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La polygynie sororale


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Origines et histoire des institutions polygyniques

Si la polygynie sororale dérive du mariage d’un groupe de frères et d’un groupe de sœurs, on doit trouver les témoignages, au moins à l’état de survivances, d’un lien d’ordre matrimonial unis­sant beaux frères et belles sœurs. Et, en effet, il en existe un qui est significatif. On sait que le deuil est la principale caractéris­tique des relations de parenté ; deux personnes qui portent le deuil l’une de l’autre sont parentes et n’ont point le connubium : celui ci existe, au contraire, entre ceux qui ne se doivent point de deuil. Or, on doit le deuil à toutes femmes entrées par mariage dans la famille, épouses d’oncles ou de neveux; on n’en porte point pour les belles sœurs, et celles ci n’en portent pas pour leurs beaux frères (121).

Cette absence de deuil, les auteurs chinois la notent avec insistance surtout dans le cas du frère cadet et de la femme du frère aîné; ils l’expliquent en disant qu’on a voulu ainsi les éloigner l’un de l’autre (122). Il y a là, sans doute, une trace du lévirat. En fait, on le voit à lire leurs ethnographes, les Chinois ne manifestent une haine véritable que pour le mariage du frère aîné avec la veuve du cadet (123) et leur histoire offre quelques exemples de mariage avec la femme d’un collatéral (124); un seul, à vrai dire, est un cas de lévirat. Le frère de Chouen, croyant celui ci mort, opère, avec des formules qui ont l’air d’être rituelles, l’attribution des biens de l’héritage : il prend pour lui les deux filles de Yao épousées par Chouen (125). Étant donné le développe­ment du droit chinois en matière d’inceste, l’interdiction du lévirat ne peut pas plus surprendre que l’absence des témoignages historiques sur cette pratique. Resterait à voir s’il n’est point resté en usage dans le peuple ; sur ce point, nous sommes mal renseignés : je ne connais qu’un fait, assez suggestif. Bien que la loi chinoise punisse de mort le mariage avec la veuve d’un frère, elle semble admettre des circonstances atténuantes quand ce crime a été commis dans une famille pauvre et paysanne (126).

Une autre série de faits mérite peut être davantage l’atten­tion : ce sont ceux qui sont relatifs aux interdictions anciennes qui séparent le cadet de la femme de l’aîné. Il leur est interdit de s’adresser la parole (127) ; si l’un meurt, l’autre n’a pas le droit de pratiquer, comme il faut le faire sur tout autre parent défunt, le rite de l’attouchement (128). Il est impossible de ne pas rapprocher cette règle de celle qui, de nos jours, interdit à la sœur cadette de la femme, épouse présomptive du mari, de passer la porte de sa maison (129). Il est clair que le beau frère cadet et la belle sœur aînée agissent, l’un par rapport à l’autre, comme deux fiancés (130). Les progrès de la morale, qui ont rendu impossible leur mariage, n’ont point fait disparaître les interdictions qui semblaient les éloigner l’un de l’autre. Elles sont, en réalité, les traces d’usages anciens les autorisant à des rapports maritaux éventuels.

Si peu nombreux qu’ils soient (131), les indices d’une pratique ancienne du mariage collectif que nous venons d’énumérer suffi­sent à donner une pleine valeur à un fait de langage, qui est le suivant. Une femme chinoise désignait de la même façon sa suivante, épouse secondaire de son mari, et sa belle sœur, femme du frère cadet du mari : tels sont en effet les deux sens du mot, dont le sens premier semble être celui de sœur cadette (132). Or, la vieille organisation plébéienne suppose un échange régulier des filles entre deux groupes exogames, régis chacun par le système de la parenté du groupe, et organisés de façon à former un couple de familles traditionnellement associées (133). Il paraît donc légitime de penser que le mariage primitif fut conçu comme l’union collective d’un groupe de frères à un groupe de sœurs.

On ne doit pas penser que cette union collective établissait entre tous les participants une promiscuité indistincte : ce serait laisser sans explication possible les interdictions qui séparent beaux frères et belles sœurs. Il semble plutôt que de cette union résultait, en même temps que des droits secondaires rendant possibles à chacun et à chacune des rapports maritaux éventuels, un droit de préférence maritale par lequel étaient formés des couples individualisés. On sait, d’après Howitt, que tel est le cas des nègres du sud est australien (134). Il existe chez eux deux types de relations matrimoniales ; l’une nommée Tippa malku sert à former des ménages ; l’autre nommée Pirrauru, unit d’un lien secondaire un groupe d’époux Tippa malku. Chaque femme devient une épouse Tippa malku avant de devenir une épouse Pir­rauru ; une Pirrauru est toujours une sœur de la femme ou une femme du frère ; la relation naît de l’échange, fait par les frères, de leurs femmes ; pendant l’absence du mari Tippa malku, le mari Pirrauru prend la femme du premier sous sa protection : deux frères mariés à deux sœurs vivent habituellement ensemble en un groupe matrimonial de quatre personnes. Les Kurnandaburi pratiquent les mêmes usages, mais, chez eux, existent en même temps que des rapports maritaux entre beaux frères et belles­-sœurs (époux Pirrauru) une interdiction qui leur défend de se voir en public ou de converser librement (135). Chez les Todas, le mariage normal consiste en une polyandrie fraternelle : mais il n’est pas rare que celle ci se double de polygynie sororale ; un groupe de frères forme avec un groupe de sœurs un ensemble matrimonial dans lequel les rapports d’ensemble n’excluent point les relations particulières de couples conjugaux. Les deux groupes ainsi réunis en un ensemble matrimonial sont composés d’enfants de frères et de sœurs (matchuni) (136).

Je pense que les Chinois, avant de passer, non pas comme les Todas à la polyandrie fraternelle, mais à la polygynie sororale, ont pratiqué un mariage de groupe analogue à ceux qui viennent d’être décrits. Cette hypothèse est, à mon sens, la seule qui puisse rendre compte des cérémonies par lesquelles se contractait un mariage noble.

Laissés à eux mêmes, les époux prétendus eussent été inca­pables de réussir leur rapprochement matrimonial ; il fallait à l’un et à l’autre, pour y arriver, la collaboration d’un suivant et d’une suivante : ceux ci, par une action croisée (137) ou (138) ouvraient la voie à leur union sentimentale (139). Le suivant du mari aidait la femme, la suivante aidait le mari à opérer les lustrations préparatoires (140); la première disposait la natte où le mari s’asseyait pour le repas de noces (141), l’autre étendait celle de la femme (142); tous deux préparaient ensemble la couche nuptiale, arrangeant l’un la place de l’époux, l’autre celle de l’épouse (143). La suivante aidait le mari à se dévêtir ; la femme remettait ses vêtements au suivant du mari (144). Dans une société où la séparation des sexes est un principe fondamental, l’intimité particulière des rapports établis par ces pratiques, entre des personnes de sexe différent ne peut se comprendre que s’il doit exister entre elles des rapports maritaux; et, en effet, c’est grâce à ces pratiques que la suivante de la femme est rapprochée du mari et en devient une épouse secondaire ; les mêmes pratiques ne donnaient elles pas au suivant du mari des droits secondaires sur l’épouse ?

Chez les populations aborigènes du Sud de la Chine dont la civilisation a tant de parenté avec celle des Chinois, se retrouve aussi dans les coutumes matrimoniales l’usage des garçons et des filles d’honneur. Dans le mariage Man Khoang, la fille est accom­pagnée de deux amies, le garçon de deux amis (145) ; chez les Lolo, le mari est accompagné par un camarade, la femme par une amie ; le camarade du mari se conduit en tout comme lui ; chez les Thais les compagnons de chacun d’eux sont en plus grand nombre, et en nombre égal de part et d’autre : on leur donne le nom de pai lan (aller ensemble) (146). Dans tous ces usages, le commandant Bonifacy voit une trace du mariage par groupe. Les coutumes des T’ou jen de la région de Long Tcheou sont un peu différentes : ils professent plus strictement que les Lolo la règle de la séparation des sexes : mari et femme ne sont aidés que par des suivantes ; celles ci sont prises dans leurs familles respectives. Le mariage consiste principalement, comme chez les Chinois, dans un repas communiel des époux. Avant qu’il n’ait lieu, la suivante du mari et la fiancée font le simulacre d’un repas dans la maison de celle ci ; la suivante de la femme en fait ensuite un autre dans la maison du mari (147). II est clair qu’il s’agit là de survivances et que l’usage primitif s’est déformé, d’une part, pour ne plus mettre en contact des personnes de sexe différent, d’autre part, pour empê­cher, en ne faisant que le simulacre d’un repas, les effets de la communion alimentaire.

Or, dans le mariage des nobles chinois et contrairement aux principes de la morale noble, on ne prenait point les mêmes pré­cautions : qu’est ce à dire, sinon qu’il était dans l’essence du contrat matrimonial d’être collectif et de ne pouvoir se conclure qu’entre un groupe d’hommes et un groupe de femmes ? L’époux et l’épouse prenaient part à un repas composé de façon à sym­boliser la dualité et l’union du couple conjugal ; par son effet, ils devenaient deux moitiés unies et comme un seul corps. Après eux le suivant et la suivante achevaient le repas (148): la suivante mangeait les restes du mari, et communiait ainsi secondairement avec lui ; par ce procédé, elle s’habilitait à devenir une épouse de second rang ; elle avait droit, tant que vivait l’épouse principale à entretenir avec le mari, sans autant d’intimité que l’épouse, des rapports conjugaux ; la femme principale morte, elle la suppléait absolument. Le suivant se liait de même avec l’épouse, dont il mangeait les restes. Du même coup, il se rapprochait de la sui­vante et de même manière que le mari s’était rapproché de l’épouse : suivant et suivante, pour consommer les restes, se pla­çaient, côte à côte sur les nattes conjugales (149), et bénéficiaient conjointement des effets symboliques résultant de l’ordonnance du repas des noces. Ensemble de rites incompréhensible, s’ils ne se rapportent point à un mariage de groupe, si le suivant n’est point uni à l’épouse d’un lien secondaire analogue à celui qui unit le mari et la suivante, si le suivant et la suivante ne sont point unis d’un lien principal analogue au lien matrimonial que la commu­nion directe crée entre les époux.

Dans le mariage noble du temps de la polygynie sororale, la suivante est la cadette de l’épouse, le suivant n’est qu’un figurant pris parmi les domestiques du mari. Celui que l’on choisit c’est le cocher. C’est lui qui conduit le char de l’épousée de la maison natale jusqu’à celle du mari (150). D’après ce que les chansons chinoises nous apprennent des mœurs populaires, mon­ter au même char en se joignant les mains, était, aux temps anciens, le symbole même du mariage (151). Le mari venait en char chercher l’épouse et son trousseau (152) ; les rênes bien tendues, comme les cordes de luth auxquelles on les compare, étaient un emblème du bonheur conjugal espéré (153); rien qu’à monter en char, l’angoisse amoureuse se dissipait (154). Plus tard, avec l’accroissement de dignité que la civilisation féodale donna à l’homme, le mari s’interdit de jouer auprès de l’épouse un rôle considéré comme étant celui d’un subalterne ; il se fit remplacer par un domestique, se bornant lui même à conduire le char pendant trois tours de roue (155). N’est il pas remarquable que ce soit un cocher qu’on ait précisément choisi comme figurant pour conserver aux cérémonies nuptiales la symétrie qui leur venait de leur caractère ancien de contrat collectif et dont la présence d’une suivante exigeait le maintien (156) ? Ne doit on pas penser qu’aux temps anciens, quand l’époux et l’épouse montaient au même char, les chars de l’escorte, garnis de suivantes, étaient conduits par leurs propres époux ? Et quels pouvaient être ces époux des sœurs cadettes de la mariée, puisque cousins et cou­sines issus de frères et de sœurs se mariaient ensemble obligatoi­rement, sinon les cadets du mari (157) ?

Il y a donc tout lieu de penser que la polygynie sororale dérive d’un mariage collectif unissant un groupe de frères à un groupe de sœurs, de manière qu’ils forment par deux des couples conjugaux, mais de manière aussi que chacun des époux possède sur chacune des épouses des droits secondaires. Comment, de ce mariage, les usages polygyniques ont ils pu sortir ? Ce qui peut l’expliquer, ce sont les modifications survenues dans l’institution familiale.

La principale de ces modifications est l’apparition d’une autorité domestique. La famille a cessé d’être un simple groupe­ment de générations formant un groupe homogène ; elle est devenue un groupement hiérarchique de lignées obéissant au premier né des ascendants, au chef de la lignée directe. Ce chef de la famille est seul qualifié pour la représenter ; il conclut en son nom les alliances matrimoniales qui maintiennent une union avec les familles traditionnellement associées. Pour manifester qu’elles sont par nature stables, définitives et intégrales, ces alliances se concluent, comme jadis, à l’aide de prestations qui signifient un engagement absolu et qui confèrent des garanties durables ; le chef de famille reçoit un lot de filles suffisant pour qu’il soit assuré de posséder toujours une collaboratrice féminine dans l’exercice de son autorité domestique et pour que ses alliés n’aient point à craindre de lui voir rechercher d’autres alliances. Plus est élevé son rang social, plus on doit dépenser pour obtenir son alliance et la conserver : un protocole fixe, comme toutes les autres presta­tions féodales, le nombre de femmes auquel donnent droit chaque rang nobiliaire et l’étendue de chaque influence seigneuriale. Comme le régime féodal ne va point sans un certain jeu des alliances, et comme le chef de famille garde pour lui les femmes qu’il reçoit et ne les partage plus avec ses parents, le nombre de ces femmes est limité à deux sœurs. Pour les seigneurs dont l’influence rayonne dans toute la confédération, toutes les bran­ches familiales dispersées dans les différents pays concourent à l’alliance et trois d’entre elles lui fournissent un lot d’épouses. Dans chacun de ces lots figure une nièce, fille du frère aîné, qu’on envoie pour signifier que l’alliance sera conservée lorsque le pouvoir passera à la génération inférieure.

Le chef de famille est revêtu d’une autorité qui rend sacré tout ce qui l’approche ; ce qu’il s’approprie ne peut être qu’à lui. Ses frères, qui le respectent à l’égal d’un père, n’osent plus exercer les droits secondaires qu’ils possédaient dans le droit ancien sur l’épouse de l’aîné : les règles anciennes qui les écartaient d’elle comme d’une fiancée prennent l’allure d’interdits catégoriques. La femme est tellement associée au pouvoir cultuel du mari, tellement destinée à former avec lui un couple d’ancêtres, que l’on voit, en dépit de mœurs humaines, tenter de s’établir la cou­tume de la sacrifier à la mort du mari (158) ; elle doit, en tout cas, garder le veuvage : le lévirat est interdit.

La sœur cadette vient d’ordinaire avec l’aînée épouser le mari commun ; elle tient la place de la première épouse à la mort de celle ci. Mais on voit commencer la coutume de garder dans la maison natale la cadette trop jeune pour servir d’épouse (159); elle est engagée au mari de l’aînée par le seul fait du mariage de celui ci avec sa sœur : ce sont les débuts du sororat, qui deviendra un fait juridique indépendant seulement au moment où les épousailles des deux sœurs se feront par des contrats successifs, tels que le premier prédétermine le second. La liberté plus grande des alliances matrimoniales rend possible, au moins pour les nobles ordinaires, la conclusion d’un second mariage dans une famille autre que celle dont venait la première épouse ; les droits de cette famille à ne point voir rompre l’alliance conclue amènent à considérer que la deuxième femme est simplement substituée à la première et, qu’elle garde à l’égard de la famille de celle ci les mêmes devoirs que sa devancière. Telle est l’origine du succédané de sororat pratiqué de nos jours.


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Conclusion
Influences des usages polygyniques sur l’histoire des institutions domestiques

Si le primitif mariage de groupe s’est transformé en polygy­nie sororale et non en polyandrie fraternelle, c’est parce que l’avènement d’une autorité domestique de type seigneurial, en même temps qu’elle plaçait les cadets dans la situation de vas­saux de l’aîné, conférait à celui ci le droit exclusif de disposer des femmes fournies en garantie par la famille alliée. Celle ci, d’autre part, et cet aspect inverse est important, avait tout avantage à placer auprès du chef de famille toutes celles de ses enfants qu’elle envoyait pour représenter son influence. Si le grand nombre d’épouses fait éclater la gloire du mari, le prestige de la femme et celui de sa famille dépend de l’abondance de sui­vantes  (160). Un seigneur n’avait pas à demander aux familles sei­gneuriales portant le même nom que celle où il prenait femmes de lui fournir les suivantes réglementaires (161). Elles venaient sponta­nément (162), le terme rituel est significatif . C’était un devoir de solidarité entre familles de même nom que fournir de suivantes celle de leurs filles qui se mariait. Les suivantes étaient les auxiliaires de l’épouse principale et formaient avec elle un groupe solidaire, s’entr’aidant, défendant les mêmes intérêts (163). Par ce côté la polygynie sororale a exercé une grande influence sur l’histoire de la famille chinoise, y conservant les effets de la parenté de groupe, dont elle était elle même une conséquence, même après l’apparition de la parenté individuelle.

Par l’effet de la polygynie sororale, le gynécée conserve une homogénéité incomparable, le gynécée ou plutôt la famille, car la place des hommes est au dehors , dans les occupations de la vie publique (164). La femme principale y jouit d’une autorité naturelle qu’elle doit à son rang d’aînée ; elle dirige les autres femmes dans leurs travaux et en toutes choses : elle est leur Dame comme le mari est un Seigneur domestique. Si celui ci a une autorité princière, les huit suivantes forment à la femme une cour de vassales organisée hiérarchiquement. L’épouse exerce une autorité directe sur sa nièce et sa cadette ; elle commande toutes les autres nièces et cadettes par l’intermédiaire des deux sui­vantes principales. Dans la cour royale, la reine commande aux trois princesses qui dirigent chacune trois femmes du troisième rang, lesquelles ont autorité sur trois femmes du quatrième rang, etc.

De cette autorité seigneuriale de la femme principale dérive son pouvoir maternel. Le bon ordre qu’elle établit dans le gyné­cée est le principe des maternités heureuses de toutes les sui­vantes. C’est ainsi que, grâce à la fécondité que ses suivantes devaient à son bon gouvernement, T’ai Tseu (165) eut cent fils. On considère la Dame comme la mère véritable, comme la matrone de la famille ; la maternité réelle n’est pas une cause véritable de parenté. Non seulement le deuil que les enfants doivent porter pour la matrone est bien plus important que celui qu’ils prennent pour leur mère naturelle (166), mais au cas où, par dérogation aux usages polygyniques, les deux femmes n’ont pas les mêmes parents, la seule maternité juridique peut créer un lien entre les enfants et les grands parents paternels ; tous, quelles que soient leurs mères, ne portent que le deuil des parents de la matrone (167). Les principes de la parenté de groupe continuent à dominer si fortement la vie du gynécée que, peut on dire, les sentiments maternels n’y prennent point cet aspect exclusif et jaloux qui semble leur caractéristique naturelle. Les auteurs (168) affirment que posséder trois épouses de la même famille est un bien parce que, si l’une d’elles a un enfant, il y a trois personnes pour en prendre soin, chacune aussi bien que si elle l’avait enfanté elle même. Et ceci n’est pas une affirmation de juriste pressé de justifier un usage. C’est un fait. Nombreuses sont les anecdotes historiques (169) où l’on voit une mère confier son enfant à son aînée ou à une suivante mieux en cour : c’est que le prestige de toutes les femmes est intéressé à la maternité de chacune d’entre elles ; un enfant est un principe d’influence dont tire indistinctement profit tout le groupe de femmes (170). Dans un gynécée recruté par la polygynie sororale, la maternité n’est point une occasion de sentiments exclusifs et de discorde : elle ne le devient que lorsque les règles de la polygynie ne sont plus respectées et qu’elle se transforme en polygamie : alors se mon­trent de terribles rivalités maternelles ; mais, et cela est signi­ficatif, ce n’est point la mère naturelle qui se montre toujours la plus âpre (171) à lutter pour son enfant, c’est le plus souvent la femme principale du groupe de la mère, ou celle à qui les cir­constances ont donné le plus d’autorité.

Les ethnographes s’étonnent souvent, et les ethnographes chinois modernes tout les premiers, à constater que les usages polyandriques ou polygyniques n’entraînent point de jalousie (172). Au contraire, pour les anciens auteurs chinois, le plus grand mérite de l’institution était d’empêcher la jalousie (173). Les senti­ments naturels de deux sœurs mariées au même époux ne leur permettent point de devenir jalouses l’une de l’autre. Il suffit pour éviter les conflits sexuels que, par l’autorité de la Dame, l’ordre du gynécée soit respecté, c’est à dire que chacune des épouses obtienne exactement du mari les faveurs auxquelles son rang lui donne droit. Chacune des femmes connaît d’avance, par la place qu’elle occupe dans le lot des suivantes, tout ce que sera sa vie sexuelle, si la surveillance de la femme principale s’exerce comme il se doit. On peut voir, à lire les réglementations (174) de la vie sexuelle d’un gynécée, telles que les auteurs chinois nous les ont conservées, que le devoir conjugal y est conçu d’une façon stricte ; aucune possibilité n’est laissée ni aux femmes ni au mari de s’abandonner aux caprices de la passion ; le rapproche­ment sexuel est considéré comme une obligation maritale qui ne laisse place à aucun jeu : chaque femme doit approcher du mari au jour convenable et à l’heure prescrite ; la fréquence, la date, la pompe (175) de ces rapprochements sont fixées par un protocole impérieux. De même qu’il n’y a point de choix libre dans le mariage. il n’y a point de caprice dans la vie matrimoniale. Dans leurs rapports entre elles, comme dans leurs rapports avec l’époux, les femmes sont tenues d’obéir à une hiérarchie qui leur paraît trop naturelle, puisqu’elles ont appris à la respec­ter dès l’enfance, pour permettre l’essor d’aucun sentiment personnel.

Tout change dès que les règles de la polygynie sororale ne sont plus respectées. Les femmes venues de familles différentes ne forment plus un corps homogène ; il n’y a plus entre elles une hiérarchie naturelle et qui s’impose à leur cœur ; elles ne sont plus des aînées ou des cadettes habituées dès le jeune âge à obéir ou à commander ; elles représentent les intérêts de familles diverses ; elles ont chacune l’attrait d’une éducation particulière et d’une race différente. Entre elles se posent des questions de préséance et de prestige, et chacune est armée à sa manière pour tenter de triompher de l’autre. C’est alors le règne des querelles de gynécée qui ne sont en somme que des conflits d’influence familiale et le retentissement dans la vie privée des querelles publiques, résultats de l’instabilité des alliances seigneuriales. En même temps que les seigneurs épousent dans diverses familles pour accroître le rayonnement de leur prestige, ils cherchent à donner un prestige plus grand à leur autorité par la manifestation de leur luxe : ils se fournissent d’un harem splendide ; ils s’entou­rent d’une cour éclatante de femmes ; on leur donne et ils achètent des concubines, en grand nombre et les plus belles possible. Celles là ne sont pas capables, comme les épouses des âges où l’on se conformait aux rites (176), d’attendre dans la retraite du gynécée le temps fixé pour approcher du seigneur : rien ne les retient d’user de leurs charmes pour séduire le maître ; elles cherchent à plaire, à faire naître un amour pour leur personne, une passion nourrie de sentiments particuliers, qui sera exclusive et qui provoquera la jalousie. Dans la poésie de cour, éclose dans les harems somptueux, apparaissent des sentiments personnels, absents de la vieille poésie populaire : ils correspondent à l’appa­rition des drames passionnels déjà fréquents dans les hautes classes de la noblesse. Et pourtant, même aux temps de l’anarchie féodale, l’influence des principes sur lesquels reposait la poly­gynie sororale continuait à se faire sentir et, dans son fond, le lien matrimonial déterminait si peu de sentiments personnels et exclusifs que les épouses continuaient à se charger d’introduire, sous leur patronage, auprès de leur mari, les femmes nouvelles qu’on leur offrait (177).

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