s'amuse de voir les fils du pasteur voler des fruits dans son jardin. Et s'insurge contre le trop-plein d'attentions qu'on a pour lui. «Ce n'est pas un être complaisant dans la maladie, précisa Marie-Claire Blais. Je voulais aussi montrer que beaucoup de malades comme lui sont aussi vivants jusqu'à la fin, sont aussi conscients et très exemplaires, très généreux du peu de temps qu'il leur reste. Ça dépasse le courage, ça devient de l’héroïsme

La sœur de Jacques, venue à son chevet de mourant, éprouve du dégoût, méprise Tanjou. Plus tard, cependant, naît en elle une tendresse à rebours : «Elle change. Il y a des êtres qui, au contact de gens extraordinaires comme Jacques, changent. Parce qu'elle ne le connaissait pas, ce frère qu'elle méprisait; elle le méprisait comme la société le méprise et surtout comme sa famille, qui l'a mis à l'écart. Et c'est une femme très conventionnelle, avec un esprit commun, comme beaucoup de gens l'ont, de jugement, de préjugés, de dureté préconçue

Le texte, riche, foisonnant, déroule une prose limpide aux phrases longues qui foudroient les ponctuations et les syntaxes traditionnelles avec un beau dédain des règles mais en demeurant rationnelles, qui roulent comme les vagues d'une mer agitée par moments, calme à d'autres. L’écrivaine entre, à tour de rôle, dans la pensée des êtres qu'elle fait vivre, cherchant à en rendre la rapidité, montrant qu’elle n’est jamais assurée, qu’elle va d’incertitude en incertitude, d’affirmations en contradictions. Cette prose, qui se veut musicale, envoûtante, a un grand pouvoir d’évocation. Elle permet d’unifier toute cette humanité car si, autour du jardin où se tient la fête tournent les exclus, ils en font partie eux aussi.

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2001

Dans la foudre et la lumière


Roman de 260 pages
Certains personnages de “Soifs” réapparaissent, mais ils ont évolué «parce que le temps a changé. Il change vite au niveau de la haine et de l'amour. On entre vite en guerre». Se juxtaposent ainsi les voix d'un poète qui meurt au terme d'un séjour à Venise, du danseur Samuel qui accompagne de sa grâce ses amis mourants, d'un peintre «voué aux offenses à la nature se multipliant dans le monde physique de l'univers qui ne contrôlait ni ses délires ni ses sécheresses», d'un pianiste qui espère, par sa musique, parvenir à arrêter la dissolution des mondes, et surtout de beaucoup d'enfants : une fillette de sept ans qui meurt aux commandes de son avion, victime de la stupidité de ses parents avides de records, un gamin de onze ans qui attend l'âge légal de quinze ans pour passer sur la chaise électrique, une fillette clocharde, «la vierge aux sacs», qui annonce l'apocalypse dans les rues de New York avec à la main une Bible qu'étant analphabète elle tient à l'envers.
Commentaire
Ce deuxième volet du triptyque est aussi vaste que le premier, tout aussi foisonnant d'anecdotes et de situations dont un bon nombre sont empruntées à l'actualité très récente. Il se présente de la même manière que ‘’Soifs’’ : un immense bloc d'écriture, sans chapitres ni alinéas, où, au gré de phrases très longues pour la plupart, on passe sans solution de continuité d'un personnage à un autre, d'une conscience à l'autre, d'un regard à la troisième personne au «je» de la subjectivité à la suite d'une virgule ou d'un simple «et». La musique impose au roman sa structure et son rythme. Si, pour reprendre la définition de Stendhal, «un roman est un miroir qui se promène sur une grande route,» celui que nous tend Marie-Claire Blais est brisé en mille éclats comme le monde fragmenté qu'il reflète. L'écriture déroule des faits divers, des sensations qui sont autant de phénomènes apparemment hétéroclites qu’elle cherche à rassembler, comme pour combattre la solution de continuité où sont pourtant enfermés les personnages.

Ils se trouvaient déjà presque tous dans ‘’Soifs’’ à l'exception de Jacques, mort du sida. À peine différents, guère plus vieux. Leur destin se creuse davantage, car le temps, même court, avance très vite. Ce qui a surtout changé ici, c'est l'importance relative des personnages. Le jeune Carlos, sur qui s'ouvre le récit, sera plus visible. Fils délinquant d'un pasteur, il se fait rappeler, au milieu d'une volée de gifles, que «la lumière, mon fils, c'est aussi la foudre». Renata, la femme juge du début de ‘’Soifs’’, apparaît plus tard, toujours préoccupée par la question de la peine de mort. On retrouve également Jean-Mathieu, Isaac, Caroline la photographe, de même que Daniel, l'auteur d'un roman, ‘’Les étranges années’’, sorte d'œuvre-sœur de celle que nous sommes en train de lire, à laquelle un ami reproche, en dépit de ses qualités, d'être «un produit excité de notre temps». On retrouve encore la jeune vagabonde attachante qu’on surnomme «la Vierge aux sacs».

Ces jeunes gens, ces adultes d'un peu tous les âges, ont tous leurs projets personnels, leurs préoccupations, leurs peurs. Même ceux qui ont une situation confortable et une carrière confirmée se sentent bousculés dans leurs convictions quand ils ne sont pas menacés dans leur intégrité physique. Car ce monde très actuel, cette société développée où ils vivent sont lourds de menaces de tous ordres. La violence urbaine, devenue quotidienne, banalisée, guette d'un peu partout et frappe le plus brutalement les jeunes comme Carlos, Samuel, Vénus ou la Vierge aux sacs. Marie-Claire Blais y était sensible depuis plusieurs années. Elle la constatait d'abord, telle quelle, crûment, ce qui n'empêchait pas que se profilent de la compassion pour cette jeunesse abandonnée à son sort et une indignation sourde contre ceux qui en sont responsables : parents indignes ou marchands de poisons divers comme ces fabricants de jeux vidéo où la violence se prétend ludique, donc innocente. Les héros involontaires de ‘’Dans la foudre et la lumière’’ sont ces très jeunes gens qui paraissent voleurs et assassins de naissance, qu'on enferme dans des prisons d'adultes, qu'on s'efforce de condamner à mort de plus en plus jeunes. Leur histoire est à peu de chose près celle qu'on lit quotidiennement dans les faits divers.

Sont également évoquées dans ce roman d'autres questions graves de ce temps : celle des immigrants, clandestins ou officiels, qui ont fui la misère de leur pays d'origine pour la retrouver sous la forme de l'exclusion ou du mépris ; celle encore du sort fait aux femmes, en Amérique et surtout dans les pays islamiques.

Chacun des personnages, y compris les plus altruistes, semble ici prisonnier de sa propre solitude, si ce n'est de sa culture, de sa génération ou de son sexe. L'ouverture d'esprit, la compassion, lorsqu'ils en sont capables, leur permettent à peine d'ébranler quelques barrières. Les plus vieux se scandalisent de l'inculture des jeunes, de leur grossièreté. Ceux-ci, en retour, les renient.

Ce tableau de l'inhumanité, de la barbarie, a quelque chose d'apocalyptique sans pour autant verser dans le catastrophisme. On y reconnaît des situations qui existent aux États-Unis plus qu'ailleurs, les autres pays occidentaux y venant cependant eux aussi. La place de la lumière est discrète, mais pourtant bien réelle : elle vient pour l'essentiel de l'art, peinture, musique, danse, de la fréquentation des grandes œuvres du passé pour ceux qui, ayant eu la chance d'acquérir une culture historique, sont en mesure de les goûter telles quelles ou, pour les plus jeunes, audacieusement modernisées. Aucun des personnages du roman n'en attend cependant de rédemption : elles seront un baume sur leurs plaies du monde, ou encore des lieux de lucidité critique, ce qui est déjà appréciable.

Il apparaît que, jusque dans ses manifestations physiques, l'univers est devenu un chaos menaçant où croyances et idéologies ne parviennent plus à déceler le moindre dessein. Mais subsistent en chaque individu la conscience et la capacité de compatir aux destins les plus humbles.

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2005

Augustino et le coeur de la destruction


Roman de 305 pages
On retrouve les personnages des deux livres précédents auxquels s’en ajoutent d’autres, l’ensemble constituant «une petite humanité». On célèbre l’anniversaire de Mère qui avec l’âge, elle a plus de quatre-vingt ans, s'assagit et se bonifie. Petit à petit, les rires et les enivrements cèdent la place à la mélancolie et s'éteignent dans le grondement du monde, le narrateur, Augustino, seize ans, pressentant les forces invisibles qui sont à l'œuvre pour sa destruction. Dans sa voix résonne l'inquiétude de notre temps. Nous sommes transportés dans les pensées d’autres personnages, hommes ou femmes, bourgeois ou réfugiés, toxicomanes ou artistes, gens de tous les âges, de toutes les classes et de tous les milieux, témoins de la dissolution et de la folie planétaire, leurs monologues intérieurs se mêlant à la narration d'Augustino qui n’est pas tant une histoire qu’une inscription des personnages dans la marche inexorable de l’Histoire.

On retrouve «la vierge aux sacs» qui savait que quelque chose allait arriver ; elle poursuit son soliloque où elle répète l’annonce de la fin du monde qu’elle a entendu de la bouche des prêcheurs, en espérant être entendue. Mais le silence des autres est d’autant plus lourd. Elle croit en Dieu mais est pourtant démunie.

Parmi les autres personnages se démarquent : Lazaro, ce fils d’islamiste dans les veines de qui la rage coule tel un poison ; Caroline, l’extraordinaire photographe bourgeoise qui est, de ce fait, en pleine possession du langage, tandis qu’au contraire, Charley, sa gouvernante, «a moins de mots mais plus d'images» ; Carlos, le détenu qui ne souhaite que retrouver la liberté ; Adrien, le vieux critique aigri qui est insensible à l'égard des jeunes auteurs.

Au fur et à mesure du déroulement, un orage grandit et la violence est constante à laquelle sont particulièrement soumis les êtres les plus vulnérables. Les guerres et les hommes qui ont engendré les «Grandes terreurs» ont anémié le monde. Il y a bien eu le mouvement des droits humains et libertés et celui de l'émancipation des Noirs américains, les grandes luttes féministes et celle pour l'égalité raciale. Des avancées que recouvre la dramatique actualité des temps présents : les génocides, les fanatismes religieux, l'hydre du terrorisme, les laissés-pour-compte qui trouvent «outrageant ce monde d'usurpateurs matériel et riche», le sida. La planète est devenue hargneuse, sèche et assoiffée, brûlée par la haine et la vengeance. Le mal progresse et avec lui sa banalisation. La catastrophe, qui fut annoncée dans “Soifs”, dont la menace se précisa dans “Dans la foudre et la lumière”, se produit.


Commentaire
Le titre est adéquat : Augustino, l'écrivain prométhéen, héraut plus que héros de ce roman polyphonique, campé au beau milieu de la vie moderne dont il enregistre le rythme, le souffle, les pulsations, comme le ferait un passant au milieu d'une foule, est porteur d'espoir, tandis que «le chœur de la destruction» est la foule qui, tout autour de lui, gronde. Au gré d’une narration savamment orchestrée, le lecteur est convié à butiner les pensées, à goûter dans le détail et dans l’ensemble le grondement de ce chœur au-dessus duquel s’élève la voix d’Augustino.

De même que dans les deux premiers tomes de la trilogie, la forme est déroutante : fragmenté en pièces détachées, le texte, extrêmement dense, presque sans points et sans chapitres, est porté par le rythme d'une phrase incessante qui roule dans des tourbillons de mots, de voix et de pensées sur plus de trois cents pages où il n’y a pas une ligne qui ne soit belle, ciselée, sans compromis. De sa plume qui jamais ne se pose, ou à peine, avec son souffle proprement inépuisable, Marie-Claire Blais nous amène à voler de destin en destin. C’est une symphonie où chacun parle, où un autre narrateur vient ouvrir une nouvelle porte. C’est une partition qui va vers un crescendo. Il faut accepter de se perdre dans cette prose labyrinthique à la virgule souveraine, désordonnée mais cohérente. On sort étourdi mais ravi de cette expérience littéraire fascinante et captivante.

Le roman, qui capte avec une intensité poignante la fugacité des êtres et des choses, est bourré de personnages qui apparaissent, disparaissent et ré-émergent. On partage leur intimité le temps de quelques phrases, de quelques pages ; on s'immisce dans leur réflexion, dans leur dialogue, pour les quitter, sans autre forme de congé, avant de les retrouver plus loin dans le roman, toujours au plus intime. On passe de l'individu hanté par le regret de devoir trop tôt mourir au prostitué exploité, sans autre espoir que sa prochaine dose de drogue, d'une Marie Curie prématurément amochée par sa tâche sublime et ingrate à l'enfant pour qui n'existe que la soif inextinguible de liberté et d'océan, de la détresse d'un réfugié à celle d'un nouveau père. Tous ces êtres, Marie-Claire Blais les approche avec doigté, pour nous rendre toute leur intensité. On est surpris de sa capacité à se frotter à diverses réalités. On chercherait en vain la faille dans cet univers minutieusement construit, étourdissant à force de ressembler au nôtre. On parcourt un haletant et prenant tableau de la complexité des liens entre les êtres, dans la grandeur, dans le sublime de l'amour et de l'art, comme dans la plus sordide petitesse. Ils vivent, chacun à sa façon, l'angoisse et les inquiétudes du monde d'aujourd'hui.

Le roman est une sombre vision de l'Amérique. Cependant, abattant ici encore les frontières entre les continents et les âmes, ces îles apparentes, l'autrice atteint une dimension universelle et intemporelle. Ce qui traverse tous les personnages, c'est une sorte de conscience élevée, fluide, qui fait d'eux, comme elle le dit si bien, «une petite humanité». Tour à tour, ils font l'inventaire des irréparables fautes de l'Histoire, des grandes tragédies qui ont bouleversé le monde : les esclaves enferrés qui reposent au fond des mers, les détonations et les pluies noires d'Hiroshima, les camps de Terezin (Tchécoslovaquie) où des hommes et des femmes émaciés ont chanté «le requiem de leur propre ensevelissement». On constate ces manifestations du mal : l’exclusion, l’exil, la prostitution, la violence faite aux enfants.

Les personnages sont tous antithétiques, certains êtres pulpeux ne vivant que pour le plaisir de vivre, se laissant contempler, tandis que d'autres travaillent très fort. Mais aucun n'échappe à «la continuelle douleur d'être vivant» qui traverse l'oeuvre entière de Marie-Claire Blais. Ils accumulent le savoir autant que le doute, attirent l'amour et la déception, ont «le cœur étreint de ces tourments spirituels qui furent ceux de Dante et de Botticelli», le roman posant la question : et si l'art constituait la seule issue à cet état désespéré? En particulier, la musique : au ‘’Requiem de guerre’’, œuvre déchirante de Benjamin Britten, succède le ‘’Réveil des oiseaux pour piano et orchestre’’ d'Olivier Messiaen, où le chant et la joyeuse mobilité des oiseaux s'opposent à la désolation du temps. Et l’art est aussi celui de la romancière qui fait dire à un de ses personnages : «Comment parvenions-nous tous dans notre humeur belliqueuse à ne plus sentir le souffle de la beauté brève?» Au milieu de ce cyclone d'images et de ce chaos de monologues, elle nous offre des éclairs de pure beauté, des plages de silence inoubliable, des instants d'illumination et d'harmonie. La beauté naît du tumulte, du fracas. Quand tout est saccagé, après le naufrage, il y a l'aurore.

Les personnages de femmes sont très forts, celui de Mère, en particulier, avec ses espoirs et ses regrets. Cette octogénaire, pourtant la sagesse faite femme, devrait être satisfaite mais ne l'est pas. Elle se dit qu'elle a peut-être manqué son destin : peut-être était-elle faite pour faire autre chose. Tout au long du roman, elle se demande : «Qu'est-ce qu'une vie réussie? Est-ce une aventure devant soi dont on ne sait rien, ou est-ce une existence dans l'incertitude et l'espoir du bonheur, ou tout cela à la fois?» (remarquons qu’on ne voit guère la différence entre les deux options !) Pourtant, sa vie est très réussie : elle a de très bons enfants qu’elle a bien élevés, elle a fait des choses admirables, elle a ouvert des musées, elle est directrice culturelle, a beaucoup de connaissances en culture, en musique. Pourtant, elle a le sentiment d'un destin inachevé. Elle voit des vies nouvelles apparaître et se dit : « Je ne sais pas ce qu'ils vont devenir. » Elle voit qu'elle va manquer beaucoup d'événements et cela l'attriste énormément et, en même temps, c’est un roc et elle pourrait rester là longtemps, car elle appartient à un genre de femmes puissantes. Ce qui d’ailleurs donne un sentiment de vulnérabilité à ses enfants, à ses petits-enfants, qui ne l'ont pas vu vieillir ; sa fille en particulier se dit : « Il faut que je me détache, car ma mère est mortelle ». Et Augustino (son petit-fils) s’inquiète : « Mais comment pourrais-je vivre sans elle? » Marie Curie sert de référence, pour montrer que, même dans la vie la plus achevée existe le sentiment de ne pas avoir réussi. Car comment réussir sa vie est un thème directeur dans l'œuvre.

Les personnages sont divisés entre nantis et pauvres, les premiers ayant accès à tout, à l'art, à l'évasion. «C'est du sentiment de supériorité, de mépris, de domination de l'autre que découle tout le mal et toute la cruauté.» Mais souvent, dans l’œuvre de Marie-Claire Blais, ceux qui infligent le mal le font sans en être conscients. Il y a cependant toujours place pour la rédemption. Quand les personnages prennent conscience du mal qu'ils ont fait, il y a de l'espoir, mais parfois c'est très tard. Caroline, par exemple, longtemps aveuglée par les richesses et son sentiment de supériorité, ne se rend pas compte qu'elle traite les autres comme des esclaves. Elle reçoit un châtiment bien mérité, et, finalement, prend conscience du mal qu’elle a commis ; mais c'est presque dans les derniers moments de sa vie.

Même les très pauvres veulent l'évasion, les passeurs de drogue, par exemple, comme Petites Cendres ; quand Timo lui dit : «Si tu n'es pas content, vas chercher des drogues ailleurs !», Petites Cendres, enfermé dans son île, besognant sans papiers, répond : «Mais où veux-tu que j'aille, moi? Je ne peux aller nulle part

Les enfants sont omniprésents, porteurs d'avenir. À la fin du roman, l'autrice se tourne vers la jeunesse incarnée par Augustino et Mélanie : «Mélanie pensait à sa vie de luttes qui ne faisait que commencer dans un monde aussi virulent.» Fonderont-ils un monde nouveau. Inventeront-ils des idéaux neufs? Quel sens donneront-ils à leur révolte, à leur lutte?

Le livre laisse le lecteur pantois devant le foisonnement de l'œuvre, la multiplicité de ses aspects. Il est partagé entre la nécessité de l'engagement social et la recherche de l'esthétisme pur. Mais l’autrice croit qu'il est possible de tout prendre, le foisonnement étant là pour que le lecteur retienne tout ce qui lui plaît.



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Commentaire sur la trilogie
Marie-Claire Blais, qui écrit beaucoup, tous les jours, a mis treize ans à terminer cette trilogie. C’est une œuvre monumentale, visionnaire, essentielle, une riche fresque, noire et dense, une déploration au souffle puissant qui embrasse dans une ampleur symphonique la multiplicité, la dureté et la beauté de notre monde. S’y manifeste l’importance de plus en plus grande prise par l’espace américain dans ses dernières œuvres

La foison de personnages qui tissent cette trilogie hantaient depuis longtemps l'écrivaine : «J'ai commencé à les voir dans les années soixante, quand je commençais à vivre aux États-Unis, dans le milieu des étudiants. Tout allait être bouleversé pour le meilleur avec le mouvement pour les droits humains. Tous ces personnages couvaient en moi, pour s'exprimer, pour être exprimés.» À l'époque, jeune boursière, elle étudiait à Cambridge et était fascinée par le mouvement d'opposition à la guerre du Vietnam, par le mouvement d'émancipation des Noirs américains. «L'idée de départ, expliqua-t-elle, était d'intégrer beaucoup de gens. Il y a beaucoup de secousses, beaucoup de vibrations, comme dans la pensée des gens qui vivent aujourd'hui. Nous sommes assaillis d'images, de pensées diverses, qui nous choquent, qui nous bouleversent, qui nous réjouissent aussi. Et l'idée, c'était d'intégrer le plus possible de ce rythme-là, de choses, de gens, une sorte de collectivité qui serait celle qu'on rencontre partout, les riches et les pauvres, les intellectuels et ceux qui ne le sont pas, les gens qui ont la parole et ceux qui ne l'ont pas

Sur cette île, qui est un véritable microcosme, peuplée de personnages forts et complexes, tous et toutes en proie à une certaine angoisse, un certain mal de vivre tout à fait typique de notre monde en deuil de valeurs et de repères, certains disparaissent et d’autres apparaissent, car, à travers ces trois livres, on passe sur une période de plus d'une dizaine d'années. Il y a ceux qu'on voit grandir, ceux qu'ont voit vieillir, d'autres qu'on voit naître, d'autres qu'on voit se transformer, mais la plupart sont restés jusque dans le troisième livre. Ceux qui ne sont pas revenus sont encore dans la pensée des autres, par exemple Jacques, qui est dans le premier livre, ‘’Soifs’’, où on le voit en train de mourir du sida. Si bien que sa mort est devenue comme une nourriture pour la vie des autres. La photographe Caroline se dit : «Tout cela est à cause de Jacques. S’il était encore avec nous, nous ne serions pas dans cette situation !» D'autres voient Jacques comme un être qui les a beaucoup aidés.

Tout en admettant que son œuvre n'est pas d'accès facile, notamment par la forme, Marie-Claire Blais ajoute avec assurance : «Si on y entre, on s'y retrouve

Après toutes ces années de travail, elle se sentait «à la fois contente et apaisée, et pleine d'énergie pour continuer la suite des portraits isolés, pour mieux revenir sur les personnages extrêmement contemporains, par exemple Carlos, des gens qui posent les problèmes de la délinquance juvénile chez les Noirs, les juges, Renata, le monde des bourreaux, le monde des innocents, car revenir sur toutes ces questions, c'est mon projet. Nous portons nos morts avec nous.» Elle vivait toujours avec les nombreux personnages qui peuplent la trilogie.

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En 1996, Marie-Claire Blais reçut le prix du gouverneur général du Canada.

En 1997, elle a collaboré au scénario du film ‘’Tu as crié let me go’’ d'Anne-Claire Poirier.

Pour l’ensemble de son œuvre, elle obtint, en 1999, le prix international de l’Union latine des littératures romanes ; en 2000, le grand prix littéraire Métropolis Bleu, le prix W.O. Mitchell ; en 2002, le prix littéraire de la fondation prince Pierre de Monaco.

En 2005, Suzette Lagacé a réalisé un film, ‘’Au-delà des apparences - Portrait de Marie-Claire Blais’’ où elle a réussi à saisir au vol son âme. Ce fut une incursion privilégiée dans l'univers de l’écrivaine car, comme elle se tient à l'écart des médias, un mystère plane autour d'elle. Des personnalités comme Margaret Atwood, Antonine Maillet, Jacques Crête et Marie Couillard font valoir la force de son écriture et l'influence de son œuvre sur notre époque, tandis que Michel Blais, son frère, et Pauline Michel, une amie proche, révèlent des aspects plus personnels de l'écrivaine ainsi que de ses engagements. Elle-même évoque ses écrits, depuis ‘’La belle bête’’ jusqu'à son dernier livre, ‘’Augustino ou le chœur de la destruction’’.

On y découvre que, bien qu’incapable de ne pas voir le côté destructeur de l’humain, elle engage sa plume contre la cruauté et l’injustice, en illuminant le chaos. «Je n’ai pas la noirceur qu’on me prête» confie-t-elle à la caméra en expliquant que son seul but reste de «rendre à la voix humaine les sons qu’elle mérite

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2006

‘’Noces à midi au-dessus de l'abîme’’


Pièce de théâtre
Commentaire
La pièce porte sur les couples qui tentent de se construire, alors que tout autour d'eux est destruction.

Elle prit l'affiche au théâtre L'Eskabel, de Trois-Rivières.

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En 2005, Marie-Claire Blais a donné la version française de ”The burial at Thebes - Sophocle's Antigone” de Seamus Heaney, grand poète irlandais. Ce fut sa première traduction-adaptation scénique : «Quand j'ai lu le texte pour la première fois, j'ai pensé qu'on ne pouvait pas lui rendre justice. Il y a là tellement de finesse, de choses cachées à l'intérieur. C'est de la très haute poésie. La difficulté, c'était d'arriver à une certaine limpidité. De garder son lyrisme extraordinaire, sa langue si pure, et de lui donner un souffle avec un son différent. C'est un travail très complexe, qui relève à la fois de la création et d'une certaine fidélité aux deux grands poètes qui sont derrière. C'est un texte d'une efficacité redoutable, tout en ne perdant rien de la poésie de Sophocle. Une tragédie moderne, adaptée aux enjeux d'aujourd'hui. C'est comme un grand coup de poing, au rythme fulgurant.» Pour elle, la pièce traite de la désobéissance civile, cette «petite Jeanne d'Arc» s’étant dressée seule devant la tyrannie à une époque où les femmes étaient écartées du pouvoir. Elle considère que le monde a encore besoin d'une Antigone et que ça fait du bien de voir une héroïne de cette trempe agir pour assurer le salut des siens dans le monde des morts, pour redonner la paix et la démocratie à la cité. Elle en espère de semblables qui viennent freiner les méfaits de la guerre. Elle trouve dans la pièce un enseignement formidable mais douloureusement tragique.

La pièce a été créée au Théâtre du Nouveau Monde, le 22 novembre 2005.

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Marie-Claire Blais étonne par sa frêle et attachante silhouette toute habillée de noir, à la fois fragile et forte, avançant au milieu du tumulte de la vie. Sa gentillesse, la douceur de sa voix contrastent avec l'intransigeance de sa prose, et la violence contenue dans ses œuvres. Elle préfère l'intimité de la voix intérieure aux grandes déclarations fracassantes. Elle est réservée, se tenant toujours un peu à l’écart qui domine le paysage littéraire canadien depuis plus de 45 ans. Avec plus d'une vingtaine de romans publiés en France et au Québec, tous traduits en anglais, Marie-Claire Blais est appréciée autant des lecteurs anglophones que francophones., ce qui lui permet de préserver sa liberté d’écrivaine. Elle est attentive aux gens : «J'écoute beaucoup, confie-t-elle. Peut-être que les gens ne s'en rendent pas toujours compte.»

Femme d'une grande fragilité et d'une sensibilité à fleur de peau, elle sait dévoiler avec finesse les secrets les plus honteux de ses personnages. Elle sonde la nature humaine pour en dégager les multiples facettes qui y sont enfouies

Douée d’une grande intuition et d’une extrême sensibilité, on peut considérer qu’elle est tributaire du romantisme allemand, de Dostoïevski, de Jean Genet, de Carson McCullers, de Paul Bowles ou William Burroughs.

Témoin de son temps avec lequel sa sensibilité est pleinement accordée, écrivant sous la pression intense d’un grand capital d’expériences de souffrances («Je crois à la souffrance», déclara-t-elle et l’écrivain Alexandre de son roman ‘’Visions d’Anna’’, auquel elle doit s’identifier, cite Dostoïevski : «Pour écrire bien, il faut souffrir, beaucoup souffrir.»), convaincue que l'écriture ne peut s'accomplir que dans la violence et l'excès, entendant servir la littérature avec rigueur, considérant que l'écriture est une façon d'agir, d’exprimer ses préoccupations et ses convictions, elle se documente, ce qui est un travail pénible car il lui faut se plonger dans la violence du monde actuel ; elle prend toujours beaucoup de notes pour retenir de petits détails. Tous ses livres touchent le nerf social et le destin individuel de ses personnages s'inscrit toujours dans un destin collectif. Son regard sur les êtres est toujours attentif, ému. Elle est intriguée par la beauté insolite «qui défie les lois de la raison et sidère notre curiosité», qui n’est pas seulement le poids d’un corps ou les traits d'un visage, peut être parfois une relation, fait que ses personnages donnent souvent l’impression de vivre dans un autre monde auquel le commun des mortels n'a pas accès.

Tourmentée par «la continuelle douleur d'être vivant» qui traverse toute son œuvre, se penchant sur la souffrance, explorant à fond les profondeurs des âmes, elle poursuit un travail de compréhension de la condition humaine, toujours entre ténèbres et lumière, à travers une constellation complexe d’êtres d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Elle dit avoir «besoin de se mettre à la place des autres» et, surtout, des autres qui souffrent. Elle possède cette qualité, ou ce don douloureux, la compassion, qui lui fait pressentir la douleur humaine dans tous ses lieux et toutes ses dimensions. Une qualité rare qu'elle assume avec gravité et courage.

Son engagement d'écrivaine est pour l’humanité. Considérant que le rôle de la littérature est de transmettre la mémoire de choses vécues à l’extrême, elle est animée de la volonté de dénoncer l’injustice, les entraves au bonheur. Que ce soit l'enfant, la famille, l'amour, souvent l’amour lesbien, elle montre un parti pris marqué pour les marginaux, les déracinés, les sans-pays, les homosexuels et lesbiennes, les délinquants, les réprouvés et les artistes incompris qui leur sont proches : les uns et les autres sont conscients de l’imminence d’une catastrophe.

Elle parle de la solitude et de la souffrance, de la solitude dans la souffrance, encore que, si la solitude constitue l'un des thèmes majeurs de son œuvre, on a assisté au fil du temps à une évolution sensible, à un passage irréversible de la révolte individuelle à la sympathie universelle. On est depuis longtemps sortis des petits villages des premières œuvres, où régnaient les prêtres et la pauvreté, du parti pris de misérabilisme qu’on a pu lui reprocher sans comprendre que la misère, le malheur, le dénuement dans la mesure où, portés à la conscience, ils accusent la vie et exigent sa transformation. On a quitté (mais pas oublié) les personnages maigres, sales, souvent malades, violents et monstrueux, mais jouissant d'une force de caractère exceptionnelle. On a franchi des frontières aux côtés de nouveaux personnages, grands voyageurs, exilés, âmes engagées souffrant de leur impuissance devant tous les exploités du monde. S'est peu à peu dissipée la grande noirceur de la colère qui animait ses premiers romans, colère contre la famille qui, pour elle, est l’outil le plus efficace que la société se soit donnée pour conforter les pouvoirs et perpétuer les conformismes. Ce n'est plus la rage qui sert de moteur à la création, c'est un sentiment moins éclatant, une sorte de pitié douce, de compassion universelle qui nous éloigne de moins en moins de la réalité en ce qu’ils traitent au plus près des causes du désenchantement contemporain et de la décomposition sociale actuelle, surtout parmi les plus vulnérables de la génération qui suit celle du « baby boom ». Ces monologues sans fin sur ses craintes apocalyptiques et ses peurs féminines sont des livres visionnaires.

L’apologie de l'homosexualité féminine est devenu un de ses grands sujets. Il lui permet de dénoncer le fait que le comportement sexuel majoritaire intolérant et l'oppression sociale ont des racines communes. Pour elle, l'homosexualité est une tentative, quasi morale, de redéfinir de nouvelles relations amoureuses dans un monde qui ne serait plus dominé par la violence et la séduction totalitaire ; une voie médiane vers un monde social androgyne, donc plus équilibré. De plus, il y aurait selon elle, dans l’homosexualité féminine ou masculine, une manière d'austérité, d'ascétisme, «un ordre militaire et janséniste... loin de la confusion contemporaine» qu’eIle retrouve, par exemple, chez Jeanne d’Arc ou chez Lawrence d'Arabie.

Sans être moraliste, elle essaie de dénoncer, mais avec subtilité. Son regard étant à la fois tendre et dur, elle lève le voile sur l'hypocrisie, le mensonge, l'intolérance. Rien n'est laissé dans l'ombre. Son univers est habité de contradictions ; rien ni personne n’y échappe : l’amour ne va pas sans la haine, la beauté sans la laideur, la richesse sans la pauvreté, le bien sans le mal, la vie sans la mort. C’est la conséquence aussi bien de son extrême ambivalence que de sa volonté de lucidité et d’honnêteté. C’est surtout dans ses portraits de femmes qu’elle fait mieux ressortir les aspects les plus opposés et les plus contradictoires.

La mort est si présente dans son œuvre qu’elle est à la fois thème, personnage, moteur de l’écriture et but ultime. Tout converge vers un sentiment profond et fatal d’appréhension de la mort. Parce que la vie est lourde, creuse, vide, invivable, parce que toujours il y a cette «même nausée de vivre», ce gris du ciel et des corps, parce que «le jour est noir» et désespérant, seule la mort, qui prend soudain figure de luminosité, peut se faire délivrance, transparence. Et la mort est autant la mort individuelle, vécue comme simple rite de passage, que la mort collective, anonyme et programmée qui marque, au XXe siècle, l'avènement d'un nouveau visage du tragique, les destins humains étant tous intimement liés, en une sorte de solidarité planétaire.

Elle pose parfois crûment mais jamais sans subtilité les questions les plus fondamentales : comment vivre en harmonie avec autrui? quand la vie ne vaut-elle plus la peine d'être vécue? le mal existe-t-il et quel est son pire visage? mais aussi et peut-être surtout, qu'est-ce qu'une vie réussie? Par la force créatrice de l'imagination, elle transforme sa révolte, son indignation et sa compassion devant la clameur d'un monde terrible et inquiétant. Si elle peut affirmer : «Oui j'ai confiance, parce que je me dis qu'il y a beaucoup d'êtres humains de qualité, et d'autres viendront encore. Mais nous sommes dans le danger parce que nous faisons des folies, que nous aimons détruire, parce que nous ne respectons pas assez les autres.», plus souvent elle s’inquiète : «Je suis très préoccupée par l’état actuel du monde, au point que je me demande si l’espèce humaine survivra

Aussi son œuvre est-elle souvent considérée comme noire, ténébreuse, pessimiste. Mais elle refuse cette accusation. Pour elle, ce qui est noir, ce qui est sombre, c'est notre monde, dont elle dit pourtant ailleurs, étrangement, qu’il n'est pas plus destructeur aujourd'hui qu'il l'était hier, se disant d'ailleurs plus indignée que désespérée à son sujet, déclarant avoir voulu non pas l’expliquer ou rendre compte de ses multiples contradictions, mais capter quelques éclats de lumière dans les recoins les plus inattendus, faire entendre une musique qui puisse, ne serait-ce qu'un court instant, suspendre la fureur des temps et donner quelque raison d'espérer. Elle estime que ses livres, s’il sont exigeants, d’une exigence qui n’exprime rien d’autre que le refus de la facilité qui prévaut dans trop de domaines à l’heure actuelle, ne sont pas noirs, étant transcendés par la lumière poétique, par la qualité des êtres, croit-elle, qui ont leur souffle, leur vie, leur intimité, leur rayonnement. Révolutionnaire et prophétique, elle passe de l'ombre à la lumière, de l'effroi à la sérénité, de la douleur à l'espoir. Elle pense que les êtres humains ont besoin d’«une perpétuelle absolution».

De plus, si elle est persuadée que nous vivons dans un monde en danger, elle croit que l’art peut le sauver, qu’il a une fonction rédemptrice, qu’il peut transformer la vie, qu’il se substitue à la mort. Il devient chez elle l'unique chance de salut et la tentation suprême. Il occupe une place privilégiée, qu'il s'agisse de littérature, de peinture, de sculpture ou de musique. Ses personnages principaux, quels qu'ils soient, ont tous en commun le même culte de la beauté, Ie même souci de l'esthétique et de l'art. Il y a souvent comme une mise en abyme du processus même de la production artistique : à l'intérieur d'un livre, un personnage écrit lui-même un livre, ou fait une sculpture. Les artistes tiennent une place importante dans sa vie comme dans ses romans qui évoquent des œuvres, font vivre des écrivains, des peintres, des danseurs. Au fil de ses pages, elle cite un nombre incroyable de créateurs : Dostoïevski, Tolstoï, Tchékhov, Descartes, Pascal, Marx, Jean-Sébastien Bach, Mozart, Dürer, Munch, Degas, Toulouse-Lautrec, Boudin. Il y a souvent dans ses romans un peintre qui est comme le dédicataire de l'œuvre. Elle invite le lecteur à porter une attention toute particulière à leurs créations. Surtout, ses propres œuvres sont des œuvres d’art.

Son écriture singulière, audacieuse, difficile, est souvent loin des conventions admises. Par sa violence même, dans sa folle chevauchée, elle force le brouillard des apparences à se lever et oblige la vie multiforme à se manifester. Elle réalise une transformation de la langue mise totalement au service de ce qui veut s’exprimer. Sont jetés sur le papier des mots, un flux de mots souvent teintés d'amertume, privilégiant un style d’intériorité (monologues intérieurs, discours indirects libres, langage de l’affectivité même). Ses phrases longues, sinueuses, lentes mais haletantes, charriant leurs poids de tristesse, de pitié ou de rage. Son imagination se joue des apparences. Elle aime multiplier les points de vue et les regards différents. Elle a confié : «J’entends mon sujet comme une musique» et, en effet, oratorio ou requiem, ses romans polyphoniques distillent une musique suspendue à la fureur des temps. La lire demande au lecteur une attention silencieuse. On entre et on sort de ses livres comme d'une maison aux multiples pièces. On avance, on retourne en arrière, on fait aussi du sur-place.

Romancière, poète et dramaturge, elle poursuit une œuvre de rigueur qui est gigantesque : près de vingt romans, six pièces de théâtre, des recueils de poésie, de nouvelles. On ne compte plus les prix littéraires, les décorations et les honneurs qui lui ont été accordés dans de nombreux pays. Ses livres sont traduits en quinze langues, incluant le chinois. On l'étudie dans les universités, elle inspire des thèses, des mémoires, des articles. L'intérêt général pour son œuvre est soutenu. Elle domine le paysage littéraire québécois depuis quarante ans et elle peut-être la plus grande écrivaine de langue française vivante. Quand elle n'écrit pas, la plus américaine des romanciers québécois se fait porte-parole de la littérature québécoise à l'étranger.

Écrivaine consacrée, elle s’intéresse aux jeunes écrivains, dont elle reçoit des manuscrits bons et mauvais : «C'est très important de voir comment les auteurs de la relève pensent, comment ils réfléchissent. Ils ne sont pas très différents de nous», dit-elle.


André Durand
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