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André Durand présente l’intérêt de l’action dans ‘’À la recherche du temps perdu’’


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Surtout, ces personnages subissent presque tous (car sont en particulier épargnés Swann, Marcel, ses parents et Françoise) ce qu’on peut appeler la loi du retournement ironique, du changement surprenant de leur personnalité, de leur sexualité (une sorte d’épidémie d’homosexualité frappant la plupart), de leur situation sociale, ce que Gide a appelé « ces voiles sans cesse déchirés », le mouvement de renversement périodique des données précédentes étant un principe clé du roman. Ici aussi on bute sur des invraisemblances dont Proust ne s’est pas soucié.

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Des tons variés
‘’À la recherche du temps perdu’’ est dominé par la tristesse, la délectation morose, la plainte lancinante, dues à la persistance de l’état maladif et nerveux, à la longue incertitude de la vocation, à l’amour malheureux et à la jalousie qui ne peut être que lui être liée, au spectacle du vice qui se répand comme une épidémie, au tableau d’une société divisée en classes traversées par l’antisémitisme, à la duplicité et à la mutabilité généralisées, à la découverte du vieillissement inéluctable ; par la mélancolie rêveuse, la nostalgie obsédante, la vision désenchantée du monde, ce que CharIes Du Bos a appelé « la poésie de la désillusion » qui lui parut « une forme de poésie tout à fait spéciale à Proust » ; par l’inquiétude obsédante, la constatation pessimiste. Cette noirceur imprègne des centaines et des centaines de pages, et on la retrouvera dans l’analyse des autres aspects de l’oeuvre. Mais elle est parfois éclairée par les joies qu’offrent la nature et l’art, et par des accès de comique, car Proust est aussi un auteur comique !
En effet, parmi ses nombreuses comparaisons, beaucoup sont cocasses :

- « Quelquefois, comme Ève naquit d’une côte d’Adam, une femme naissait pendant mon sommeil d’une fausse position de ma cuisse. » (I, page 4).

- Cette femme, il voulait « la retrouver, comme ceux qui partent en voyage pour voir de leurs yeux une cité désirée.» (I, page 5).

- Le salon des Verdurin était « une petite église » où, pour être un « fidèle », « il fallait adhérer tacitement à un credo », s’abstenir de « cet esprit d’examen et de ce démon de frivolité qui pouvait par contagion devenir fatal à l’orthodoxie » (I, page 188).

- Swann passait d’une duchesse à une fille de la campagne « comme ferait un affamé qui troquerait un diamant contre un morceau de pain ! » (I, page 193).

- Cottard s’aventura à parler de la musique de Vinteuil « comme un nageur débutant qui se jette à l’eau pour apprendre mais choisit un moment où il n’y a pas trop de monde pour le voir. » (I, page 213).

- La petite phrase de Vinteuil, pour Swann et Odette, «était comme l’air national de leur amour » (I, page 218).

- Swann « avait voulu laisser à sa pensée le temps d’accourir [...] comme une parente qu’on appelle pour prendre sa part du succès d’un enfant qu’elle a beaucoup aimé» et il eut, pour le « visage d’Odette non encore possédée, ni même encore embrassée [...] ce regard avec lequel, un jour de départ, on voudrait emporter un paysage qu’on va quitter pour toujours. » (I, page 233).

- Mme Verdurin, apprenant que Swann fréquentait les La Trémoïlle, « éprouvait la colère d’un grand inquisiteur qui ne parvient pas à extirper l’hérésie »  (I, page 259).

- Swann ressentait « cette volupté d’ête amoureux, de ne vivre que d’amour, de la réalité de laquelle il doutait parfois, le prix dont en somme il la payait, en dilettante de sensations immatérielles, lui en augmentait la valeur - comme on voit des gens incertains si le spectacle de la mer et le bruit de ses vagues sont délicieux, s’en convaincre ainsi que de la rare qualité de leurs goûts désintéressés, en louant cent francs par jour la chambre d’hôtel qui leur permet de les goûter. » (I, page 267).

- « Une paresse d’esprit qui était chez lui congénitale, intermittente et providentielle, vint à ce moment éteindre toute lumière dans son intelligence, aussi brusquement que, plus tard, quand on eût installé partout l’éclairage électrique, on put couper l’électricité dans une maison. » (I, page 268).

- « Sa jalousie, comme une pieuvre qui jette une première, puis une seconde, puis une troisième amarre, s’attacha solidement à ce moment de cinq heures du soir, puis à un autre, puis à un autre encore.» (I, page 283).

- Odette fut vue par Swann comme « une eau informe qui coule selon la pente qu’on lui offre, un poisson sans mémoire et sans réflexion qui, tant qu’il vivra dans son aquarium, se heurtera cent fois par jour contre le vitrage qu’il continuera à prendre pour de l’eau. » (I, page 290).

- Swann se disait : « Entendre du Wagner pendant quinze jours avec elle qui s’en soucie comme un poisson d’une pomme, ce serait gai ! » (I, page 301).

- Swann « recommençait à croire à l’existence d’une vie plus heureuse, presque à en éprouver l’appétit, comme il arrive à un malade alité depuis des mois, à la diète, et qui aperçoit dans un journal le menu d’un déjeuner officiel ou l’annonce d’une croisière en Sicile. » (I, page 311).

- « Le monocle du général, resté enttre ses paupières comme un éclat d’obus dans sa figure vulgaire, balafrée et triomphale, au milieu du front qu’il éborgnait comme l’oeil unique du cyclope, apparut à Swann comme une blessure monstrueuse qu’il pouvait être glorieux d’avoir reçue mais qu’il était indécent d’exhiber. » (I, 326).

- M. de Bréauté « portait, collé à son revers, comme une préparation d’histoire naturelle sous un microscope, un regard infinitésimal et grouillant d’amabilité » (I, pages 326-327).

- La tête de la marquise de Gallardon « faisait penser à la tête ‘’rapportée’’ d’un orgueilleux faisan qu’on sert sur une table avec toutes ses plumes. » (I, page 329).

- « À partir de ce moment, dans l’espoir que Swann la remarquerait, la princesse ne fit plus, comme une souris blanche apprivoisée à qui on tend puis on retire un morceau de sucre, que tourner sa figure, remplie de mille signes de connivence [...] dans la direction où était Swann et si celui-ci changeait de place, elle déplaçait parallèlement son sourire aimanté. » (I, page 335).

- « Les gens non amoureux trouvent qu’un homme d’esprit ne devrait être malheureux que pour une personne qui en valût la peine ; c’est à peu près comme s’étonner qu’on daigne souffrir du choléra par le fait d’un être aussi petit que le bacille virgule. » (I, page 345).

- « Cet avenir intérieur, ce fleuve incolore et libre, voici qu’une seule parole d’Odette venait l’atteindre jusqu’en Swann et, comme un morceau de glace, l’immobilisait, durcissait sa fluidité, le faisait geler tout entier ; et Swann s’était senti soudain rempli d’une masse énorme et infrangible qui pesait sur les parois intérieurs de son être jusqu’à le faire éclater. » (I, page 355).

- « Il aimait la sincérité, mais il l’aimait comme un proxénète pouvant le tenir au courant de la vie de sa maîtresse. » (I, page 360).

- M. de Norpois parla à Marcel de la littérature « comme d’une personne vénérable et charmante » (I, page 452).

- Les névropathes « prennent l'habitude de ne pas plus tenir compte de ces avertissements qu'un soldat, lequel, dans l'ardeur de l’action, les perçoit si peu qu'il est capable, étant mourant de continuer encore quelques jours à mener la vie d’un homme en bonne santé. » (I, page 495).

- « La pensée que l'on m'empêcherait de sortir si l'on s'apercevait que j’étais malade me donna, comme l'instinct de conservation à un blessé, la force de me traîner jusqu'à ma chambre. » (I, page 495).

- Cottard, en consultation auprès de Marcel, « tâchait de se rappeler s'il avait pensé à prendre un masque froid, comme on cherche une glace pour regarder si on n'a pas oublié de nouer sa cravate. » (I, page 498).

- Comme on voulait l’empêcher de voir Gilberte, Marcel indiqua : « Je me contraignais à redire tout le temps le nom de Gilberte, comme ce langage natal que les vaincus s'efforcent de maintenir pour ne pas oublier la patrie qu'ils ne reverront pas. » (I, page 499).

- Les meubles donnés par Marcel à la patronne de la maison de passe lui « semblaient vivre et me supplier, comme ces objets en apparence inanimés d’un conte persan, dans lesquels sont enfermées des âmes qui subissent un martyre et implorent leur délivrance. » (I, page 578).

- « Une langue que nous ne savons pas est un palais clos dans lequel celle que nous aimons peut nous tromper, sans que, restés au dehors et désespérément crispés dans notre impuissance, nous parvenions à rien voir, à rien empêcher. » (I, page 583).

- Marcel « jetait la bouée de quelques mots placés comme au hasard, et où mon amie pourrait accrocher une réconciliation. » (I, page 586).

- « Si j’avais voulu tracer ma signature sur cette pierre, la Vierge de Balbec [aurait été] métamorphosée, ainsi que l’église elle-même, en une petite vieille de pierre dont je pouvais mesurer la hauteur et compter les rides. » (I, page 660).

- « La princesse de Luxembourg nous avait tendu la main et, de temps en temps, tout en causant avec la marquise, elle se détournait pour poser de doux regards sur ma grand’mère et sur moi, avec cet embryon de baiser qu’on ajoute au sourire quand celui-ci s’adresse à un bébé avec sa nounou. Même dans son désir de ne pas avoir l’air de siéger dans une sphère supérieure à la nôtre, elle avait sans doute mal calculé la distance, car, par une erreur de réglage, ses regards s’imprégnèrent d'une telle bonté que je vis s’approcher le moment où elle nous flatterait de la main comme deux bêtes sympathiques qui eussent passé la tête vers elle, à travers un grillage, au jardin d'Acclimatation ». (I, page 699).

- « Bloch […] supportait comme au fond des mers les incalculables pressions que faisaient peser sur lui non seulement les chrétiens de la surface, mais les couches superposées des castes juives supérieures à la sienne.» (I, page 744).

- Bloch, parlant de « LLLLegrandin », « savourait ce nom comme un vin de derrière les fagots » (I, page 745).

- Marcel rapporta que Charlus « lança sur moi une suprême oeillade à la fois hardie, prudente, rapide et profonde, comme un dernier coup que l’on tire au moment de prendre la fuite » (I, page 752).

- Charlus, face à Marcel, attachait « le regard investigateur de ses yeux pénétrants […] sur ma figure, avec le même sérieux, le même air de préoccupation, que si elle eût été un manuscrit difficile à déchiffrer. » (I, page 760).

- Au restaurant de Rivebelle, Marcel « remarqua un de ces servants [sic], très grand, emplumé de superbes cheveux noirs, la figure fardée d’un teint qui rappelait davantage certaines espèces d’oiseaux rares que l’espèce humaine et qui, courant, sans trêve et, eût-on dit, sans but, d’un bout à l’autre de la salle, faisait penser à quelqu’un de ces ‘’aras’’ qui remplissent les grandes volières des jardins zoologiques de leur ardent coloris et de leur incompréhensible agitation.» (I, page 810).

- La tête de Saint-Loup « faisait penser à ces tours d’antique donjon dont les créneaux inutilisés restent visibles, mais qu’on a aménagées intérieurement en bibliothèque. » (I, page 819).

- Marcel, ayant rencontré les jeunes filles en fleurs, aurait voulu « en devenant l’ami de l’une d’elles pénétrer - comme un païen raffiné ou un chrétien scrupuleux chez les barbares - dans une société rajeunissante où régnaient la santé, l’inconscience, la volupté, la cruauté, l’inintellectualité et la joie » (I, page 830).

- Il se disait : « On n’en vient à n’aimer que les très jeunes filles, celles chez qui la chair comme une pâte précieuse travaille encore. Elles ne sont qu’un flot de matière ductile pétrie à tout moment par l’impression passagère qui les domine. On dirait que chacune est tour à tour une petite statuette de la gaîté, du sérieux juvénile, de la câlinerie, de l’étonnement, modérée par une expression franche, complète mais fugitive. » (I, page 905).

- Dans le nouvel appartement, Marcel, « pareil à un boa qui vient d’avaler un bœuf », se sentait « péniblement bossué par un long bahut que ma vue avait à ‘’digérer’’. «  (II, page 10).

- Madame de Cambremer ressemblait « à quelque pensionnaire provinciale, montée sur fil de fer, droite, sèche et pointue, un plumet de corbillard verticlement dressé dans les cheveux». (II, page 54).

- À l’Opéra, « les loges […] semblaient de grosses bourriches piquées de fleurs humaines » (II, page 54).

- Le client de Rachel, « n’aimant pas la nudité, lui disait qu’elle pouvait garder sa chemise, comme le font certains praticiens qui, ayant l’oreille très fine et la crainte de faire se refroidir leur malade, se contentent d’écouter la respiration et le battement du cœur à travers un linge. » (II, page 158).

- Alors que Saint-Loup avait été abordé par un promeneur, Marcel constata : « Tout d’un coup, comme apparaît au ciel un phénomène astral, je vis des corps ovoïdes prendre avec une rapidité vertigineuse toutes les positions qui leur permettaient de composer, devant Saint-Loup, une instable constellation. Lancés comme par une fronde ils me semblèrent être au moins au nombre de sept. Ce n’étaient pourtant que les deux poings de Saint-Loup, multipliés par leur vitesse à changer de place dans cet ensemble en apparence idéal et décoratif. Mais cette pièce d’artifice n’était qu’une roulée qu’administrait Saint-Loup et dont le caractère agressif au lieu d’esthétique me fut d’abord révélé par l’aspect du monsieur médiocrement habillé, lequel parut perdre à la fois toute contenance, une mâchoire et beaucoup de sang. » (II, page 182).

- Trois dames aristocrates, mais déchues à cause de leur conduite, étaient « trois Parques à cheveux blancs, bleus ou roses qui avaient filé le mauvais coton d’un nombre incalculable de messieurs. » (II, page 197).

- « De toutes les graines voyageuses, celle à qui sont attachées les ailes les plus solides qui lui permettent d’être disséminée à une plus grande distance de son lieu d’éclosion, c’est encore une plaisanterie » (II, page 239).

- Les grandes richesses du duc de Guermantes apparaissaient « omniprésentes en tous ses membres, comme si elles avaient été fondues au creuset en un seul lingot humain » (II, page 284).

- M. Nissim Bernard « avait maintenant l’air d’une larve préraphaélite où des poils se seraient malproprement implantés, comme des cheveux noyés dans une opale » (II, page 290).

- La mère de Marcel le guérit de son amour pour Mme de Guermantes « d’un seul coup, comme un hypnotiseur qui vous fait revenir du lointain pays où vous vous imaginiez être, et vous rouvre les yeux, ou comme le médecin qui, vous rappelant, au sentiment du devoir et de la réalité, vous guérit d’un mal imaginaire dans lequel vous vous complaisiez » (II, page 371).

- Bloch est, par la conduite de Charlus à son égard, « éreinté comme qui a voulu monter un cheval tout le temps prêt à prendre le mors aux dents, ou nager contre des vagues qui vous rejettent sans cesse sur le galet » (II, page 382).

- Marcel, sanglotant sur des tapis enroulés et avalant leur poussière et ses larmes, se vit « pareil aux Juifs qui se couvraient la tête de cendres dans le deuil » (II, page 393).

- Il laissa ses « phalanges s’engager dans l’étau qu’était une poignée de main à l’allemande » donnée par le prince de Faffenheim.

- De Charlus en colère, on n’est pas étonnné d’apprendre que « tandis que se crispaient les blêmes serpents écumeux de sa face [de quoi s’agit-il exactement?], sa voix devenait tour à tour aiguë et grave comme une tempête asourdissante et déchaînée. » (II, page 272).

- Vinrent rendre visite au duc de Guermantes deux dames « porteuses de cannes », qui « descendues des hauteurs de l’hôtel de Bréquigny », « munies de leur bâton d’alpiniste [...] reprirent la route escarpée de leur faîte » (II, page 575). Et furent encore mentionnées plus loin « les pentes accidentées par où l’on monte jusqu’à l’hôtel de Bréquigny » (II, page 601).

- Charlus aurait pu, auprès des artistes, « jouer le rôle du renne envers les Esquimaux : ce précieux animal arrache pour eux, sur des roches désertiques, des lichens, des mousses qu’ils ne sauraient découvrir, ni utiiliser, mais qui, une fois digérés par le renne, deviennent pour les habitants de l’Extrême Nord un aliment assimilable. » (ce qui, soit dit en passant, est de la plus haute fantaisie [II, page 567])

- Jupien « prenait des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidée pour le bourdon providentiellement survenu.» (II, page 604).

- De Jupien et de Charlus, « on eût dit deux oiseaux, le mâle et la femelle, le mâle cherchant à s’avancer, la femelle - Jupien - ne répondant plus par aucun signe à ce manège, mais regardant son nouvel ami sans étonnement, avec une fixité inattentive, jugée sans doute plus troublante et seule utile, du moment que le mâle avait fait les premiers pas, et se contentant de lisser ses plumes. », comparaison animalière qui est auparavant justifiée : « La multiplicité de ces comparaisons est elle-même d’autant plus naturelle qu’un même homme, si on l’examine pendant quelques minutes semble successivement un homme, un homme-oiseau, un homme-poisson, un homme insecte » (II, page 606).

- « Jusqu'ici je m'étais trouvé, en face de M. de Charlus, de la même façon qu'un homme distrait, lequel, devant une femme enceinte dont il n'a pas remarqué la taille alourdie, s'obstine, tandis qu'elle lui répète en souriant : ‘’Oui, je suis un peu fatiguée en ce moment’’, à lui demander indiscrètement : ‘’Qu'avez-vous donc?’’ Mais que quelqu'un lui dise : ‘’Elle est grosse’’, soudain il aperçoit le ventre et ne verra plus que lui.» (II, page 613).

- Les invertis « ne ressemblent pas plus au commun des mortels que ces singes à l’oeil mélancolique et cerné, aux pieds prenants, qui revêtent le smoking et portent une cravate noire » (II, page 620).

- « La vie de certains invertis paraît quelquefois changer, leur vice (comme on dit) n'apparaît plus dans leurs habitudes ; mais rien ne se perd : un bijou caché se retrouve ; quand la quantité des urines d'un malade diminue, c'est bien qu'il transpire davantage, mais il faut toujours que I’excrétion se fasse. » (II, page 625).

- D’un homosexuel, dont la passion secrète, s’était transposée ailleurs, il est dit que « les désirs avaient passé par virement, comme dans un budget, sans rien changer au total, certaines dépenses sont portées à un autre exercice. » (II, page 625),

- « Comme il en est pour ces malades chez qui une crise d'urticaire fait disparaître pour un temps leurs indispositions habituelles, l'amour pur à l'égard d'un jeune parent semble, chez l'inverti, avoir momentanément remplacé, par métastase, des habitudes qui reprendront un jour ou l'autre la place du mal vicariant et guéri. » (II, page 625)

- À « la langue insolite » que parle l’inverti, « tout au plus quelque loqueteux du quai fera-t-il semblant de s'intéresser, mais pour un bénéfice matériel seulement, comme ceux qui, au Collège de France, dans la salle où le professeur de sanscrit parle sans auditeur, vont suivre le cours, mais seulement pour se chauffer. » (II, page 626).

- « L’assouvissement avait lieu grâce à une violente semonce que le baron jetait à la figure du visiteur, comme certaines fleurs, grâce à un ressort, aspergent à distance l'insecte inconsciemment complice et décontenancé.» (II, page 629).

- « L’huissier me demanda mon nom, je le lui dis aussi machinalement que le condamné à mort se laisse attacher au billot. » (II, page 637).

- La duchesse de Guermantes faisait briller ses yeux « seulement d’une flamme spirituelle chaque fois qu’elle avait à dire bonjour à quelque ami, absolument comme si celui-ci avait été quelque mot d’esprit, quelque trait charmant, quelque régal pour délicats dont la dégustation a mis une expression de finesse et de joie sur le visage du connaisseur. » (II, page 661).

- L’homosexualité fut vue comme une maladie : « Un clinicien n’a même pas besoin que le malade en observation soulève sa chemise ni d’écouter la respiration, la voix suffit […] Bien que ma découverte du genre de maladie en question datât seulement du jour même […] je n’aurais pas eu besoin , pour donner un diagnostic, de poser des questions, d’ausculter.» (II, page 664).

- Charlus ayant découvert la beauté des deux fils de Mme de Surgis « semblait précisément un magicien appliquant toute la puissance de sa volonté et de son raisonnement à tirer un horoscope. Non seulement comme à une Pythie sur son trépied, les yeux lui sortaient de la tête, mais, pour que rien ne vînt le distraire de travaux qui exigeaient la cessation des mouvements les plus simples, il avait (pareil à un calculateur qui ne veut rien faire d’autre tant qu’il n’a pas résolu son problème) posé auprès de lui le cigare qu’il avait un peu auparavant dans la bouche et qu’il n’avait plus la liberté nécessaire pour fumer. En apercevant les deux divinités accroupies que portait à ses bras le fauteuil placé en face de lui, on eût pu croire que le baron cherchait à découvrir l’énigme du Sphinx, si ce n’avait été plutôt celle et d’un jeune et vivant Œdipe […] La figure du jeune marquis de Surgis semblait, tant M. de Charlus était profondément absorbé devant elle, être quelque mot en losange, quelque devinette, quelque problème d’algèbre dont il eût cherché à percer l’énigme ou à dégager la formule. Devant lui les signes sibyllins et les figures inscrites sur cette table de la Loi semblaient le grimoire qui allait permettre au vieux sorcier de savoir dans quel sens s’orientaient les destins du jeune homme. » (II, page 688).

- Swann « était arrivé à ce degré de fatigue où le corps d’un malade n’est plus qu’une cornue où s’observent des réactions chimiques » (II, page 699).

- Mme Verdurin « était censée rire aux larmes et pouvait aussi bien ne penser à rien du tout que les gens qui, pendant qu’ils font une prière un peu longue, ont la sage précaution d’ensevelir leur visage dans leurs mains. » (II, page 955).

- La vieille marquise de Cambremer, qui avait « revêtu un mantelet de jais pareil à une dalmatique, et par-dessus lequel pendait une étole d’hermine », évoquait un évêque en tournée épiscopale (II, page 806).

- Françoise « reconnut un domestique » « comme la vieille nourrice Euryclée reconnaît Ulysse bien avant les prétendants assis au festin » (II, page 988)

- L’amoureux passionné est « comme un nageur entraîné [qui] sans s’en apercevoir, bien vite perd de vue la terre. » (II, page 993).

- Le chauffeur « s’exprimait si simplement qu’on eût toujours dit paroles d’Évangile ». Aussi devint-il dans les phrases suivantes un « jeune évangéliste, appuyé sur sa roue de consécration », un « jeune apôtre » qui « accomplissait miraculeusement la multiplication des kilomètres » (II, pages 1027-1028).

- Le caractère de Morel « ressemblait à ces vieux livres du Moyen Âge, pleins d'erreurs, de traditions absurdes, d'obscénités, il était extraordinairement composite. » (II, page 1032).

- « M. de Charlus vivait dupé comme le poisson qui croit que l’eau où il nage s’étend au-delà du verre de son aquarium qui lui en présente le reflet, tandis qu’il ne voit pas à côté de lui, dans l’ombre, le promeneur amusé qui suit ses ébats ou le pisciculteur tout-puissant qui, au moment imprévu et fatal, différé en ce moment à l’égard du baron (pour qui le pisciculeur, à Paris, sera Mme Verdurin), le tirera sans pitié du milieu où il aimait vivre pour le rejeter dans un autre. » (II, page 1049).

- Dans le train allant vers la Raspelière, Charlus regardait furtivement des « jeunes gens » « comme font ces enfants à qui, à la suite d’une brouille entre parents, on a défendu de dire bonjour à des camarades, mais qui, lorsqu’ils les rencontrent, ne peuvent se priver de lever la tête avant de retomber sous la férule de leur précepteur. » (II, page 1053).

- Dans la maison de prostitution qu’est le Palace de Maineville, « les voix des jeunes bonnes répétaient en plus bas, sans se lasser, l’ordre de la sous-maîtresse, comme ces catéchismes qu’on entend les élèves psalmodier dans la sonorité d’une église de campagne. » (II, page 1079).

- Le ventre de l’homme s’enlaidit de son sexe qui est « comme le crampon resté fiché dans une statue descellée. » (III, page 79).

- Albertine « continuait à dormir comme une montre qui ne s’arrête pas, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu’on lui donne. » (III, page 113).

- La crémière désirée « se dérobait, comme une déesse dans la nue que fait trembler la foudre. » (III, page 140).

- « C’est terrible d’avoir la vie d’une autre personne attachée à la sienne comme une bombe qu’on tiendrait sans qu’on puisse la lâcher sans crime. » (III, page 181).

- Charlus est vu par Marcel alors qu’il se rend à la soirée chez les Verdurin comme un « monstre puissant, bien malgré lui, toujours escorté quoique à quelque distance, comme le requin par son pilote [ou] accompagné de son satellite, un astre à une tout autre période de sa révolution et qu’on commence à voir dans son plein, ou un malade envahi maintenant par le mal qui n’était, il y a quelques années, qu’un léger bouton qu’il dissimulait aisément et dont il ne soupçonnait pas la gravité. »  (III, page 204).

- « Il n’est pas d’exil au pôle Sud, ou au sommet du Mont-Blanc, qui nous éloigne autant des autres qu’un séjour prolongé au sein d’un vice intérieur. » (III, page 211).

- M. de Palancy ressemblait à un poisson, « avec sa grosse tête de carpe aux yeux ronds » ; il « se déplaçait lentement au milieu des fêtes en desserrant d'instant en instant ses mandibules ». On le vit, à un autre moment, « le cou tendu, la figure oblique, son gros œil rond collé contre le verre de son monocle, se déplaçant lentement dans l’ombre transparente [...] Par moments, il s'arrêtait, vénérable, soufflant et moussu, et les spectateurs n'auraient pu dire s'il souffrait, dormait, nageait, était en train de pondre ou respirait seulement » (I, page 43).

- Albertine affirma : « Pour les glaces […], toutes les fois que j’en prends, temples, églises, obélisques, rochers, c’est comme une géographie pittoresque que je regarde d’abord et dont je convertis ensuite les monuments de framboise ou de vanille en fraîcheur dans mon gosier. » (III, page 129).

- « Le violoncelliste […] se penchait sur sa contrebasse, la palpait avec la même patience domestique que s'il eût épluché un chou » (III, page 251) : ce violoncelliste n’était-il pas plutôt un contrebassiste?

- « Depuis que M. Brichot avait commencé à parler des réputations masculines, M. de Charlus avait trahi dans tout son visage le genre particulier d’impatience qu’on voit à un expert médical ou militaire quand des gens du monde qui n’y connaissent rien se mettent à dire des bêtises sur des points de thérapeutique ou de stratégie » (III, page 296).

- « Notre mémoire est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met au hasard la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux. » (III, page 390).

- Saint-Loup devant la photographie d’Albertine « avait pris l’air raisonnable, prudent, forcément un peu dédaigneux qu’on a devant un malade - eût-il été jusque-là un homme remarquable et votre ami - mais qui n’est plus rien de tout cela, car, frappé de folie furieuse, il vous parle d’un être céleste qui lui est apparu et continue à le voir à l’endroit où vous, homme sain, vous n’apercevez qu’un édredon. » (III, pages 437-438).

- Saint-Loup était « comme certaines femmes qui sacrifient résolument leur visage à leur taille et à partir d’un certain moment ne quittent plus Marienbad (pensant que, ne pouvant garder à la fois plusieurs jeunesses, c’est encore celle de la tournure qui sera le plus capable de représenter les autres) » (III, page 698).

- « On imagine très bien dans cette famille si ancienne [les Guermantes], un grand seigneur blond doré, intelligent, doué de tous les prestiges et recélant à fond de cale un goût secret, ignoré de tous, pour les nègres. » (III, page 705).

- « Une œuvre d'art où il y a des théories est comme un objet sur lequel on laisse la marque du prix » (III, page 882).

- À Mme de Forcheville, Marcel se nomma, « et aussitôt, comme si j’avais perdu grâce à ce nom incantateur l’apparence d’arbousier ou de kangourou que l’âge m’avait sans doute donnée, elle me reconnut » (III, page 950).

- « Ce moi gardait encore quelque contact avec l’ancien, comme un ami, indifférent à un deuil, en parle pourtant aux personnes présentes avec la tristesse convenable, et retourne de temps en temps dans la chambre où le veuf qui l’a chargé de recevoir pour lui continue de faire entendre ses sanglots. » (III, page 595).

- « Le charme apparent, copiable, des êtres m’échappait parce que je n’avais pas la faculté de m’arrêter à lui, comme un chirurgien qui, sous le poli d’un ventre de femme, verrait le mal interne qui le ronge. » (III, page 718).

- « Comme par l’ensemencement d’une petite quantité de levure, en apparence de génération spontanée, des jeunes femmes allaient tous les jours coiffées de hauts turbans cylindriques. » (III, page 723).

- « Quelquefois on voyait encore les fragments inconnus d’un monde qu’on ne connaissait pas et qui n’étonnaient pas plus que des débris de coquille autour du poussin. » (III, page 729).

- « M. de Charlus, se trouvant dans une ville d’où les hommes déjà faits, qui avaient été jusqu’ici son goût, avaient disparu, faisait comme certains Français, amateurs de femmes en France et vivant aux colonies : il avait par nécessité d’abord pris l’habitude, et ensuite le goût des petits garçons. » (III, page 769).

- Il voyait d’abord dans les soldats anglais « de simples joueurs de football assez présomptueux pour se mesurer avec des professionnels - et quels professionnels ! » puis « rien qu’esthétiquement tout simplement des athlètes de la Grèce […] les jeunes gens de Platon, ou plutôt les Spartiates.» (III, page 807).

- Dans l’hôtel de Jupien, il était « enchaîné sur un lit comme Prométhée sur son rocher » (III, page 815).

- « Il existe alors chez la femme ce qui existe à l'état inconscient chez les médicaments à leur insu rusés, comme sont les soporifiques, la morphine. Ce n'est pas à ceux à qui ils donnent du sommeil ou un véritable bien-être qu'ils sont absolument nécessaires ; ce n'est pas par ceux-là qu’ils seraient achetés à prix d'or, échangés contre tout ce que le malade possède, c'est par ces autres malades (d’ailleurs peut-être les mêmes, mais, à quelques années de distance, devenus autres) que le médicament ne fait pas dormir, à qui il ne cause aucune volupté, mais qui, tant qu’ils ne l’ont pas, sont en proie à une agitation qu’ils veulent faire cesser à tout prix, fût-ce en se donnant la mort. » (III, pages 819-820).

- Chez Jupien, Charlus devant un jeune homme « le fixa des yeux en souriant pendant le temps interminable que mettaient autrefois à vous faire poser les photographes quand la lumière était mauvaise.» (III, page 826).

- Jupien définit son hôtel où il était obligé d’avoir des « locataires honnêtes » : « Ici, c’est le contraire des Carmels, c’est grâce au vice que vit la vertu. » (III, page 830).

- Marcel se vit « comme un aviateur qui a jusque-là péniblement roulé à terre, ‘’décollant’’ brusquement, je m’élevais lentement vers les hauteurs silencieuses du souvenir. » (III, page 858).

- Charlus « laissa sa tête découverte par déférence, avec l’éloquence d’un Bossuet » (III, page 861) : la comparaison paraît cocasse mais l’était-elle pour Proust?

- Charlus, aphasique, « arrêtait immédiatement, comme un chef d’orchestre dont les musiciens pataugent, la phrase commencée » (III, page 861).

- À l’écouter, Marcel constatait : « J’avais à peine au début distingué ce qu’il disait, de même qu’on commence par ne voir goutte dans une chambre dont tous le srideaux sont clos. » (IIIl, page 862).

- Le baron « jetait ses paroles plus fort, comme la marée, les jours de mauvais temps, ses petites vagues tordues. » (III, page 862).

- Les amateurs d’art, qui sont « velléitaires et stériles, doivent nous toucher comme ces premiers appareils qui ne purent quitter la terre mais où résidait, non encore le moyen secret et qui restait à découvrir, mais le désir du vol » (III, page 892).

- Marcel, qui constatait la succession des femmes qu’il avait aimées et oubliées, se disait : « Je n’étais pas loin de me faire horreur, comme se le ferait peut-être à lui-même quelque parti nationaliste au nom duquel des hostilités seraient poursuivies, et à qui seul aurait servi une guerre où tant de nobles victimes auraient souffert et succombé.» (III, page 903).

- Il statuait : « Nous sommes obligés de revivre notre souffrance particulière avec le courage du médecin qui recommence sur lui-même la dangereuse piqûre. »  (III, page 905).

- M. d’Argencourt était « comme une poupée trépidante, à la barbe postiche de laine blanche » ; Marcel le voyait « agité, promené dans ce salon, comme dans un guignol à la fois scientifique et philosophique où il servait, comme dans une oraison funèbre ou un cours en Sorbonne, à la fois de rappel à la vanité de tout et d’exemple d’histoire naturelle. » (III, page 924).

- « Cette réalité du millésime d’habitude nous reste abstraite, comme l’apparition de certains arbres nains ou de baobabs géants nous avertit du changement de méridien. » (III, page 926).

- Chez Bloch, « ce nez juif disparaissait comme semble presque droite une bossue bien arrangée » (III, page 953).

- « La seule présence de ce monocle dans la figure de Bloch dispensait d’avoir à se demander si elle était jolie ou non, comme devant ces objets anglais dont un garçon dit, dans un magasin, que c’est ‘’le grand chic’’, après quoi on n’ose plus se demander si cela vous plaît. » (III, page 953).

- « Bloch était entré en sautant comme une hyène » (III, page 966).

- La princesse de Nassau « restait une Marie-Antoinette au nez autrichien, au regard délicieux, conservée, embaumée grâce à mille fards adorablement unis qui lui faisaient une figure lilas ». (III, page 979).

- « Puisque les meilleurs écrivains cessent souvent, aux approches de la vieillesse, ou après un excès de production, d’avoir du talent, on peut bien excuser les femmes du monde de cesser, à partir d’un certain moment, d’avoir de l’esprit. » (III, pages 1004-1005).

- « La maladie me fait, comme un rude directeur de conscience, mourir au monde » (III, page 1044).

- « Le duc de Guermantes […] avait vacillé sur des jambes flageolantes comme celles de ces vieux archevêques sur lesquels il n’y a de solide que leur croix métallique et vers lesquels s’empressent des jeunes séminaristes gaillards […] et ne s’était avancé qu’en tremblant comme une feuille, sur le sommet peu praticable de quatre-vingt-trois années, comme si les hommes étaient juchés sur de vivantes échasses, grandissant sans cesse, parfois plus hautes que des clochers, finissant par leur rendre la marche difficile et périlleuse, et d’où tout d’un coup ils tombaient. » (III, pages 1047-1048).


Cette veine comique se manifesta encore par d’autres moyens.
Parfois, Proust s’abandonna à la fantaisie.

Il inventa ce diplomate qui avait quitté le Quai d’Orsay pour se consacrer à la littérature et avait publié « un ouvrage relatif au sentiment de l’Infini sur la rive occidentale du lac Victoria-Nyanza et cette année un opuscule moins important, mais conduit d’une plume alerte, parfois même acérée, sur le fusil à répétition dans l’armée bulgare» (I, page 453).

Il imagina ce rêve de Marcel où « M. de Charlus avait cent dix ans et venait de donner une paire de claques à sa propre mère, Mme Verdurin, parce qu’elle avait acheté cinq milliards un bouquet de violettes. » (II, page 986).

Il osa évoquer la « scène bestiale que, à la parole près, peut faire à une femme un orang-outan qui en est, si l’on peut dire, épris » (III, pages 193-194).


Il s’amusa à des plaisanteries.

Comme, chez les Verdurin, était annoncée la sonate de Vinteuil, Forcheville demanda : « Ah ! bigre ! ce n’est pas au moins le ‘’Serpent à Sonates’’? [...] Mais le docteur Cottard, qui n’avait jamais entendu ce calembour, ne le comprit pas et crut à une erreur de M. de Forcheville. Il s’approcha vivement pour la rectifier : ‘’Mais non, ce n’est pas serpent à sonates qu’on dit, c’est serpent à sonnettes’’, dit-il d’un ton zélé, impatient et triomphal. » (I, pages 263-264).

La princesse des Laumes, future duchesse de Guermantes, s’étonnait : « On dit toujours l’esprit des Guermantes, je n’ai jamais pu comprendre pourquoi. Vous en connaisez donc d’autres? » (I, page 406).

Elle se moquait, avec Swann, du nom « Cambremer » : « Il finit juste à temps, mais il finit mal - Il ne commence pas mieux. - En effet, cette double abréviation ! - C’est quelqu’un de très en colère et de très convenable qui n’a pas osé aller jusqu’au bout du premier mot. - Mais puisqu’il ne devait pas pouvoir s’empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait d’achever le premier pour en finir une bonne fois. Nous sommes en train de faire des plaisanteries d’un goût charmant. » (I, page 341).

Swann, voulant suivre les déplacements d’Odette, « se plongeait dans le plus enivrant des romans d’amour, l’indicateur des chemins de fer » (I, page 293).

Alors qu’autrefois Odette disait à Swann : « Vous, vous ne serez jamais comme tout le monde », disait aux autres : « Il n’est pas régulièrement beau, si vous voulez, mais il est chic : ce toupet, ce monocle, ce sourire ! », maintenant lui disait : « Ah ! tu ne seras donc jamais comme tout le monde ! », disait aux autres : « Il n’est pas positivement laid si vous voulez, mais il est ridicule ; ce monocle, ce toupet, ce sourire ! », ce qui soulignait « la démarcation immatérielle qui sépare à quelques mois de distance une tête d’amant de coeur et une tête de cocu. » (I, page 320), ce qui pourrait être du Sacha Guitry !

Il raconta comment Mme Blatin qui était allée au Jardin d'Acclimatation où il y avait des Noirs, avait dit à l’un d’eux : « Bonjour, négro ! », mais s’était fait répondre : « Moi négro, mais toi chameau ! » (I, page 536).

Le duc de Guermantes montra à Swann une toile qu’il considérait de Vélasquez, et lui demanda : « À qui l’attribuez vous? », ce à quoi il répondit : « À la malveillance ! » (II, page 580).

Françoise admirait la conduite de Charlus avec Jupien, et s’écriait : « ‘’Ah ! en voilà un homme heureux que ce Jupien’’ [...] Ah ! c'est un si bon homme que le baron, ajoutait-elle, si bien, si dévot, si comme il faut ! Si j'avais une fille à marier et que j'étais du monde riche, je la donnerais au baron les yeux fermés. - Mais, Françoise, disait doucement ma mère, elle aurait bien des maris, cette fille. Rappelez-vous que vous l'avez déjà promise à Jupien. - Ah ! dame, répondait Françoise c'est que c'est encore quelqu'un qui rendrait une femme bien heureuse. Il y a beau avoir des riches et des pauvres misérables, ça ne fait rien pour la nature. Le baron et Jupien, c'est bien le même genre de personnes.’’ (II, page 630).

Le duc de Guermantes dit au revoir à Charlus avec attendrissement parce qu’il avait eu des bontés pour les deux fils de sa maîtresse, lui rappela des souvenirs d’enfance et ajouta : « Ah ! tu as été un type spécial, car on peut dire qu’en rien tu n’as jamais eu les goûts de tout le monde… », avant de se rendre compte de sa gaffe (II, pages 717, 718).

Charlus se moqua de Mme de Saint-Euverte en prétendant que ce qui l’empêchait de lui parler, « c’est la sensibilité de mon appareil olfactif. La proximité de la dame suffit. Je me dis tout d’un coup : ’’Oh ! mon Dieu, on a crevé ma fosse d’aisances’’, c’est simplement la marquise qui, dans quelque but d’invitation, vient d’ouvrir la bouche. Et vous comprenez que si j’avais le malheur d’aller chez elle, la fosse d’aisances se multiplierait en un formidable tonneau de vidange. […] On me dit que l’infatigable marcheuse donne des ‘’garden-parties’’, moi j’appellerais ça ‘’des invites à se promener dans les égouts‘’ » (II, pages 700-701).

Charlus reçut une lettre où on s’adressait à lui sur un ton très familier et qui se terminait par « Tout à toi, Pierre » (III, page 45) ; il se demanda quel prince pouvait ainsi le tutoyer, jusqu’à ce que l’adresse écrite au dos lui apprenne que « l’auteur de la lettre était le chasseur d'un cercle de jeu où il allait quelquefois » (III, pages 45-46) qui « pensait que ce ne serait pas gentil de ne pas tutoyer quelqu’un qui vous avait plusieurs fois embrassé, et vous avait par là - s’imaginait-il dans sa naïveté - donné son affection. » (III, page 46).

De Morel, qui voulait « laisser M. de Charlus et Jupien se débrouiller », Marcel indiqua qu’en fait « il employait un verbe bien plus cambronnesque. » (III, page 195).

Charlus déclara au valet de pied des Verdurin : « Vous, je vous défends de me faire de l’œil comme ça », et poussa son index sur le bout de son nez en disant : « Pif ! » (III, page 227).

Gilberte se demanda si Robert « n’enverrait pas une de ces dépêches dont M. de Guermantes avait spirituellement fixé le modèle : ‘’Impossible venir, mensonge suit’’ » (III, page 703).

Dans l’hôtel de Jupien, sortit de la chambre no 3, « un député de l'Action Libérale » (III, page 816), trait satirique car l’Action Libérale ou Action Libérale Populaire était un parti politique français de la Troisième République (1901-1919) qui représentait les catholiques ralliés à la République à la demande du pape Léon XIII, trait auquel s’ajoute le fait qu’« il avait marié sa fille à midi à Saint-Pierre de Chaillot ».

Le « mauvais prêtre » qui se présenta dans l’hôtel de Jupien « dit sentencieusement : ‘’Que voulez-vous, je ne suis pas (j’attendais ‘’un saint’’) une ange », et Jupien lui réclamant le prix de sa chambre osa : « Pour les frais du culte, Monsieur l’abbé ! » (III, page 829).
Même si Proust prétendit vouloir écarter « ces paroles que les lèvres plutôt que l’esprit choisissent, ces paroles pleines d’humour, comme on en dit dans la conversation […] ces paroles toutes physiques qu’accompagne chez l’écrivain qui s’abaisse à les transcrire le petit sourire » (III, pages 897-898), il ne manqua pas d’émailler son texte de traits d’humour.

Chez un des valets de pied de Mme de Saint-Euverte, « la dureté de son regard d’acier était compensée par la douceur de ses gants de fil, si bien qu’en approchant de Swann il semblait témoigner du mépris pour sa personne et des égards pour son chapeau. » (I, page 323).

Lors d’une matinée « donnée pour la reine d’Angleterre », Marcel se dit : « Je pouvais m’approcher sans crainte, je ne serais pas mangé tout cru à la place des sandwiches au chester » (II, page 663).

À l’hôtel de Balbec, le « lift » annonça la visite de « la marquise de Camembert » alors que c’était Mme de Cambremer (II, page 805).

Tandis que, pendant la guerre, le maître d’hôtel des Guermantes ne parlait que de victoires, Marcel était cependant « effrayé de la rapidité avec laquelle le théâtre de ces victoires se rapprochait de Paris. » (III, page 750).

Morel écrivait des chroniques scandaleuses où il attaquait Charlus, l’appelant « Frau Bosch », « Frau van den Bosch », « Tante de Frankfort » ou « Gaillard d’arrière » (III, page 767).

Le duc de Guermantes « avait cessé de tromper Mme de Guermantes, s’était épris de Mme de Forcheville. » (III, page 1015) : il est vrai qu’étant au courant elle n’était pas trompée !
Proust sut aussi prolonger des « running gags ».

Marcel essaya de se faire présenter au prince de Guermantes, mais chacun de ceux qu’il sollicita s’esquiva (II, pages 638, 644, 649, 652), avant qu’il n’atteignît enfin son but (I, page 654).

Françoise, tourmentée par le maître d’hôtel (III, pages 748-750), l’était toujours cent pages plus loin (III, page 842).

Pendant la guerre, Morel, d’abord déserteur, s’engagea (III, page 768) mais, dénoncé par Charlus qui avait promis de se venger, il fut arrêté car, absurdité de l’administration militaire, on se rendit compte qu’il avait été déserteur et on l’envoya alors sur le front (III, page 852) : « il s’y conduisit bravement, échappa à tous les dangers et revint, la guerre finie, avec la croix que M. de Charlus avait jadis vainement sollicitée pour lui. » (III, page 853).


Il ménagea de plaisants quiproquos.

Au restaurant, Marcel entendit « le propos d’un consommateur » qui « au lieu des mots : ‘’Aile de poulet, très bien, un peu de champagne, mais pas trop sec’’ » dit : « J’aimerais mieux de la glycérine. Oui, chaude, très bien. » ; il ajouta : « J’avais voulu voir quel était l’ascète qui s’infligeait un tel menu […] C’était tout simplement un docteur, que je connaissais, à qui un client, profitant du brouillard pour le chambrer dans ce café, demandait une consultation. » (II, page 408).

À la Raspelière, M. de Verdurin fit à Charlus des excuses pour une faute de protocole qu’avait faite sa femme : « ‘’Excusez-moi de vous parler de ces riens, car je suppose bien le peu de cas que vous en faites. Les esprits bourgeois y font attention, mais les autres, les artistes, les gens qui en sont vraiment, s’en fichent. Or dès les premiers mots que nous avons échangés, j’ai compris que vous en étiez ! M. de Charlus, qui donnait à cette locution un sens fort différent, eut un haut-le-corps. Après les œillades du docteur, l’injurieuse franchise du patron le suffoquait. ‘’Ne protestez pas, cher Monsieur, vous en êtes, c’est clair comme le jour, reprit M. Verdurin. Remarquez que je ne sais pas si vous exercez un art quelconque, mais ce n’est pas nécessaire. Ce n’est pas toujours suffisant. Dechambre, qui vient de mourir, jouait parfaitement avec le plus robuste mécanisme, mais n’en était pas, on sentait tout de suite qu’il n’en était pas. Brichot n’en est pas. Morel en est, ma femme en est, je sens que vous en êtes…- Qu’alliez-vous me dire?’’ interrompit M. de Charlus, qui commençait à être rassuré sur ce que voulait signifier M. Verdurin, mais qui préférait qu’il criât moins haut ces paroles à double sens.» (II, page 941).

Après avoir recueilli « une petite fille pauvre » à laquelle il « remit un billet de cinq cents francs» (III, page 432), Marcel fut, sur la plainte des parents, convoqué chez le chef de la Sûreté où il reçut un « savon extrêmement violent » (III, page 443) ; puis, comme « un inspecteur était venu s’informer si je n’avais pas l’habitude d’avoir des jeunes filles chez moi, que le concierge, croyant qu’on parlait d’Albertine, avait répondu que si, et que, depuis ce moment, la maison semblait surveillée », « que le détournement de mineures pouvait s’appliquer aussi à Albertine », « ma vie me parut barrée de tous les côtés » (III, page 444).

Plus tard, il reçut ce télégramme : « Mon ami, vous me croyez morte, pardonnez-moi, je suis très vivante, je voudrais vous voir, vous parler mariage, quand revenez-vous? Tendrement, Albertine. » alors que, la poste ayant fait une erreur dans la signature, il avait été, en fait, envoyé par Gilberte (III, page 656).

Enfin l'immense malentendu qu’est l’amour est raconté comme un quiproquo de théâtre.


Proust, qui avait une verve bouffonne liée à un don de mimétisme, dessina des figures ridicules, des fantoches qui sont parfois poussés jusqu’à la caricature, qui s’imposent à nous par ce qu’ils ont d’absurde. Il poursuivit de sa moquerie et de son ironie, parfois même de sa rosserie féroce :

- les Verdurin (riches bourgeois qui se voulaient amateurs d’art), Norpois (diplomate dont les propos étaient des plaisanteries : « Comment ! vous allez de nouveau à Balbec? Mais vous êtes un véritable globe-trotter ! » dit-il à Marcel [I, page 225], les discours des labyrinthes) ;

- Cottard (lourdaud qui ne comprenait ni la peinture d'Elstir ni la musique de Vinteuil, qui avait le goût des « locutions toutes faites», qui attendait, pour donner son avis, qu'on le renseigne sur la valeur du spectacle, qui, comme il ne savait jamais si son interlocuteur était sérieux ou non, figeait à tout hasard sur sa physionomie «un sourire conditionnel et provisoire dont la finesse expectante le disculperait du reproche de naïveté » [ce qui fit que, lors du dîner à la Raspelière, il regarda Charlus avec insistance pour nouer une conversation avec lui, au point que celui-ci vit en lui un « pareil à lui » (II, page 919) avant d’être désillusionné ], qui prouvait sa bêtise en prenant tout au pied de la lettre, qui « répétait des calembours ineptes » : « Je veux bien que vous preniez quelques potages, puis des purées, mais toujours au lait, au lait. Cela vous plaira, puisque l'Espagne est à la mode, ollé ! (Ses élèves connaissaient bien ce calembour qu’il faisait à l'hôpital chaque fois qu'il mettait un cardiaque ou un hépatique au régime lacté.) » [I, page 498] - « C’est ici que les Athéniens s’atteignirent », [II, page 959]), et qui, même s’il s’était révélé un médecin compétent, fut encore quelque peu risible quand, observant Albertine et Andrée qui dansent étroitement serrées, il demanda : « Sont-elles jolies au moins? Je ne distingue pas leurs traits […] j’ai oublié mon lorgnon et je ne vois pas bien », mais put cependant statuer : « Elles sont certainement au comble de la jouissance. On ne sait pas assez que c’est surtout par les seins que les femmes l’éprouvent. Et, voyez, les leurs se touchent complètement. » [II, pages 795-796]) ;

- le professeur E... qui avait, non sans réticence, examiné la grand-mère de Marcel, mais qui, le rencontrant chez les Guermantes, s'accrocha à lui, se fit confirmer la mort de la grand-mère, et continua en lui donnant mécaniquement des conseils (II, page 640) ;

- le prince de Guermantes qui, « quand il était officier, ayant une rage de dents épouvantable, avait préféré rester à souffrir plutôt que de consulter le seul dentiste de la région qui était juif, et qui plus tard avait laissé brûler une aile de son château où le feu avait pris, parce qu’il aurait fallu demander des pompes au château voisin qui est aux Rothschild » (II, page 581) ;

- « les célibataires de l’Art », « qui n’extraient rien de leur impression, vieillissent inutiles et insatisfaits […] ont les chagrins qu’ont les vierges et les paresseux […] croient accomplir un acte en hurlant à se casser la voix : ‘’Bravo, bravo’’ après l’exécution d’une œuvre qu’ils aiment […] font de grands gestes, des grimaces, des hochements de tête quand ils parlent d’art. ‘’J’ai été à un concert où on jouait une [le mot est resté en blanc]. Je vous avouerai que ça ne m’emballait pas. On commence le quatuor. Ah ! mais, nom d’une pipe ! ça change (la figure de l’amateur à ce moment-là exprime une inquiétude anxieuse comme s’il pensait : ‘’Mais je vois des étincelles, ça sent le roussi, il y a le feu’’). Tonnerre de Dieu, ce que j’entends là c’est exaspérant, c’est mal écrit, c’est épastrouillant, ce n’est pas l’œuvre de tout le monde.’’ […] ‘’Et, mon vieux, […] moi, c’est la huitième fois que je l’entends, et je vous jure bien que ce n’est pas la dernière’’. Et, en effet, comme ils n’assimilent pas ce qui dans l’art est vraiment nourricier, ils ont tout le temps besoin de joies artistiques, en proie à une boulimie qui ne les rassasie jamais. Ils vont donc applaudir longtemps de suite la même œuvre, croyant de plus que leur présence réalise un devoir, un acte, comme d’autres personnes la leur à une séance de conseil d’administration, à un enterrement.» (III, page 892).

Devant tant de cruauté, on peut, avec Jean Cocteau, regretter que « la magnifique intelligence de Proust s'est surtout plu à peindre la bêtise. Ce qui fatigue à la longue. »

Or, même si ce ne fut évidemment pas le but de Proust, Marcel lui-même est ridicule par sa constante pusillanimité, la perpétuelle niaiserie qui lui fait commettre de grosses maladresses comme, par exemple, avec Charlus quand, comme l’aristocrate avait pris un chapeau « au fond duquel il y avait un G et une couronne ducale » (II, page 277), il crut à une erreur qu’il lui signala ; quand il lui parla de « cet idiot de duc de Guermantes », ne sachant pas que c’était son frère (II, page 278).


Proust conçut encore des délires comme celui de Mme Verdurin voulant non seulement que Charlus soit « Prussien » mais de surcroît un espion allemand : « Pendant deux ans, Charlus n’a pas cessé d’espionner chez moi. » (III, page 765) ; évoquant la localisation de la Raspelière, elle ajoutait : « Il était sûrement chargé par les Allemands de préparer là une base pour leurs sous-marins. […] Il avait préféré habiter Doncières où il y a énormément de troupe. Tout ça sentait l’espionnage à plein nez.» (III, page 766).

Il arrangea des scènes burlesques.

Quand Swann frappa à une fenêtre pour surprendre Odette, il se trouva devant « deux vieux messieurs étaient à la fenêtre, l’un tenant une lampe, et alors, il vit la chambre, une chambre inconnue. [...] Il s’éloigna en s’excusant.» (I, page 275).

À Balbec, la princesse de Luxembourg s'était fait présenter Marcel et sa grand-mère, et, dans son désir d’être aimable avec ces gens qu'elle estimait au-dessous d'elle, «ses regards s’imprégnèrent d'une telle bonté que je vis s’approcher le moment où elle nous flatterait de la main comme deux bêtes sympathiques qui eussent passé la tête vers elle, à travers un grillage, au jardin d'Acclimatation ». (I, page 699).

Comme Marcel se prétendit « pas chatouilleux », Albertine voulut le mettre à l’épreuve ; à ce moment-là, entra Françoise qui, tenant une lampe au-dessus d’eux « avait l’air de la ‘’Justice éclairant le Crime’’ » et demanda : « Faut-il que j’éteinde? » (II, page 360).

De la rencontre entre Charlus et Jupien où l’un « allait, venait, regardait dans le vague de la façon qu’il pensait mettre le plus en valeur la beauté de ses prunelles, prenait un air fat, négligent, ridicule », tandis que l’autre « donnait à sa taille un port avantageux, posait avec une impertinence grotesque son poing sur la hanche, faisait saillir son derrière, prenait des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidée pour le bourdon » (II, pages 604), il est dit cependant : « Cette scène n’était, du reste, pas positivement comique, elle était empreinte d’une étrangeté, ou si l’on veut d’un naturel, dont la beauté allait croissant. » (II, page 605).

M. Nissim Bernard se retrouva « l’œil poché » pour s’être intéressé à un garçon qui « ne détestait pas condescendre aux goûts de certains messieurs » mais avait un jumeau (ils se ressemblaient comme deux tomates, d’où « la tomate no 2 ») qui « se plaisait avec frénésie à faire exclusivement les délices des dames », et, un jour, s’être trompé de « tomate » ! (II, pages 854-855).

Le prince de Guermantes avait, au ‘’Palace’’ de Maineville, « une maison de prostitution », donné à Morel un rendez-vous dont Charlus eut vent : il fit venir Jupien pour qu’il obtienne qu’on les cachât et qu’ils puissent ainsi assister à la scène ; mais Morel, qui était « avec trois dames », ayant été prévenu que « deux messieurs avaient payé fort cher pour le voir », resta « paralysé par la stupeur » quand il vit le baron (II, pages 1077-1081). Le lendemain, un autre rendez-vous fut donné par le prince de Guermantes dans la villa qu’il habitait, et, cette fois, Morel vit une photographie de Charlus et, « fou de terreur », s’enfuit. (II, pages 1081-1082).

Charlus fit à Morel une scène parce que la nièce du giletier, sa fiancée, avait dit : « C’est cela, venez demain, je vous paierai le thé », et qu’il trouvait « cette expression bien vulgaire pour une personne dont il comptait faire presque sa belle-fille », continuant « sur le ton le plus insolent, le plus orgueilleux » : « Le ‘’toucher’’, qui, je le vois, n’est pas forcément allié au ‘’tact’’, a donc empêché chez vous le développement normal de l’odorat, puisque vous avez toléré que cette expression fétide de payer le thé, à 15 centimes je suppose, fît monter son odeur de vidanges jusqu’à mes royales narines? Quand vous avez fini un solo de violon, avez-vous jamais vu chez moi qu’on vous récompensât d’un pet, au lieu d’un applaudissement frénétique ou d’un silence plus éloquent encore parce qu’il est fait de la peur de ne pouvoir retenir (non ce que votre fiancée vous prodigue) mais le sanglot que vous avez amené au bord des lèvres? » (III, page 44).

Dans l’hôtel de Jupien, on découvrit « une croix de guerre qui avait été trouvée par terre, et [dont] on ne savait pas qui l’avait perdue, à qui la renvoyer pour éviter au titulaire une punition » (III, page 820), croix de guerre dont Marcel, de retour à la maison, apprit de Françoise que Saint-Loup était venu la chercher (III, page 841).

Le comble du grotesque fut évidemment atteint avec la flagellation grand-guignolesque de Charlus (III, 811-832). Mais est-on encore dans la veine comique?
Proust atteignit parfois à la qualité de la grande comédie : devant Swann, qui venait lui annoncer qu'il était atteint d'un mal incurable, la duchesse de Guermantes, en nouvelle Célimène qui s’apprêtait à aller dîner, fut prise entre un devoir mondain et un devoir humain ; elle quitta Swann, qui allait mourir, pour aller à son dîner !
Ainsi a été bien montré le génie comique de Proust, son fin sourire sans commentaire devant le spectacle de la vanité, son analyse au microscope des mimiques, des jeux de scène, des dialogues de la gigantesque farce qu’était le « monde », sa verve bouffonne dans l'observation des tics, des manies, verve parfois même un peu outrée (il ne fut pas toujours de bon goût, en bouffonnant sur les défauts physiques des gens, en pouffant mesquinement sur les moustaches de Mme de Cambremer), son humour féroce exercé, par exemple, sur un snobisme qu'il a d’ailleurs vécu lui-même, son ironie mordante sur ce que Sartre allait appeler les comportements de mauvaise foi, sa satire cruelle de certains milieux sociaux qu'il avait bien connus. ‘’À la recherche du temps perdu’’ est bien une véritable comédie humaine.

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D’énormes invraisemblances
Si, de temps en temps, l’intérêt du lecteur est réveillé par des scènes intéressantes, elles sont souvent peu crédibles. On a en effet du mal à admettre ces différentes situations :

Marcel assista à la conversation entre Mlle Vinteuil et son amie à Montjouvain (I, pages 159-163).

Albertine a été la camarade de Gilberte au « cours » (I, page 512) et avait été « presque élevée» par l’amie de Mlle Vinteuil (III, page 75).

À Balbec, Marcel et Saint-Loup, entendirent les propos d’un antisémite qui se révéla être le juif Bloch (I, page 738).

La jeune fille qu’était Albertine put, à cette époque, vivre avec son amoureux dans l’appartement des parents de celui-ci (II, pages 10-414).

Alors que Marcel marchait avec Charlus, M. Bloch père passa fortuitement au moment où ils parlaient justement de son fils, ils rencontrèrent Mme Sazerat (II, page 289) et survint M. d’Argencourt (II, page 292).

Marcel put épier la rencontre entre Charlus et Jupien à l’hôtel de Guermantes (II, pages 604-607) et, devant cette énigme possible à percer, ce jeune homme innocent montra soudain un grand savoir sur l’homosexualité masculine, émit même toute une savante théorie, ce qui est une nette invraisemblance psychologique (II, pages 615-632) !

Le duc de Chatellerault retrouva en l’huissier de la princesse de Guermantes celui qui, la veille, sur les Champs-Élysées, avait été son partenaire (II, pages 634, 636).

Nissim Bernard connut de rocambolesques déboires avec les frères « tomates » (II, pages 854-855).

À la gare de Doncières, Marcel tomba sur Charlus qui lui demanda d’appeler pour lui un militaire qui se trouvait sur le quai d’en face, dans lequel, surpris, il reconnut le fils du valet de chambre de son oncle, se disant : « La disproportion sociale à quoi je n’avais pas pensé d’abord était trop immense », le baron ne prenant finalement pas le train pour Paris, mais, par un « revirement » subit, disparaissant avec Morel (II, page 861).

Charlus eut des relations avec Aimé, le maître d’hôtel de Balbec, et avec le valet de pied (II, pages 990-993).

Ce jaloux qu’était Marcel fit à Albertine le cadeau d’une automobile (II, page 996) : que n’en eût-il acheté une pour lui d’abord? plus loin un yacht est aussi envisagé !

Il entendit « les sanglots qu’un homme, qui était assis sur une borne, cherchait à réprimer », un homme « au visage inondé de pleurs » et qui était nul autre que… Morel (III, page 194).

Marcel retrouva Gilberte par un enchaînement incroyable de circonstances : lors d’une promenade au Bois un dimanche de Toussaint, il remarqua « un groupe de trois jeunes filles » (III, page 562), dont l’une, quelques jours plus tard, lui lança en passant « un premier regard, puis m’ayant dépassé, et retournant la tête vers moi, un second qui acheva de m'enflammer » (III, page 563). Un concierge lui indiqua son nom : « Mlle Déporcheville », qu’il rétablit en « d’Éporcheville, c’est-à-dire le nom de la jeune fille d’excellente famille, et apparentée vaguement aux Guermantes, dont Robert m’avait parlé pour l’avoir rencontrée dans une maison de passe » (III, page 563). Cependant, Saint-Loup, à qui il avait télégraphié, lui répondit que celle qu’il avait rencontrée était une « De l’Orgeville […] petite, brune, boulotte, est en ce moment en Suisse ». Marcel regretta : « Ce n’était pas elle. » (III, page 566). Or, chez les Guermantes où il était allé pour présenter son article paru dans ‘’Le Figaro’’, il vit nulle autre que « la jeune fille blonde que j’avais crue pendant vingt-quatre heures être celle dont Saint-Loup m’avait parlé » (III, page 573) : c’était Mlle de Forcheville, c’est-à-dire Gilberte Swann !

À Venise, Marcel put courir jusqu’à la gare (III, page 655) alors qu’elle se trouve sur la terre ferme, à Mestre.

En 1916, se produisit tout un festival d’invraisemblances. D’abord, la nuit, sur les boulevards, Marcel rencontra Charlus (III, page 763). Puis, ayant soif et tous les bars étant fermés, il chercha un hôtel, en trouva un d'où il lui sembla voir sortir Saint-Loup (III, page 810). À l’intérieur, il écouta une conversation entre des militaires et des ouvriers qui lui fit croire qu’« un crime atroce allait y être consommé si on n’arrivait pas à temps pour le découvrir et faire arrêter les coupables» (III, pages 811, 812). Il vit le patron entrer, « chargé de plusieurs mètres de grosses chaînes de fer capables d’attacher plusieurs forçats » (III, page 814). Cela excita sa « curiosité » au point qu’après avoir obtenu une chambre, il en sortit pour monter à l’étage supérieur, aller jusqu’à « une chambre qui était isolée au bout d’un couloir » d’où lui « semblèrent venir des plaintes étouffées. Je marchai rapidement dans cette direction et appliquai mon oreille à la porte. ‘’Je vous en supplie, grâce, pitié, détachez-moi, ne me frappez pas si fort, disait une voix. Je vous baise les pieds, je m’humilie, je ne recommencerai pas. Ayez pitié. - Non, crapule, répondit une autre voix, et puisque tu gueules et que tu te traînes à genoux, on va t’attacher sur le lit, pas de pitié’’, et j’entendis le bruit du claquement d’un martinet, probablement aiguisé de clous, car il fut suivi de cris de douleur. Alors je m’aperçus qu’il y avait dans cette chambre un œil-de-bœuf latéral dont on avait oublié de tirer le rideau ; cheminant à pas de loup dans l’ombre, je me glissai jusqu’à cet œil-de-bœuf, et là, enchaîné sur un lit comme Prométhée sur son rocher, recevant les coups d’un martinet en effet planté de clous que lui infligeait Maurice, je vis, déjà tout en sang, et couvert d’ecchymoses qui prouvaient que le supplice n’avait pas lieu pour la première fois, je vis devant moi M. de Charlus. / Tout d’un coup la porte s’ouvrit et quelqu’un entra qui heureusement ne me vit pas, c’était Jupien. Il s’approcha du baron avec un air de respect et un sourire d’intelligence : ‘’Hé bien, vous n’avez pas besoin de moi?’’ Le baron pria Jupien de faire sortir un moment Maurice. Jupien le mit dehors avec la plus grande désinvolture. ‘’On ne peut pas nous entendre?’’ dit le baron à Jupien, qui lui affirma que non. […] ‘’Une seconde’’, interrompit Jupien, qui avait entendu une sonnette retentir à la chambre no 3.» (III, pages 815-816).

Celui qui a perdu sa croix de guerre dans cette maison de passe pour homosexuels est... Saint-Loup (III, page 841).

Marcel, alors qu’il se rendait à la matinée chez le prince de Guermantes, rencontra Charlus sur les Champs-Élysées (III, page 859).

Le prince de Guermantes a donné des rendez-vous à Morel (III, pages 1078-1082).
Proust a donc ménagé dans ‘’À la recherche du temps perdu’’ de nombreuses « reconnaissances », même si, avec toujours la même duplicité, il prétendit qu’elles sont le « pauvre expédient des œuvres factices », avant qu’à l’occasion de la rencontre dans la gare de Doncières, il ait statué que « les ‘’reconnaissances’’ exprimeraient au contraire une part importante de la vie, si on savait aller jusqu’au romanesque vrai » (II, page 861). Il a recouru à des surprises de roman-feuilleton comme celle du télégramme qu’aurait envoyé Albertine : « Mon ami, vous me croyez morte, pardonnez-moi, je suis très vivante, je voudrais vous voir, vous parler mariage, quand revenez-vous? Tendrement, Albertine. » (III, page 641) et qui l’avait été en fait par Gilberte : comment croire à l’erreur commise par la poste dans la signature (III, page 656)? comment le mot « Gilberte » aurait-il pu se transformer en « Albertine »?

On constate aussi, ce qui révèle chez Proust un souci marqué et paradoxal du romanesque, qu’il n’a pas craint d’inventer les épisodes les plus rocambolesques qui furent ajoutés d’ailleurs à l’étape de la dactylographie. Ne fait-il pas dire à Marcel : « Le théâtre du monde dispose de moins de décors que d’acteurs et de moins d’acteurs que de ‘’situations’’.» (II, page 862)?

Mais le comble de l’invraisemblance réside dans la métamorphose que Proust fait connaître à l’auteur de petites compositions françaises dont l’une est devenue un article qui a été publié dans ‘’Le Figaro’’ qui peut envisager à la fin l’écriture d’un roman qui est nul autre qu’’’À la recherche du temps perdu’’ !

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De regrettables étourderies
On dit que le texte immense d’’’À la recherche du temps perdu’’ le romancier l’a travaillé et retravaillé, sans cesse corrigé. Mais il a avoué : « J’écris au galop, j’ai trop à dire » Et, en effet, il ne s’est pas rendu compte  de maladresses telles que les suivantes :

- Dès ‘’Du côté de chez Swann’’, il est fait mention d’« un giletier et sa fille » (I, page 20) et il est encore question plus loin, à différentes reprises de « la fille de Jupien » (II, page 862), alors que, le plus souvent et le plus vraisemblablement, le personnage est sa « nièce ».

- Dans l’épisode de la madeleine, Proust glissa du thé offert par la mère à l’hésitation, dans le cas de tante Léonie, entre le thé ou et le tilleul puis au seul tilleul. (I, pages 44-47).

- Sur le front de la tante de Marcel des « vertèbres transparaissaient comme les pointes d’une couronne d’épines ou les grains d’un rosaire» (I, page 52), négligence qui, dit-on, aurait (avec son célèbre jugement : « Il y a trop de duchesses ») conduit Gide, lecteur chez Gallimard, à rejeter le manuscrit !

- Gilberte devant être née en octobre ou novembre 1880, il devrait être fait allusion à la grossesse d'Odette dans "Un amour de Swann", et on peut s’étonner qu’alors qu'elle vient d'avoir un enfant elle puisse se permettre de faire une croisière qui dure deux ans.

- Durant la soirée chez Mme de Villeparisis, Bloch fit mention de la guerre russo-japonaise (II, page 220). Or cette guerre eut lieu en 1904 et 1905 tandis que la soirée eut lieu en 1897, certainement avant 1899 puisqu'on y parla de Dreyfus comme étant encore sur l'Île du Diable et qu'il en était revenu cette année.

- Mme Verdurin est qualifiée d’antidreyfusiste (« chez elle un antisémitisme bourgeois et latent s’était réveillé et avait atteint une véritable exaspération» [II, page 252]) puis, agissant « en farouche radicale », elle est hostile aux « calotins » (II, page 583), tient un « salon dreyfusien » (II, page 744), où, « comme en ces véritables séances de Salut Public (si le monde avait pu s’intéresser à l’affaire Dreyfus) se réunissaient Picquart, Clemenceau, Zola, Reinach et Labori » (II, page 747).

- le grain de beauté d’Albertine se déplace de la lèvre au menton pour arriver au-dessous de l’œil.

- Au début de la soirée chez elle, Mme Verdurin sous-entendit clairement que Cottard était mort depuis quelque temps déjà, bien que son trépas ait été assez soudain, et elle consultait un de ses élèves (III, page 241). Or cette soirée se déroulait tout au plus quelques semaines après le départ de Marcel et d'Albertine de Balbec où Cottard avait l'air bien portant. D’autre part, Marcel rapporta qu'aux obsèques d’un autre fidèle du « clan », Saniette, quelques années après cette soirée, il apprit de Cottard (ressuscité?) qu'une rente avait été payée secrètement à Saniette par les Verdurin. Enfin, surtout, Cottard devint plus tard colonel-médecin pendant la guerre et mourut de surmenage (III, page 769).

- Durant la même soirée, après le concert, Saniette fut renvoyé par M. Verdurin et souffrit d'une attaque aussitôt qu'il le quitta. Marcel relata qu'il mourut quelques semaines plus tard des suites de cette attaque. Or (voir la note ci-dessus) plus tard lors de la soirée, il indiqua que Saniette était mort quelques années après la soirée.

- Toujours durant la soirée chez les Verdurin, il était clair que Mme de Villeparisis était morte. Pourtant, une fois rentré chez lui, Marcel inclut son salon dans la liste des salons qu'il aurait pu visiter s'il n'avait pas été chez les Verdurin ce soir-là.

- Mme Verdurin recevait chez elle le peintre Elstir qui se faisait appeler « Monsieur Biche », mais, plus tard, s’écria : « Elstir ! Vous connaissez Tiche? » (II, page 938) et déclara : « On ne l’appelait chez nous que Monsieur Tiche » (III, page 714).

- Dans ‘’La prisonnière’’, Marcel rapporta la mort de Bergotte quelques heures après avoir rencontré Albertine (III, page 182). Or il fut ressuscité dans ‘’Albertine disparue’’ quand il déclara avoir bien aimé l'article de Marcel publié dans ‘’Le Figaro’’ après la mort d'Albertine. Il apparut aussi au début du ‘’Temps retrouvé’’.

- Mme de Villeparisis, dont la mort avait été rapportée, fut revue dînant avec Monsieur de Norpois à Venise, quand Marcel visita cette ville avec sa mère quelque temps après la mort d'Albertine (III, pages 630-634).

- Marcel rencontra Charlus trois ans après le début de la guerre, donc en 1917 et laissa entendre que la mort du baron allait survenir plus de dix ans après cette rencontre, donc après 1927. Or Proust lui-même mourut en 1922 !

- Lors de la matinée chez le prince de Guermantes, Marcel se vit invité à dîner par Gilberte (III, page 931) puis, quarante-neuf pages plus loin (III, page 980), on lit : « Une grosse dame me dit un bonjour», devant laquelle il lui fallut du temps pour reconnaître Gilberte.

- Marcel trouvait Mme de Forcheville, c’est-à-dire Odette, « pareille à celle d’autrefois » (III, page 948) puis elle avait «l'air d'une rose stérilisée » (III, page 950).

- Il en fut de même du duc de Guermantes au sujet duquel il nota : « J’admirais qu’il était presque le même et seulement plus blanc, étant toujours aussi majestueux et aussi beau » (III, page 1007), alors que, plus tard, il dit de lui : « Je ne l’avais pas aperçu et je ne l’eusse sans doute pas reconnu, si on ne me l’avait clairement désigné. Il n’était plus qu’une ruine.» (III, page 1017).

- Il y eut aussi, lors de cette matinée chez le prince de Guermantes, où devait être donné un « concert mondain » (III, page 856) que Proust oublia, des personnages morts auparavant qui reparurent !
Il est vrai que ces derniers exemples sont extraits du ‘’Temps retrouvé’’, tome que Proust n’a pu corriger. Mais son frère, Robert, et Jacques Rivière étaient censés avoir fait ce travail !

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Conclusion
‘’À la recherche du temps perdu’’, roman fleuve autobiographique à la trame complexe, au déroulement lent, à la structure désordonnée, au texte trop sinueux, où le point de vue subjectif pourtant affirmé n’est pas respecté, ne peut que difficilement être considéré comme un roman, parce que son action, étant sans exposition, sans nœud, sans intrigue, ne présente guère d’intérêt, et que l’auteur a plus accumulé des matériaux qu’il n’a su les organiser, nombre d’entre eux ne semblant pas s'imposer dans la logique narrative. Si Marcel admirait dans ‘’François le champi’’  « les procédés de narration destinés à exciter la curiosité ou l’attendrissement », Proust ne sut guère les mettre en œuvre lui-même ou plutôt ne s’en soucia nullement. Il n'était guère romancier, si l’on désigne par ce mot un écrivain soucieux, avant tout, de raconter une histoire, de donner consistance à un univers fictif. Son oeuvre ne marqua pas un progrès par rapport à l’art du roman de la fin du XIXe siècle : elle fut autre chose.

Ce livre est beaucoup trop un essai, un recueil de réflexions s'exerçant sur les perceptions, les souvenirs et les rêves ; sur l'amour et la jalousie ; sur la mémoire et le temps ; sur l’art et spécialement la littérature.



C’est en tout cas un immense déversoir de ce qu’a vécu et pensé l’auteur, qui impressionne d’ailleurs avant tout par les trois mille pages qu’il occupe et dont s’enorgueillissent les snobs littéraires pour qui il s’agit d’« en être », d’être de ceux qui non seulement ont lu Proust, mais le relisent, ce qui leur permet de se poser un peu là dans ces dîners en ville et ces salons si chers à leur idole !
André Durand
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