Ana səhifə

Les Hypocrites La folle expérience de Philippe Beq berthelot Brunet (1901-1948) Les Hypocrites


Yüklə 408.5 Kb.
səhifə9/16
tarix26.06.2016
ölçüsü408.5 Kb.
1   ...   5   6   7   8   9   10   11   12   ...   16

Le docteur


Philippe s’étendait dans le lit douteux de la Maureault, lorsqu’il entendit frapper à la porte. On le relançait jusque-là. Une crainte le prit au ventre : on l’arracherait de là, on l’enverrait dans quelque sanatorium.

Ce ne fut qu’une grosse tête grise, une barbe d’une semaine qui parut :

– Aussi bien me présenter moi-même, puisque nous allons vivre ensemble... Docteur Marquette...

– Bonjour, docteur.

Le docteur Marquette, sans plus de façons, entrait dans la chambre...

– Dieu qu’il fait chaud chez vous... Rabelais dirait que vous êtes brouillé avec l’air susbtentifique...

Et le docteur, sans demander la permission, ouvrit toutes grandes les fenêtres :

– On ne boirait pas dans le verre d’un autre, mais on respire l’air sale...

Le docteur souriait, d’un sourire péremptoire :

– Je suis grondeur, mais je suis gai, vous savez. C’est parce que Molière était triste qu’il se moquait des médecins ; Rabelais était médecin, et il était gai... Vous connaissez Rabelais ? Picrochole, Jean des Entommeures, le torche-cul !

Le docteur s’installait. Assis sur l’unique chaise, il tirait sa pipe et la bourrait :

– Voulez-vous du bon tabac canadien... Je le fais venir de Saint-Jacques... Vous appréciez l’arôme ?

Il tirait de longues bouffées qui chassaient l’odeur de pétrole dans la chambre.

– Où est le crachoir ? Ah ! je vois que la Maureault l’a emporté... Elle est toujours comme ça : pas de saleté ! C’est une religion pour elle. Cette femme jaune aime mieux laver le plancher que son intestin.

Le docteur Marquette montrait un mufle hideux. Boursouflé de partout, avec des marbrures rouges, on aurait dit qu’il avait une fluxion sur les deux joues, avec un mal d’oreille et une ophtalmie purulente : on était surpris de ne pas apercevoir de pus sur cette face. À l’aise, très à l’aise, ce visage ne cessait de sourire dans ses poils et ses couleurs.

– Je vois que vous n’êtes pas installé... Passons plutôt dans ma chambre.

Philippe se leva ; il ne pouvait refuser, et ce lui serait une distraction. Cependant, ils étaient sur le seuil, qu’il dit au docteur :

– Attendez-moi, je vous rejoins. J’ai oublié quelque chose.

Ce qu’il avait oublié, c’était, sous l’oreiller, sa bouteille de jaune qu’il goba d’une traite : remis, Philippe pouvait écouter le docteur :

– Il y a déjà trois mois que je suis ici, et la Maureault, j’ai pu l’observer... Elle se plaint toujours de ses maux d’estomac... C’est qu’elle ne mange pas. Elle se mange au lieu de manger...

Le docteur Marquette souria d’un sourire scientifique.

– Il y a plusieurs façons de se suicider, vous savez et, pour les avares, la plus commode, c’est de le faire sans qu’on s’en aperçoive : la Maureault se fait mourir de faim... Ensuite, elle dit : « Je suis malade à cause de mes malheurs », si elle n’avait pas été malade, elle n’aurait pas eu de malheurs...

Le docteur riait lui-même de sa plaisanterie.

– Pas surprenant qu’elle soit laide comme un péché, un péché d’hygiène... Je sais bien que notre Père Adam a laissé un héritage hypothéqué, mais ce n’est pas une raison pour emprunter en deuxième.

Ils entraient dans la chambre.

– Mon garage, vous entrez dans mon garage...

Capharnaüm inouï. On apercevait d’abord les tablettes d’une petite bibliothèque ; au lieu de livres, des rangées de chaussures de toutes dimensions...

– Vous regardez mon laboratoire du pied : je vous expliquerai ça.

Sur le lit, il y avait une de ces tables mobiles d’hôpital :

– Je vous avertis tout de suite que je ne lis pas dans mon lit, cette table n’est là que pour les journaux et les revues, ça fait de la place...

En effet la table débordait de journaux et de vieilles revues.

– J’ai un principe : on ne peut lire et travailler que dans une chaise confortable... Voyez la mienne.

Il montrait un fauteuil à bascule, aux bras mobiles :

– Je n’ai qu’à visser ou dévisser, et j’ai la chaise qui convient à mon travail...

Il s’approchait lentement du fauteuil, comme on approche d’un animal de luxe, il en manœuvrait les ressorts, les leviers, les écrous :

– Vous voyez. Cela avait l’air d’une bête fantastique, les bras, les pattes, sous la pression du docteur, remuaient, gigotaient, fauteuil de dentiste pour dessins de Walt Disney, mécanique troublante et fruste encore, avec des retouches et des retailles, maquette de monstre antédiluvien et futuriste à la fois.

Devant, le docteur Marquette, pommettes enflammées et oreilles rouges, avait quelque chose du prêtre démoniaque.

– Vous avez devant vous la cathédramètre, le siège qui se mesure à vous-même, et auquel vous mesurez votre travail. Vous saisissez ?

Philippe n’avait pas le temps de placer un mot. Du reste, dans l’extase de sa drogue, il souriait béatement.

Enfin, par un dernier mouvement, le docteur remit en place sa mécanique.

– Aux genoux du bon sens, plions cet art rebelle... C’est ce que disait en un bon vers le Père Delaporte, un des bons écrivains de notre temps...

Quand il ne citait pas le Coran, le docteur Marquette citait des écrivains inconnus, qu’il plaçait très haut. Philippe s’aperçut bientôt que la culture de son nouvel ami était fort vaste et disparate encore plus. Rarement citait-il des modernes, et plus rarement encore des classiques : ce n’était pas dédain, c’était que le docteur avait ses classiques et ses modernes à lui. Son romancier préféré était Rabusson et son poète Albert Mérat, si bien que Philippe, croyant d’abord à quelque blague, dut vérifier les noms dans les dictionnaires et anthologies : Philippe croyait que le docteur mettait sur le dos des autres ce qu’il inventait. En médecine, il citait toujours un certain docteur Catto, du ton dont on aurait nommé Claude Bernard ou Metchinikoff.

À terre, s’empilaient dans les coins, sur le rebord de la fenêtre, sous le lit, la commode, la toilette, s’empilaient revues et journaux, liés par des ficelles :

– J’ai du pain sur la planche, comme vous voyez... L’Ecclésiaste dit : « Mieux vaut vivre à deux que solitaire. » Il y a pour les deux un bon salaire dans leur travail... Ma moitié, à moi, c’est mon œuvre, et vous voyez là les vêtements de mon œuvre... Vous surprenez ma moitié en déshabillé...

Il apprit alors qu’il préparait un livre, l’Héritage d’Hippocrate.

– Je m’adresse à ceux qui ne portent pas une ceinture de chasteté philosophique. Non pas que je casse les vitres. Casser les vitres me déplaît, et il y en a trop qui dépierrent nos bonnes terres pour en lapider toute l’humanité. Je montre, après mon maître Hippocrate, qu’il y a autant de cerveaux malades que de corps. Ne dites pas qu’on va profiter de l’occasion. Au contraire, pour ne pas passer pour fous, les gens s’abstiendront de faire des bêtises.

Philippe ne disait mot. Il avait peur. Il avait peur de cette mécanique, cette chaise, cette cathédramètre, immobile pourtant dans son coin qui, pour Philippe, bougeait toujours avec des gestes hallucinatoires. Il avait peur du docteur, ce contraste d’un bon sens de parole posée, égale et d’un regard allumé dans une face débordante de santé fausse, comme un cancer. Il avait peur que le docteur ne l’arrachât à sa retraite et à sa dope – ce qui eut lieu du reste, mais indirectement.

Philippe ne savait comment se l’expliquer, il lui semblait qu’il avait été attiré dans un traquenard opératoire, qu’il servirait de cobaye à une vivisection hoffmannesque.

Le docteur passait maintenant aux chaussures, il les tirait les unes après les autres de ses tablettes :

– On ne sait pas se chausser. Tout le mal vient de là. Les esprits sophistiqués s’en prennent aux conserves, aux nourritures synthétiques. Ils n’ont pas toujours tort, bien qu’un jour, je l’espère, on arrivera aux synthèses naturelles. Mais si on commençait par la base, par le pied. Quand on bâtit sur de mauvaises fondations, l’édifice s’écroule. L’homme mal chaussé ne peut être qu’un homme malade... Vous-même, pardonnez-moi de vous le dire, essaieriez-vous de vous fuir en vous gorgeant de jaune, si vous portiez de bonnes bottines ?

Le docteur Marquette l’avait toisé avec un sourire narquois, et Philippe, découvert, tremblait d’effroi. Il voulait fuir, et il restait cloué à son siège.

– Tiens, vous voyez cette paire de chaussures, je suis sûr qu’elles sont à votre pointure : si vous promettiez de les porter, je vous promettrais à mon tour que d’ici une semaine vous ne prendriez plus une goutte de votre sale drogue.

Le docteur, la main levée, secouait, comme un drapeau, des bottines invraisemblables, ces bottines hautes : jambières, bottines de ski, ou bottines de jeunes Anglaises du siècle dernier. La poussière s’en détachait ; une poussière qui, remuée avec la poussière de la chambre, faisait comme un halo gris autour du docteur dans le soleil. Toute la chambre était du reste poudreuse et Philippe se demandait par quel sortilège le docteur avait réussi à esquiver le balai de la Maureault. Et aussi par quel paradoxe, cet homme des fenêtres ouvertes consentait à garder ces saletés.

Philippe voulait s’expliquer, Philippe voulait nier, et justement il sentait une envie à l’estomac qui le brûlait d’avaler un coup de sa drogue :

– Prenez une bonne gorgée, et essayez-moi ensuite ces excellentes bottines. Puis allez faire une marche, et vous me direz si l’obsession ne diminue pas.

Philippe rougit, il tira quand même de sa poche la petite fiole, qu’il vida. Tout de suite, abolissant ses peurs comme un rayon de soleil, un bien-être se faisait jour. Il chaussa donc les bottines invraisemblables, et, la face rouge de l’effort, il se mit à arpenter la pièce :

– Vous verrez, vous n’en voudrez plus d’autres, après quelques heures... Allons faire une marche...

Philippe passa dans sa chambre, les pieds serrés dans cet étau de cuir, et grandi, lui semblait-il, par les talons. Il endossa un imperméable défraîchi qu’il tira de sa serviette et rejoignit le docteur :

– Ne boutonnez pas votre manteau. Si l’on veut profiter de l’air, il faut avoir la poitrine dégagée... Moi, l’hiver, je ne porte qu’aux jours les plus froids un manteau d’ouvrier qui me laisse les jambes libres.

De fait, il n’était qu’en veston.

En bas, par la porte entrebâillée de la salle à manger, ils entendirent des chuchotements :

– La Maureault reçoit. C’est son directeur, l’abbé Lallemant. Écoutez !

Philippe n’entendait qu’un murmure, un murmure en cul de poule, et de petits rires fâchés, comme si la Maureault avait été lutinée.

– L’abbé rit d’elle, et elle aime ça. C’est fête plus pour elle, aujourd’hui ; les visites de l’abbé, elle y pense pendant trois jours.

Il y avait en effet comme un air de fête indéfinissable dans le couloir. Philippe se demandait pourquoi, puis il vit la douillette de l’abbé jetée précieusement sur la chaise de l’entrée, avec le chapeau et le bréviaire, nature morte pieuse et presque sacrée. Philippe croyait flairer un parfum d’encens. Il renifla, ce n’était que l’eau de Floride dont s’était imbibée la dévote.

1   ...   5   6   7   8   9   10   11   12   ...   16


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət