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Deux voyages en ouroud


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Nostalgie pleine de chagrin
Devant nous c’est le village d’Ouroud. En temps que l’un des plus anciens lieux d’habitation dans le Caucase, l’un des plus anciens lieux d’habitation des turcs dans la région le village d’Ouroud est situé sur la rive gauche de la rivière de Bazartchay, à 15 km du district de Sissyan. J’ai beaucoup écrit sur Ouroud, mais chaque fois qu’on parle d’Ouroud je me souviens de mon premier poème que j’ai fait il y a 22 ans :

Mon Ouroud, tu as cent milles ans et cent dix maisons

Je m’ennuie sans toi, mon foyer

Je vole dans le ciel avec les ailes que tu m’as données

Je me poserai sur tes bras finalement,

Oh, la plus haute montagne,

Même si je vole très loin.

Parce que je m’ennuie pour la patrie

J’étais étudiant quand j’ai écrit ce poème. Dans ce poème j’utilise le mot «s’ennuyer pour la patrie», mais dans la réalité je ne savais pas exactement le sens de cette expression. Je déteste le Dieu parce qu’il nous a appris à supporter le chagrin de la perte de patrie :

Le jardinier ne pense qu’à son jardin et

Le rossignol ne peut pas jeter de sa tête

L’amour de la fleur et du jardin.

Il n’est pas possible d’exprimer les sentiments que j’ai éprouvés. Je passe par la Patrie pas après pas. Et la Patrie passe par moi. Une Patrie qui s’ennuie. Les montagnes sont les mêmes, les pierres sont les mêmes. L’eau est la même, le sol est le même. Seulement les gens ne sont pas les mêmes et les arbres ne sont pas les mêmes.

Nous allons de la source de «Zor-zor» vers Ouroud. Hovik qui a l’air d’être un peu coupable me dit d’un ton comme s’il voulait me soulager :



  • Tu n’iras pas au cimetière, tu sais qu’ils sont partout, les mauradeurs. N’y va pas, sinon tu te feras du mauvais sang.

  • Il est détruit?

  • Là il n’y a plus de cimetière.

Je ne parle plus. En tout cas cette Patrie qui est détruite et vidée me rappelle un cimetière, elle me rappelle une pierre tombale.

Ici c’est le même jardin de Gazi,

Ici c’est la même terre,

C’est seulement l’ennemi

qui s’y promène.

Maintenant il n’y a rien qui reste de ce jardin de Gazi. La moitié est utilisiée pour planter les légumes, en général tous les jardins d’Ouroud sont annulés et partagés après la chute du kolkhoz, la majorité des arbres est coupée.

Je veux visiter le cimetière tout de suite, mais les conditions de mon voyage ne me permettent pas de le faire. C’est pourquoi je demande de reagrder le pont d’Ouroud et la tour de Babek qui est dans la même direction que le cimetière. Hovik Azoyan qui m’accompagne connaît chaque décimètre de ces endroits. C’est lui qui a commencé à faire construire la maison de vacances près d’ «Isti sou» dont les travaux sont arrêtés.

Je réfléchis et j’essaie de trouver une solution pour aller voir la rivière de Bazarthcay, la tour de Babek, la roche de Badir, le pont d’Ouroud à l’arc unique, construit au XIX sciècle et descendre vers le village et pouvoir filmer tout cela si c’est possible.



L’histoire qui est enterrée
Le cimitière d’Ouroud se trouvait au bout du village, à la pente d’Est du mont qui s’appelle la roche de Badir, à la rive gauche de la rivière de Bazarthcay, à 150 mètres du pont d’Ouroud à l’arc unique. Le cimetière qui était divisé en deux occupe un territoire de 3-4 hectares : la partie basse - l’ancien cimetière qui était situé vers le village : ici il y avait de très vieux coffres, des statuettes de cheval et de mouton et il y avait encore plus de 100 monuments sur lesquels il y avait des écritures en langue turque azérie avec l’alphabet arabe ; ici il y avait presque mille tombeaux avec pierres et sans pierres et la partie haute – datant du XIX sciècle où le dernier tombeau était creusé en 1988.


Pas de signes du cimetière ancien d’Ouroud
Partout et toujours le cimetière est considéré comme un endroit saint. Le cimetière est un endroit où les gens comprennent avec pleine conscience le caractère temporaire de la vie humaine et du fait que comment l’homme peut être fort dans la vie et faible devant la mort.

Peut être pour faire comprendre aux gens la relativité de la richesse et de la pauvreté, pour montrer à tout le monde que la vie n’est pas éternelle même pour les coryphées de sciences, des grands chefs de guerres, des chefs d’Etats, les gens édifient-ils de grandes constructions sur leurs tombes.

Le cimetière c’est un endroit saint parce que nos ancêtres qui nous attendent toujours sont enterrés ici et de ce point de vue c’est notre histoire.

Le cimetière d’Ouroud était une source riche d’informations importantes historiques et ethnographiques non seulement pour Ouroud, mais aussi pour toute la région.

L’étude des pierres tombales datant de l’éqoque avant moyen âge et de la période du moyen âge avait attiré l’attention des savants de l’Azerbaïdjan dans les vingtièmes années du sciècle passé.

A. Alekbérov, un ethnogaphe qui avait visité le village d’Ouroud en 1926 avait publié un article sur le cimetière d’Ouroud. L’académicien Ziya Bunyadov qui avait visité Ouroud en 1959 avait pronocé des idées intéressantes sur l’importance historique et l’appartenance ethnique et religieuse des pierres tombales du cimitière d’Ouroud. C’est le professeur Machadikhanim Nématova, éthnographe-historienne, membre correspon­dant de l’Académie des Sciences Nationale de l’Azerbaïdjan qui a donné une deuxième vie à ces monuments les ayant étudiés et caractérisés comme les exemples rares de la science d’ethnographie mondiale. En 1961 M. Nématova était en une mission de longue durée à Ouroud et elle avait étudié les écritures sur plus que cent pierres tombales datant de la période jusqu’en XV-XVII sciècles.



Selon M. Nématova les caractères qui sont utilisés dans des écritures callographiques sur les pierres tombales du cimetière d’Ouroud sont les caractères koufi, naskh, suls, nastalig de la graphie arabe. Selon leur style on peut estimer que les écritures sur les monuments d’Ouroud sont les exemples qui appartiennent à l’école d’art de Tabriz et de Nakhtchévan du Moyen Age.

Les monuments, les coffres en pierre, les statuettes de cheval et de mouton, les épitaphes, les dessins sur les pierres tombales où sont décrites les scènes de chasses, les cérémonies de mariages et de deuils appartenant aux ongons, au culte de chamanisme qui étaient trouvés à Ouroud sont des sources d’informtions précieuses sur l’histoire préislamiques des turcs - habitants de ces terres.



Sur certaines pierres tombales trouvées dans le cimetière d’Ouroud il y a des équigraphes reflétant les dessins d’aigles avec les ailes déployées et assis sur le mouton, sur le cerf ou sur le boeuf. Des totems de ce type sont considérés comme des symboles des peuples turcs d’avant l’islame.

Sur un autre groupe de pierres tombales on voit les dessins des taureaux tibétains avec un homme armé de haches et de poignards qui se tient à droite du taureau.

Comme on le sait le taureau tibétain est toujours considéré comme le totem de tous les peuples turcs.

Selon les croyances des anciens turcs en sacrifiant cet animal une fois par an ils se protégeaient des malheurs durant toute l’année. Ils distribuaient un morceau de la viande du taureau à chaque famille et cela signifiait que la famille aurait quelque chose à manger durant l’année.





Les traîtres ont ruiné complètement la coupole à la tombe de Seyid Mir Ismayil Agha.

Même sans écriture les dessins de l’homme priant (l’homme qui lève les mains vers le ciel) sur les pierres tombales montrent que ce cimetière appartient aux turcs.





Les tombes de ma grand-mère, de mon grand-père, mon père, mes oncles et les autres proches parents n’existent plus ...

Le cimetière d’Ouroud est un exemple qui prouve que les azerbaïdjanais turcs habitent ici au moins depuis la période des Etats de Garagoyounlou et d’Aggoyounlou. La destruction de ces monuments historiques et culturels est un bon exemple pour le vandalisme arménien. Au moins pour cette raison je devais aller à cet endroit saint qui est à une distance de 150 mètres de moi. Voir par mes propres yeux l’état de ce cimetière est mon devoir pas seulement comme resortissant de ce village, mais aussi comme un azerbaïdajanais, comme un être humain civil.

D’autre part c’était mon devoir en temps qu’un fils de ce village de visiter les tombeaux de mon père, de ma mère, de mes parents et mes proches y compris le tombeau de Seyid Mir Ismayil Aga, descendant du Prophète et un homme bien respecté dans toute la région et de faire prière pour eux.



Sûrement les arméniens, venus d’Irévan ne connaissaient pas le cimetière et ils ne savent pas que nous sommes tout près de lui qui est à 50 pas de nous. Il me reste Hovik : ou je dois filmer le cimetière de façon qu’il ne remarque rien, ou je dois obtenir son accord. Je fais semblant de filmer la rivière, le pont, la tour, le village et les montagnes qui nous entourent et je m’approche doucement du sommet de la colline d’où je peux filmer le cimetière. A ce moment j’entends l’hurlement furieux d’Hovik :

  • Ara, où vas-tu ? Mais on a bien dit que tu ne filmerais pas le cimetière! Descends, et viens donc!

  • J’obéis et je descends de la colline, parce que c’est en vain d’insister et de disputer avec lui.

Sinon il peut enlever ma caméra et nous faire retourner à Irévan. Je m’aproche des arméniens lentement et en faisant chemin je prépare une deuxième version pour obtenir son accord : je tiens la caméra vers Hovik et je dis :

  • Je suis conscient du fait qu’il est interdit de filmer un site stratégique aussi important que le cimetière d’Ouroud et c’est pourquoi je laisse ma caméra ici et je te demande de m’autoriser d’aller visiter les tombeaux de mes parents. C’est vrai que nos religions sont différentes, mais nous avons tous un seul Dieu. Et ce Dieu qui est unique est témoin que cela fait déjà 16 ans qu’aucun musulman n’est venu ici pour réciter quelque Ayat du Coran. Allah ne me pardonnera pas si je ne récite pas d’Ayat pour l’âme de ces musulmans qui y sont enterrés. Et si tu ne me permets pas de le faire tu seras coupable devant le Dieu. Hovik prend la caméra en me regardant avec étonnement et je dis :

  • Tôt ou tard, cette guerre va terminer et la paix viendra. Les nôtres reviendront ici et les vôtres viendront en Azerbaïdjan. Pour ne pas avoir honte à ce moment, permets-moi d’aller visiter le cimetière cinq minutes et de réciter un Ayat du Coran.


Notre sanctuaire est ruiné
Hovik réfléchit une minute et répond lentement :

  • Bon, ara, monte sur cette colline, récite un Ayat là et reviens vite.

... Le cimetière est complètement rasé, les arbres plantés près des tombeaux et qui étaient déjà grands quand nous avions quitté le village sont tous arrachés et les tombeaux sont tous comblés et entassés du sol d’une hauteur de 1.5- 2 mètres par le bulldozer. Et pendant 15 ans les pluies et les neiges ont dû laver la terre de façon qu’il est presque impossible de deviner qu’il y avait un cimetière ici autrefois. Si tu viens avec quelqu’un qui ne connaît pas ces endroits et tu lui dis que c’est la place de notre cimetière détruit par les arméniens, il ne pourrait jamais y croire. Au contraire, il peut te reprocher de calomnier : - Pourquoi ments-tu, ici il n’y a aucun signe de cimetière.

L’Ayat du Coran «Fatihe» reste dans ma gorge. Mes yeux se remplissent de larme. A ce moment je pleure à la place de tout le monde. Je pleure pour ceux qui sont morts et pour ceux qui sont en vie.

Dans mon jardin séché

Les rossignols ne chantent pas.

Ce chagrin ne me quittera pas

Ce chagrin me tuera.

En vain je suis venu ici.

Mes yeux sont pleins de larme sanglante

Mon coeur est détruit.

Ni la maison d’Allah, ni le mausolée d’Aga

Sont debouts.

Je ne devais pas venir ici.

Je ne devais pas venir et voir en ruine

Les tombeaux de mon père et de mes ancêtres.





Vagabonds sans feu ni lieu
Quand j’ai vu la place du cimetière rasé pleine de buissons j’ai perdu la connaissance pour un moment, j’ai perdu ma mémoire et je ne me souviens rien du reste.

Pendant mon voyage à Sissyan c’est la troisième fois que je suis choqué : je perds la connaissance et la mémoire - pour un moment je ne peux pas me rappeler mon identité personnelle et la raison d’être ici.

La seule chose que je demande à Hovik : Quand est-il détruit ? «Après la chute de l’Union Soviétique», répond-il.


  • Et qui est-ce qui a détruit la tombe de Séyid Mir Ismayil Aga ? Mais vous donniez des sacrifices pour lui, vous le respectiez ?!

  • Sa tombe était détruite par les barbus qui étaient venus d’Irévan, les arméniens de Sissyan ne se sont pas approchés.



On pleure quand on perd son foyer
Il n’y a aucun signe d’Ouroud, la modernité, la beauté duquel nous rendaient fiers. Le village est détruit. A Ouroud qui était composé à l’époque de 120 maisons il n’y avait que 30-40 maisons et la majorité des habitants sont des vieux.

Les rues, les routes internes des quartiers, les cloisons, les murs et les portails des maisons abandonnées sont détruits. Après le départ des azerbaïdjanais le village est complètement abandonné, on voit qu’il n’est même pas néttoyé.

Ce qui m’a causé du chagrin encore c’était que tous les noisetiers de notre village avaient été coupés. Ces très grands noisetiers qui avaient 100-150 ans étaient symbole de notre village et leur fruit tout blanc et avec la peau frèle était délicieux, de très bonne qualité. Maintenant ils n’existent plus et je pense qu’ils n’existeront jamais. On rencontrait très rarement des jeunes arbres.

La maison de mon oncle se trouvait juste au centre du village. Il avait un jardin riche en différents arbres. Dans son jardin il y avait beaucoup de mûriers et un grand noisetier avec du fruit de petite taille, tout blanc, avec la peau frèle, délicieux et bon.

Devant la maison de mon oncle je fais arrêter la voiture en disant que je veux la filmer. Les arméniens descendent aussi et rentrent dans la cour avec moi. Le jardin et la cour sont presque détruits, les mûriers sont coupés mais le noisetier reste. Pendant ces 18 ans ils sont devenus encore plus grands.

Une femme en bonne humeur, très sociable de 65-70 ans nous rencontre dans la cour. Je la salue en arménien. J’indique le noisetier et je dis que son fruit est de petite taille, tout blanc, avec la peau frèle, délicieux et bon. Tout de suite elle me dit : «Tu es quelqu’un de la famille du propriétaire de cette maison.» Je confirme et nous continuons en azerbaïdjanais.

Ayant échangé son appartement de deux pièces qu’elle avait dans le village d’Ahmédli à Bakou avec cette maison de mon oncle elle est venue ici pour vivre. Son mari est mort et ses enfants vivent à Irévan et à Stavropol.

Elle me dit qu’elle s’ennuie pour ses voisins de Bakou et elle me demande si la place «Ukrayna», le cinéma «Baki», la station de métro «Ahmédli» restent toujours.

En passant près du magasin, du club et du bâtiment à deux étages de la direction du kolkhoz j’avance vers notre maison. Le magasin est fermé, les vitres cassés des fenêtres du club sont fermés par les morceaux de carton. Autour il n’y a personne.

Je passe près du lieu saint de Seyid Mir Ismayil Aga et la maison de Seyid Mirich Aga - un lieu saint et toujours animé à l’époque. Au début du XX sciècle ce lieu saint était l’endroit où venaient toujours beaucoup de gens de Zangazour avec l’espoir de trouver la solution de leurs problèmes. Seyid Mir Ismayil Aga, propriétaire du lieu saint avait déménagé à Ouroud d’Ordoubad en 1910 et il avait vécu ici jusqu’en 1952- jusqu’à sa mort. Son fils Seyid Mirich Aga avait continué son chemin. A la fin de 1988 Seyid Mirich Aga n’a pa vendu et n’a pas échangé en disant : «Je ne peux pas donner la maison de mon père aux kafers («kafer» - celui qui n’accepte pas l’Islam. – A. E., interprète) avec mes propres mains.»

... Maintenant la maison d’Aga est habitée par une famille venue du village de Chénadagh (Lernachen à partir 1940).

Je monte vers notre maison. Il n’y a personne qui vit dans les maisons de nos voisins – Yadigar kichi, Huseyn kichi; les portes et les fenêtres de leurs maisons sont cassées, les cours sont abandonnées. Il y a des gens qui vivent dans les maisons d’Assad kichi et de Rafi kichi (pendant les années de jeunesses notre lidear national Heydar Aliyev avait passé plusieurs étés dans cette maison).

La vue pauvre et triste de notre maison m’afflige. Le grand portail à deux battants est courbé et il est fixé au mur avec du fil métallique. Sa peinture a passé et il est couvert de rouille. Tous les arbres de fruits y compris le joli mûrier qui ornaient notre cour sont coupés, notre jardin est abandonné.

Je connais bien tous les objets en détails que je vois dans cette cour et qui sont chers pour moi: les murs construits en cailloux cassés devenus noirs à cause de la fumée du tendir (cheminée pour fabriquer du pain – A. E.), son tuyau d’évacuation de fumée, l’entrée noire de ce tendir abandonné qui me rappelle un oeil crevé et dont l’odeur a disparu avec le départ de ma mère, la porte en mûrier de l’écurie, la salle de bains, la petite piscine de notre cour, le cerisier qui était tout petit quand nous avions quitté notre maison et qui est maintenat à l’hauteur du deuxième étage, en un mot tout. Tous ces objets me rappellent les années où nous vivions ici, ils réveillent mes souvenirs doux et amers et ils me chagrinent. Tous les objets de ma mère – le pot, le seau, la cuve, la marmite, la casserole sont jetés un peu partout dans la cour. On dirait que pendant ces 18 ans personne ne les a touchés.

Pleure celui qui a perdu son village

Tenant le Coran à la main.

Pleure celui qui trouve sa maison détruite

Et il pleurera toute sa vie.

Que je ne fusse pas revenu ici.

Pour être fidèle à ma promesse d’être sincère que j’ai faite juste au début, je dois dire que notre maison, notre cour et notre jardin m’ont paru un peu étranges: j’avais l’impression que je n’avais jamais vécu ici, j’avais vu tout cela dans des rêves ou dans un film en noir et blanc.

Même si c’est affreux je dois avouer qu’après 18 ans de séparation, la maison constuite par mon grand-père et par mon père me paraît froide et étrange comme un caravan séray construit sur la garnde route.

Je monte par l’escaler au premier étage de la maison en filmant tout: le hall, la cuisine, le balcon vitré, la chambre à coucher, la réception (elle reste comme on l’avait réparée à l’époque), le frigo, la cuisinière, l’armoire en bois, la servante, la table et les chaises, les lits et mêmes le tapis et la carpette sont ceux qui étaient mis par ma mère. Je dirais que l’arménien qui vit ici n’a rien acheté pour la maison pendant ces 18 ans.

Dans la salle de réception mon attention est attirée par la photo d’un soldat bordée d’une bande noire et pendue au mur sur le tapis. Ce tapis est un objet cher pour notre famille parce que c’est un très ancien souvenir que ma mère aurait reçu de sa grand-mère et celle-ci l’aurait reçu comme le don de sa grand-mère à son tour. Je pense que si je peux persuader celui qui vit dans notre maison de me rendre ce tapis, cela sera un cadeau très cher pour ma mère qui a 80 ans.

Le balcon vitré de 12 mètres où je jouais toujours avec ma soeur me paraissait extrêmement long quand j’étais enfant. Mais cette fois il m’a paru très petit et d’un coup je me suis rappelé le jour de funérailles de mon père: je me demande comment tant de monde avait pu s’installer dans ce balcon vitré?

Mon père est mort le 29 janvier 1987. A cette période j’étais médecin à Gandja. On ne m’avait pas dit qu’il était mort, on m’avait dit qu’il était gravement malade. J’étais arrivé dans nos villes à 9 heures du soir avec la vieille “Gaz-21” de mon ami Famil. Ayant vu notre cour pleine de monde j’avais tout compris : les femmes pleuraient à haute voix autour du cercueil de mon père. Les hommes du village avec Seyid Mirich Aga à la tête de la table étaient assis dans le balcon vitré. Je n’oublierai jamais comment Séyid Mirich Aga m’avait consolé au moment où je sanglottais ayant embrassé le cadavre de mon père enveloppé dans un drap blanc:


  • Arrête de pleurer, regarde les gens qui sont autour. Est-ce qu’il y a quelqu’un parmi eux qui n’a pas perdu son père? Maîtrise-toi, demain il faudra organiser les funérailles. Et encore, dès aujourd’hui c’est toi qui es le propiétaire de cette maison et responsable pour tous les problèmes de la famille.

... On a organisé les cérémonies de funérailles, de quarantième jour, d’anniversaire, mais on n’a pas pu être propriétaire de cette maison...

La voix forte et dure d’Hovik chasse les souvenirs :



  • Patron, patron, ara, Pavlik, où est-tu ?

Le mot «patron» que prononce Hovik me déchire le coeur, la tête comme une balle de mitraillette.

Je me domine à peine et je descends dans la cour. Un vieil homme aveugle de 85-90 ans, assis sur un tabouret, un bâton à la main parle avec Hovik et avec les arméniens venus d’Irévan.

Je m’approche et je lui dis bonjour en azerbaïdjanais. Il ne me salue pas, mais il demande en azerbaïdjanais :


  • Qui es-tu, d’où es-tu venu?

  • Je suis propriétaire de cette maison, je suis venu de Bakou.

  • Pourquoi es-tu venu ?

Je veux adoucir le ton furieux de Pavlik kichi :

  • N’as-tu pas entendu que la guerre est finie et maintenant chacun peut vivre chez soi. Et moi, je suis venu ici pour vous proposer d’aller à Bakou et de vivre dans votre maison et nous déméngerons ici pour vivre dans la nôtre.

Le vieux trop agité, me coupe la parole en criant :

  • Je n’ai rien à faire à Bakou, là ils peuvent me tuer.

Je change le ton de notre conversation :

  • Pavlik kichi, combien d’ans as-tu vécu à Bakou ?

  • Ara, je suis né à Bakou et j’y ai vécu 65 ans.

  • As-tu été offensé à Bakou pendant ces 65 ans ?

  • Non, ara, c’était une autre période, les autres moeurs !

Le chef de la municipalité, informé de notre visite est venu ici et a commencé à parler d’un ton comme s’il voulait s’excuser à la place du vieux :

  • Bien qu’il soit fâché maintenant, c’est un bon homme Pavlik kichi, ses nerfs sont détraqués après la mort du fils à Karabakh, maintenant il reste avec som petit-fils et sa brue. Ils sont allés dans le jardin potager pour cultiver les pommes de terre.

A ce moment le garde du corps met sur la table les cadeaux que j’avais achetés à Irévan. En arménien Samvel dit à Pavlik que c’est moi qui avais acheté ces provisions d’alimentation pour lui et dit les noms des choses en les mettant sur la table. Après les cadeaux Pavlik kichi s’adoucit beaucoup et commence à parler de ces souvenirs de Bakou.

Etant satisfait du ton de la conversation je dis à Pavlik :



  • Pavlik kichi tous les objets qui sont dans cette maison étaient à nous et je vous offre tout cela. Mais j’ai une chose à te demander.

  • Et quelle est cette demande ?

  • Au mur de la dernière pièce de l’autre côté il y a un tapis qui est très cher pour ma famille.

Voudrais-tu me le vendre ? Je payerai le prix que tu veux.

Pavlik kichi s’est tu un moment et après a secoué la tête :



  • Non, ara, qu’est-ce que je ferai de la photo qui y est pendue ?

Après cette réponse, je me suis levé sans dire au revoir au vieux, j’ai jeté dans la bouche une cerise que j’avais plantée moi-meme à l’époque et j’ai quitté la cour.

La cerise était acide...

A partir du col derrière notre maison on pouvait facilement voir le cimetière. Il était possible de monter sur ce col et depuis là filmer le cimétière rasé. Hovik ne pourrait pas le soupçonner. Je me suis adressé à Hovik et j’ai dit :


  • Continuez à discuter dans la cour le temps que je filme la partie derrière la maison. Pour ne pas être suspecté j’ai demandé à l’un des gardes du corps venus d’Irévan de m’accompagner. Voilà, cela a joué ! Depuis le col derrière notre maison j’ai filmé le cimetière rasé et les jolies vues de : Bazartchay, Véli gaya, Ouroud gala, Bédir gaya, Meydanlar, les montagnes de Téguézur. Avant de quitter notre maison Hovik m’a demandé si je ne voulais pas prendre de l’eau et du sol de notre cour.

  • J’en prendrai à la sortie du village pour que cela soit commun pour tout le monde.

Je veux passer par le village et voir toutes les maisons pour voir si elles sont habitées ou pas et j’ai l’intention de sortir sur le cimetière. Mais Hovik en trouvant les diffrents prétextes nous presse : tantôt il dit qu’il a très faim et il faut aller déjeuner, tantôt il dit qu’il a des travaux urgents à Sissyan et tantôt il dit qu’on doit revenir à Irévan avant nuit. Et de cette manière-là, il ne me permet pas de voir de près le village.

A la sortie du village, près du jardin de Gazi je fais arrêter la voiture pour prendre du sol et je descends. Pour la première fois pendant ce voyage à Ouroud je veux me filmer. Je donne la caméra au garde de corps et je lui demande de me filmer au moment que je prends le sol.

Après dix-huit ans de séparation avec la Patrie où j’étais en visite je me suis senti étranger et j’ai eu «froid». La durée d’une heure et demie que j’avais passée dans le foyer paternel est restée dans ma mémoire comme un cauchemar d’un homme hypnotisé.

Le rocher Vali qaya, Gara Guney, Chirvanéken, Gour-gour, Gara gaya, Ilan gaya, les montagnes Tagazour entourent le village depuis des sciècles. Hélas, nous y manquons, parce que grâce aux habitants d’Ouroud ces montagnes, ces valées sont vivantes.

Ce foyer n’est pas le même.

Ouroud n’est pas le même.

Ce n’est pas le nuage qui couvre le ciel

Mais c’est mon chagrin qui y vole

En disant « adieu » à Ouroud j’ai compris une chose : ce sont les hommes qui transforment tel ou tel territoire en Patrie, tel ou tel coin de la terre en foyer en y vivant.

Les habitants d’Ouroud sans Ouroud c’est la même chose qu’Ouroud sans ses habitants.

Les gens sont autant habitants que la terre est autant Patrie. La terre est le corps de la Patrie et les hommes sont l’esprit de ce corps. Les foyers vidés et détruits sont la tombe de la Patrie et les réfugiés et les déplacés sont l’esprit perdu de la Patrie.

Les arméniens ont coupé les noisetiers qui ont plus de 200-300 ans et qui s’appelle Khan Djaviz (Rois des Noisetiers) plantés par nos ancêtres et ils ont cultivé des légumes à leurs places.

Nos ancêtres y avaient planté des fruitiers dont la vie durait 100 ans, tandis que les arméniens y cultivent des légumes dont la vie n’est plus longue que six mois.

... Je remplis la terre dans le sac avec les mains pour ceux qui sont sans patrie et sans terre. L’enfant arménien qui travaille dans le potager me propose son aide. Je ne proteste pas. En tout cas ils ont toujours travaillé dans nos jardins, dans nos cours, dans nos jardins potagers pour nous. De nouveau ça va être la même chose. Pour cela nous devons créer un Etat fort et nous devons être un peu plus vigilants.



Nous continuons notre route sans parler. Nous nous arrêtons près de la source d’eau Zor-zor boulag. Je me lave et je bois à mon aise, puis je prends deux bouteilles d’eau pour rapporter à Bakou. Hovik arrête la voiture quand nous arrivons au sommet du col VaghadiVeng, nous montre les jardins immenses plantés sur la rive gauche de la rivière Bazar tchay et il nous dit :

  • Tous ces terrains sont les miens. Je viens de faire planter ces jardins, mais je ne trouve pas les gens qui pourraient y travailler. Il faut cueillir un peu de cerises fraiches pour manger à Sissyan. Personne ne dit non.

Hovik appelle l’homme âgé qui travaille dans le jardin non loin de nous.

  • Ara, Kepdjil, viens ici. Cueille un peu de cerise pour nous. Un peu plus vite, on est pressés.

Kefdjil !!! Stop, est-ce bien le même Kefdjil Volod qui transportait les ouvriers dans son camion fermé «Gaz-53» d’Ouroud et de Vaghadiau village de Cham? Valod était un chauffeur arménien de Vaghadi. C’était un bon homme sociable, gai et railleur qui aimait sortir avec les amis. A cause de ses qualités les azerbaïdjanais l’appelaient «kefdjil» (homme euphorique). Les arméniens ne peuvent pas prononcer le son «f» et au lieu de «f» ils disent «p». Voilà pourquoi ils appellent Volodya Kepdjil et non Kefdjil. Hovik voit que je regarde attentivement cet homme et me dit :

  • Ne connais-tu pas Kepdjil Volod ? Normalement tu aurais dû prendre plusieurs fois son camion pour aller à l’école. (A cette période à Ouroud il n’y avait pas d’école secondaire et c’est pourquoi j’ai fait mes études secondaire à Ouroud en 1976-1978. M. Ou.)

  • Non, je réponds. Un delais de 30 ans nous sépare de cette période et Volod a bien changé.

  • Il n’a pas changé du tout. C’est toujours le même Volod, mais il a vieilli un peu. Je descends de la voiture et salue Volod en azerbaïdjanais :

  • Bonjour, Kefdjil.

Il dit bonjour sans aucun étonnement.

  • M’as-tu reconnu ?

Il me regarde attentivement :

  • Oh, mon cher, tu es d’Ouroud, n’est-ce pas ?

  • Oui. Je suis fils d’Issa, le comptable, fils de la soeur de Kamran muallime. Il m’embrasse et sanglote :

  • Qu’Allah pardonne son âme. Il m’a beaucoup aidé. Kamran muallime était mon frère. Nous étions si proches ! Kamran muallime est-il en vie ?

  • Oui, il habite à Bakou.

  • Passe lui mon bonjour et mes meilleurs voeux !

Puis Kefdjil Vold commence à demander à tous les habitants de Vaghadiet d’Ouroud. Les députés arméniens descendent vers le temple de VaghadiVeng. Ayant filmé les jardins, les alpages et la rivière de Bazar thcay qui coule lentement je descends à mon tour vers le temple qui date du XIII siècle dont l’appartenance originaire n’est pas détérminée (on ne sais pas exactement si c’est un monument arménien ou albanais).

Au milieu de la cour il y a 7-8 pierres tombales qui viennent d’être restaurées ou fabriquées récemment (il est difficile de déterminer) à la forme de coffre et un peu plus loin il y a deux bustes de la même grandeur qui attirent l’attention. Je pense que les coffres appartiennent au propriétaire du temple et c’est pourquoi je ne demande rien concernant ces coffres. Mais je demande à quoi servent les nouveaux coffres dans un temple assez ancien et je regrette d’avoir posé cette question après l’explication d’Hovik :



  • Ara, celui-ci est pour mon frère qui était tué en Afghanistan par les musulmans pendant son service diplomatique et celui-là est pour son fils qui était tué en 1993 à Goubadli par les vôtres quand il avait 31 ans.

Franchement j’étais dans une situation embarassante et c’est pourquoi j’ai posé une question maladroite :

  • Est-ce que ton neveu habitait à Goubadli ?

  • Non, ara, il était tué à la guerre.

Je ne sais pas quoi dire : demander pardon pour son âme, ou non ? Comment puis-je prier Dieu pour lui s’il est tué par les nôtres quand il voulait envahir nos terres, et comment ne pas prier Dieu pour lui si je suis sur son tombeau avec son oncle ?

  • Que Dieu vous donne de la force pour pouvoir oublier, dis-je.

... Je regarde le village de Vaghadi, la route. Le village est la route sont vides.

Que ces routes soient toujours vides.

J’ai aimé une belle et c’est toi qui l’as prise

Que Tanri (Dieu en langue turque – A. E., interprète) ne te pardonne pas.

Il ne pardonnera pas ! Tanri est toujours juste ! Ces montagnes sont les témoins de plusieurs justices justes ! Mais Tanri dit : il faut semer pour recolter.

Je décide d’apporter la terre que j’ai prise du jardin de Gazi bagh et l’eau que j’ai prise de la source de Zor-zor boulag à Seyid Mirish Aga, aghsagal (barbe blanche) de notre village. Cette terre est pour la mettre aux yeux qui meurent loin de la Patrie et l’eau est pour rafraichir la prière que nous faisons pour leurs esprits. Ceux qui sont en vie doivent vivre pour lutter pour y revenir. Nous ne devons pas oublier que nos malheurs ne se limitent pas seulement à Karabakh !

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