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Les Hypocrites La folle expérience de Philippe Beq berthelot Brunet (1901-1948) Les Hypocrites


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Au cloître


Ce n’était pas la première fois que, depuis sa conversion –Dieu qu’il trouvait le mot emphatique, mais il se plaisait à le prononcer depuis que bourgeois, prêtres, bonnes âmes et amis se réjouissaient ouvertement de cette conversion, qui en même temps qu’un changement moral amènerait par voie de conséquence nécessaire un changement dans sa bourse : l’esprit utilitaire de la nation et de la religion nationale de Philippe n’est pas encore arrivé à la réparation des pouvoirs, et les pieux paysans songent encore à une belle, une grosse cure pour le fils qui porte la robe – ce n’était pas la première fois que Philippe retournait à ses vieux vices. Philippe vivait une autre vie intérieure : le corps, quand le précepte n’était pas là pour établir une barrière, continuait plus ou moins à suivre sa pente. Philippe n’avait laissé, somme toute, que le doute et la luxure – un mot qui le faisait rire, surtout pour la poésie qu’il ajoutait à des expériences qui, pour lui, avaient été souvent burlesques. Philippe avait aussi cessé de mentir et de médire, ce qui lui fut bien pénible : cependant, comme il vivait à peu près seul, il n’avait qu’à se battre contre les mensonges qu’il aurait pu se faire à lui-même. Chez un autre, la bataille aurait été plus dure, mais Philippe, de longtemps, avait tenté de ne s’en plus faire accroire.

Bref, si Philippe ne pensait plus à la jaune, qui l’avait conduit aux portes de la folie, il cherchait encore le repos dans l’alcool. Combien de fois alla-t-il communier, l’haleine encore lourde d’alcool ? Philippe ne s’en faisait guère scrupule, craignant surtout que les niais de ses messes matinales n’en prissent ombrage et qu’on ne crût à quelque comédie de sa part.

Ainsi, dès qu’il avait quelques sous, la part faite aux quelques cadeaux d’usage à la tante Bertha, qui lui donnait le gîte, en attendant des meilleurs jours de sa conversion, Philippe s’enfermait avec un livre et, fumant pipe sur pipe, la larme au coin de l’œil, il écrivait de longues lettres à des prêtres de ses amis, où, avec trop de littérature pour qu’il n’y eût pas hypocrisie, il déduisait l’un après l’autre les sentiments de sa belle âme mystique. (Les prêtres devaient bien rire, d’abord parce que Philippe se montrait ridicule, et ensuite parce que ces spécialistes n’aiment pas plus qu’un profane parle de sainte Thérèse qu’un notaire n’accepte avec plaisir qu’un comptable dresse la feuille des impôts ou qu’un patient pose trop de questions à un médecin embarrassé dans son diagnostic ou son pronostic : l’ère de privilèges n’est pas close, et l’on appelle ça compétence professionnelle. Philippe, soumis au magistère de l’Église, ne s’indignait que des formes.)

Naguère, au fond de la bouteille, Philippe trouvait des rêves d’amour : maintenant, il y trouvait une religiosité, dont il ne laissait pas, écœurante, de se moquer, le lendemain. Il songeait à ses lèvres papelardes, ses paupières lourdes de dévotion, la sclérotique embuée de cafardise. C’était, du reste, assez agréable, mais priait-il avec sincérité ? Il y avait si peu de différences avec ces nuits qu’il passait dopé, à écrire avec délices d’interminables épîtres en vers blancs à la pauvre Claire, à qui il pensait maintenant, parfois, avec un désir purifié et par conséquent avivé. Les mots se forçaient alors à cette sincérité particulière de celui qui se dédouble.

Philippe, sa décision prise, était gris à se faire remarquer, et déjà, il n’était plus décidé : pour Philippe dire oui redoublait toujours les objections qui l’amèneraient à un non plus définitif. Il gardait un souvenir tellement mauvais des retraites. Un jour que son adolescence avait voulu se faire pardonner des paroles trop imprudentes, il avait accepté d’aller faire une retraite, dont il gardait encore l’horreur : cette bonté onctueuse du directeur, ces méditations où le mélodrame de l’enfer se mêlait aux sucreries du ciel, cette insistance sur la volonté, dont ces ascètes ne connaissaient pas plus le mécanisme que les commis voyageurs éloquents de l’américanisme, ces repas trop lourds, voluptés permises, entre deux pensées sur « les fins dernières », ce frôlement des intimités de la communauté, pour vous en donner le goût, qui faisaient penser Philippe aux vieilles filles qui font l’étalage de leurs colifichets, vous initiant à leurs mystères. Ce qui dégoûtait le plus Philippe de cette expérience, c’était le souvenir de ses bassesses : chaque fois qu’un prêtre entrait dans sa chambre, il fixait avec épouvante son manteau accroché au mur, parce que, dans une des poches, il y avait enfoui le Père Goriot, qu’il avait apporté, se proposant de lire ce livre défendu à ses moments dérobés, mais la crainte d’être surpris l’empêchait toujours. Philippe revoyait aussi ce bon frère doucereux qui, par la fenêtre, indiquait le petit cimetière, « où reposent paisiblement nos bons religieux ». En ce moment, Philippe concédait la sainteté des âmes pures et naïves à ce bon vieux : cette façon gauche de « vendre » jusqu’à la mort au chaland qu’on englue ne le dégoûtait pas moins, par sa fadeur insistante.

Le plus humiliant, c’est que Philippe, rassasié de la psychologie élémentaire que proposaient les méditations à son incroyance, au bout de deux jours, avait voulu quitter cette retraite et qu’il s’était servi d’une ruse puérile. Il s’était dit malade, et, pour se rendre malade, il s’était gavé de chocolats, dont il avait apporté une boîte, tournant en rond ensuite, pour se donner la nausée. Et il avait fait une confession générale mensongère au directeur.

Se rappelant ces fades souvenirs, Philippe se demandait s’il pouvait regretter d’une autre façon que de l’humaine cela qui, après tout, était une faute. Alors, ces pratiques religieuses avaient pour lui si peu d’importance, et le sacrilège n’était qu’une espièglerie d’enfant vicieux. Le casuiste Philippe ne savait parvenir qu’à une humilité diablement humaine : « Je ne suis qu’un sale type, le plus médiocre caractère que je connaisse. »

Philippe hésitait, lorsqu’il rencontra Lucien, et, voyant que l’autre remarquait avec tristesse que son ami qu’il croyait guéri était encore retombé dans son vice, Philippe, touché de l’intérêt que lui portait Lucien, sentit le besoin de s’excuser, d’abolir cette honte auprès de celui à qui il avait raconté sa conversion dans d’interminables confidences. (Dieu que Philippe était las de lui-même, du trop connu de sa psychologie, de la monotonie de ses réflexes : Philippe s’était trop lu pour n’avoir pas le goût de changer de peau.) Philippe dit donc son projet d’aller dans quelque retraite religieuse parachever sa guérison morale et physique. Lucien suggéra un monastère où l’on accueillait les laïcs, conduisit Philippe à la gare et solda le coût du billet, ajoutant quelques sous : le prix d’une bouteille, dont se munit précautionneusement le pénitent.

Philippe ne resta qu’une nuit. Il but, écrivit, confessa sa belle âme à un prêtre qui souriait, but, dormit, et fut mis à la porte. Rien ne l’impressionna que la qualité de l’air, ce couvent étant niché dans la montagne, et le silence, le silence parfait de la nuit, un silence qu’on aurait pu couper, semblait-il.

Ce qu’il avait écrit, c’était des lettres à des prêtres, pour s’excuser et s’expliquer à l’avance, si on apprenait sa rechute. Le lendemain, à la taverne, décidant d’aller voir son ami Toupin, curieux homme qui vendait des montres et des bagues en buvant du vin et en lisant Bossuet et saint Jean de la Croix, il lui écrivit, avant de le voir, comme il faisait naguère avec sa maîtresse (les habitudes ne se soucient pas des personnes et leur survivent), une longue lettre sur les religieux qui manquent de charité. Pourtant, Philippe ne haïssait pas souvent, comme il n’aimait pas souvent : il buvait peut-être aussi, par impuissance à éprouver les sentiments de tout le monde.

En écrivant, Philippe regrettait le couvent qu’il venait de quitter, la montagne, le lac qui fait une échappée d’air vif au tournant de la route, et il entendait maintenant psalmodier les offices. Philippe n’avait connu l’amour que dans la séparation et il savourait la poésie des cloîtres, sachant bien que jamais son indépendance ne se plierait à une règle, sa maladive indépendance.

Ce fut pourtant la dernière évasion de Philippe aux paradis artificiels, dont il se détacha aussi aisément qu’il s’était détaché de la dope. La première fois, il avait eu peur, cette fois, il avait honte, il s’estimait un goujat, du spectacle qu’il avait donné aux religieux. Il avait trop honte pour revenir sur cette retraite.

Il ne lui restait qu’une goujaterie finale à commettre, et dont Claire serait victime, mais, quelques semaines, il ne pensa ni à Claire ni à sa garde, dont le souvenir se liait à l’autre. Philippe faisait deux parts de sa vie : dans l’une, il s’efforçait, par la lecture, de comprendre intimement la prose des saints, et dans l’autre, il s’évertuait à rire des ridicules qui l’entouraient, sans y mettre cette malice qu’il se reprochait, lorsque, sans paroles, il s’agenouillait devant le Saint-Sacrement, dont il s’apercevait avec ébahissement qu’il devenait son refuge le plus vrai. Dans l’ombre de l’église, presque sans pensées, vivait le vrai Philippe, le nouveau Philippe qui essayait de convertir l’autre, enlisé encore dans ses médiocrités et ses vaines critiques.

Les mois passaient, et cependant, Philippe n’avançait guère. Il priait, il communiait, mais ses confessions lui étaient toujours extrêmement pénibles, et c’est en se confessant qu’il découvrait son pharisaïsme.


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