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André Durand présente l’intérêt de l’action dans ‘’À la recherche du temps perdu’’


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On a vu qu’au prince Bibesco, Prout avait annoncé « une composition très stricte ». Et, manifestant une volonté organisatrice, il a affirmé, à plusieurs reprises, que son grand souci avait été celui d’une composition « se développant sur une large échelle », « complexe », « d’une rigueur inflexible bien que voilée ». Il aurait fait subir à la conception de la composition romanesque un changement radical en la fondant moins sur la progression du récit que sur la reprise et l'orchestration des thèmes. Pour faire comprendre ses intentions, il emprunta des analogies à l'art musical (et, en effet, on peut comparer son œuvre à une symphonie dominée par de grands thèmes qui s'entrelacent, s'éloignent, se rejoignent, et auxquels préludent, brèves, légères, des notes qui seront reprises, harmonisées, orchestrées) ou à l’architecture (il compara son oeuvre à une « cathédrale », et songea, un moment, à donner aux diverses parties des titres tels que : nef, abside, vitraux, etc.. ; il parla aussi d’« une église où les fidèles sauraient peu à peu apprendre des vérités et découvrir des harmonies »). Il déclara encore : « On méconnaît trop que mes livres sont une construction, mais à ouverture de compas assez étendue pour que la construction, rigoureuse et à quoi j’ai tout sacrifié, soit assez longue à discerner ». Il disait avoir obéi « à une sorte de plan secret qui, dévoilé à la fin, impose rétrospectivement à l’ensemble une sorte d’ordre et le fait apercevoir merveilleusement étagé jusqu'à l'apothéose finale ». À sa suite, les commentateurs ont parlé de composition en rosace, orchestrale, symphonique, wagnérienne, dynamique, architecturaIe, etc..., ont remarqué que reviennent les mêmes situations (la relation de Marcel avec Albertine rappelait celle qu’il eut avec Gilberte, qui elle-même rappelait celle entre Swann et Odette), les mêmes thèmes (angoisse amoureuse, jalousie, rupture, deuil, scènes homosexuelles ou mondaines, repas, soirées, voyages).

En fait, il faut accueillir cette prétention au caractère strict et rigoureux de la composition avec quelque prudence, se méfier de ces allégations comme de tous les commentaires que les auteurs font de leurs propres oeuvres. D’ailleurs, le plus souvent, Proust se référait à ses intentions initiales où la structure était binaire : à ‘’Combray’’ ou au ‘’Temps perdu’’ devait s’opposer ou renvoyer ‘’Le temps retrouvé’’, en une dialectique simple du souvenir et de l’analyse ; il disait alors qu'on ne pourrait plus nier la construction de son livre « quand la dernière page du ‘’Temps retrouvé’’ (écrite avant le reste du livre) se refermera exactement sur la première de ‘’Swann’’. » Dans une deuxième étape, il passa au triptyque prévu avec Grasset : ‘’Le temps retrouvé’’ était alors précédé de ‘’Du côté de chez Swann’’ et de ‘’Du côté de Guermantes’’. Le premier élément s’était donc scindé en deux et le processus allait se répéter : quand ‘’À l’ombre des jeunes filles’’ fut publié, on vit apparaître, en projet, un ‘’Sodome et Gomorrhe’’ qui se divisa à son tour. Puis un ‘’Sodome et Gomorrhe III’’ donna naissance à ‘’La prisonnière’’’ et à ‘’Albertine disparue’’. En tout sept tomes, dont le découpage interne varia chaque fois. Ainsi, le prodigieux accroissement du roman fleuve fit éclater la composition primitive, et, dans l’immense intervalle qui sépare les deux premiers textes, Proust perdit la maîtrise du flot.

C’est qu’il lui fallut, pour donner à son oeuvre une ampleur romanesque suffisante, dérouler le fil de la vie de Marcel (si longuement que, finalement pris de court, il lui fallut, dans ‘’Le temps retrouvé’’, en escamoter quelques années !), déployer le tableau d’une société, développer sa pensée. Et cet écrivain, qui avait le culte de la perfection, ne cessa de corriger cette toile de Pénélope continuellement reprise. Rédigeant cet immense texte dans des cahiers d'écolier, il barrait et réécrivait au fur et à mesure, faisait des béquets, remplissait les marges de ses manuscrits. Comme arrivait un moment où elles étaient couvertes de son écriture, sa gouvernante, Céleste Albaret, eut l’idée d’y coller des bandes de papier portant les nouvelles corrections et de les replier, bandes de papier qu’elle avait baptisées « paperoles », mot que Proust adopta et qui figure dans ‘’À la recherche du temps perdu’’ (III, page 909) où il est attribué à Françoise (ce qui est une preuve de plus du caractère autobiographique de l’oeuvre). Ces ajouts, que l'imprimeur redoutait (car Proust en fit aussi sur les épreuves), dilatèrent le texte, triplèrent ou quadruplèrent sa longueur, produisirent des manuscrits labyrinthiques. Au final, le texte avait donc procédé d’un développement proliférant, d'une sorte de composition organique, plutôt qu'il n'était l'aboutissement d'un plan adopté d'abord et systématiquement suivi. Enfin, Proust mourut avant d’avoir pu parachever son œuvre, et ‘’Le temps retrouvé’’ surtout, en dépit du travail qu’étaient censés avoir fait Robert Proust, le frère de l’auteur, et Jacques Rivière, auxquels il l’avait confiée, souffre d’une grande incohérence (à laquelle il pourrait être remédié par un éditeur si le texte de Proust, comme sa personne, n’étaient pas déifiés !)


Mais le désordre se manifeste déjà dans la structure des tomes dont Proust eut la parfaite maîtrise :
- ‘’Du côté de chez Swann’’ est divisé en trois parties qui portent chacune un titre : ‘’Combray’’, ‘’Un amour de Swann’’, ‘’Noms de pays : le nom’’, la première et la troisième voyant Marcel s’exprimer à la première personne, la deuxième étant une narration à la troisième personne et un retour en arrière annoncé à la fin de ‘’Combray’’ par ces mots : « ce que, bien des années après avoir quitté cette petite ville, j’avais appris au sujet d’un amour que Swann avait eu avant ma naissance, avec cette précision dans les détails plus facile à obtenir quelquefois pour la vie de personnes mortes il y a des siècles que pour celle de nos meilleurs amis » (I, page 186).

‘’Combray’’ est la description d'un paradis perdu entreprise par un enfant qui n'est complètement ni l'enfant qu'il évoque ni l’adulte qu'il est devenu. Quel âge assigner, du reste, à ce singulier personnage qui souffre de ne pas recevoir, avant de dormir, le baiser de sa mère, mais qui disserte avec compétence sur les tragédies de Racine, les étymologies, l'art italien et les tourments de l'amour? Les premiers souvenirs qui surviennent à son esprit sont sans doute les plus chers à son coeur, mais ils sont fragmentaires et mal ordonnés, capables tout au plus de placer le lecteur dans l'ambiance particulière de Combray. Proust les compara lui-même à une « sorte de pan lumineux, découpé au milieu d'indistinctes ténèbres ». Mais le sortilège de la madeleine trempée dans une tasse de thé fit affleurer à la surface une vision mieux organisée et plus continue. Alors apparut la « chronique immémoriale» de Combray, avec les habitudes rituelles, les familiers, les voisins immédiats, et d'autres plus lointains : M. Swann et la duchesse de Guermantes, symboles de deux mondes opposés. Parallèlement au thème du bonheur se déroule pourtant celui de l'inquiétude : Marcel découvrit très tôt que ses parents, malgré leur puissance de génies bienfaisants, ne pouvaient lui conférer le talent littéraire. Or, même sans aller bien loin, l'enfant trouva des exemples capables d'aviver ses scrupules : celui de Legrandin et surtout celui de Swann, écrivain en puissance à qui n'avait manqué pour produire que de renoncer aux tentations du monde et de l'amour ; celui de Vinteuil qui avait tout sacrifié à la musique, composant sans en avoir conscience une œuvre géniale, mais vivant aux environs de Combray, malheureux et obscur. Et Marcel n'arriva pas même à traduire correctement sur le papier l'impression d'extase que lui avait laissée un paysage lors d'une promenade en voiture.

‘’Un amour de Swann’’ est la partie d’’’À la recherche du temps perdu’’ la mieux constituée, la mieux centrée sur le sujet qu’indique bien son titre, la seule excroissance un peu artificielle par l’insistance sur le tableau pictural étant apportée par la relation de la soirée chez Mme de Saint-Euverte.

Le titre déconcertant de ‘’Noms de pays : le nom’’ n’est justifié que par une dizaine de pages du début de cette partie, qui sont d’ailleurs tout à fait accessoires dans le déroulement et qui relèvent plus de l’essai que du roman, où il est indiqué que Marcel n’avait besoin, pour faire renaître des villes d’Italie ou de France, que de prononcer leurs noms, « leur sonorité éclatante ou sombre » « accroissant les joies arbitraires de son imagination » ; on s’élève bien des considérations particulières sur les noms géographiques à une théorie générale sur les rapports entre le nom propre et la réalité qu'il incarne, méditation valable à la fois pour les lieux et les personnes, appliquée à propos d'un voyage manqué en Italie. Mais l’essentiel de cette partie est consacrée à l’amour non partagé de Marcel pour Gilberte, la fille de Swann. Et le tome se clôt brusquement.


- ‘’À l’ombre des jeunes filles en fleurs’’ est divisé en deux parties dont chacune porte un titre : ‘’Autour de Mme Swann’’, ‘’Noms de pays : le pays’’ . Ce n’est qu’aux trois-cinquièmes du texte qu’apparurent pour la première fois les jeunes filles du titre ! Le titre de la deuxième partie : ‘’Noms de pays : le pays’’, qui prétend établir un parallèle avec le titre précédent : ‘’Noms de pays : le nom’’, n’est en rien justifié. Le départ de Balbec marque la fin du tome.
- ‘’Le côté de Guermantes’’ est divisé en deux parties dont les titres sont platement : ‘’Le côté de Guermantes I’’, ‘’Le côté de Guermantes II’’, cette partie étant elle-même divisée en deux chapitres qui sont chacun précédés d’un sommaire des sujets qui vont être traités. Ce tome se termine sur une situation forte : l’indifférence que le duc et la duchesse de Guermantes montrent à l’annonce que Swann leur a faite de la proximité de sa mort (II, page 597).
- ‘’Sodome et Gomorrhe’’, qui commence par un simple raccordement avec le tome précédent (« On sait que bien avant d’aller ce jour-là [le jour où avait lieu la soirée de la princesse de Guermantes] rendre au duc et à la duchesse la visite que je viens de raconter, j’avais épié leur retour et fait, pendant la durée de mon guet, une découverte, concernant particulièrement M. de Charlus, mais si importante en elle-même que j’ai jusqu’ici, jusqu’au moment de pouvoir lui donner la place et l’étendue voulues, différé de la rapporter. » [II, page 601]), est divisé en deux parties dont les titres sont platement : ‘’Sodome et Gomorrhe I’’ (précédé d’un sommaire),’Sodome et Gomorrhe II’’, partie elle-même divisée en quatre chapitres qui sont chacun précédés d’un sommaire des sujets qui vont être traités. À la fin du chapitre I de ‘’Sodome et Gomorrhe II’ est placée une partie qui porte le titre ‘’Les intermittences du cœur’’, titre qui avait été un temps choisi par Proust pour l’ensemble de son œuvre mais dont on ne voit pas du tout en quoi il s’applique spécialement ici. Le tome se clot sur un brusque revirement qui se fit à la révélation à Marcel de l’intimité d’Albertine avec Mlle Vinteuil et son amie : il la décida à rentrer avec lui à Paris le jour même, et se dit : « Il faut absolument que j’épouse Albertine » (II, page 1131).
- ‘’La prisonnière’’ est sous-titrée «Première partie de Sodome et Gomorrhe III » et n’est pas divisée. Ce tome est centré sur la vie de Marcel avec Albertine à Paris, avec une interruption où est suivie la brouille des Verdurin avec Charlus.
- ‘’Albertine disparue’’ (qui, en 1954, fut, dans la Pléiade, publiée sous le titre de ‘’La fugitive’’), qui se raccorde exactement avec le tome précédent (« Mademoiselle Albertine est partie ! » [III, page 419] reprenant « elle est partie » qu’on a lu dans le tome précédent [III, page 414-415]), est sous-titrée « Deuxième partie de Sodome et Gomorrhe », et n’est pas divisé.
- ‘’Le temps retrouvé’’ succède exactement au tome précédent, mais, à la fin, laisse en plan la relation qui était faite de la matinée chez le prince de Guermantes, car elle est supplantée par l’affirmation de la volonté de Marcel d’écrire enfin ce livre que nous venons de lire. Ce tome, qui fut d’abord publié en deux volumes, n’est pas divisé et est celui d’’’À la recherche du temps perdu’’ qui se présente dans l’état le plus inachevé. Sa rédaction s’est étendue sur plus de sept ans ; les adjonctions de marges, les béquets et les « paperoles » y furent les plus nombreux, et Proust les jeta hâtivement, se réservant pour plus tard de les raccorder aux textes à l’intérieur duquel ils devaient s’insérer, négligeant même souvent de signaler l’emplacement exact de cette insertion. En somme, dans bien des parties, le manuscrit donne l’impression d’une juxtaposition d’éléments simplement ajoutés les uns aux autres, mais non intégrés dans une composition vraiment achevée.
Ces différents tomes sont plus ou moins découpés en « séquences », mot adopté ici pour désigner ce qui pour d’autres sont des ensembles de paragraphes isolés entre deux blancs, blancs qui sont d’ailleurs plus ou moins larges et parfois agrémentés de trois astérisques [II, 854, III, 81], qui se présentent avec une belle irrégularité. Ce découpage a été respecté dans le résumé présenté ici par ailleurs (voir PROUST - Résumé d’’’À la recherche du temps perdu’’) dont chaque paragraphe correspond à une « séquence ». On constate ainsi que, alors qu’il est recommandé d’aérer le texte, longtemps le lecteur fait face à de gros pavés dans lesquels il lui faut bravement pénétrer au risque de s’y perdre ou de… s’y endormir. C’est seulement dans ‘’La prisonnière’’ qu’apparurent les premières courtes « séquences » : l’une qui souligne un retournement d’attitude de Marcel par rapport à Albertine quand il a «appris que mon amie avait été presque élevée par l’amie de Mlle Vinteuil. » (III, page 75) ; mais ce fut certainement un ajout tardif car cette indication n’est pas exploitée dans la suite immédiate du texte ; l’autre, limitée à moins d’une page, qui vient clore ce qu’on peut considérer comme la première partie de ce tome puisque sont disposés trois astérisques (III, page 81). La tendance s’accentue dans ‘’Albertine disparue’’. Enfin, dans ‘’Le temps retrouvé’’, la désintégration est nette, et les séquences tout à fait désordonnées.

Pire encore, d’un paragraphe à l’autre, on saute d’un sujet à un autre tout à fait différent. Par exemple, à un paragraphe où Marcel et Saint-Loup discutaient de la guerre en succède un où il est question de l’homosexualité, puis, au troisième, on fait face à cette phrase dont on ne voit pas à quoi elle refère : « ‘’B. me dit : ‘’Vous n’oublierez pas qu’il y a demain revue du général ; tâchez que vos hommes soient propres. » (III, pages 744-745).


Aussi, n’en déplaise aux diligents thuriféraires de Proust, il faut se rendre à l’évidence : sa « cathédrale » est plutôt une grande courtepointe, ou, comme dirait l’anglomane Odette, un immense «patchwork» ! Gide a d’ailleurs constaté que « l'architecture, chez Proust, est très belle ; mais il advient souvent, comme il n'enlève rien de l'échafaudage, que celui-ci prenne plus d'importance que le monument même, dont le regard, sans cesse distrait par le détail ne parvient plus à saisir l'ensemble. Proust le savait, et c'est là ce qui le faisait, dans ses lettres et dans sa conversation, insister tant sur la composition générale de son œuvre : il savait bien qu'elle ne sauterait pas aux yeux. » (‘’Journal’’, 22 septembre 1938).

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Un déroulement lent
Si la vocation littéraire de Marcel est le véritable sujet d’’’À la recherche du temps perdu’’, il se dérobe constamment dans les méandres des autres pistes qui ont été signalées, surtout dans le pénible ressassement qu’est, à partir de la fin de ‘’À l’ombre des jeunes filles en fleurs’’, tout au long de ‘’La prisonnière’’ et d’’’Albertine disparue’’, avec des échos encore dans ‘’Le temps retrouvé’’, le compte rendu des « amours » de Marcel et d’Albertine, de ce continuel et interminable jeu de balançoire, de ce lassant chah cha cha où le pitoyable Marcel fait trois pas en avant puis trois pas en arrière, Albertine suivant longtemps le mouvement avant de le rompre et de le laisser à son larmoiement. Le désordre est tel qu’on peut avoir l’impression d’un déroulement qui se fait au hasard et d’un entassement de matériaux à l'état brut, d’une pléthore textuelle, du déversement d'un trop-plein qui s'est répandu parfois sans le moindre endiguement. On a constamment à traverser de longs tunnels qui sont des digressions où s’étalent des exposés, des discours trop longs, fastidieux, pénibles. On rencontre des éléments tout à fait inutiles, comme la lettre du « jeune valet de pied de Françoise » qui est reproduite avec ses fautes d’orthographe et de syntaxe (II, pages 566-567), moquerie facile et un peu trop appuyée de la part d’un bourgeois à l’égard d’un garçon du peuple. On subit des accumulations de détails oiseux qui manquent de hiérarchisation : ainsi, Marcel fut honteux en mettant ses ‘’snow-boots’’, mais ils furent admirés par la princesse de Parme (II, page 546) - deux valets de pied de Charlus se trouvant à la porte du salon quand sortit Marcel, il fut ajouté entre parenthèses : « J’ai su depuis leurs noms, l’un s’appelant Burnier et l’autre Charmel » (II, page 559). Des situations et leur explication sont souvent si contournées qu’on a du mal à saisir de quoi il retourne.

Aussi, aux antipodes de ces aventures évoquées en quelques lignes (« Je pensais à tel voyageur jeté sur la grève, empoisonné par des herbes malsaines, grelottant de fièvre dans des vêtements trempés par l’eau de la mer, et qui pourtant se sentit mieux au bout de deux jours, reprenait au hasard sa route, à la recherche d’habitants quelconques, qui seraient peut-être des anthropophages. Leur exemple me tonifiait, me rendait l’espoir, et j’avais honte d’avoir eu un moment de découragement. » [II, page 608]) et qui font regretter que Proust n’ait pas écrit plutôt des roman d’aventures, c’est très lentement, très languissamment, qu’une action se déroule.


Parfois, pourtant, la narration peut se faire plus vive :

- lors de la recherche anxieuse d’Odette à laquelle se livra Swann (I, pages 228-231) ;

- lors de son incursion nocturne à ce qu’il croyait être sa fenêtre (I, pages 272-275) ;

- lors de sa visite surprise une après-midi, où on lit : « Il sonna, crut entendre du bruit, entendre marcher, mais on n’ouvrit pasAnxieux, irrité, il alla dans la petite rue où donnait l’autre face de l’hôtel, se mit devant la fenêtre de la chambre d’Odette ; les rideaux l’empêchaient de rien voir, il frappa avec force aux carreaux, appela ; personne n’ouvrit. Il vit que des voisins le regardaient. Il partit.» (I, page 277) ;

- lors de la visite que Marcel rendit à Charlus (II, pages 553-565), l’une des scènes les plus fortes d’’’À la recherche du temps perdu’’, comique et pathétique se mêlant, le jeune garçon faisant enfin preuve de quelque énergie ;

- lors de l’invraisemblable, superflu mais intense épisode de l’hôtel de Jupien (III, pages 809-832) où le romancier n’a pas résisté au besoin d’exploiter de troubles expériences personnelles, a cédé au goût du sensationnel en ajoutant à l’homosexualité et à la prostitution un masochisme de Grand Guignol, son récit prenant alors des allures de roman naturaliste sinon de roman policier.


Cependant, la plupart du temps, Proust appliqua bien sa conception selon laquelle « l’existence n’a guère d’intérêt que dans les journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique, où quelque vulgaire incident devient un resort romanesque. » Il se montra si peu soucieux d’une action enlevée que des événements ou des péripéties qu’il aurait pu mettre en relief ne sont, curieusement, que mentionnés subrepticement. Ainsi, c’est en passant qu’on apprend que Marcel s’est battu en duel, non pas seulement une fois (I, page 924) (II, page 355), mais plusieurs (II, page 608) ; qu’il a envoyé au ‘’Figaro’’ un article « qui n’y avait pas paru » (II, page 347) dont il précisa plus loin (II, page 397) que c’était « cette petite description  - précisément retrouvée il y avait peu de temps, arrangée et vainement envoyée au ‘’Figaro’’ - des clochers de Martinville» (II, page 397) ; qu’il avait assisté à une matinée « donnée par la duchesse de Montmorency pour la reine d’Angleterre » où il avait reçu « une leçon qui acheva de m’enseigner, avec la plus parfaite exactitude, l’extension et les limites de certaines formes de l’amabilité aristocratique» : il avait su faire un salut auquel on ne cessa de trouver « toutes les qualités » (II, page 663) ; que la mort de Swann, s’il l’avait annoncée au duc et à la duchesse de Guermantes, ne fut mentionnée qu’a posteriori par la « visite de condoléances » que Mme Verdurin avait faite à Odette (II, page 870), puis par sa nécrologie (III, pages 199-200) ; qu’Albertine s’est tuée dans un accident de cheval.
Les scènes que Proust considérait «capitalissimes » étaient celles des réceptions données par les aristocrates ou par les bourgeois et qui ne sont faites que de conversations, alors que, paradoxalement, il reconnaissait que « la conversation même […] est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d’une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur. » (I, pages 906-907), ce qui n’empêcha pas, l’ambivalence étant constante, que Marcel ait trouvé au « potin » une valeur psychologique (II, page 1048), que sous des propos apparemment anodins se livraient des combats.

On peut relever :

- le dîner chez les Verdurin à Paris (I, pages 251-276) ;

- la soirée chez la marquise de Saint-Euverte (I, pages 322-353) ;

- le dîner où les parents de Marcel reçurent M. de Norpois (I, pages 451-481);

- le déjeuner chez les Swann avec Bergotte (I, pages 546-563) ;

- la matinée chez Mme de Villeparisis (II, pages 183-283) ;

- le dîner chez les Guermantes (II, pages 416-547) ;

- la soirée chez la princesse de Guermantes (II, pages 633-722) ;

- la soirée à la Raspelière chez les Verdurin (II, pages 866-978) ;

- la soirée chez les Verdurin à Paris (III, pages 193-327) ;

- la matinée chez le prince de Guermantes (III, pages-856-1031).


À ces occasions, le lecteur découvre une foule de personnages qui ne cessent de varier d’une fois à l’autre.

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Une chronologie manipulée


‘’À la recherche du temps perdu’’ est une chronique, qui suit assez généralement l’ordre chronologique.

Cependant, le romancier joua avec le temps, opéra certaines distorsions.


On peut tenter d’établir une chronologie plus exacte :

Avant la guerre de 1870, M. de Norpois « avait été ministre plénipotentiaire » (I, page 313).

Pendant la guerre, il joua un rôle essentiel, tandis que Swann était un « tout jeune mobile » (II, page 713), c’est-à-dire un garde mobile, sorte de corps de réserve.

Dans ‘’Un amour de Swann’’, celui-ci « se penchait avec une angoisse impuissante, aveugle et vertigineuse vers l’abîme sans fond où étaient allées s’engloutir ces années du début du Septennat » (I, page 313), c’est-à-dire le premier mandat présidentiel de sept ans qui fut voté en 1873.

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