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Fatalitas ! par Gaston Leroux


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XXVII



La chambre aux persiennes closes


Quand Arigonde pénétra dans la chambre où ses complices et lui avaient enfermé Gisèle, il se trouva en présence d’un tableau qui eût arraché des larmes aux plus insensibles.

Le jour doré qui filtrait à travers les persiennes éclairait, jetée sur une couche rustique, l’image la plus gracieuse, mais aussi la plus douloureuse qui se pût concevoir de la captivité. Des vêtements en lambeaux recouvraient à peine cette chair jeune qui avait déjà tant souffert. Des liens rugueux la meurtrissaient. La tête tombée sur l’épaule, les paupières closes, les lèvres exsangues attestaient que la vie n’était plus qu’en suspens dans cette enveloppe fragile. Seule était bien vivante la chevelure de flamme touchée par les premières flèches d’or du matin.

Tant de faiblesse réunie à tant de souffrance n’étaient point capables cependant d’émouvoir Arigonde, nous voulons dire de l’attendrir, car ému, il le fut en effet en ce sens que sa sauvagerie naturelle lui fit goûter une allégresse diabolique en face d’une proie que rien ne pouvait plus lui ravir et qui, à son cœur de forban, paraissait d’autant plus séduisante qu’elle portait déjà les marques de sa cruauté.

Il appela : « Gisèle ! » mais rien ne lui répondit. La pauvre fille n’avait même point tressailli... Il se pencha rapidement sur le corps inerte et s’assura qu’il y avait encore là, de la douleur vivante. Il ne s’agissait que de la réveiller.

Avec un ricanement affreux, il commença de détacher les cordes, mais ses doigts tremblaient d’une fièvre abominable et il ne sortait pas assez vite de tous ces nœuds compliqués. Si bien que, dans son impatience, il prit son couteau de poche, ce terrible couteau des matelots avec lequel ils se font les ongles et la peau, et en ayant ouvert brusquement la lame, il trancha...

Gisèle poussa aussitôt un long soupir. Alors le Parisien jeta son couteau et prit Gisèle dans ses bras.

Elle le fixait maintenant de ses grands yeux au fond desquels il y avait toute l’horreur du monde, car il l’embrassait...

Oui ! il lui imposait son ignoble baiser... Cet homme qui avait fait ces plaies prétendait les guérir avec sa bave. Or il arriva ceci. Dans le moment, les bras du misérable étaient les liens les plus solides qui eussent encore emprisonné Gisèle. Elle était perdue. Et il put le croire, car il eut un rire triomphant. Mais voilà qu’elle lui cracha à la figure !...

Fou furieux, il la lâcha une seconde. Elle était déjà loin de lui !...

L’extrême faiblesse touche à l’extrême force quand elle est galvanisée par la peur, par l’horreur, par la volonté de mourir plutôt que de céder.

Ce fut une lutte prodigieuse entre ces deux êtres si dissemblables, entre cette grâce fuyante, entre cette souplesse de chat qui griffe et qui mord et cette bestialité dont un geste pouvait tout briser.

L’homme n’eut pas toujours l’avantage. Et tous les cris de douleur ne furent pas poussés par Gisèle...

Ces cris, le bruit de la lutte, les gars qui buvaient alors sur la terrasse de l’auberge ne furent pas seuls à les entendre. Ils parvinrent jusqu’au cachot de Palas !...

Le malheureux ne les avait pas attendus pour commencer sa besogne de libération, mais ils décuplèrent son énergie. Palas avait d’abord essayé de scier l’un de ses liens avec ses dents, puis il s’était traîné jusqu’à une barrique roulée dans un coin du cachot et avait réussi à finir d’user sa corde en la frottant à un cercle de fer.

Le premier lien parti, le reste n’était plus qu’une question de patience. Mais il n’avait pas le temps d’avoir de la patience !... En entendant les cris de Gisèle, il rugissait, prétendait d’un seul coup à tout faire sauter ! Il ne faisait plus rien de bon maintenant... Aussi eut-il cette volonté suprême d’agir avec méthode comme s’il avait tout son temps devant lui.

Quelques minutes plus tard, il était libre de toute entrave, ayant desserré l’écrou qui serrait à son pied le bracelet de fer. Il ne restait plus en face de lui qu’une vieille porte. Seulement Gisèle ne criait plus !

Dans la chambre, Arigonde avait fini par venir à bout de la résistance désespérée de la jeune fille. Profitant d’un moment où, haletante, elle s’était accrochée, épuisée, à la commode, il s’était glissé derrière elle et l’avait saisie de telle sorte qu’aucun des gestes de la malheureuse ne pouvait l’atteindre. Alors il la souleva et allait la rejeter quasi assommée sur les dalles quand Gisèle, dont la main traînait sur le meuble, sentit sous ses doigts un couteau.

C’était le couteau qui avait servi à trancher ses cordes... ses doigts se refermèrent dessus.

Elle poussa un dernier cri :

« Pas vivante ! »

Et elle s’enfonça l’arme avec la dernière force du désespoir dans sa gorge nue.

Le Parisien fut tout éclaboussé du sang de la vierge.

Il la laissa glisser d’entre ses bras et elle ne fut plus sur le carreau qu’une pauvre petite chose qui allait mourir...

Cette affreuse conclusion n’était certes point dans le programme d’Arigonde. Il se pencha avec une exclamation de rage sur ce corps palpitant qui agonisait ; il avait eu raison de la résistance de cette enfant, mais cette enfant lui échappait dans la mort ! Et, pour la première fois, il maudit la mort qui ne l’avait pas servi, qui avait cessé d’être sa complice !...

Il se releva, écumant encore de la lutte, vociférant sourdement contre un destin tragique qui lui volait ses amours ; et ses mains sanglantes, en cherchant à s’essuyer aux murs et aux meubles, traçaient autour de lui des gestes rouges.

Soudain la porte sauta et il se trouva en face de Palas !

« Ma fille ! »

Hélas !... il vit ce que l’autre en avait fait, de sa fille.

Dès lors, il n’y eut plus un cri... Une lutte à mort commença entre les deux hommes ! Ils roulèrent à terre, noués, s’étouffant, se brisant, se sonnant la tête sur les dalles, s’étreignant la gorge, se déchirant des dents comme des fauves au combat...

Tantôt c’était le Parisien qui avait le dessus, tantôt c’était Palas... Cependant Palas sentait ses forces s’en aller... Il était au bout de l’effort prodigieux qu’il fournissait depuis deux jours et deux nuits !...

Allait-il succomber ? Il eût tant voulu vivre pour le tuer, lui, et pour savoir si elle était morte, elle !...

Eh bien : non ! elle n’était pas morte... Elle rouvrit les yeux... Il y avait encore quelque chose qui ressemblait à de la vie dans ces yeux-là... et si bien que tout à coup les yeux comprirent.

Arigonde pesait de tout ce qui lui restait de force sur la poitrine de Palas, lui enfonçant ses genoux dans les côtes ; ses doigts assassins avaient saisi la gorge du vaincu... et il serrait... serrait... Un spasme formidable secouait sous lui les jambes de Palas... Encore quelques secondes et tout était fini !... Mais Gisèle s’était rapprochée, traînée dans son sang, jusqu’au couteau dont elle s’était frappée et qui avait roulé à ses pieds... L’étreinte des deux hommes avait été si rapide que ni l’un ni l’autre n’avait réussi à s’en emparer... Gisèle put l’atteindre... Alors elle se rapprocha encore, se souleva sur son coude, parvint à se mettre sur un genou...

Elle leva l’arme ! Le couteau ne tremblait point dans sa petite main... et elle l’enfonça dans le dos d’Arigonde à trois reprises... jusqu’au manche !... et puis elle retomba inerte, pour continuer de mourir...

« Morte ! morte ! Gisèle ! »

Est-il vrai que Gisèle soit morte ? « Si tu n’es pas morte, Gisèle, soulève encore une fois tes paupières !... Regarde encore une fois ton père avant de le quitter pour toujours !... Ne reste pas insensible à ses sanglots !... Aie un dernier tressaillement dans ses bras !... »

Mais ni un geste, ni un tressaillement ne répondirent aux embrassements éperdus de Palas !...

Et, tout à coup, la chambre se remplit. L’auberge est pleine de cris... Des hommes armés se précipitent. Deux gendarmes surgissent au milieu de cette scène de meurtre et de sang.

Arigonde, lui, n’est pas mort ! Sa tête se soulève... Il a quelque chose à dire avant d’expirer : « Cet homme, dit-il, nous a assassinés, mon amie et moi, par jalousie !... C’est un échappé du bagne ! le numéro 3213 !... »

Et il mourut. Telles furent les dernières paroles d’Arigonde, surnommé, aux îles du Salut, le Parisien !...

Quelques instants plus tard, une auto était arrêtée dans la rue d’un village voisin par une foule au milieu de laquelle s’avançaient deux gendarmes, et, entre eux, des menottes aux poignets, un homme couvert de sang...

Françoise, qui se trouvait dans l’auto avec Chéri-Bibi, demanda :

« Qu’est-ce que c’est ? »

On lui répondit :

« C’est un forçat, échappé du bagne, qui vient encore de faire un sale coup ! »

Elle se souleva, reconnut Palas et tomba évanouie dans les bras de Chéri-Bibi. Celui-ci avait tout vu, entendu et compris. il hurlait déjà vers le ciel : « Fatalitas ! »


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