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1939-) Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres qui sont résumées et commentées


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Les voyageurs sacrés'' ou ''L’invraisemblable instant
Roman-poème de 100 pages
Miguel, homme de théâtre, Montserrat, sculptrice, et Johann, pianiste de renom, sont pris, englués dans la toile d’araignée d’un triangle inextricable, et peu à peu acculés à la seule issue possible, c’est-à-dire à la mort.
Commentaire
Dans cette histoire de vie, d’amour et de mort, l’amour-passion conduit à l’éternelle tragédie du désir qui brûle tout sur son passage, êtres et lieux. Le texte fait donc écho aux grands mythes amoureux.

Mais les personnages principaux sont des artistes pour qui la vie n’a de sens que dans l’exercice de leur art. L’art (musique, sculpture, écriture), forme extrême du sacré, concrétise dans l’instant et dans la durée une instance à la fois matérielle et spirituelle. Les lieux vécus ou évoqués (Paris, Vienne, Venise, Chartres....) sont tous comme par hasard de hauts lieux de la culture. Les bâtisseurs des immuables masses sombres des cathédrales, l’ombre de Mozart, à travers “L’enfant de Reims”, la virtuosité du pianiste, des dramaturges célèbres, hantent le récit dont le thème est la pérennité des grandes œuvres, la résurgence dans la fadeur de l’invivable présent de ce que la civilisation occidentale a légué de plus noble et de plus précieux. L’art unit la vie, l'amour et la mort, est achèvement, sublimation du sentiment amoureux lui-même, quête d’absolu. Il ponctue et rythme le discours dont la construction est concertante, le fait long poème, chant, hymne, ce récit d'un «invraisemblable instant» d'amour et d'immortalité, étant rédigé à la manière de certains écrits de Virginia Woolf.

Mais c’est aussi un roman où, pour la première fois chez Marie-Claire Blais, le décor était défini : on suppose que l’action se passe en France. C’est donc un texte qui participe d’un décloisonnement sinon d’un éclatement des genres, qui étaient peu usuels à cette époque et surtout au Québec. Grâce à la magie de son écriture, elle réussit la fusion de l’art et de la vie, de la matière et de l’esprit. Pourtant, de toutes ses œuvres, c’est peut-être celle dont on a le moins parlé et, pourtant, de façon paradoxale, c’est l’une des plus belles et des plus lyriques. La critique est restée plus ou moins muette devant l’originalité du texte, son inquiétante étrangeté, tant par sa forme que par son sujet. Ou elle est restée complètement fermée à une œuvre aussi pluridimensionnelle.

Le texte fut d’abord publié dans “Écrits du Canada français” avec le sous-titre “Poème”. Il reparut en 1969 sous le titre abrégé “Les voyageurs sacrés” et sous-titré “Récit”. Il fut traduit en anglais sous le titre “Three travellers” (1967).

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1963

Pays voilés


Recueil de poèmes
Commentaire
Le recueil tourne autour de l'enfant, de maisons, de regards, de souvenirs, de couples, d’êtres silencieux qui attendent, n'osent se parler ou si peu, de gestes obscurs oubliés dès qu'accomplis. Le lecteur est frappé par la récurrence obsédante des mêmes mots, attitudes et ambiances. Les poèmes, qui sont courts, n'ont aucune structure évidente qui les lie entre eux.

Ces souvenirs d'enfance évoquent un milieu humble, ayant presque toujours la maison comme espace. Des choses s'y passent sans importance à ce moment-là mais qui germent dans la paix de l'instant. Un voyageur énigmatique fait de fréquentes apparitions. Des enfants et un «je» enfant regardent et se taisent. Des instants de recueillement, de solitude, de sécheresse, de rêves, sont offerts. Les femmes, épouses, mères, amantes, disent leur maternité, leur veuvage, leur union. La nature, présente de façon sélective (herbe, forêt, arbre, roseaux, paille, mer, saison, vent) par une intimité et un échange constant, transmet les sentiments et apprend même à mourir. Plusieurs gestes sont attendus et invités mais n’ont pas lieu. Et la vie quotidienne ponctue le récit, enracine les rêves.

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1963

Existences


Recueil de poèmes

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Existences

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Guerre

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L’amante
Commentaire
Les gestes amoureux de «l'amante» sont devinés, attendus, pressentis plutôt que dits, cachés même sous un «fleuve sauvage et le jaillissant délire des flûtes». Elle parle à l'aimé et s'imagine autant mère qu'amante.

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Mirages
Commentaire
Ces cinq poèmes sont des scènes vues et entrevues où se retrouvent passants, enfants et la fille sauvage, autant de gens, parfois atteints de folie, qui attendent, silencieux, et ne font que regarder.

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Temps éperdus
Commentaire
Les poèmes retracent des moments de vive émotion : suicidés, jugement dernier, fêtes, cauchemars, fantasmes.

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Commentaire sur le recueil
Il tourne, lui aussi, autour de l'enfant, de maisons, de regards, de souvenirs, de couples, d’êtres silencieux qui attendent, n'osent se parler ou si peu, de gestes obscurs oubliés dès qu'accomplis. Le lecteur est encore frappé par la récurrence obsédante des mêmes mots, attitudes et ambiances. Les poèmes, qui sont plus longs, agrandissent en fresques les aquarelles de “Pays voilés”.

Ce sont les vies d'êtres sous leurs rôles de père, mère, fils, de tout un monde, avec encore la maison bourdonnante et la venue familière du «passant sur la route». Ce sont aussi les existences des temps d’une guerre qui se déroule ailleurs : les vies et les morts, l'ombre et la lumière, simultanément, l'attente de la femme. Ce sont des récits d'oppositions où la poète raconte, imagine, se souvient, parle aux enfants et à celui qui là-bas «a modestement perdu la vie».

Marie-Claire Blais parla rarement d'elle directement mais entrouvrit son univers romanesque ultérieur par le raccourci de brèves visions et la pudeur équivoque des images.

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En 1963, Marie-Claire Blais, ayant obtenu une bourse de la Fondation John-Simon-Guggenheim (qui fut renouvelée en 1964), s'installa en Nouvelle-Angleterre, à Cambridge, où elle étudia, et à Cape Cod, avec des amies, la peintre Mary Meigs et la journaliste Barbara Deming. Elle fut fascinée par le mouvement d'opposition à la guerre du Vietnam, par le mouvement d'émancipation des Noirs américains. Elle se trouva rapidement intégrée à une communauté d'artistes qui était animée par les luttes contre la guerre du Vietnam, contre la peine de mort, contre le racisme, pour l'égalité des droits entre les hommes et les femmes. C'est à leur contact qu'elle abandonna ce qu’elle a elle-même appelé «la candeur et la naïveté» de ses premiers romans pour devenir attentive aux déchirements du monde, pour acquérir une écriture qui non seulement bouleverse les frontières entre les genres littéraires, mais emprunte à tous les arts. Parmi les artistes qu’elle fréquenta, il y avait bien sûr des écrivains comme Edmund Wilson, Mary MacCarthy et Marguerite Yourcenar, mais aussi des musiciens comme Gardner ou John Cage et tous les peintres de Cape Cod. «Ces tableaux, confia-t-elle, me feront croire en cette influence de la peinture sur l'écriture, en ce pouvoir d'un art qui en éclaire un autre en s'y ajoutant.» À Cambridge, elle écrivit :

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1965

Une saison dans la vie d'Emmanuel


Roman de 120 pages

Dans le Québec rural d'avant «la révolution tranquille», par un matin d’hiver, vient de naître Emmanuel, le seizième enfant d’une famille dominée par la toute-puissante grand-mère, Antoinette, qui ouvre et ferme l'histoire, boucle les saisons. Maîtresse femme tenant plus du garde-chiourme que de la bonne maman, elle, qui «chérissait trop orgueilleusement sa peine pour vouloir en finir», chez qui la mort est aussi présente que la vie, et pour qui amour, passion, luxure sont mêlés en un embrouillamini inextricable, régente en majordome tout ce petit monde fourmillant de cloportes inquiétants ; elle représente la tradition, le giron, l'immobilité active. Elle fait donc vite comprendre à Emmanue qu'il est tombé dans un enfer de froid et de misère, ravagé par la vermine, la pourriture, la saleté, les maladies, qui fermentent et réchauffent des êtres affublés de vices ou d’anomalies, tous plus tarés les uns que les autres.

Sa mère, fatiguée par tant d'accouchements et par une vie de bête de somme, ne peut lui offrir qu'un sein flétri et un regard absent. Elle est une femme silencieuse, écrasée par la tâche d'élever une si nombreuse progéniture. Résignée à son sort, elle est plus présente pour ses enfants morts que pour ceux que la vie malmène autour d'elle.

Quant au père, une brute illettrée et obtuse, il est cet «ennemi géant qui violait sa mère chaque nuit» et que Grand-Mère Antoinette méprise souverainement, il ressemble à une brute sadique intéressée uniquement à copuler, à travailler sur la ferme, à donner des fessées et à se débarrasser des enfants difficiles.

Ces parents, usés, conventionnels, sont donc mis entre parenthèses. Les aînés des enfants leur ressemblent et la plupart des autres, déjà abrutis, finiront par leur ressembler.

Mais le frêle Jean Le Maigre, qui remplace son frère, Léopold, suicidé («Dieu avait pris Léopold d'une curieuse façon. Par les cheveux, comme on tire une carotte de la terre») est un phtisique dévoré vivant par sa consomption, ivrogne à ses heures, un de ces «corrompus au cœur tendre» et à la main baladeuse dont le corps dégage une forte odeur surie d'orphelinat. Génie précoce de sept ans, il est un poète adoré et maudit qui, animé de l’espoir de «changer la vie» avec l'affectueuse complicité de sa grand-mère, tente d'échapper à l'abrutissement généralisé dans lequel sont plongés ses frères et ses sœurs voués à reproduire l'existence misérable de leurs parents. Il se rue à corps perdu dans l'écriture, attiré par ses formes multiples et par son pouvoir de libération. Mais il se saoule aussi, fume des mégots et fait l’amour avec son jeune frère, le Septième.

Celui-ci est un grand menteur et un grand blasphémateur, un spécialiste du mauvais rêve, plus doué pour le vol que pour l'école.

Ils font ensemble tant de mauvais coups (pour faire une fête, ils mettent le feu à l'école où ils ne reçoivent qu’une éducation médiocre de la part d’ecclésiastiques à la sexualité refoulée qui ne peuvent s’empêcher d’abuser de leurs pupilles) qu'on les envoie dans une maison de correction puis un orphelinat, enfin dans un noviciat.

Mais cet enfant poète, ce génie méconnu qu’est Jean le Maigre meurt de tuberculose et on l’enterre sur une colline avec l’aide d’un frère des Écoles chrétiennes pédéraste et assassin. Avec la mort de Jean Le Maigre, Grand-Mère Antoinette fait une petite dépression.

Le Septième s'adonne aussi à la correspondance en y montrant un attachement à la réalité quotidienne qui étonne sa Grand-Mère. Mais personne ne remarque ses tentatives de s'améliorer après son arrivée en ville, et Théo Crapula, en tentant de l'étrangler, se charge de lui rappeler qu'il n'est pas maître de son propre destin. Son insoumission risque donc de devenir encore plus diabolique que par le passé.

Leur grande sœur, Héloïse, dans «sa candeur désolante», subit la règle stérile du couvent qui conduit à la mortification personnelle. Puis elle décide de renoncer à ses ébats mystico-érotiques solitaires pour réintégrer le monde, pour, «les bras chargés de roses» passer au bordel de madame Octavie Enbonpoint [sic]. En fait, elle continue à vivre dans son propre univers imaginaire, ce qui lui permet de voir dans le bordel une sorte de couvent amélioré par des gratifications physiques et monétaires, de rester partagée entre la religiosité et la sensualité. Autre «Mozart assassiné » (elle avait du talent pour le dessin), elle prend elle aussi la parole dans la mesure où elle adore écrire des lettres.

Ses jeunes frères, Pomme et le Septième, sont aspirés par la ville, vont à l'usine, à la boucherie. Emmanuel, tout surpris d'être tombé dans un tel capharnaüm, parvient tout de même, en une seule saison, l'hiver, à attendrir les cœurs, malgré le lourd atavisme qui pesait sur lui dès son arrivée, les derniers mots étant les réflexions assurées et rassurantes de l’immuable grand-mère Antoinette.


Pour une analyse, voir BLAIS Marie-Claire - ‘’Une saison dans la vie d’Emmanuel’’

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Dans les années suivantes, Marie-Claire Blais publia beaucoup : poèmes, théâtre, pièces radiophoniques, dont le thème est le mal-être des jeunes êtres insoumis dans une société qui méconnaît leurs aspirations :

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1966

L'insoumise


Roman de 110 pages
Trois personnages, Madeleine, Rodolphe et Frédérik, viennent successivement raconter l'histoire de Paul.

Madeleine, sa mère, présente l'image d'une épouse heureuse et fidèle, d’une excellente mère de famille. Mais elle est secrètement insoumise, comme en témoigne «une liaison secrète avec un autre homme», un ami de la famille, qu'elle eut jadis. Mais, vers le milieu de sa vie, elle se sent démunie, inutile, étrangère à son mari vertueux aussi bien qu'à ses enfants. Elle se sent glisser, dit-elle, vers une «calme folie». Dans son désarroi, elle s’accroche non pas à son mari, mais à son grand fils, Paul, dont elle a découvert le journal intime qu’elle lit en cachette et où elle se redécouvre elle-même. Elle y apprend qu'il a une liaison avec Anna, une femme mariée, beaucoup plus âgée que lui. Elle croit d'abord à une invention, mais doit bientôt se rendre à l'évidence et conçoit alors une certaine jalousie pour cette femme à qui son fils se confie, alors qu'il se livre très peu à elle. Elle envie par ailleurs le jeune homme, qui réussit à se libérer de la tutelle familiale, des conventions et de l'autorité paternelle. Sur ce plan, elle se sent complice de lui. Il symbolise pour elle un affranchissement possible, une liberté qu'elle n'ose s'octroyer ouvertement. Mais cet athlète impitoyable que sa beauté physique et son caractère obtus condamnaient au narcissisme et à la violence, qui disait, dans son journal, vouloir aller chercher la mort sur les champs de bataille, est mort en montagne lors d’une sortie à skis.


Dans la deuxième partie du roman, dont il est le narrateur, Rodolphe, le père, procède à un examen de conscience. Il se rend compte que cet adolescent énigmatique, qui faisait des études à l'université, se dérobait doucement mais avec une implacable fermeté à toutes les visées qu’en homme autoritaire et médecin (psychiatre semble-t-il) fier de la profession il avait sur lui, qu'il avait tenté de lui imposer. Son fils menait à l'écart des siens une existence totalement indépendante. Il a toujours été pour lui un étranger et il tente en vain d'élucider le mystère de son existence. Partagé entre des sentiments contradictoires, il se demande si Paul aurait été secrètement amoureux de son ami, Frédérik. Certains indices le laisseraient croire. Mais l'enquête qu'il mène auprès de lui ne lui fournit guère de réponse. Rodolphe reste à la surface des choses et des êtres, préférant finalement sa tranquillité morale à la vérité.
Dans sa confession, Frédérik, «un ange torturé», un rêveur romantique qui a «des passions pures, violentes et mystiques», dont l’étrangeté dérange tellement qu’il se fait battre dans la rue par des inconnus, avoue que c'est lui qui éprouvait pour Paul un amour profond et exigeant, alors que ce dernier aimait Anna. Jaloux de la femme qui l'avait dépossédé, il s'était brouillé avec son ami, la veille de l'accident de ski. Pour Frédérik, la seule solution se trouve désormais dans l'oubli et dans la renonciation à sa jeunesse. Il part mourir sur un champ de bataille.
Commentaire
Au premier abord, après “Une saison dans la vie d’Emmanuel”, ce roman parut sage, étonnamment sage, par son écriture de roman psychologique traditionnel, parfaitement disciplinée, ordonnée, élégante, par son mouvement calme et digne, admirable mais conventionnel. Et ce récit, qui met l'accent sur les conflits de l'être et du paraître, entre bien dans la série du roman psychologique, ici présenté sur le mode de l'authenticité aliénée ou illusoire.

Madeleine, qui est la première narratrice, s’exprime ainsi : «Mon histoire est si simple, si fragile qu'elle ne mérite peut-être pas d'être racontée ; aussi je pense me faire à moi-même ce récit d'une solitude qui ne servirait à personne d'autre. On dit que j'ai un mari heureux, une maison heureuse, des enfants heureux. C'est peut-être vrai. On dit que je suis heureuse. De cela, je ne suis plus aussi sûre...» Son fils, elle le juge ainsi : «Il ne réfléchit pas, disais-je, voyant ce beau front stérile de dédain.» En fait, «tout ce qui n’était pas mouvement l’ennuyait», précise Marie-Claire Blais. L'insoumise qu’elle est vit son insoumission dans le secret, sous les apparences du bonheur et de la fidélité.

Rodolphe, dès le départ, est hors course. Il incarne l'ordre, le devoir, le service des autres, toutes valeurs qui n’ont pas cours dans l'univers des insoumis. Mari trompé, il fait comme s'il ignorait l'infidélité de sa femme et son impuissance à atteindre l'autre. Il s'agite ridiculement dans ses vains efforts pour empêcher sa femme et son fils de dériver vers le néant qui les appelle.

Frédérik se tait, souffre en silence à défaut de pouvoir extérioriser sa passion.

Paul, le personnage central, focalisé par ces trois confessions, n'est jamais présenté de l'intérieur, sauf dans des extraits du journal intime, moyen par lequel Marie-Claire Blais fait entrer l'étrangeté, la radicale inquiétude, dans ce milieu tranquillement bourgeois. Les extraits sont sélectionnés pour alimenter les propos des deux premiers narrateurs. On y trouve des images d'égarement, de mort, de fin du monde, qui rappellent les premiers livres de la romancière. Paul ne fait rien hors du rêve qui l'emporte. Il est l'insoumis, plus qu’elle ne l'est sa mère qui, assez curieusement, en lisant le journal de son fils, s'identifie aussitôt à sa maîtresse. L'accident de montagne dans lequel il trouve la mort n’est pas un coup du sort, une surprise, mais le terme inévitable d'une chute lente de l'autre côté de la vie, le symbole d'une mort déjà accomplie.

La technique de la triple narration met bien l'accent sur l'aspect irréductible de ces points de vue et tente d'accréditer la thèse de la relativité des perceptions et de la solitude des êtres, enfermés chacun dans son univers. Ces existences parallèles ne se rejoignent jamais, prises qu'elles sont dans le mensonge. Ne pouvant être ce qu'ils sont, les personnages font qu'échanger des lieux communs, des clichés, restent repliés sur leur désir qu'ils projettent sur l'être absent. Également fascinés, ils essaient non seulement de comprendre le disparu mais, surtout, de se comprendre eux-mêmes à travers l'ébranlement qu'il leur a communiqué. Les personnages narrateurs livrent en effet leurs secrets, leurs contradictions et leurs pensées profondes en projetant une image différente du jeune homme. Dans chaque cas, elle coïncide plus avec leur désir, leur manque, qu'avec une réalité qui reste pour eux, comme pour le lecteur, une énigme.

Paul écrit son journal ; sa mère le lit. Les deux personnages principaux consument leur existence dans cette activité toute littéraire. Les gestes sont réservés au père et à Frédérik, qui, eux, habitent un monde d'action et de passion. C'est, dans ce roman, l'absence qui est seule réelle. Les deux seuls personnages qui comptent vraiment sont des présences inversées, de parfaits symboles du refus.

Ce drame, Marie-Claire Blais ne l'analyse pas, et c'est ce qui peut décevoir. Ou plutôt elle commence d’analyser, dans la plus pure tradition du roman psychologique, mais bientôt l'analyse se perd dans les sables mouvants d'un rêve où les personnages, l'action, n'arrivent pas à prendre forme. Le rêve et la vie quotidienne ne se pénètrent pas l'un l'autre, ils s'empêchent mutuellement d'atteindre à une suffisante présence. Quels sont les champs de bataille où Paul voulait trouver la mort? Marie-Claire Blais se montre avare de détails dans des questions aussi triviales.

Du fait de son style expressionniste, on peut considérer “L'insoumise” comme un livre de transition dans l'œuvre de Marie-Claire Blais.

Il fut traduit en anglais sous le titre “The fugitive’’ (1978).

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1967

David Sterne


Roman
C’est l'histoire tragique du suicide de trois jeunes gens. David Sterne remémore pour des narrataires dûment nommés (son cher ami Michel, François, l'idéaliste, Julie, la petite amie violée, les professeurs, exécrés, les parents lointains) le récit lent et triste du suicide de chacun. Le premier, celui de Michel Rameau, entraîne irrémédiablement la mort, plus lente mais non moins sûre, de David Sterne, son ami d'enfance. Le parti pris de non-vie de ce dernier provoque à son tour, d'une façon funeste et fatale, la disparition de François Reine, un camarade de classe, qui, le seul des trois, manifestait pourtant quelque disposition à vivre. Dans les deux dernières parties, les héros sont morts, mais demeurent la culpabilité et la honte qui, sans répit, harcèlent les survivants.
Commentaire
La lecture de cette œuvre lyrique et intimiste, toujours aussi cruelle que lucide, peut rebuter au premier abord, ne serait-ce que par son pessimisme exacerbé, par cette inaptitude à vivre que semblent partager d'un bout à l'autre du roman tous les personnages sans exception. Et gare à celui qui aurait quelque velléité de bonheur, il est mis hors-jeu, au départ : «Vous n'avez pas le don du malheur, c'est tout. Comment pouvez-vous me comprendre?» Ce qui frappe dans la trame romanesque, c'est la dramatique incapacité de chacun d'assumer quelque bonheur que ce soit, ce refus systématique de tout conformisme bourgeois, de tout ordre établi. Ni les lois de la société, ni les préceptes de la religion, ni même la beauté de l'univers ne doivent contrarier leur projet de mort. Vols, viols, vices de toutes sortes font la matière noire du livre. Tout idéal de vie devient dérisoire ; rien ne peut racheter l'horreur et la douleur du monde, dont nous sommes tous plus ou moins responsables. David Sterne est toujours en mal de s'évanouir, de s'effacer, de s'identifier aux autres personnages. Et encore plus, au mal et à la mort mêmes. C’est avant tout le roman de la culpabilité, le roman de la dénonciation et non celui de la résignation, et il rejoint ainsi toute une littérature du désespoir.

Dans ce texte divisé en cinq parties, Marie-Claire faisait éclater la forme romanesque. L’écriture était remarquablement nouvelle : ponctuation capricieuse, sinon parfois inexistante, rythme saccadé et rompu à tout moment, voix multiples se répondant les unes aux autres, sous le primat d'un «je» narrateur, David Sterne lui-même.

La critique a été peu enthousiaste, sinon franchement hostile, qualifiant le roman d'«indigeste navet» (Bonneville), de «livre faible» (Hertel) ou de «roman détestable qu'on n'aurait pas dû publier» (Bernier).

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1967

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