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Les Hypocrites La folle expérience de Philippe Beq berthelot Brunet (1901-1948) Les Hypocrites


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La confession


Philippe décidait de se confesser. Il remettait toujours ses confessions à demain, puis enfin se décidait. En route, il songeait déjà à éluder les aveux trop pénibles. Non pas qu’il voulût mentir, il craignait que le prêtre ne comprît rien à ses subtilités. Il méprisait ce prêtre d’avance. Surtout, il avait peur que le prêtre le méprisât, qu’il le confondît avec les pénitentes du commun.

Philippe se donna du temps. Il prit par le plus long. C’était un beau samedi d’automne. Ça sentait le congé. Aux arrêts de tramway, il y avait plus de jeunes femmes, mieux maquillées, dans des manteaux plus neufs. Les hommes, eux, se pressaient moins. Ce n’était pas tout à fait la lenteur des dimanches, et ce n’était pas non plus la précipitation de la semaine. Il y avait aussi plus de jeunes chiens qui couraient. Sur les marches des maisons, les jeunes filles prenaient plus de temps à vérifier leur rouge dans le petit miroir. Tout le monde s’acheminait au théâtre, au cinéma. Philippe allait à confesse.

Il hésitait. Peut-être que l’abbé qui va vite ne serait pas là : il lui faudrait alors se confesser à un autre, qui le tiendrait longtemps, tout rouge dans la chaleur du petit réduit. Mais déjà son scrupule, qui tout à l’heure minimisait ses péchés, le voyait en état de péché mortel. Un instant, il eut peur d’être damné. Pourtant il savait bien que, s’il était loin de Dieu, loin de la présence de Dieu, le plus souvent, c’est à peine s’il n’avait pas arrêté assez tôt les tentations. Rien de positif, et cela l’énervait d’autant.

Cependant, il craignit encore plus le prêtre que l’enfer. Sa religion était devenue tout à fait matérielle, et Philippe s’écœurait du contraste entre ses frousses de vieille fille et la splendeur de ce samedi. Le ciel avait l’azur des fins de semaine réussies. L’automne mettait une dernière coquetterie, une coquetterie avisée et raisonnée dans les petites feuilles qui restaient aux arbres et qui, sous la brise, s’agitaient avec le sans-gêne et l’imprudence de l’été. La verdure se donnait toute, dans sa ménopause. Vernissées, nickelées, les autos glissaient avec un air de printemps. Le soleil, plus clair, n’avait pas cette fièvre de l’automne, c’était un soleil qui avait envie de durer.

Philippe se voyait déjà dans l’église obscure, indécis, laissant passer les pénitents les uns après les autres, pour être le dernier à se confesser. Ou bien, il voulait se glisser entre deux, afin que l’absolution fût bâclée.

Il était déjà à l’église. Là, on sentait le factice de ces derniers beaux jours, l’église dégageait un froid inquiétant, qui n’était pas la fraîcheur voluptueuse des églises d’été, ni le froid tout rond de l’hiver, les matins de basses messes. Philippe, après avoir trempé ses doigts dans le bénitier, se coula dans l’ombre, pas très loin d’un confessionnal. Il voulait déjà rebrousser chemin.

Il s’avisa plutôt de faire son Chemin de croix. Les va-et-vient de l’allée le dérangeaient, et Philippe avait déjà les joues rouges des aveux. Au lieu de compatir aux douleurs du Christ, sous le poids de la Croix, il cherchait inconsciemment à se débarrasser en catimini de ses péchés. Comme la contrition lui était aisée devant Dieu seul ! Machinalement, il priait, « nous vous adorons et nous vous bénissons, à cause de votre sainte Croix... ». Par instants, il avait des remords : « C’est le Christ qui tombe là, devant toi, l’épaule lourde de ce bois... Et c’est toi qui le regardes avec les yeux ironiques de la curiosité... » Alors, il essayait un acte de contrition sincère, et tout de suite il raisonnait : « J’ai évidemment la contrition parfaite... Je ne me rappelle plus mes péchés, mais qu’importe, je ne peux que regretter tous les péchés du monde, parce que le péché, c’est le mal, la bêtise par excellence... » Un sentiment d’orgueil se faufilait : « Si je disais ça au prêtre, comprendrait-il ? Peut-être serait-il émerveillé, abasourdi devant une si sincère compréhension du péché... »

Lorsqu’il approcha du confessionnal, Philippe fit un rapide demi-tour, et c’est avec soulagement qu’il baissa la tête devant la huitième station. Il pria pour ceux qui se confessaient, il s’unit à toutes les saintes âmes qui, avec les saintes femmes, accompagnent dans les siècles des siècles Jésus sur son Chemin. Avec ferveur, devant le Crucifiement, il s’agenouilla longtemps, renouvelant ses actes de contrition pour lui et pour les autres.

À son banc, il se dit : « J’ai la contrition parfaite... Tant pis si le prêtre comprend mal. L’absolution effacera tout... » Il ne s’en traitait pas moins de pharisien, et de plus en plus il craignait de faire une confession sacrilège.

Enfin, Philippe prit sa place à côté du confessionnal. Entre deux distractions, il eut le temps d’un Ave. De l’autre côté, un homme faisait une confession interminable : Philippe voyait les pieds qui dépassaient le compartiment. Il avait chaud pour ce pauvre diable, et Philippe vit son péché : il était étendu à côté d’une femme laide. Philippe méprisait ces péchés de pauvre, ce qui le ramenait à lui-même, à des aventures aussi pitoyables.

Les jambes remuèrent, disparurent, puis surgit, sous la tenture, le vieux qui l’agaçait à la messe, chaque matin. Philippe eut un sursaut : « Ce n’est pas un adultère, mais une gourmandise de vieux garçon. » Et Philippe à son tour entra dans le confessionnal. Il y avait un grand Christ de métal, qui brillait faiblement : Philippe pensa aux pénitences stupides que lui confierait le prêtre, et il commençait déjà un article sur la statuaire ecclésiastique, se révisant après : « C’est vieux tout ça, après Huysmans et Ghéon... »

Derechef, il s’excita à la contrition, il en fit encore un acte : arrive que pourra maintenant, il avait regretté ses péchés.

Derrière la grille, le prêtre remuait, et il entendait un murmure. Philippe s’approchait, se collait à la grille, que ses lèvres touchèrent avec dégoût : ainsi ses péchés ne seraient pas entendus de ses compagnons, ses péchés dont il n’était plus sûr maintenant. Un vide se faisait en lui, et une courte terreur de n’avoir plus rien à dire, de rester bouche bée.

Il faisait très chaud dans cette guérite, et Philippe détacha son manteau, il respirait une odeur sure, et il imaginait la mauvaise haleine du prêtre, comme de ce prêtre aux dents pourries à qui il s’était déjà confessé. Il revoyait cet autre qui avait toujours le mouchoir à la main, qu’il portait à sa bouche, pour éviter l’haleine des pénitents. Quelle pénible corvée que la confession !

Cependant Philippe remarquait que d’autres prêtres donnaient avec une grande joie l’absolution aux vieux pécheurs et qu’alors, ils se sentaient vraiment l’instrument de Dieu, qu’ils donnaient en vérité l’absolution au nom du Christ.

Un remuement, un bruit de jambes, et la grille s’ouvrit. Le prêtre penchait l’oreille, et Philippe prenait maintenant l’attitude de la confidence explicative, de la confidence psychologique. Philippe s’entendait prononcer des phrases de roman d’analyse. Il présentait un cas. Le prêtre ne disait mot. C’était plus fort que lui, Philippe ne confessait pas Philippe, il confessait un autre. Inconsciemment, il quêtait la lueur d’admiration qu’il observait dans l’œil de ses amis, lorsque son orgueil confessait littérairement ses turpitudes.

Cet aveu pénible, fait et arrangé en phrases, avec virgules, points-virgules et points d’exclamations, Philippe était certain maintenant de n’avoir pas commis de péché mortel, il n’était qu’un scrupuleux, et, comme s’il jouissait de la fatigue pleine après un travail de bonne prose, il était heureux, soulagé, soulagé non tant d’avoir avoué, que d’avoir élucidé et écrit. Et, avec le pharisaïsme de celui qui est heureux de n’avoir à confesser que des péchés bénins, il s’empressa d’avouer un quelconque gros péché de sa vie passée.

Ensuite, sa tâche étant finie, Philippe écouta distraitement les deux, trois phrases du prêtre. Il se recueillait pour un acte de contrition qu’il sentirait vraiment, ce qui ne lui était jamais arrivé dans la honte du confessionnal. Même, il ajouta : « Mon Dieu, je vous offre toute cette honte. »

Quand le prêtre lui demanda de prier pour lui, Philippe reprit d’un air sournois : « Priez aussi pour des âmes que je voudrais convertir. » Philippe se redressait dans la fierté de son apostolat.

Il sortit, se rappelant surtout que le prêtre lui avait donné comme pénitence à lire l’épître du dimanche : « Il y a des prêtres plus intelligents que ceux qui nous demandent de prier dix fois la Bonne Sainte Anne. »

Agenouillé, libéré, Philippe s’abandonnait à l’amour de Dieu. Plus de craintes d’avoir fait une confession sacrilège. Il priait de toutes ses forces pour les autres et pour lui. Et c’est avec allégresse qu’au sortir de l’église, il alluma une cigarette, qu’il jeta pour manger, au restaurant, une tablette de chocolat. Philippe était en état de grâce spirituel et corporel. Le monde était beau, et il aurait entonné le Cantique des Trois Enfants, si la poésie ne lui en avait point paru trop maigre pour sa joie.

La dernière comédie


Elle ne se fit pas attendre, trop tardive pourtant au gré de Philippe, qui ne pouvait plus supporter la tante Bertha et qui cherchait le moyen de s’évader : le travail normal lui répugnait.

La tante Bertha, en effet, était de plus en plus doucereuse avec Philippe. Celui-ci se souvenait de son père, dont l’humble tante Bertha, dans son amour, avait fini par devenir propriétaire : sa ruse inconsciente n’avait pas épousé celui qu’elle aimait, elle le gouvernait, et, pour cette femme sèche, c’était beaucoup mieux. Philippe avait succédé à son père, et, maintenant que, nantie d’un minuscule héritage, elle pouvait se vouer corps et âme aux œuvres pies, maintenant que Philippe allait chaque jour communier à la messe, la tante Bertha s’était emparé de Philippe. Elle s’était surtout emparé de sa conversion. Elle qui, jadis, ne sortait de la maison que pour se rendre à l’église ou chez les fournisseurs, avait des amies, des amies qui n’existaient que pour entendre le récit de la fameuse conversion et de la piété de Philippe.

Philippe, dans sa jeunesse, avait formé comme tous ceux qui écrivent, des rêves de gloire littéraire, qui étaient vite déchus en rêves de simple notoriété : les dernières fois qu’il écrivit, ce n’était que pour s’amuser, s’amuser à critiquer quelques sottises pour ceux dont il n’aurait pu se faire entendre autrement, dans le bredouillement de ses conversations. Les dernières fois qu’il écrivit, Philippe ne fit que mettre au net ses rêveries, et n’en tira le plaisir que de constater qu’elles étaient encore plus fumeuses qu’il ne pensait. Voilà qu’il atteignait la notoriété, une notoriété de paroisse : Philippe était le converti. Ses péchés n’avaient été pourtant que les plus mesquines des fautes. Il en ajoutait une plus mesquine, en enlevant à la tante Bertha le plaisir puéril d’abriter un « converti », d’en avoir l’usage.

Philippe voulait quitter ce petit monde rance, et ce fut Claire qui lui en donna l’occasion. Le hasard ménagea leur rencontre. Dès qu’elle l’aperçut, elle lui sourit comme à un ancien camarade. Philippe fut révolté. Il n’osa cependant rien manifester, parce que c’était toujours le même regard, et, s’en apercevait-il pour la première fois, c’était toujours la même bonté, qui rayonnait dans tout son visage.

– Moi aussi, tu sais, je me suis convertie.

Curieuse entrée en matière. Claire avait-elle rencontré la tante Bertha, et lui faudrait-il aller communier au bras de Claire, pour réparer une faute dont il excusait Claire, mais dont il ne voyait que la bassesse et la niaiserie, quant à lui ? Claire avait des antennes et cette femme, qui préféra toujours la société des hommes, savait toujours ce qui se passait à l’intérieur des maisons les plus fermées, aussi bien qu’une commère parfaite. Disons que chez elle, le papotage était pur, comme la poésie de Paul Valéry ou l’amour platonique.

– Il faudra venir chez moi causer de tout ça.

Elle lui donna son adresse, et le quartier lui parut un peu trop chic pour les moyens de Claire. Elle était tellement débrouillarde ! Mais elle lui donna les explications que sa gêne ne demandait pas, que sa curiosité attendait :

– Je suis veuve de nouveau, pour ainsi dire, et je suis libre comme toujours. Les enfants sont placés.

Il comprenait à son sourire que, si le vieux ne l’avait pas épousée, il était mort, sans oublier cependant de lui laisser quelques sous. À ce moment, Philippe était loin de penser lui-même au mariage : son indélicatesse ne rêvait que d’un « petit emprunt », qui lui permettrait de vivre seul quelques mois en écrivant ce qu’il voulait écrire.

Mais ce fut le mariage, le plus banal et le plus stupide.

Il était allé chez elle, et, au cours de la route, il avait souri, remarquant qu’à la façon des dévots, il avait peur de se trouver seul avec une femme. Et, en même temps, ce sceptique qui voulait toujours toucher du doigt, constatait que, puisqu’il était dévot jusqu’à la pudibonderie, sa conversion était vraiment sincère.

Il n’y avait eu ni préambules ni circonlocutions :

– Tu me disais que si, un jour, tu avais des sous, tu m’épouserais : j’ai des sous à ta place...

Cette femme de tête prenait tout sur elle, et Philippe était embarqué. Il avait quelques scrupules : il ne l’aimait pas, maintenant, et, tout le reste de sa vie, il serait un parasite ; mais pouvait-il s’opposer à la volonté de Claire ?

Philippe se laissait faire. Il accepta tout, même que la tante Bertha vînt habiter chez eux : Claire voulait réhabiliter tout de Philippe, et adopter sa nouvelle famille. En vérité, Philippe passait des mains de la tante Bertha aux mains de Claire, qui s’emparait par la même occasion de la vieille dame. Philippe se laissait faire, parce qu’il ne savait comment se déprendre. C’était vraiment le mariage forcé de la comédie.

Si, du moins, il avait eu le dérivatif de la jaune ou de l’alcool : tout ça dégoûtait Philippe à un point qu’il n’y pouvait toucher. Et, le comble, c’est qu’il percevait que même la piété, aux commencements de sa nouvelle vie, lui avait été aussi une évasion, qu’il avait goûté cela à certains moments, comme on prend plaisir aux jouissances ordinaires : dans sa sécheresse, il ne pouvait que bénir Dieu de lui avoir laissé la foi et de lui faire comprendre enfin que le monde spirituel n’est pas le monde charnel.

Philippe préparait son mariage. Claire, il le savait, s’en occupait, quant à toutes les formalités indispensables : lui, puérilement, songeait qu’il lui faudrait, sinon l’habit de noces du grand-père, du moins un complet plus convenable que celui qu’il portait. Il pensa au docteur Marquette, collectionneur de chaussures, qui avait peut-être des accointances chez les tailleurs.

Chez la Maureault, Philippe se débarrassa des questions de la dévote, qui lui rappelait trop la tante Bertha, et il grimpa tout de suite chez le docteur. Il le surprit en consultation, si l’on peut dire : un gros homme en petit caleçon qui se balançait sur la cathédramètre, des mollets obscènes, avec les marques des jarretelles.

– Excusez-moi...

– Entre hommes, ce n’est pas la peine.

Le docteur fit les présentations. C’était un pieux propriétaire, qui ne jurait que par ce docteur, par son notaire, « un vrai, un des rares notaires de famille » et par le chanoine, son ancien curé. Le docteur lui avait fait lire quelques articles de Philippe et le gros dévot disait, « pour faire plaisir » :

– Je trouve ça bien, mais je ne m’y connais pas : mon neveu, qui, lui, s’y connaît, affirme qu’il y a quelque chose là-dedans. Surtout, vous pensez bien, dans un temps où, malheureusement, jusqu’aux prêtres sont socialistes.

Cette parole incitait Philippe à la réflexion. N’était-il pas un hypocrite du genre de ce dévot propriétaire, qui parlait de ses droits comme de droits divins : lui, catholique, se laissait marier à une femme qu’il n’aimait pas et qui lui donnerait le gîte, Philippe lui donnait une vague respectabilité. Toute sa vie, Philippe avait commis les bassesses de tout le monde, en les poussant cyniquement jusqu’à leurs conséquences, et, ce qui ajoutait à sa responsabilité, il avait toujours agi consciemment. Et, dans cette chambre ridicule, devant la cathédramètre, Philippe priait Dieu, si telle était sa volonté, de le faire mourir au plus tôt et de lui infliger le plus mérité des purgatoires (un miracle, c’était un miracle, l’avait tiré de l’enfer), afin qu’il pût expier ce que le lâche n’avait pas le courage d’expier sur la terre.

Il avait même mal jugé le docteur Marquette, qui le reconduisant, aux regrets de ne pouvoir lui procurer le complet de noces :

– Je suis sûr que vous ne m’avez pas compris, cette journée des bottines. Je suis un vieux sceptique, je ne crois à peu près qu’aux forces de recouvrement de la nature, à l’hygiène, et à la bonne conduite, la bonne conduite de la vie. Seulement, si je laissais partir mes patients sans remèdes ni ordonnances qui les frappent, ils courraient s’emplir de pilules chez le pharmacien et ils oublieraient mes leçons : une bottine qui leur serre les pieds ne peut leur faire beaucoup de mal et cela leur rappelle mes leçons. Quand ils reviennent, je leur donne des chaussures moins étroites et les achemine ainsi vers la guérison, quand la guérison est possible. Seulement, mes confrères n’aiment pas tous ma méthode, et je pratique incognito chez la Maureault. Ainsi tout le monde est content.

Philippe fut encore détrompé, lorsque Claire se fâcha presque pour cette recherche du complet :

– Tu es fou ! Nous nous marions comme nous sommes. Nous ne ferons pas de voyage de noces. Je veux qu’on sache que nous étions déjà mariés et que seules les circonstances nous empêchaient de rendre ça public. J’ai des dispenses de bans et nous serons seuls avec nos témoins, dans la chapelle Sainte-Gertrude. Pas de voyage de noces, mais, le lendemain du mariage, nous irons à X., où les mauvaises langues ont parlé, et nous communierons ensemble à la grand-messe : ça leur bouchera la gueule.

Jamais Claire n’usait de gros mots, et Philippe, par ceux-ci, jugea comme elle avait souffert de la situation suspecte qui avait été la leur. Encore un motif de se mépriser : Claire avait été bonne, et si elle l’avait trompé, ce n’avait été que par amour de ses enfants. Il n’y avait que Philippe qui eût le cœur sec, et à qui il ne pouvait trouver d’excuses. « Quand serons-nous débarrassés de ce corps de chair ? » se demandait saint Paul : il était plus urgent pour Philippe de se débarrasser de Philippe.

Ce n’est pas le mariage qui le débarrassa. Devant le prêtre, à côté de lui, qui se sentait ridicule, Claire était pâle, ce qui la rendait moins jolie pour Philippe, qui, néanmoins lui trouvait une belle jeunesse ; mais jusqu’à ses pensées qui, en ce moment, voulaient la salir. Il se rappelait cette scène chez Florence, lorsqu’il s’était réconcilié avec Florence. Un jour qu’il avait des sous et qu’il s’était grisé longuement chez elle, était entrée son amie Clara, une belle fille saine, dont il savait pourtant le métier : c’est pourquoi, cyniquement, il demanda à Florence de s’entremettre auprès d’elle. Florence accepta, et lorsqu’ils furent dans une chambre, il remit, dans un grand geste, un billet de banque tout neuf à la fille qui, alors, le regardant dans les yeux, se mit à rire :

– Maintenant que j’ai l’argent, je m’en vais. T’es trop laid...

Philippe songeait à répondre : « Non, elle est trop laide », à la demande du prêtre. Il n’en fit rien, et ils étaient mariés. Malgré lui, à la maison, Philippe craignait les discours et les gestes sentimentaux, et c’était plus fort que lui, il ne l’aimait plus. Lorsqu’il l’embrassait, il se retirait aussitôt, il avait honte de lui, de cette comédie. Elle souriait, un peu triste, et courait ailleurs. On aurait dit que Claire avait deviné : elle n’avait pas renvoyé la tante Bertha qui, depuis quelques jours, avait emménagé chez elle.

Le plus clair de la journée se passa en classements de manuscrits : Claire, visiblement, voulait qu’il écrivît en beauté leurs aventures, avec les déguisements nécessaires, et elle tenait à rester son égérie. Riant malgré tout, Philippe se disait : « Elle va me faire vivre, et elle ne demande en échange que cette petite illusion que je puis lui procurer. » Il se sentait ignoble.

On n’entendait pas la tante Bertha, tantôt dans la cuisine, qui serait sa cuisine, tantôt dans la chambre qu’on lui avait aménagée. Ou on entendait ses petits pas menus : elle rangeait. Ou encore le cliquetis de son chapelet.

À onze heures, Philippe conduisit Claire à sa chambre, l’embrassa sur le front, puis :

– Je vais m’étendre, cette nuit, sur le divan du boudoir.

Elle pâlit, mais se résigna aussitôt : avait-elle pour lui d’autre sentiment qu’un bizarre amour maternel ?

– Bonne nuit !

Il passa devant la chambre de la tante Bertha. Elle était assise, près du mur qui donnait sur la chambre de Claire. Quand elle le vit, elle baissa les yeux. Qu’attendait la tante Bertha ? Philippe sourit, passa, se coucha et s’endormit.

Le lendemain, jour de congé, les enfants parurent. Claire était heureuse de leur montrer Philippe :

– C’est votre nouveau Papa... Il va bien vous aimer. Vous vous rappelez ses cadeaux ?

Elle était fébrile, s’affairait.

Philippe s’offrit d’aller reconduire les enfants à leur pension : elle refusa, et c’est à son retour, qu’elle dit à Philippe :

– Les locataires d’en haut partent à la fin de la semaine... Tu pourras t’installer là, écrire tranquille. Je ne te demanderai de descendre que lorsque les enfants viendront, et, certains jours, recevoir avec un petit nombre d’amis. Il faut garder les apparences. Il faut surtout réparer.

Et, lorsque Philippe monta dans son petit appartement, il s’observait qui redevenait amoureux de Claire, parce qu’il n’était plus heureux de rentrer dans sa solitude. Un peu plus il s’oubliait.

Table




Un timide et son fils 8

Initiations 20

La mort du docteur 41

La défaite du vainqueur 58

Nuit de noces 76

Vingt-quatre heures 122

Le seuil d’une saison en enfer 196

Le docteur 212

Le séminariste 224

Dans l’ambulance 242

La tante Bertha 249

Claire reparaît 258

Rechute 270

Au cloître 279

La confession 289

La dernière comédie 298



Cet ouvrage est le 128e publié

dans la collection Littérature québécoise

par la Bibliothèque électronique du Québec.

La Bibliothèque électronique du Québec

est la propriété exclusive de



Jean-Yves Dupuis.

1 Le Mariage blanc d’Armandine.

1 Voir Le Mariage blanc d’Armandine.

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