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Principes sur la liberté du commerce des grains


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III.
Quesnay, chirurgien à Mantes.


M. E. Grave 27 a trouvé des traces curieuses du séjour de Quesnay à Mantes 28. Lorsqu’il s’installa comme chirurgien dans cette ville en 1718, il avait vingt-quatre ans. Cinq ans plus tard, en 1723, les offices héréditaires des chirurgiens royaux, créés en 1691, furent supprimés ou plutôt délivrés à nouveau par le roi. Quesnay en obtint un par lettres patentes de septembre 1723 ; sa réception par la communauté de Mantes est du 7 janvier 1724.

A quelques jours de là, les maire et échevins de la ville l’inscrivirent sur une liste de trois maîtres parmi lesquels devaient être choisis, par le premier chirurgien du roi, le lieutenant et le greffier de la communauté. Mais Maréchal, premier chirurgien, avait déjà fait son choix et désigné comme lieutenant un certain Bichot qui avait versé « pour la finance de l’état du dit office » une sommé de 400 livres.

Précédemment, en décembre 1723, Quesnay avait été élu marguillier, le second sur trois. Tout d’abord, il avait paru accepter ces fonctions, puis il s’était ravisé et avait allégué que, n’étant pas natif de la ville et étant nouveau paroissien, il n’avait pas à être désigné, qu’il était obligé d’aller auprès des malades à tous les moments de la journée et que, pour la perfection de son art, il devait se rendre très souvent, et pendant un temps considérable, à Paris pour faire des expériences d’anatomie.

En 1726, il fut encore élu marguillier, le second sur trois. Après réflexion, il accepta, mais en protestant contre le rang qui lui avait été donné et en réservant de se pourvoir par les voies de droit contre les prétentions à préséance de celui qui avait été élu le premier et qui était un orfèvre 29.

« Cette contestation, dit Hévin, fut porté devant les juges. Elle mit Quesnay dans le cas de faire sur la chirurgie toutes ces recherches précieuses qui, dans la suite des temps, lui servirent à défendre les chirurgiens de Paris contre leurs adversaires. On trouve dans le factum imprimé qu’il publia contre sa partie un précis clair des droits et prérogatives que la chirurgie avait mérités et obtenus en qualité d’art libéral ». Ce factum n’a pas été retrouvé jusqu’ici. Mais Hévin dit que Quesnay gagna sa cause et qu’il prit sur son concurrent le pas que son titre de maître ès-arts lui donnait, parait-il, de plein droit.

Il ne semble pas que Quesnay ait été un parfait marguillier. Chargé des fonctions du trésorier en 1728, il laissa les comptes en suspens ; ils ne furent apurés que beaucoup plus tard. Mais au commencement de cette année 1728, il avait perdu sa femme de suites de couches, et ce malheur inattendu avait nécessairement troublé sa vie 30. Il restait veuf avec trois jeunes enfants, deux fils et une fille 31.

Les liens qui l’attachaient à Méré furent rompus à peu près dans le même temps. Une des sœurs qu’il y avait laissées, était morte ; une, autre, s’était mariée 32 ; sa mère, restée seule, mourut en 1730, après avoir eu à soutenir plusieurs procès contre des voisins ou des débiteurs. Quesnay vendit sa part d’héritage qui comprenait la maison familiale et une autre petite maison, la première, moyennant une rente foncière de 120 livres, rachetable pour 2.600 livres, la seconde moyennant une rente foncière de 24 livres.

Il nous a retracé, dans une brochure écrite en 1748, la vie du chirurgien de village, allant saigner ou panser dans les campagnes et administrant quelques médicaments, de la tisane, un purgatif, d’autres remèdes simples, bien que l’exercice de la médecine lui fût interdit. Mais le chirurgien ne réclamait de salaire que pour la saignée et donnait ses soins médicaux par-dessus le marché. Les règlements étaient ainsi éludés, à la satisfaction du menu peuple qui évitait l’obligation d’avoir à faire appel aux lumières coûteuses d’un médecin.
Quesnay, ainsi qu’il l’a déclaré, faisait comme tous ses confrères, et exerçait la médecine autant que la chirurgie. Il ne se bornait pas d’ailleurs, en tant que chirurgien, à saigner et à panser ; le diplôme qu’il avait reçu à Saint-Côme lui permettait de pratiquer la grande chirurgie, c’est-à-dire de faire des opérations et des accouchements.

M. Grave nous le montre accouchant secrètement, en 1727, une fille de qualité, se chargeant de mettre l’enfant en nourrice, le présentant au baptême et assistant ensuite, comme témoin, au mariage réparateur.

A ses titres de maître ès-arts, chirurgien reçu à Saint-Côme, Quesnay joignit celui de membre de la Société académique des arts 33 qu’avait récemment instituée à Paris le comte de Clermont avec l’agrément du roi, et il y joignit aussi, d’après les biographes, celui de chirurgien major de l’Hôtel-Dieu de Mantes. En cette qualité, il aurait eu à déployer ses talents, car l’Hôtel-Dieu aurait servi d’asile pendant plusieurs années à un grand nombre de blessés d’un régiment employé à la reconstruction d’une partie du vieux pont sur la Seine, constatation qui ne donne pas une haute idée de l’organisation des chantiers de travaux publics à cette époque.

Actif et très probablement plus instruit que ses confrères, Quesnay n’avait pas tardé à se faire une bonne clientèle. Il ne refusait jamais ses soins, quel que fût le lieu et quelle que fût la saison, dit d’Albon. Il avait surtout de la réputation comme accoucheur, ce qui le faisait appeler dans les châteaux des environs de Mantes.

Une circonstance de ce genre le mit en relations avec la famille de Noailles qui lui témoigna depuis la plus grande bienveillance, ainsi que le prouvent les dédicaces de plusieurs de ses ouvrages 34.

Le vieux Maréchal de Noailles avait dans les talents de Quesnay une telle confiance, racontent les biographes, qu’il conseilla à la reine, lorsqu’elle vint à Maintenon, après ses couches, de ne point amener avec elle de médecins. « Quesnay, précise Hévin, accompagna la reine dans le séjour qu’elle fit à Maintenon, en allant et revenant de Chartres après la naissance du dauphin ». Ainsi que l’a déjà signalé M. Lorin, Marie Leczinska ne fit pas ce voyage en 1729 après la naissance du dauphin, mais en 1732, après la naissance de la princesse Adélaïde. Elle partit de Ver-sailles le 2 mai, coucha à Rambouillet, alla dîner à Maintenon le 27 ; et coucha le soir à Chartres où, le lendemain, elle fit des prières pour remercier le ciel, non de lui avoir donné sa fille, mais de lui avoir donné précédemment un dauphin. Elle se remit en route le 29, dîna à Maintenon et coucha à Rambouillet.

On s’explique difficilement qu’un de ses médecins n’ait pas fait partie de sa suite. Eu égard à la, brièveté du voyage, l’assertion d’Hévin peut renfermer toutefois une part de vérité.

A cette époque, la réputation de Quesnay avait dépassé la région de Mantes ; il venait de remporter une victoire dans une querelle scientifique avec un docteur en renom de la Faculté de Paris, Silva, alors attaché à la maison du comte de Charolais.

Très à la mode, médecin des darnes, en imposant à ses malades par la bizarrerie de ses prescriptions 35, Silva avait publié sur la saignée un livre plus brillant que solide et qui néanmoins avait eu du succès. Le Journal de Verdun avait approuvé, Bœrrhave en avait dit du bien 36.

Silva était, un disciple de la vieille école médicale, imbu des préjugés que la Faculté avait érigés en préceptes. Il soutenait que, pour amener le déplacement des humeurs localisées dans une partie du corps, il fallait nécessairement ouvrir une veine dans une partie opposée. Il ne tenait point compte, dans ses explications, de la contractilité du tissu artériel et semblait raisonner sur le sang comme s’il s’était agi d’un liquide quelconque coulant dans des tuyaux passifs.

Quesnay se mit à étudier la question et à faire des expériences d’hydrostatique. Quand il fut sûr de son sujet, il rédigea une réfutation des principes de Silva.

Mais avant de publier sou travail, il le communiqua à quelques amis qui lui conseillèrent de ne point s’attaquer, lui, petit chirurgien de province, à un prince de la science. L’un d’eux, le Père Bougeant, prit le manuscrit, le montra à Silva et engagea ce dernier à s’aboucher avec Quesnay. Silva n’eut pas l’air de comprendre. Il se ravisa ensuite, mais il était trop tard ; Bougeant avait rendu le manuscrit. Silva s’adressa alors au maréchal de Noailles pour avoir une entrevue avec Quesnay. L’entrevue eut lieu en présence de plusieurs personnes ; Silva affecta un ton de supériorité et de persiflage qui n’empêcha pas le chirurgien de Mantes de réunir en sa faveur les suffrages des assistants.

Celui-ci donna sa réfutation à l’impression ; le censeur, ami de Silva, la retarda pendant près d’un an et il fallut que Quesnay allât solliciter le chancelier d’Aguesseau pour que l’interdit fût levé. La permission fut enfin octroyée le il août 1729 37 et la réfutation parut sous le titre d’Observations sur les effets de la saignée 38

Silva voulut alors préparer une seconde édition de son livre et y insérer une réplique à Quesnay ; dans ce but, il convoqua chez lui deux membres de l’Académie des sciences, Bertin et Clairaut 39. Le résultat de la conférence fut que la seconde édition ne serait pas publiée. À la mort de Silva, on trouva chez lui des « morceaux décousus » qu’il n’avait pas employés 40.

« M. Silva, a pu écrire Quesnay, a été forcé de se rendre à mes principes, malgré toutes les tentatives que l’on sait qu’il a faites pour en élu-der la démonstration » 41.

On voit que dès sa jeunesse, Quesnay aimait le combat : soucieux de la dignité de sa profession, il la défendit contre les prétentions d’une autre corporation en faisant un procès de préséance à un orfèvre ; conscient de sa valeur personnelle, il réfuta un médecin célèbre et fit preuve alors d’indépendance de caractère et d’esprit.

Bien que chirurgien, il s’éleva contre l’usage abusif et souvent dangereux de la saignée 42. Quoique dépourvu de grades à la Faculté, il s’at-taqua à la routine médicale : « On m’opposera sans doute l’expérience, dit-il, mais de quelle autorité peut être, vis-à-vis de connaissances précises et évidentes, l’empirisme obscur et équivoque des patriciens dominés par d’anciens préjugés auxquels ils se sont livrés aveuglément ? »

      1. IV.
        La Communauté de Saint-Côme
        et la Faculté de médecine.


La querelle entre Quesnay et Silva s’était engagée au moment où la lutte séculaire entre les chirurgiens de Saint-Côme et la Faculté de médecine venait de se raviver.

Sous l’ancien régime, les chirurgiens étaient organisés en communautés, tout comme les gens de métiers, et il y avait en France autant de communautés de chirurgiens que de localités de quelque importance. Chacune avait sa bannière qui portait sur champ, ou des lancettes, ou une scie, ou des rasoirs, ou encore une boîte à outils. Chacune se recrutait elle-même ; sous la surveillance de chirurgiens jurés, elle faisait passer des examens aux candidats et leur délivrait des lettres de maîtrise.

« Les réceptions, a pu dire Fourcroy 43, présentaient encore plus d’arbitraire et moins de sécurité pour leurs choix que celles des médecins. Les communautés étaient trop multipliées et le droit de recevoir trop répandu ; elles admettaient à des épreuves trop simples et à des expériences trop légères, comme on les appelait, des sujets trop peu instruits pour leur confier la vie des hommes ».

Presque partout, les chirurgiens n’étaient que de simples barbiers ; beaucoup d’entre eux étaient illettrés ; quelques-uns savaient à peine lire.

Les réceptions n’étaient et ne pouvaient être sérieuses que dans les très grandes villes.

À Paris, la communauté des chirurgiens de Saint-Côme, dont l’origine remontait, disait-on, à saint Louis, comptait des praticiens de premier ordre. Elle possédait un collège bien organisé et qui, par un enseignement basé sur les études anatomiques surpassait à beaucoup d’égards la Faculté de médecine où les cours étaient dits savants, parce que l’on y parlait latin et que l’érudition y tenait la première place.

Instruits pour la plupart, préparés à l’exercice de leur profession, les chirurgiens de Saint-Côme faisaient une concurrence sérieuse aux médecins 44. Pour certaines maladies, le public intéressé les préférait aux docteurs de la Faculté.

Celle-ci prétendait pourtant depuis longtemps que les chirurgiens, qu’ils fussent de Saint-Côme ou d’ailleurs, étaient des artisans subordonnés aux médecins, qu’ils pouvaient avoir une plus ou moins grande habileté de main, mais qu’ils étaient incapables d’agir sans être dirigés par des docteurs, attendu que leur éducation n’élevait guère leur esprit au-dessus des sens. Leur travail était regardé comme manuel. « Les médecins, gens de bonne compagnie, n’usaient point de la lancette et du bistouri et plusieurs d’entre eux préféraient en l’absence du barbier, leur aide habituel, laisser mourir leur malade que de lui ouvrir eux-mêmes la veine 45. »

La Faculté prétendait de plus au monopole de l’enseignement. Ses professeurs, « maîtres supérieurs en l’art de guérir 46 », peuvent seuls, disait-elle, donner des leçons et délivrer des diplômes ; il ne peut y avoir dans l’Université un établissement autonome où l’on fasse passer des examens, où l’on donne des grades et qui forme une cinquième faculté ; les cours doivent y être de qualité inférieure, les examens dérisoires, les grades irréguliers, puisque les professeurs diplômés y sont étrangers.

Telle était pourtant la situation de fait du collège de la communauté de Saint-Côme ; il avait toujours été considéré comme faisant partie de l’Université et néanmoins il était resté à peu près indépendant de la Faculté de médecine.

Les chirurgiens purent raconter plus tard qu’un jour d’hiver la Faculté voulut s’emparer de leur collège, qu’elle y vint toute entière en grand costume et précédée d’huissiers, mais qu’elle attendit vainement sous la neige que les portes s’ouvrissent devant elle ; que, vaincue humiliée, elle dût se retirer sous les huées des assistants. Mais les médecins purent dire aussi que les chirurgiens aient écrit en lettres d’or sur leur maison de Saint-Côme : Collegium chirurgicum, et qu’ils furent contraints d’effacer cette annonce incorrecte 47.

Des procès étaient engagés depuis des siècles entre les deux professions rivales ; des décisions judiciaires, des lettres patentes, un indult du pape, étaient invoqués par les parties. Toutes deux comptaient des victoires, presque toujours dues à l’intrigue ; quand le premier chirurgien du roi avait la confiance de son maître, la communauté de Saint-Côme obtenait quelque décision conforme à ses intérêts ; quand, au contraire, les médecins étaient en faveur à la cour, la Faculté triomphait.

Celle-ci avait eu pour politique d’opposer aux chirurgiens les barbiers, organisés eux aussi en communauté. Elle avait ouvert des leçons en français pour ses protégés, leur avait délivré des brevets, leur avait promis que les médecins les emmèneraient avec eux au chevet des malades. Ainsi que l’a proclamé un professeur de la Faculté, les médecins « savaient faire des chirurgiens quand ils le jugeaient à propos ».

Blessés dans, leur amour-propre, atteints dans leurs intérêts par la concurrence qui leur était suscitée, les chirurgiens de robe longue s’étaient efforcés de faire établir que les barbiers étaient les « domestiques des chirurgiens » et que leurs attributions avaient été strictement limitées par la loi au pansement des « clous, bosses et plaies légères », à la saignée dans les cas pressants.

A un certain moment, le collège de Saint-Côme avait crû habile de se rapprocher des barbiers et de leur donner aussi des leçons appropriées à leur faible instruction. Le résultat avait été désastreux pour la chirurgie. Barbiers et chirurgiens avaient été soumis tous ensemble en 1613 à la juridiction du premier barbier du roi, et deux ans plus tard, la corporation des barbiers avait été unie au « Corps des professeurs chirurgiens du collège royal de l’Université 48 ».

Cette fusion avait porté une grave atteinte, au prestige de la chirurgie. L’école de Saint-Côme avait essayé de se défendre en  rendant plus difficile la réception à la maîtrise ; les barbiers avaient alors sollicité l’appui de la Faculté et avaient renouvelé avec elle le contrat par lequel elle s’était engagée à leur donner un enseignement et leur procurer des emplois 49.

Les chirurgiens de Saint-Côme s’étaient adressés en vain au Parlement pour être séparés des barbiers ; un arrêt suivi de lettres patentes de mars 1656 avait confirmé l’union des deux communautés 50.

La Faculté, rendue plus exigeante par le succès, obligeait le prévôt de Saint-Côme à venir jurer devant elle chaque année que les chirurgiens ne donneraient aucun remède interne. Elle n’ignorait pas que ce serment ne serait pas respecté, mais elle y voyait un hommage, une preuve de vassalité. La prestation de serment était accompagnée du paiement d’une redevance, et c’était là un détail que les corporations perdaient rarement de vue.

En 1716, le prévôt de Saint-Côme, invoquant des scrupules de conscience, refusa le serment. Un nouveau procès s’engagea. Il n’eut pas une issue p1us rapide que tous ceux qui l’avaient précédé. Ainsi que l’a dit Barbier 51, les procès étaient « appointés pour ne pas être sitôt jugés ».

Les choses en étaient là, lorsque Maréchal, premier chirurgien du roi, obtint une décision 52 instituant au collège de Saint-Côme des chaires de démonstrateurs royaux, avec des appointements assignés sur le domaine, et remettant le collège en possession de ses droits sur un hôpital où deux maîtres chirurgiens nommés par le roi soignaient les pauvres infirmes. C’était un succès sérieux pour les chirurgiens, puisque la régularité de l’enseignement, donné par leur collège était implicitement reconnue. Aussi la Faculté fit-elle opposition 53 à l’exécution de la décision royale, et demanda-t-elle que le terme d’école qui s’était « glissé dans les lettres-patentes fût retranché ». Mais les chirurgiens tinrent bon et en 1726, trois chaires sur cinq furent ouvertes 54.

La lutte prit en même temps une nouvelle forme. Au lieu de se battre à coup de mémoires juridiques et d’exploits, les deux parties mirent le public dans la confidence de leurs dissensions et se lancèrent à la tête une foule de brochures et de libelles.

Un des chirurgiens les plus en renom, Petit, avait, publié un Traité sur les maladies des os. Le doyen de la Faculté, Andry, lit du livre une critique acerbe et attaqua à cette occasion tous les chirurgiens, leur déniant le droit de s’occuper de médecine et la science nécessaire pour en parler. La chirurgie est la sujette de la médecine, dit-il ; les chirurgiens ont reconnu depuis longtemps l’infériorité de leur profession, car ils peignent sur leurs enseignes deux docteurs en grand costume (robe rouge, hermine et bonnet).

Dans un autre pamphlet, écrit avec esprit, Le chirurgien-médecin 55, un second docteur se moqua de l’ignorance des chirurgiens. Sur 400 ou 500 d’entre eux existant à Paris, affirma-t-il, on n’en compte guère 20 ou 30 sachant leur art ; le reste est composé de fraters qui ont passé douze ans de leur vie à faire la barbe et à accrocher les auvents à la boutique de leur patron. Tous cependant ont la prétention de pratiquer la médecine 56.

Un chirurgien répondit et se moqua de l’ignorance des étudiants en médecine, plus souvent occupés qu’il ne convenait, à se délasser, en compagnie des docteurs, au cabaret du Petit père noir 57.

Les médecins répliquèrent et racontèrent que les épreuves subies à Saint-Côme n’étaient pas toujours complètes, que des diplômes étaient délivrés au rabais, que des questions ridicules étaient posées au candidat, et, comme preuve, ils citèrent un manuel récemment paru, sous le titre de Guidon du chef-d’œuvre de Saint-Côme 58.

Or le « galimatias 59 » du Guidon émanait d’un chirurgien chassé de la corporation qui avait rédigé son manuel sur les conseils et avec l’approbation du doyen de la Faculté 60.

L’auteur du chirurgien-médecin, tout pénétré de la grandeur de la médecine, avait attaqué aussi les apothicaires. Ceux-ci commençant à se soulever, la Faculté craignit d’avoir de nouveaux ennemis sur les bras, et par l’organe d’Andry désavoua le maladroit pamphlet 61. Mais elle publia presque en même temps un discours prononcé six ans auparavant par un de ses membres à l’ouverture des leçons françaises de la Faculté 62 et dans lequel la chirurgie était représentée comme une profession d’un rang trop infime pour nécessiter une instruction sérieuse de la part de ceux qui voulaient l’exercer.

Tout ceci se passait en 1726. Aux pamphlets succédèrent des mémoires juridiques 63 ; vint aussi la querelle sur la saignée entre Silva et Quesnay, qui fut en quelque sorte un incident de la lutte générale. Un biographe dit même que ce fut pour donner une preuve de son savoir à La Peyronie que le chirurgien de Mantes réfuta Silva et La Peyronie était alors l’âme de la défense des chirurgiens contre la Faculté.


      1. V.
        L’Académie de Chirurgie.


Riche, actif, influent, La Peyronie était pour la Faculté un redoutable adversaire. C’était lui qui avait obtenu la création des chaires au collège royal de Saint-Côme en 1723, plus encore que le premier chirurgien du roi Maréchal, dont il avait la place en survivance depuis 1717.

Il songeait maintenant à constituer un organisme qui achevât de relever la chirurgie de l’ignominie dont les médecins voulaient la couvrir : c’était une Académie de chirurgie, sur le modèle de l’Académie des sciences.

Dans un ouvrage, à la rédaction duquel Quesnay a pris part, l’Histoire de la chirurgie 64, le but de La Peyronie est ainsi indiqué :

« Il voulait une Académie pour recueillir les travaux des chirurgiens français et conserver à la postérité les connaissances répandues parmi tant d’hommes éclairés 65.

« Avant qu’on eût formé de tels établissements pour les sciences physiques, on se plaignait de leur stérilité ; le goût des hypothèses infectait les esprits ; chaque physicien se persuadait qu’il pouvait soumettre la nature entière à l’imagination... Mais dès qu’on a rassemblé des faits, les philosophes sont devenus plus sages. Ils ont vu que la nature ne pouvait se dévoiler que par des observations réitérées. Ce n’est qu’en les consultant qu’on a cru pouvoir remonter aux principes, ou plutôt aux causes immédiates, car pour ce qui est des principes ils sont cachés dans la profondeur de la nature, qui, selon les apparences, ne se dévoilera jamais à nos yeux ».

Ce que La Peyronie désirait, c’était faire sortir les chirurgiens de leur routine en leur infusant des connaissances théoriques et prouver en même temps, par la publication de leurs mémoires, qu’au milieu de praticiens illettrés, se trouvaient des savants capables d’imposer le respect à leurs rivaux de la Faculté.

Les statuts de l’Académie furent dressés en 1730 ; la première séance plénière fut tenue le 18 décembre 1731 66.

Les « officiers » qui composaient le bureau, étaient pour la plupart des hommes distingués, mais aucun d’eux n’avait des connaissances générales assez étendues pour imprimer une direction scientifique aux travaux de l’Académie. Le directeur, Petit, ne savait pas le latin ; il se mit à l’apprendre à 46 ans.

La Peyronie voulut s’assurer le concours de Quesnay. « Il le rencontrait assez ordinairement chez le Maréchal de Noailles, dit Hévin, et ce fut dans ces conférences fréquentes que le premier chirurgien du roi conçut de lui cette idée haute et distinguée qui le lui fit peu d’années après envisager comme le seul homme qu’il pût mettre à la tête de l’Académie comme secrétaire ».

Un des biographes de Quesnay dit au contraire que ce fut par l’intermédiaire de Garengeot, dentiste célèbre, que les deux chirurgiens entrèrent en relations 67.

Quelle qu’en ait été l’origine, ces relations furent très suivies et il est probable que La Peyronie pensa a confier à Quesnay le soin de diriger les travaux de l’Académie longtemps avant d’avoir pu réaliser son désir.

Il fallait, en effet, que Quesnay vint habiter Paris et abandonnât la position qu’il s’était créée à Mantes. Il fallait que la place de secrétaire d’Académie, occupée par Morand, fût vacante. Il fallait, d’après les statuts, que Quesnay fût membre du collège de chirurgie et eût des diplômes équivalents à ceux des professeurs de ce collège. Or le chirurgien de Mantes n’avait d’autre grade que celui de maître reçu à Saint-Côme.

En 1734, le duc de Retz, devenu duc de Villeroi et gouverneur de Lyon, par la mort de son père 68, prit Quesnay comme médecin-chirurgien de sa maison, et un peu plus tard, en 1739, par un de ces abus si fréquents sous l’ancien régime, le gratifia d’une charge de commissaire des guerres dont il avait la nomination. Quesnay toucha les revenus de cette charge jusqu’à sa mort. Il accompagnait le duc de Villeroi dans ses voyages, soit à Lyon, soit à l’armée, mais son domicile principal était, rue de Varennes, à l’Hôtel du Duc, et les occupations de son emploi n’étaient pas assez absorbantes pour l’empêcher de se livrer à des travaux personnels.

La Peyronie, de son côté, procura à Quesnay, le 8 novembre 1736, une charge de chirurgien-juré près la Prévôté de l’hôtel 69 et lui prêta 3 000 livres pour en payer le prix. Cette charge conférait l’agrégation à la communauté de Saint-Côme et au collège de chirurgie ; Quesnay fut reçu au collège le 3 août 1737 ; l’année suivante, il obtint un brevet de professeur royal pour la chaire des médicaments chirurgicaux 70.

Morand avait, abandonné sa place de secrétaire de l’Académie et avait été remplacé momentanément par Petit, puis par son fils.

En 1740, le 21 juin 71, Quesnay fut agréé par le roi pour prendre cet emploi dont il exerça les fonctions jusqu’en 1748 et qu’il conserva nominalement jusqu’en 1751. 72 Il eut ensuite le titre de secrétaire vétéran.

Quesnay travailla pour sa Compagnie aussitôt après sa désignation, rédigeant des mémoires sur la suppuration 73 et sur la régénération des chairs 74, faisant des rapports sur des concours et composant à cette occasion des précis sur les diverses espèce de remèdes, répercussifs 75, résolutifs 76, émollients 77, détersifs 78, dans les maladies chirurgicales 79.

Il ne manquait pas de donner à ses confrères des conseils que l’on retrouve fréquemment sous sa plume : « Il ne suffit pas de pratiquer la médecine ou la chirurgie pour pouvoir discerner avec sûreté l’efficacité des remèdes ; il faut, pour découvrir au juste leurs véritables effets, avoir acquis bien des connaissances que, le seul exercice de l’art de guérir, joint au génie même le plus pénétrant, ne peut jamais nous donner ».

En 1743, il justifia plus complètement la confiance de La Peyronie en publiant le premier volume des Mémoires de l’Académie 80. Il inséra dans ce volume plusieurs articles de lui et une Préface que ses amis ont mise au niveau de celle que Fontenelle avait rédigé pour le premier volume des Mémoires de l’Académie des sciences. L’abbé Desfontaines prononça même le mot de chef-d’œuvre, tout en signalant que la thèse de l’auteur avait quelque rapport avec celle que Clifton avait proposée dans l’État de la médecine ancienne et moderne.

Dans cette introduction, Quesnay développa l’idée qu’il avait déjà esquissée dans ses premières communications à l’Académie 81 et qu’on retrouve dans le passage de l’Histoire de la chirurgie que nous avons cité plus haut.

Il fit observer aux chirurgiens que, pour bien exercer leur art, il ne suffit pas d’avoir de l’habileté de main et d’acquérir des connaissances d’observation par une pratique de tous les jours ; les connaissances tirées des expériences physiques, c’est-à-dire de l’anatomie et de la chimie principalement, sont aussi essentielles. Elles peuvent quelquefois conduire à des opinions erronées en faisant rejeter trop rapidement les données fournies par la pratique. C’est ainsi qu’après les découvertes d’Hervey, les médecins passèrent de la crédulité à un mépris excessif pour toutes les opinions anciennes. Mais l’observation et l’expérience peuvent se compléter et c’est en réalité par leur secours combiné qu’on, peut arriver à la certitude. Dans bien des cas, celle-ci fait malheureusement défaut ; on n’a alors pour se conduire que la conjecture et l’analogie, moyens d’in-vestigation utiles, mais dangereux, surtout dans les mains de praticiens mal préparés à raisonner par leurs études préalables.

Les chirurgiens doivent donc s’instruire, concluait-il ; ceux d’entre eux qui ont perfectionné l’art avaient développé leur esprit par l’étude des langues savantes, par la culture des belles-lettres et de la philosophie. Si ces hommes distingués avaient pu grouper leurs efforts dans des Sociétés consacrées aux recherches nouvelles, les progrès qu’ils ont provoqués auraient été plus grands. L’Académie de chirurgie comble cette lacune. Grâce à elle, pourront désormais s’introduire dans l’art les connaissances tirées de la physique, de l’anatomie, de la chimie et aussi de la mécanique qui permet de construire des instruments et de doubler les forces des opérateurs.

Dans la Préface que nous venons de, résumer les commentateurs de Quesnay ont vu surtout un travail de philosophie. Sans doute, à ce point de vue, elle a de l’intérêt ; elle renferme un bon exposé de la méthode à suivre dans les sciences d’observation. 82 Mais elle fut aussi une œuvre de circonstance ; l’appareil philosophique dont elle était revêtue était destiné à couvrir les conseils que Quesnay entendait donner à tous les praticiens de son temps, qu’ils s’appelassent médecins ou chirurgiens 83. Il visait tout ensemble les habitudes conjecturales des docteurs, et la vanité des chirurgiens qui s’imaginaient, parce qu’ils étaient dépourvus d’instruction libérale, que les connaissances théoriques sont inutiles et que la pratique suffit à tout.

Il ne pouvait oublier la lutte engagée entre les deux professions, car, depuis plusieurs années, il y prenait une part très active.


      1. VI.
        Quesnay contre la Faculté.


Cette lutte était devenue plus âpre en 1733, à propos de la question de savoir si les chirurgiens pouvaient traiter les maladies spéciales pour lesquelles ils avaient la faveur du public intéressé. Dans une brochure 84 dont les chirurgiens ont pu dire que c’était « un libelle indécent adopté par le Corps entier de la Faculté, muni du sceau de son approbation, distribué par elle publiquement », tout droit à cet égard avait été dénié aux chirurgiens.

Un médecin, Maloet 85, soutint ensuite, à l’École de médecine, cette thèse insidieuse : An chirurgia pars medicinæ certior ? Ce fut Quesnay qui lui répondit au nom des chirurgiens 86.

Nous avons avancé que ses biographes ont donné peu d’indications sur sa participation à la défense des chirurgiens contre la Faculté. D’Albon, Romance, n’en disent rien ; Grandjean de Fouchy se borne à ce paragraphe :

« Il eut la plus grande part non seulement au ouvrages polémiques, mais encore aux mémoires juridiques qui parurent pendant l’intervalle de sept ans que dura cette grande affaire ; le chirurgien devint antiquaire, jurisconsulte, historien. Parmi tous les ouvrages que les circonstances exigèrent de lui, celui qu’il affectionna le plus était l’écrit imprimé en 1748 et intitulé : Examen impartial des contestations. Ce n’était pas sûrement le temps qu’il y avait employé qui lui avait inspiré cette affection, car il fut conçu et exécuté en dix ou douze jours ».

Dans la note manuscrite dont Grandjean de Fouchy s’était servi, Hévin avait été un peu plus explicite : « La fameuse déclaration » de 1743 donna lieu au trop célèbre procès qui a duré sept ans entre les deux corps. On sait toute la part qu’a eue Quesnay à la plus grande partie, non seulement des ouvrages polémiques, mais même aussi des mémoires juridiques qui furent publiés dans ce long intervalle. Mais, de tous ces ouvrages, le seul dont il ait toujours parlé avec une sorte de satisfaction intérieure, c’était l’Examen impartial des contestations, qu’il conçut et exécuta en dix ou douze jours ».

De ces déclarations, résulte que l’Examen impartial ne fut pas le seul écrit polémique de Quesnay et, en effet, il en publia beaucoup d’autres.

Hévin est, toutefois, inexact sur un point. La lutte contre les médecins dura beaucoup plus de sept ans ; elle commença bien avant 1743 et Quesnay y prit part plusieurs années auparavant.

Il existe à la Bibliothèque nationale un recueil factice et unique en son genre qui renferme presque toutes les brochures publiées au cours de cette lutte. D’après une note manuscrite 87, placée en tête de la collection, elle aurait été commencée par Quesnay, puis continuée par Hévin père et par Hévin fils. C’est à la vente de ce dernier qu’elle fut achetée.

En feuilletant cet énorme recueil, on constate que les noms des médecins et des chirurgiens, à qui il est fait allusion à un titre quelconque dans les brochures, sont dévoilés par des indications à la plume et on acquiert bientôt la certitude que ces indications émanent d’une personne bien renseignée sur les faits.

La première pièce signalé comme étant de Quesnay est une Réfutation de la thèse de Maloet 88.

« Les médecins, accoutumés aux ténèbres de leur science conjecturale, ont voulu prouver que la chirurgie est de toutes les parties de la médecine la plus incertaine », dit l’auteur, et il s’amuse alors à montrer la naïveté des préceptes enseignés à l’École de médecine, la diversité des opinions médicales, le mépris des médecins étrangers pour les médecins français, les disputes incessantes entre ces derniers.

Un médecin, Santeuil, répliqua par deux brochures, la première en latin avec le français en regard 89, sans doute pour la mettre à la portée des chirurgiens, la seconde en français 90. Il reprocha à l’auteur de la Réfutation, dont la paternité était attribuée à Petit, d’avoir prêté aux médecins des sentiments qu’ils n’avaient point et cela, faute de savoir le latin, pour avoir traduit la phrase : An chirurgia pars medicinæ certior?, par « La chirurgie est la partie la plus incertaine de la médecine ».

L’abbé Desfontaines, qui avait publié la Réfutation dans son journal, jeta les hauts cris : « Si, dit-il, vous connaissiez celui dont vous parlez, vous ne parleriez pas ainsi. Mais un chirurgien avoir raison contre un médecin, c’est insensé! »

Maloet et d’autres 91 vinrent appuyer Santeuil et affirmèrent que les prétentions des médecins avaient été dénaturées, qu’ils n’avaient jamais songé à attaquer la chirurgie.

Quesnay n’eut pas de peine à établir, dans une seconde pièce 92, que les médecins avaient porté les premiers coups et dans quel but, par avidité, pour exiger des aspirants à la maîtrise le paiement de droits.

« La médecine, dit-il, est nécessairement conjecturale et jamais l’autorité de l’opinion n’a autant partagé les maximes d’aucun autre art. Sans doute, tous les dogmes médicaux ne sont pas contestés, mais il s’en faut bien que la portion généralement admise « s’étende aussi loin que la profession du commun des médecins qui, certainement, entreprennent beaucoup au-delà, non seulement de leurs connaissances, mais même des décisions qu’ils peuvent raisonnablement fonder sur des conjectures. »

En dépeignant la vie du chirurgien de village, l’auteur le montre obligé d’acquérir de la prudence, tandis que les médecins se font remarquer par la témérité de leurs médications.

« La seule envie de dominer, conclut-il, a fait porter le trouble et la dissension dans deux professions qui, également libres, également nobles, également occupées du plus intéressant de tous les objet, ne sauraient trop se ménager, quand ce ne serait que pour l’honneur de ceux qui les cultivent ».

Desfontaines applaudit à ce langage et alla jusqu’à dire que le plus beau chapitre de la Recherche de la Vérité ne dépassait pas la réponse des chirurgiens pour la justesse des idées et la netteté du style. « Voilà, s’écria-t-i1, comme écrivent ces gens sans scrupule et sans éducation ! »

La querelle s’envenima ; les brochures devinrent plus acerbes sous la plume du médecin Procope Couteaux 93 et sous celle du doyen Andry 94. Quesnay adressa à ce dernier une Réponse à Cléon 95 où il divulgua les procédés employés par la Faculté qui provoquait la publication d’ouvrages ridicules 96 par des chirurgiens ignorants et s’en servait ensuite pour se moquer de tous les chirurgiens.

Puis, les deux parties se battirent sur le terrain pratique, à l’occasion de la publication par le médecin Astruc d’un traité De morbis Veneris, les médecins voulant interdire aux chirurgiens de s’occuper de ces maladies.

Quesnay fut encore un de ceux qui répondirent à l’auteur du traité. Dans une première brochure 97, faisant allusion aux tendances des médecins à l’accaparement, il leur dit : « Il me semble entendre ce philosophe dont le spectacle a tant de fois enrichi la scène, qui, sous prétexte que la philosophie est la connaissance de toutes les choses par leurs causes..., veut arracher le timon des affaires au magistrat politique, l’épée au guerrier, la justice au juge, le pinceau au peintre, le ciseau au sculpteur, le compas à l’arpenteur... »

Dans d’autres brochures qui formèrent, avec la première, douze lettres signés « M..., chirurgien de Rouen 98 », Quesnay attaqua plus vi-goureusement l’auteur du traité De morbis Veneris. Les pamphlets de ce dernier conservés dans le Recueil dont nous avons parlé sont lardés de coups de crayon, sans doute de la main de Quesnay, pour marquer les passages à réfuter.

Dans une de ses lettres, le prétendu chirurgien de Rouen attaqua directement Astruc :

« Peut-être que ma paresse n’aurait pas fui les savants travaux qui l’ont rendu redoutable dans les disputes ; mais l’empreinte que ces travaux laissent dans mon esprit m’a toujours effrayé. Le ton décisif et imposant, l’appareil des démonstrations, l’ordre ennuyeux des dissertations, la présomption qu’inspirent des recherches que les yeux ont faites plutôt que l’esprit, tous ces défauts si familiers à quelques savants m’ont dégoûté d’une vaste érudition ; disciple de la nature, le l’ai suivie dans ses détours. »

Un peu plus loin, se trouve cette phrase que Grandjean de Fouchy semble avoir copiée pour l’appliquer à Quesnay :

« Je pourrais dire sur le même ton que M. de Fénelon écrivant à M. de la Mothe : Vous savez transformer le médecin en théologien, en jurisconsulte, en antiquaire. »

Dans les autres lettres, Quesnay se moque des médecins en général :

« Ils sont si persuadés de l’utilité du babil, qu’il y en a beaucoup qui préparent pour chaque maladie des discours qu’ils débitent dans les consultations. Ne disait-on pas, quand Chirac consultait : « Écoutons cet orateur qui s’est préparé avant d’avoir vu le malade. »

Puis, revenant à Astruc, le chirurgien lui lança ce trait : « Nous ne refusons pas nos hommages à l’érudition ; ce que nous blâmons, c’est un savoir déplacé... Qu’un médecin fasse sérieusement divers personnages en même temps ; que, comme un acteur universel, il paraisse en antiquaire, en naturaliste, en médecin, en chirurgien, etc., c’est le comble du ridicule ».

Les sarcasmes de Quesnay ne dépassaient pas toutefois les bornes de la politesse. Plusieurs de ses confrères furent moins mesurés 99 ; on parla du brigandage de la médecine 100 et nécessairement aussi du brigandage de la chirurgie. Les attaques devinrent, personnelles : un médecin 101 signala que Quesnay avait publié deux ouvrages sur des questions médicales sans avoir obtenu l’agrément d la Faculté et le menaça de poursuites. Le fait était exact : en 1736, Quesnay avait publié l’Essai physique sur l’économie animale et L’Art de guérir par la saignée, sans que ces deux ouvrages eussent été accompagnés, comme d’usage, l’approbation du doyen. Quesnay s’en était expliqué dans la préface de ce dernier ouvrage. Après avoir cité les approbations qu’il avait, reçues, il avait ajouté :

« On y pourrait joindre aussi celle de la Faculté de médecine de Paris, parce qu’elle avait nommé deux de ses membres pour examiner l’ouvrage et que, sur le rapport de ces deux savants. Docteurs, elle l’a trouvé digne de ses éloges. Mais pour des motifs qui ne regardent ni le livre ni l’auteur, elle a jugé à propos de supprimer son suffrage ». Il est vraisemblable que la part prise par Quesnay à la lutte contre la Faculté n’avait pas été étrangère à cette décision.

D’autres médecins 102 attaquèrent vivement l’abbé Desfontaines qui soutenait la cause de la chirurgie dans ses Observations sur les écrits des Modernes.

Ils prétendirent qu’il était à la solde des chirurgiens et qu’il refaisait leurs écrits. « Nous savons, disaient-ils, que Petit paye la polémique, nous savons d’un imprimeur de Rouen qu’il a fait composer à ses frais les douze lettres d’un chirurgien de Rouen 103. »

Desfontaines se défendit énergiquement d’avoir prêté le concours de sa plume ; il avoua que les chirurgiens l’avaient consulté sur leurs deux premiers opuscules, mais, ajouta-t-il, « ils étaient entièrement achevés quand ils me firent cet honneur ; ils ont cru avec raison que cela était inutile, en sorte que je n’ai vu leurs autres écrits qu’avec le public ».

Il est toujours facile de nier ce qui ne peut être prouvé ; mais les chirurgiens auraient commis une imprudence s’ils avaient donné leurs brochures à l’impression sans les avoir fait revoir par un homme de lettres ; il nous semble probable que l’abbé Desfontaines fut plus ou moins leur teinturier.

Sa collaboration à l’Histoire de la chirurgie est admise par les bibliographes. Quesnay qui rédigea les mémoires présentés en justice par les chirurgiens a dû aussi prendre une large part à la composition de ce gros ouvrage dont La Peyronie fit lire, avant l’impression, des morceaux à L’Académie de chirurgie 104 et qui contient comme annexe une foule de documents sur la communauté de Saint-Côme, On ne doit pas oublier ce qu’a dit Hévin de l’importance des recherches juridiques faites par son beau-père. L’intervention de Desfontaines n’empêcha pas toutefois l’Histoire de la chirurgie d’être indigeste, Le livre était destiné à prouver que le collège de chirurgie avait toujours été indépendant et que des chirurgiens célèbres en étaient sortis. Avec beaucoup moins de pages, le but aurait pu être atteint.

Le public donnait en général raison aux chirurgiens. « Deux circonstances leur ont été favorables, dit Barbier ; la première, la perfection de leur art qui a été portée à un haut degré, qui leur a attiré l’approbation et la confiance des grands et du public... ; la seconde, la grande faveur de La Peyronie, premier chirurgien du roi, qui est un homme d’esprit, et entreprenant, et fort supérieur par le crédit et par l’intrigue à M. Chicoyneau, premier médecin du roi, qui est un homme tranquille 105 ».

Devenu premier chirurgien en 1736 à la mort de Maréchal, nommé en 1742 médecin consultant du roi, La Peyronie était très aimé de Louis XV et de plusieurs personnes puissantes, entre autres de Mme de la Tournelle 106, qui allait être créée duchesse de Châteauroux.

En 1743, le 23 avril, il obtint une Déclaration qui sépara définitivement les chirurgiens d’avec les barbiers.

« L’École de chirurgie, est-il dit dans le préambule de cette déclaration, a mérité depuis longtemps d’être considérée comme l’école presqu’universelle de notre royaume... Nous savons que le désir de se rendre toujours de plus en plus utiles au bien public a inspiré aux plus célèbres chirurgiens de la même école, le dessein de rassembler les différentes observations et les découvertes que l’exercice de leur profession les met à portée de faire pour en former un recueil dont le premier essai vient d’être donné au public...

« Les chirurgiens de cette école ont justifié par l’importance de leur découvertes, les marques d’estime et de protection que les rois ont accordées à une profession importante pour la conservation de la vie humaine, mais les chirurgiens de robe longue qui en avaient été l’objet ayant eu la faculté de recevoir par lettres patentes de mars 1656 un corps entier de sujets illettrés qui n’avaient pour partage que l’exercice de la Barberie et l’usage de quelques pansements aisés à mettre en pratique, » l’école de chirurgie s’avilit bientôt par ce mélange d’une profession inférieure. »

En conséquence, il fut décidé que le brevet de maître en chirurgie à Paris ne serait dorénavant donné qu’à ceux qui auraient préalablement obtenu le titre de maître ès-arts dans une des universités du royaume et « la Barberie fut réservée à la communauté des maîtres barbiers-perruquiers étuvistes. »

« Le procès est jugé tacitement, note Barbier en juin 1743, et perdu pour les médecins. Il n’est plus question d’hommage. Il y a plus ; tous ceux qui seront reçus dans la suite, étant lettrés, joindront à la science de la chirurgie et de l’anatomie la connaissance de la médecine et dans quinze ans d’ici seront préférés aux simples médecins dont la science, en effet, n’est que conjecturale. »

« La victoire, dit aussi Hévin, était le fruit et la récompense du premier volume des mémoires que l’Académie de chirurgie présenta au roi. »

Elle était due plus encore à l’influence personnelle de La Peyronie, mais elle ne fut pas aussi complète que le pensait Barbier et que l’espéraient les chirurgiens.

Interprétant la déclaration, ils avaient supposé qu’elle rendait le collège de chirurgie entièrement indépendant de la Faculté. Comme ils avaient, convoqué le doyen pour des examens qui devaient avoir lieu le 19 mai, ils le laissèrent venir au jour fixé ; mais quand il se présenta, ils lui firent dire que les examens étaient ajournés ; ils eurent lieu le 29, hors de sa présence..

La Faculté réclama aussitôt devant le Parlement ; un arrêt du 4 septembre décida que le collège de Saint-Côme ne pourrait procéder à la réception des maîtres-chirurgiens sans que le doyen de la Faculté, avec deux docteurs, eussent assisté aux examens.

Le roi avait donné raison aux chirurgiens ; la Cour donnait raison aux médecins. Les deux parties recommencèrent se déchirer.

« Il s’est élevé une tempête contre La Peyronie, au sujet d’une déclaration qu’il a obtenue de M. le Chancelier sur un changement qu’il veut introduire dans la chirurgie, écrit le 18 juillet Mme de Tencin, amie d’Astruc, l’un des principaux adversaires des chirurgiens. Je vous envoie des Remarques qu’on a faites sur cette déclaration, qui vous mettront au fait. Je ne suis pas fâchée que La Peyronie essuie des travers ; c’est un drôle très dangereux et de plus livré à Maurepas. »

Les Remarques dont il est question dans cette lettre sont probablement les Réflexions sur la déclaration du roi, publiées par le médecin Procope et dans lesquelles La Peyronie était accusé d’avoir trompé le roi au sujet des barbiers.

Dans des Observations 107 sur la brochure de Procope, qui ne peuvent être attribués à Quesnay avec certitude, il fut reconnu une fois de plus que l’étude des lettres, du latin, du grec, de la philosophie, était indispensable à l’exercice des arts médicaux et que la science était encore plus essentielle aux chirurgiens que la pratique. Mais l’ignorance des docteurs de la Faculté fut de nouveau mise en relief : « Tout le monde sait le mépris des nations savantes pour les médecins de la Faculté de Paris. Voici ce que m’écrit un des physiciens les plus éclairés : Parmi tous ceux qui exercent la médecine, on ne voit aucun vestige ni de génie, ni de savoir ; des esprits lourds, qui ignorent l’anatomie, la physique, les principes de leur art, et voilà les maîtres de la vie des misérables humains ».

Procope riposta faisant allusion à l’un des travaux e Quesnay, publiés dans les mémoires de l’Académie de chirurgie, il écrivit :

« L’auteur des Observations prétend que c’est la science qui fait l’essentiel d’un bon chirurgien. J’en connais qui se croient capables de faire des Dissertations sur les vices des humeurs et qui ne laissent pas d’être de très mauvais chirurgiens. »

Un autre docteur, Bouillhac, premier médecin du Dauphin et de Mesdames, lança à Quesnay le même reproche d’inhabileté professionnelle.

À cette époque, intervint dans la lutte un nouveau champion, La Mettrie, docteur de Leyde, que ses opinions matérialistes feront bientôt persécuter. Il venait, après Astruc, de publier un traité De Veneris morbis 108. Tout d’abord les deux auteurs s’étaient fait des compliments ; ils s’étaient ensuite divisés. Alors La Met-trie se mit à attaquer son confrère et avec lui toute la Faculté de Paris. Dans un pamphlet que le Parlement condamna au feu, La politique du médecin de Machiavel, et dont Voltaire a dit que c’était le livre d’un enragé et d’un malhonnête homme 109, il griffa les médecins avec autant de verve que de méchanceté, non sans égratigner, en passant, quelques chirurgiens. Toutes les célébrités médicales y passèrent, depuis Silva, mort récemment et qu’il appelle De la Forest, jusqu’à Andry qui, sous sa plume, devient Verminosus, Bouillhac qu’il appelle Bacouill, et aussi Quesnay, dont il fait Qualisnasus. Nous ne recueillerons de ses traits que ceux qui touchaient ce dernier.

C’est d’abord un éloge : « Je ne suis pas surpris qu’on donne de l’esprit à Bacouill. Il dit que Qualisnasus, ce génie qui, d’un regard, peut l’écraser, est bon sur le papier et ne vaut rien du métier. Il est naturel à l’amour-propre de chercher à se venger par le mépris. Quel insecte ne pique pas quand on l’irrite ! »

Vient ensuite une attaque. « C’est, comme Verminosus le disait de l’Économie animale de Qualisnasus, c’est Bœrrhave mis en pièces ; ce sont ses propres leçons habillées à la française ! D’accord avec La Forest, ce Verminosus pria le commentateur de Bœrrhave (c’est-à-dire La Mettrie lui-même 110 de faire un parallèle qui démontre clairement toute la friponnerie de la belle physiologie dont je parle et qui ne ressemble presque en rien, si ce n’est par rapport au fond, avec celle de Haller, comme les savants peuvent en juger ».

Cette accusation de plagiat a été renouvelée plusieurs fois contre l’auteur de l’Économie animale. Nous en reparlerons.



      1. VII.
        Quesnay reçu médecin.


D’autres faits avaient irrité les médecins. Comme pour les narguer, La Peyronie, qui n’était que chirurgien juré de Montpellier 111, avait pris le bonnet de docteur à la Faculté de Reims en 1739 et, ainsi qu’on l’a vu, s’était fait nommer médecin consultant du roi. Quesnay prit également ses grades de médecin à la Faculté de Pont-à-Mousson le 9 septembre 1744 ; un troisième chirurgien, Froment, les imita.

Les médecins racontèrent 112, et la chose était vraisemblable, qu’à Reims, La Peyronie avait été examiné à portes fermées et que tous les règlements de la Faculté avaient été violés en sa faveur.

Quesnay s’était rendu à Pont-à-Mousson pendant qu’il était à l’armée de Metz où, dit Fouchy, il avait suivi le roi, plus exactement où il avait accompagné le duc de Villeroy, colonel d’un régiment des gardes du corps.

La Faculté de Pont-à-Mousson avait-elle été plus sévère pour lui que celle de Reims pour La Peyronie ? Le doute est permis. « Il y a plusieurs boutiques ouvertes où l’on vend des grades », a dit un médecin 113. « Il y a des médecins qui font venir par la poste des lettres de docteur de certaines Universités de province où l’on a plus de respect pour l’argent que de respect pour les ordonnances royales », a dit un second médecin 114. « L’on sait avec quelle facilité les degrés se donnent dans les autres Universités. On sait que dans ces petites Universités l’on donne pour de l’argent des licences », a dit un troisième 115.

Fouchy, dans son Éloge, constate que le « changement d’état » de Quesnay lui fut souvent reproché.

Hévin avait écrit dans sa note manuscrite : « La véritable raison qui détermina puissamment Quesnay à se dévouer à la pratique de la médecine interne uniquement n’est pas ignorée de ses enfants et de ses amis particuliers. La goutte dont il était atteint dès l’âge de vingt ans et qui souvent se portait sur ses yeux et occupait le plus ordinairement ses mains et ses doigts l’avertissant assez que les ouvrages manuels de la chirurgie lui échapperaient bientôt, il prit le parti de faire usage des inscriptions en médecine qu’il avait prises dans sa jeunesse, et, pendant la campagne de 1744, où il avait suivi le roi à Metz, il reçut à Pont-à-Mousson les degrés de bachelier et de docteur en médecine après avoir subi, dans les délais fixés par les règlements, les examens ordinaires et soutenu publiquement, le 9 septembre 1744 ; une thèse De affectibus in genere qui fut imprimée et que je conserve. »

Cette thèse n’a pas été retrouvée, mais le texte du diplôme qui fut délivré à Quesnay été inséré depuis longtemps dans le Dictionnaire des Sciences médicales 116.

D’après ce texte, la Faculté regarda Quesnay comme étant déjà licencié ; après avoir considéré « la pureté de sa vie et de ses mœurs, son érudition variée, sa renommée élogieuse, sa science et son habileté », elle lui donna le grade de bachelier ; ensuite, « après avoir éprouvé sa doctrine par de nombreux examens », elle lui délivra les « insignes du laurier de docteur ». Il semble résulter de là que Quesnay ne subit pas d’examens pour les premiers grades, mais qu’il en subit pour le doctorat.

Il eût été, en effet, imprudent de sa part de ne point se mettre en règle, au moins pour le titre principal ; les colères des médecins étaient déjà déchaînées contre La Peyronie.

« Je vous ai mandé le procès des médecins contre La Peyronie, écrit Mme de Tencin le 15 août 1743, ils l’ont fait assigner pour produire ses lettres de docteur. La façon dont il cherche à se défendre prouve que, s’il a des lettres, elles fourmillent de nullités. Si le roi le veut soutenir, il faudra qu’il couvre par son autorité un million de défauts 117 ».

A Metz, où il dirigea le service de santé de l’armée, La Peyronie provoqua l’admiration par son habileté ; il soigna le roi dans sa maladie et gagna sa confiance. La jalousie des médecins n’en fut que plus vive. Le docteur Castera, qui, lui aussi, avait été appelé auprès du souverain, discuta publiquement 118 la valeur des conseils qu’avait donnés le premier chirurgien et la Faculté de Paris refusa de reconnaître sa nomination de médecin consultant.

Que Quesnay ait ou non pris plus de précautions que son ami, qu’il ait ou non rempli plus régulièrement les formalités réglementaires, il eut aussi à compter avec la Faculté de Paris. Elle mit en pratique un ancien engagement en vertu duquel les docteurs de Paris n’entreraient point en consultation avec les docteurs de province 119. D’après le Dictionnaire des sciences médicales, un procès, dont nous n’avons pas trouvé trace ailleurs, aurait été engagé à ce sujet.

La Peyronie avait assez de crédit pour triompher de ses ennemis ; Quesnay n’avait encore que la protection et l’amitié de celui-ci, mais elles ne lui firent pas défaut.

« C’est un gendre de Quesnay, nommé Hévin, écrit Mme de Tencin le 8 mai 1744, qui a la place du premier chirurgien de Mme la Dauphine, et c’est un garçon de La Peyronie qui est chirurgien ordinaire. Le premier n’est connu que par l’Almanach royal et n’a assurément aucune réputation et l’autre est au-dessous de rien ».

La Peyronie, après avoir placé le gendre de Quesnay, assura par un legs important une situation à son ami 120. Par un testament du 18 avril 1747, il lui laissa cinq actions de la Compagnie des Indes et lui fit remise en capital et intérêts des 3 000 livres qu’il lui avait autrefois prêtées pour acheter une charge de chirurgien juré. Il légua en même temps sa terre de Marigny à la communauté des chirurgiens de Paris, avec l’obligation d’employer une partie des revenus à donner des jetons à 40 membres de l’Académie à la fin de chaque année et d’allouer en outre au secrétaire, c’est-à-dire à Quesnay, une rente de 3 000 livres.


Par un codicille du 20 avril, il précisa que la rente de 3.000 livres serait payée à dater du jour de son décès. Mme Issert, sœur du testateur et usufruitière de ses biens, attaqua cette disposition et insinua qu’ayant été prise presque à la veille de la mort de la Peyronie, elle avait été suggérée par Quesnay « non satisfait du retardement » du paiement de la rente. Elle fut déboutée par une sentence du Châtelet du 29 août 1747, que confirmèrent un arrêt du Parlement du 8 juillet 1748 et un arrêt du Conseil.

Par la mort de La Peyronie, Quesnay devint le chef de la défense des chirurgiens et l’on parla de lui pour le poste de premier chirurgien du roi 121. Diderot lui prêta à ce moment l’appui de sa plume 122. Dans une brochure datée de 1748, l’Encyclopédiste soutint plaisamment que ce qui distinguait surtout des chirurgiens les docteurs de la Faculté était d’avoir payé 2 000 écus pour frais de diplômes.

« Il me parait ridicule, dit-il, que dans des occasions où Petit se trouverait à côté d’un malade avec un P... (probablement Procope qu’on traitait de médecin comique) ou quelque autre embryon de la Faculté, celui-ci se crût en droit de commander... Quoi ! un homme habile ; un Quesnay, parce qu’il n’est que chirurgien, se taira devant un P..., parce qu’il en a coûté 2 000 écus à ce P... pour obtenir le grade d’ignorant médecin ! »

Quesnay publia, à la même date, une autre brochure, celle qu’il composa en dix ou douze jours et dont il parla toujours avec satisfaction, l’Examen impartial des contestations entre médecins et chirurgiens 123. Pour la première fois dans ses écrits, le philosophe social commence à se montrer.

« Ce qu’on peut apercevoir assez clairement dans cette foule de mémoires répandus dans le public, dit-il, c’est la législation qui règle les droits des deux professions, mais ces droits sont ce qu’il y a de moins important à décider. Les médecins et les chirurgiens sont faits pour le public ; c’est le public qui les récompense, qui fait leur principal objet et qui assurera toujours dans la société des hommes qui se destineront à l’exercice de la médecine et de la chirurgie ; mais il s’agit de savoir quels doivent être ces hommes et quelles précautions on doit prendre pour procurer au public le plus qu’il est possible de médecins et des chirurgiens suffisamment instruits pour exercer des professions qui décident de la vie des citoyens. »

Avant de résoudre le problème ainsi posé Quesnay soulève une question préjudicielle.

« La première chose qu’il semble qu’on devrait se proposer, serait d’examiner si ce professions sont plus utiles que nuisibles à la société afin de les conserver ou de les proscrire. L’obscurité de l’art de guérir inspire, en effet, des doutes suffisants pour hésiter sur le parti qu’on devrait prendre, mais cette obscurité même met le public hors d’état de décider si l’impéritie des médecins et des chirurgiens est plus à craindre que les maladies. Il n’y a que les hommes qui jouissent de la santé qui puissent se livrer sensément à ces réflexions, car, lorsque, dans nos maladies nous sommes pressés par la douleur et par la crainte, nous nous jetons avec empressement entre les bras de ceux qui captivent notre confiance, qui apaisent nos craintes et qui nous promettent avec assurance des conseils salutaires. Ainsi, il est inutile de délibérer s’il faut des médecins et des chirurgiens dans la société ; leur, art mystérieux est si imposant qu’on aura toujours recours eux dans les maladies ».

Ce scepticisme est piquant, et Quesnay l’accentua encore en disant : « Tous les hommes sont remplis de préjugés sur les pro-fessions savantes qu’ils n’ont point étudiées et l’ignorance peut suggérer des opinions très dangereuses dans les décisions où il s’agit d’une multitude innombrable d’hommes ».

Quesnay admet en conséquence que les professions médicales doivent être réglementées, mais en exigeant des conditions d’aptitude des professionnels et non en délimitant le domaine de chaque profession.

« Les chirurgiens ont à faire deux sortes d’opérations, explique-t-il, les opérations parfaitement réglées, telles qu’on pourrait les faire sur le cadavre, mais qui sont en petit nombre, les opérations qui ne se ressemblent jamais exactement et qui sont les plus nombreuses. Pour les premières, l’habileté de main peut suffire ; pour les autres, l’étendue de la capacité dans l’art d’opérer consiste dans l’étendue du savoir, de sorte qu’il est impossible, dans la plupart des cas de faire des opérations sans être en état de soigner les maladies. Il est clair que les chirurgiens doivent pouvoir soigner les maladies chirurgicales ; les médecins n’ont pas songé qu’en renonçant aux opérations et aux pansements, ils ont renoncé par cela même à s’occuper de ce genre de maladies.

» Doit-on décider que les chirurgiens se borneront à soigner les maladies externes ? Mais comment les distinguer des maladies internes ? Où commencera et où finira la division ? »

En réalité, conclut Quesnay, ce que l’on a partagé, c’est l’exercice de l’art de guérir et non la science ; le médecin est obligé d’être chirurgien et le chirurgien d’être médecin. Pratiquement, en empêchant les chirurgiens d’exercer la médecine, on empêche les malades de se faire soigner.

« Les hommes peu fortunés appellent les chirurgiens pour les secourir dans les maladies internes. Est-ce la nécessité qui veut cela ou doit-on l’imputer à l’intrigue et à l’avidité des chirurgiens ? Chez le menu peuple, s’exerce une médecine très simple et peut-être la meilleure, qui consiste dans l’administration de la saignée, d’une tisane, de quelques purgatifs et de très peu d’autres remèdes. Les chirurgiens font les saignées qui leur sont payées à bas prix et donnent des consultations par-dessus le marché, les lois leur interdisant de demander des honoraires pour la cure des maladies internes qu’ils sont obligés de soigner. »

Ce qui est intéressant dans la thèse de Quesnay, c’est le point de vue général auquel il se place. Il veut des praticiens faits pour le public, et non un public fait pour les praticiens. Il considère avant tout le consommateur.

La brochure dont nous venons de parler fut une des dernières auxquelles donna naissance la lutte héroï-comique dont nous avons raconté les péripéties. Elle n’était pourtant pas éteinte 124.

Au mois de janvier 1749, Barbier note dans son Journal : « À propos des médecins et des chirurgiens, ils sont toujours fort animés les uns contre les autres, ce qui ne contribue pas au soulagement du public dans les maladies. Leur procès n’est point encore jugé au Conseil... Depuis plus d’un an, on ne reçoit point de chirurgien à Saint-Côme ».

Mais, en 1750, le 4 juillet, un arrêt du Conseil confirma les droits du collège de Saint-Côme en sauvegardant en apparence ceux de la Faculté.

L’arrêt reconnut formellement le droit, pour la communauté de Saint-Côme, de donner un enseignement et d’avoir une école d’anatomie et d’opérations chirurgicales. En même temps, et conformément à l’arrêt du Parlement, il décida que le doyen serait invité aux examens de licence, qu’il s’y ferait accompagner par deux docteurs, qu’il serait appelé Decanus saluberrimæ Facultatis et les assistants Sapientissimi doctores, que tous trois interrogeraient les candidats pendant une heure. La forme sauvait le fond.

À ce moment, Quesnay était installé à la cour de Versailles. Ainsi que précédemment La Peyronie, il s’était fait nommer médecin consultant du roi. Comme lui, il avait des relations puissantes qui lui permettaient de protéger sa corporation.

Cette grande affaire, qui avait duré si longtemps, avait servi d’ailleurs à l’amusement du roi. Dans un ballet-pantomime 125 exécuté sur le théâtre des petits appartements de Versailles le 1er janvier 1750, Louis XV avait pu voir un malade tiraillé de droite par un médecin et de gauche par un chirurgien. Et peut-être cette petite leçon de choses avait-elle servi à hâter la solution !



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