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Fatalitas ! par Gaston Leroux


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XVI



De l’état civil de Chéri-Bibi dans la capitale


Non loin de la rue Lesueur où nous avons dit que Nina-Noha avait un appartement à Paris et à quelques pas de l’avenue de la Grande-Armée, entre un herboriste qui avait fermé boutique depuis la guerre et un marchand de fromages qui faisait fortune, il y avait une boutique de « bougnat » qui était la plus « miteuse » qu’on pût imaginer.

C’était un vrai trou avec un comptoir, quelques flacons sur des tablettes et une demi-douzaine de margotins dans un coin perdu.

Le charbonnier, un brave Auvergnat, était parti pour le front, laissant le soin de son commerce et de son honneur à sa jeune femme, laquelle avait aussi bien maltraité l’un que l’autre. Il avait fallu vendre.

Un acheteur, contre toute espérance, s’était présenté, et le fonds, qui ne valait pas quatre sous, fut payé 4000 francs, « rubis sur l’ongle ».

Dans le quartier, l’acheteur fut regardé d’abord comme un fou. C’était du reste un être fort original ; il passait son temps, quand il était dans sa boutique, ce qui lui arrivait rarement, à bavarder avec des amis venus d’on ne sait où.

Le marchand de fromages, qui était en train de faire fortune, tout en gémissant sur le malheur du temps, eut bientôt fait d’expliquer aux commères d’alentour tout le mystère... Le bougnat faisait partie d’une bande noire qui se souciait peu du petit commerce à domicile et qui gagnait des « mille et des cents » en procédant à un accaparement dans les grandes largeurs...

À partir de ce moment, le bougnat suspect fut respecté de tout le monde et chacun l’appela « Monsieur Talboche » gros comme le bras. C’était Chéri-Bibi.

M. Talboche était absent de sa boutique parfois des semaines entières... Quand il réapparaissait, les voisins lui faisaient compliment de sa bonne mine, bien qu’il eût une figure à avoir assassiné père et mère ; mais les gens sont ainsi faits qu’ils admirent la malice, au point de lui trouver de la beauté.

Or, M. Talboche, après une absence qui s’était, cette fois, particulièrement prolongée, venait de rentrer chez lui avec une jeune demoiselle et un vieux long monsieur tout efflanqué que l’on n’avait encore jamais vu dans le quartier. Et les potins commençaient d’aller leur train quand on vit, le soir même, réapparaître à l’horizon du bougnat une silhouette bien connue, mais qui marquait plus mal que jamais. On l’appelait le cow-boy, à cause de ses airs de « sauvage d’Amérique » et il passait naturellement pour disposer de tout le charbon des États-Unis.

Le cow-boy était accompagné d’un personnage qui marquait encore plus mal que lui et avec lequel il semblait, du reste, dans la meilleure intelligence.

Ils avaient dû prendre, au cours de leur chemin, quelques petits verres chez les bistrots et ils pénétrèrent joyeusement chez M. Talboche avec la pensée évidente de compléter une aussi belle tournée.

Chéri-Bibi vit entrer Yoyo sans étonnement. Il l’attendait.

Mais la jeune demoiselle, qui n’avait pas été prévenue de cette réapparition, en marqua aussitôt une joie excessive et se jeta littéralement au cou du cow-boy.

Sur quoi, un troisième personnage, qui grognait dans un coin, vautré sur les derniers margotins de la maison, sursauta avec animation contre ce qu’un pareil spectacle présentait d’indécent dans un magasin tenu par un homme qui s’était toujours vanté d’aimer et de protéger les bonnes mœurs.

Mais Chéri-Bibi avait autre chose à faire que d’écouter les jérémiades de la Ficelle. Sur un signe de Yoyo, le bougnat d’occasion avait passé dans son arrière-boutique et s’y était enfermé avec le cow-boy et son nouveau « poteau ».

La conversation dut être des plus intéressantes, car elle se prolongea assez tard dans la soirée et ne fut interrompue que par le soin que prenait Chéri-Bibi de venir chercher une bouteille pleine quand celle qu’il avait emportée était vide.

Zoé, pendant ce temps, essuyait les verres, mettait de l’ordre, si l’on peut dire, dans le ménage, enfin essayait de se rendre utile.

Quant à M. Hilaire, il boudait affreusement. Du reste, depuis son retour à Paris, qui datait de la veille, il n’était pas à prendre avec des pincettes.

Quoi qu’il s’en défendît, et en dépit de tous les sentiments qu’il avait voués à Chéri-Bibi, il ne pouvait s’empêcher de penser que le magasin de la rue Saint-Roch était autrement confortable que l’affreuse boutique du bougnat Talboche.

Enfin, ce n’étaient point les nouvelles façons d’être de Zoé, ni de Yoyo, qui pouvaient lui faire oublier qu’il y avait là-bas (pas bien loin, dix minutes en métro), une brave femme en grand deuil qui continuait d’édifier la rue Saint-Roch par la persistance de son désespoir conjugal... car M. Hilaire avait reçu des nouvelles de sa moitié, Mme Hilaire, qui, à la suite de son aventure de Nice avait introduit une demande en divorce, avait montré, en apprenant la mort de son mari, chauffeur chez M. de Saynthine, une douleur des plus édifiantes... Elle ne cessait, avait-on écrit à M. Hilaire, d’embrasser la photographie de son malheureux époux, en l’arrosant de ses larmes !...

Dans le moment, M. Hilaire était prêt à tout pardonner, et cela pour le plaisir bourgeois de chausser une paire de pantoufles auprès d’un bon feu !...

Justement, avec la nuit était venu un temps de chien... Les vitres crépitaient sous la pluie et le verglas...

Chéri-Bibi n’avait pas pensé au souper... Le ventre de M. Hilaire était dans la tristesse comme son âme...

M. Hilaire ne voulait plus même regarder cette petite Zoé, tant il se sentait de l’irritation pour son ingratitude...

Et qu’est-ce qu’ils faisaient, les autres, à bavarder si longtemps derrière cette porte ?

Tout à coup, la figure de M. Hilaire s’illumina ; Yoyo a peut-être trouvé le collier !... car lui seul était sur la bonne piste ! On n’est sans doute revenu à Paris que parce que Yoyo a découvert le collier !... Mais alors ?... mais alors ?... c’est fini les aventures ! Chéri-Bibi va lui donner congé !... C’est promis ! c’est juré !...

M. Hilaire en est là de ses réflexions quand la porte du fond s’ouvre... L’apache, en dépit de toutes les consommations offertes par son hôte, apparut beaucoup moins ivre en sortant qu’en entrant.

Il serra la main de Chéri-Bibi avec une satisfaction marquée :

« Je crois, dit-il, que nous venons de boucler, tous les deux, une bonne affaire !

– Je le crois », répéta Chéri-Bibi.

Et l’apache s’en alla...

« C’est un confrère ! expliqua Chéri-Bibi. On était fait pour s’entendre...

– Ça, grogna la Ficelle, ça n’a jamais été un bougnat !...

– Non, mais c’est un « fagot » comme on en rencontre plus souvent sur les bords de l’Oyapok que dans le quartier de l’Opéra, mon vieux la Ficelle, à moins qu’on ne passe par hasard devant certaine épicerie...

– Oui, oui, monsieur le marq... je n’insiste pas... Et qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?

– Petit curieux, va !...

– Assez ! assez ! compris, monsieur le marq... Je vais faire mon testament !...

– Vous oubliez, monsieur Hilaire, que vous êtes déjà mort !... »

Désormais, M. Hilaire « se laissa faire » sans essayer de comprendre et surtout sans élever des objections, sans faire entendre de ces nauséabondes lamentations qui lui valaient de si redoutables rappels à l’ordre de la part de Chéri-Bibi.. Seulement il comptait les jours. Deux déjà s’étaient écoulés sans qu’il se fût passé autre chose d’extraordinaire que le déménagement de M. Talboche. Oui, M. Talboche avait transporté son fonds de la rue Lesueur dans la cour d’une petite maison de la rue de Dunkerque.

La maison tout entière était à la dévotion du comte, habitée par les plus habiles fripons à sa solde et truquée comme un vrai fort Chabrol, capable au besoin de soutenir un siège, nourrissant une petite troupe d’apaches, dont le quartier général se tenait chez M. Miche, le mari de la concierge et le tenancier du bar.

À toute heure du jour et de la nuit, il y avait chez M. Miche une « permanence », qui permettait de faire face à tous les événements...

Chéri-Bibi, piloté par Yoyo et par son nouvel ami, qui était une sorte de lieutenant dans la bande et qui se faisait pompeusement appeler « le major », avait tôt fait connaissance avec M. Miche, avec son comptoir, ses petits verres et sa clientèle spéciale.

C’est lui qui fournissait le bistrot de charbon et il avait fait connaissance aussi avec sa cave.

Seulement, M. Miche, méfiant, ne laissait jamais personne pénétrer seul dans son sous-sol... Il y avait suivi pas à pas Chéri-Bibi jusqu’à ce qu’il eût déchargé son dernier sac et il était remonté derrière lui, puis il avait rabattu la trappe qui donnait derrière le comptoir.

Il est bon de dire que lorsqu’il n’était pas chez M. Miche, Chéri-Bibi, en raison évidente de son métier, dans lequel il était aidé par Yoyo et quelquefois par Zoé, était tout le temps fourré dans les caves. Il n’y avait que l’antiquaire qui ne demandait point de charbon à M. Talboche !...

M. Punaise se chauffait au gaz. Or, Chéri-Bibi n’était entré dans la cave de M. Miche que dans l’espoir de pénétrer dans la cave de M. Punaise, parce que Yoyo avait découvert qu’il existait une communication directe entre l’une et l’autre cave...

Tout le secret de la disparition du collier tenait peut-être dans le fait de cette communication...

En tout cas, c’était dans le sous-sol de l’antiquaire et du marchand de vin qu’il fallait travailler, pour peu que l’on attachât quelque importance aux propos de Yoyo. Chéri-Bibi croyait que celui-ci avait mal cherché et pensait être plus heureux que lui...

Dès l’abord, M. Talboche avait tenté un rapprochement avec l’antiquaire, mais M. Punaise, aux premiers mots de charbon à descendre dans la cave, avait froidement mis M. Talboche à la porte de chez lui, sans autre explication... La concierge, elle-même, cette bonne Mme Miche, avertie par l’antiquaire, avait fait entendre qu’il fallait laisser M. Punaise tranquille...

Tout l’espoir de Chéri-Bibi se reportait donc du côté de la cave du bistrot.

Il résolut de tenter quelque chose d’important, le soir du troisième jour.

La Ficelle avait déjà deviné que les événements allaient se précipiter, Chéri-Bibi avait mis les volets de bonne heure et il avait sorti d’un panier un de ces succulents soupers comme il avait l’habitude d’en préparer autrefois quand il s’agissait de se donner du cœur au ventre pour les terribles besognes de la nuit...

Chéri-Bibi seul était gai. Contrairement à son habitude, Yoyo était triste, la petite Zoé aussi. La Ficelle était lamentable...

« Allons ! mes enfants !... Un peu de courage !... fit Chéri-Bibi !... On se retrouvera bientôt !

– On va donc se préparer ! bégaya la Ficelle, déjà plein d’espoir.

– Je parle pour les amoureux, mon bon la Ficelle ! Il ne s’agit donc pas de toi ! Tu as passé l’âge !... Il s’agit de Yoyo et de Zoé entre qui il y a promesse de mariage !...

– Ah ! oui !... Voilà donc la belle histoire !... » souffla la Ficelle d’un air qu’il essayait en vain de faire désinvolte, mais qui trahissait de pauvres sentiments d’amour-propre blessé ! Au surplus, il fallait s’y attendre ; une petite fille des rues est bien faite pour s’entendre avec un grand garçon de la forêt ! « Ça fera un beau couple devant M. le maire ! Je m’invite à la noce et je bois à sa santé !... »

– C’est ce que tu as de mieux à faire ! déclara Chéri-Bibi en versant son champagne à la ronde... Quant à moi, continua-t-il avec cette onction inquiétante que la Ficelle connaissait depuis des années, quant à moi, je suis heureux d’avoir vu naître, sous mes auspices, les jeunes feux d’un honnête amour... C’est toujours plus plaisant que d’assister aux grimaces indécentes d’un vieux singe comme toi, mon bon la Ficelle !... Allons, ne te fâche pas !... Tu auras bientôt la joie de serrer Virginie sur ton cœur...

– Ouais ! grogna M. Hilaire... pour peu que je tarde, elle sera morte de douleur, la pauvre !...

– En attendant, voilà ce que tu vas faire... Tu m’écoutes, la Ficelle ?...

– Ah ! si je vous écoute !...

– Yoyo doit nous quitter ce soir même, c’est ce qui t’explique sa tristesse.

– Ah ! ah ! Il n’emmène pas sa... sa fiancée...

– Non ! C’est toi qui la gardes !...

– Moi ? Ah ! ce serait trop fort... Non ! je ne me charge pas d’une affaire pareille !...

– Si ! trancha net Chéri-Bibi... Tu t’en charges ! c’est moi qui te le dis, et ce n’est que justice !... Voilà un brave garçon qui est tout prêt à se marier et que j’envoie à Nice pour nos petites affaires, c’est bien le moins que l’on fasse quelque chose pour lui.

– Vous avez donc encore des petites affaires à Nice ? » questionna M. Hilaire, assez inquiet...

« J’y ai Gorbio qui vient d’y retourner... Comprends que j’y envoie Yoyo qui ne demanderait pas mieux que de rester ici... Veux-tu partir à sa place ?

– Non ! non ! je reste, ça va !... Et je ferai respecter mademoiselle Zoé, c’est entendu !...

– C’est juré ?

– C’est juré !...

– Eh bien, va, Yoyo ! si tu ne veux pas manquer ton train ! »

Yoyo embrassa Zoé qui se laissa faire avec émotion.

Après cette scène touchante et quand Yoyo fut parti, Chéri-Bibi se leva et garnit en silence ses poches de certains outils de travail que la Ficelle jugea de la plus haute importance.

« C’est bien pour ce soir ! gémit-il en lui-même. Que le bon Dieu nous protège ! J’ai peut-être eu tort de ne pas partir à la place de Yoyo !... »

Chéri-Bibi, ayant terminé ses préparatifs, toussa, frappa sur l’épaule de la Ficelle et lui dit :

« En route !

– Oui, oui, en route ! »

La Ficelle connaissait ce que signifiaient ces « en route ! » là...

« Où allons-nous ? demanda-t-il.

– Pas loin ! Prendre un verre chez M. Miche !

– Jolie connaissance, votre M. Miche ! bougonna la Ficelle. « Quand on vient de prendre du champagne de première marque chez M. Talboche, je trouve que c’est déchoir que d’aller se faire servir un petit verre sur le comptoir de M. Miche !... Quoi qu’il en soit, je suis à la disposition de M. Talboche !... »

Il s’arrêta subitement, effrayé de ses propos audacieux et aussi du regard que lui lançait Chéri-Bibi

« Écoute, la Ficelle, écoute la consigne, mon garçon !

– Oui, monsieur le marq...

– Ce soir, tu vas t’enivrer avec la bande ! compris ?

– Oui, monsieur le marq...

– Appelle-moi monsieur Talboche !...

– Oui, monsieur Talboche !...

– Et si, par hasard, il y a un pante qui ne soit pas convenable avec Zoé ! Tu lui tomberas dessus !...

– Entendu, monsieur Talboche, mais monsieur Talboche viendra à mon secours ?

– Non ! car M. Talboche ne sera plus là !

– Alors, je suis mort ! et pour « de bon » cette fois ! soupira la Ficelle... Songez donc, je les aurai tous sur le dos, dans la minute. Tenez, monsieur Talboche ; il y a une chose qui arrangerait tout !... On n’a qu’à laisser Mlle Zoé ici !... Voilà dix heures passées, ce n’est pas le moment de sortir les jeunes filles à marier !...

– Vous n’avez pas de chance dans vos « raisonnements », monsieur Hilaire ... déclara Chéri-Bibi sur ce ton glacé qui figeait toutes les répliques sur les lèvres de ses interlocuteurs. « Figurez-vous que « je sors » Mlle Zoé pour qu’on lui manque justement de respect et pour que vous ayez l’occasion de la faire respecter ! Comme vous l’avez juré à notre ami Yoyo... L’avez-vous juré, oui ou non, monsieur Hilaire ? Et faut-il tenir pour rien vos serments ? »

M. Hilaire n’avait plus rien à dire. Il comprenait que Chéri-Bibi avait besoin d’une querelle ce soir-là, chez M. Miche, c’est ce qui pouvait lui arriver, à lui, M. Hilaire, de plus désagréable, mais il jugea inutile d’insister et, sur un signe de Chéri-Bibi, il « offrit son bras » à Mlle Zoé.

« Compliments ! monsieur Hilaire ! » fit Chéri-Bibi en fermant la porte de sa boutique qui donnait dans la cour, vous avez ainsi tout du gentleman ! Si votre ami Yoyo vous voyait, il serait content !... »

L’heure légale à laquelle le cabaret de M. Miche devait fermer était passée depuis longtemps, mais, comme l’on pense bien, jamais la réunion n’était aussi brillante chez M. Miche qu’après cette heure-là !...

Il y avait certaines façons de pénétrer dans l’établissement que connaissaient les initiés, surtout les habitants de la cour... M. Talboche, M. Hilaire et Mlle Zoé firent une entrée solennelle par l’office... Jamais encore Mlle Zoé n’avait franchi la porte du mastroquet. Sa curiosité, comme toujours, dominait sa crainte des événements, en quoi elle était bien différente de ce bon M. Hilaire. Elle passait dans la maison pour la nièce de M. Talboche. On savait que Yoyo et la Ficelle se la disputaient et la gardaient de près.

Son arrivée fit sensation et fut accueillie par des murmures flatteurs.

« Justement on disait que ça manquait de dames ce soir ! » fit entendre une voix de rogomme.

« Monsieur Miche », derrière son comptoir, saluait en faisant des grâces... Lui aussi avait « distingué » Zoé, depuis que le nouveau bougnat avait emménagé dans la cour. Il s’empressa. Il passa lui-même le torchon sur la table et il installa ses nouveaux hôtes.

Les « mauvaises pièces », dont la salle était pleine n’eussent pas demandé mieux que de frayer familièrement avec les compagnons de la demoiselle, mais si la figure ahurie de la Ficelle prêtait à d’agréables plaisanteries la mine toujours inquiétante, même au repos, de Chéri-Bibi, laissait à réfléchir.

Ce fut Zoé qui prit l’initiative de faire un petit tour dans le camp ennemi. Elle avait dû recevoir les instructions de son oncle Talboche. Tant est que lorsqu’elle se leva brusquement pour aller voir de près une partie de dés qui se jouait sur le comptoir, la Ficelle, dans la crainte irréfléchie de complications qu’il continuait toujours à redouter, tout en les sachant nécessaires, voulut la retenir. Mais Chéri-Bibi, étreignant le poignet de son poteau, lui souffla : « Laisse donc faire ! »

Zoé, elle aussi, voulut jouer... On lui fit une place de reine.

Pendant ce temps, le charbonnier et M. Hilaire, à qui nul ne prêtait plus attention, échangeaient des propos utiles et définitifs.

Tout à coup, Chéri-Bibi fit à la Ficelle :

« Va ! »

La Ficelle pâlit, mais sous le regard terrible du maître, il se leva...

Il faut dire que dans ce moment M. Miche, qui venait de jouer la partie perdue par Zoé contre un baiser qu’il avait gagné, embrassait à pleines lèvres la charmante enfant...

C’était l’occasion ou jamais pour la Ficelle, gardien « juré » de la vertu de la fiancée de Yoyo, d’intervenir. Cette occasion, il ne l’avait pas cherchée, et, au spectacle de cet homme vigoureux étreignant cette fragilité, il eût bien voulu la fuir... Mais « Va ! » c’était la voix de Chéri-Bibi et c’était celle du devoir !... Chéri-Bibi répéta à voix basse : « Va, et entre-lui dedans ! »

Le malheureux allait...

L’assistance le voyait s’avancer et elle en concevait de grandes joies prochaines... d’autant plus que le « Major » n’était pas là pour imposer une discipline qui pesait généralement à cette armée irrégulière...

Plus la Ficelle avançait, plus il pâlissait. Enfin, il fut près du groupe au baiser et commença à protester avec politesse :

« Monsieur Miche, fit-il avec une ingénuité tremblante, vous oubliez que Mademoiselle est avec moi !

– Non, non, je ne l’oublie pas ! répliqua M. Miche, je vais vous la rendre tout à l’heure !... »

Ce fut un beau succès pour M. Miche, et il eut tous les rieurs avec lui, mais ce qui se passa par la suite plaça d’emblée M. Hilaire au rang des héros ! Monsieur Hilaire donna une gifle à Monsieur Miche !

Après quoi il eut le bonheur de s’évanouir immédiatement, ce qui lui évita de se sentir emporté dans une tempête de coups de poings, dans un ouragan de bataille où le Major, qui venait d’entrer, fit sa partie, pour défendre, du reste, que l’on achevât d’assassiner sa nouvelle recrue...

Le plus étonnant fut que dans tout ce brouhaha, Chéri-Bibi avait disparu et que Mlle Zoé, elle-même, n’avait pas l’air de s’en préoccuper... Transformée en infirmière, elle versait sur la tête du pauvre la Ficelle un broc d’eau fraîche destiné à le faire revenir à la vie...

Ce fut M. Miche qui, le premier, constata l’absence du bougnat : « Tiens, le bougnat a fichu le camp ! », dit-il en ramassant les débris d’une verrerie dont le prix était décuplé depuis la guerre !

« Oui ! Il n’aime pas les coups !... expliqua Zoé...

– Ça n’est pas comme ce monsieur !... » constata M. Miche en se tournant vers la Ficelle qui rouvrait les yeux dans le moment qu’il lui rendait ce juste hommage... Mais il n’en sourit pas avec moins de mélancolie à Mlle Zoé qui lui prodiguait des consolations qu’il n’entendait du reste pas, car, à côté de lui, deux petits coups secs venaient d’être frappés sous la trappe... sous la trappe qui conduisait à la cave derrière le comptoir !

Ces deux petits coups avaient une signification effrayante pour la Ficelle : ils disaient : « Je suis entré là-dedans, maintenant, il faut que j’en sorte ! »

Alors de désespoir, à l’idée de ce qui allait encore se passer, il se révanouit.

« Tout de même, il ne va pas crever avant d’avoir payé la casse ?...

– Vous occupez pas de ça ! s’écria tout à coup une voix retentissante... je règle tout dans la tôle ! »

Et, sous la trappe soulevée, apparaissait la figure terrible de Chéri-Bibi !...

L’idée que ce nouvel acolyte, hier encore inconnu dans la bande, avait pu rester une demi-heure, et plus peut-être, dans sa cave fit voir rouge à M. Miche ! Mais Chéri-Bibi avait bondi, des bouteilles plein les bras, et c’étaient autant de projectiles !...

« Qui est-ce qui veut à boire ?... »

Le Major qui, cette fois, avait pris le parti du mastroquet, reçut pour son compte une bouteille d’amer dont l’effet fut foudroyant. Il s’affala dans son apéritif préféré, cependant que Chéri-Bibi, qui avait ramassé sous son bras ce pauvre paquet inerte de la Ficelle, opérait vers l’office une retraite farouche, éclairée par le sourire diabolique de Mlle Zoé...

Une heure plus tard, la Ficelle se réveillait au fond d’un lieu inconnu... S’étant tâté et ayant constaté qu’il avait encore la libre disposition de ses membres, il se glissa hors du trou... Personne !... Un chantier de construction abandonné, depuis la guerre... M. Hilaire commençait à en avoir assez des trous inconnus... S’étant glissé entre deux planches, ce qui lui fut relativement facile, il prit, à travers les rues désertes, le chemin qui conduisait au plus court à la rue Saint-Roch !... La nuit était belle, froide et claire !... La lune était dans son plein... M. Hilaire crut voir l’image de Virginie qui lui souriait au firmament !...

Enfin ! Voici la rue Saint-Roch !... Voici le boyau obscur où les rayons lunaires ne pénètrent pas, mais où brille une lumière, celle de l’espérance, à la fenêtre de Virginie !...

Voici la devanture derrière laquelle se cache tant de douleur... D’un poing ému, M. Hilaire frappe par trois fois. Il attend !... Minutes d’une angoisse inexprimable !...

La devanture se soulève. M. Hilaire tend les bras !

Virginie paraît.

Elle pousse un cri terrible.

« Toi ?... s’écria-t-elle. Toi vivant ?...

– Oui, Virginie !... Moi, vivant !...

– Ça, c’est trop fort !... S’il est permis de se moquer ainsi des gens !... Vaurien, va... »

Et aussitôt M. Hilaire, qui dans cette demi-obscurité n’y voyait pas trop clair, fut illuminé, comme on dit, par trente-six chandelles !... Un poing terrible l’attaquait avec violence à l’arcade sourcilière droite, le faisait basculer jusqu’au milieu de la rue et s’enfuir en jetant mille imprécations, cependant que derrière lui la voix conjugale accompagnait son départ précipité de réflexions retentissantes qui troublaient le repos de la rue déserte et paisible.

La démonstration était faite : Mme Hilaire n’aimait son mari que lorsqu’il était mort !


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