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1900-1977) Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres qui sont résumées et commentées


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Au diable vert’’

(1954)
Scénario


Un jeune couple américain se trouve dans un café du quartier des Halles.
Commentaire
Le film devait être réalisé par Noël Howard avec Betsy Blair et Sidney Chaplin. Mais le projet ne fut pas poursuivi.

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‘’Lumières d'homme’’

(1955)
Recueil de poèmes

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‘’La pluie et le beau temps’’

(1955)
Recueil de poèmes et de pièces de théâtre



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‘’Rue Stevenson’’
Poème
Commentaire
C’est avec humour que le « docteur Jonquille» et « monsieur Hydeux » pédalent en tandem.

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‘’Drôle d’immeuble (Feuilleton)’’
Poème
Commentaire
Le « feuilleton » est burlesque et hilarant, farouche et tendre au passage ; associations d’images, de mots, d’idées, vont grand train. Le moindre incident de cette suite de cauchemars « réels et surréels » concerne le brave petit coeur qui, jouant comme ça des allumettes, met le feu à son père.

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‘’Intempéries (Féerie)’’
Poème
Un ramoneur a perdu sa marmotte, emportée par le vent du nord. Il trouve refuge dans un bistrot de Paris, depuis lors abattu à la pioche, le Château-Tremblant.
Commentaire
Les meilleures des pages de ce poème sont bouleversantes.

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En 1955, Jacques Prévert quitta Saint-Paul-de-Vence et regagna Paris, son appartement de Montmartre.

Cette année-là, il adapta, avec son frère Pierre, en collaboration avec Louis Chavance, la légende de Gottfried Keller, ‘’Vital le mauvais saint’’. Le titre envisagé était ‘’Ciel ou terre ou Vital le mauvais moine’’. La réalisation devait être confiée à Pierre Prévert et les décors à Alexandre Trauner. Gérard Philipe, un moment pressenti, refusa et le projet échoua ; il faillit redémarrer en 1964, avec Omar Sharif.

En 1955 encore, il écrivit le commentaire de ‘’Mon chien’’ (une famille part en vacances et abandonne son chien), court métrage réalisé par Georges Franju. Le texte fut dit par Roger Pigaut.

En 1956, restant plus fidèle à l’œuvre originale parce qu’il se sentait proche de Victor Hugo, avec lequel il partageait notamment le rejet des dogmes et des perversions qu’ils entraînent, la tendresse pour les personnages issus du peuple, l’ironie et le sens du grotesque, il signa une adaptation de ‘’Notre-Dame de Paris’’ pour Jean Delannoy, le film étant tourné avec Gina Lollobrigida, Anthony Quinn, Alain Cuny, Robert Hirsch, Jean Tissier, etc..

Il donna ‘’La boutique d’Adrienne’’, un hommage à la libraire Adrienne Monnier où il proposa un époustouflant collage de titres et de noms de personnages, qui en dit long sur ses connaissances littéraires et son amour des livres, qui indique à quel point la littérature faisait partie de sa vie.

Il commenta un album de reproductions de Miro : ‘’Joan Mirô’’, en collaboration avec G. Ribemont-Dessaignes. «Il y a un miroir dans le nom de Miró», constata-t-il, sans doute parce qu’il se reconnaissait dans ce miroir, Miró. Aussi, lorsqu’il parla du peintre, il parla de lui-même : le Catalan est pour lui resté «enfant ébloui», son œuvre possède la «mystérieuse évidence», l’«insolence insolite de la simplicité», il est lucide, rêveur, il peint les cris, joue «de grands soleils noirs de plus en plus stridents», s’est fait éreinter par les critiques qui ont essayé de le classer sans y réussir.

En 1957, il exposa soixante collages à la galerie Adrien Maeght de Paris.

La même année, il fit paraître, précédé d'une belle étude de René Bertelé, un recueil de ses collages : ‘’Images’’.

En 1957 encore, il écrivit un scénario intitulé ‘’La Seine a rencontré Paris’’ (on suit le courant du fleuve à travers Paris, un tableau étant fait de la ville et de ses habitants, qui se promènent, prennent des bains de soleil, nagent, pêchent, travaillent, s’aiment et rient), court métrage réalisé par Joris Ivens. Le texte fut dit par Serge Reggiani.

Serge Gainsbourg lui rendit hommage avec ‘’La chanson de Prévert’’.

En 1958, il écrivit le commentaire de ‘’Paris mange son pain’’, court métrage réalisé par Pierre Prévert. Il fut dit par Germaine Montero.

La même année, il écrivit avec Paul Grimault le scénario de ‘’La faim du monde ou la faim dans le monde’’, dessin animé entrepris sur une commande de l'U.N.E.S.C.O., réalisé par Paul Grimault, qui fut repris et retravaillé dans une nouvelle version commentée : ‘’Le monde en raccourci’’.

En 1959, il participa à ‘Portraits de Picasso’’, en commentant des photos d’André Villiers.

La même année, il donna le commentaire de ‘’Les primitifs du XIIIe’’, court métrage réalisé par Pierre Guilbaud.

En 1959 encore, il reprit et retravailla (avec des additions) le court métrage ‘’Paris-Express’’ (ou ‘’Souvenirs de Paris’’) qui reçut le titre ‘’Paris la belle’’.

En 1960, dans ‘’La force de l'âge’’, Simone de Beauvoir parla de lui : « Son anarchisme rêveur et un peu biscornu nous convenait tout à fait. »

En 1961, il écrivit :

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’’Agnès Bernauer’’

(1961)
Scénario


Le fils du duc de Bavière n'obéit pas à son père et épouse la roturière qu’est Agnès Bernauer.
Commentaire
Toujours séduit par les atmosphères étranges et envoûtantes de superstitions anciennes, Prévert adopta le scénario de Marcel Achard et donna les dialogues pour ce sketch figurant dans le film ‘’Les amours célèbres’’ de Michel Boisrond, avec Brigitte Bardot, Pierre Brasseur, Suzanne Flon, Jean-Claude Brialy, Alain Delon, etc.. Il put y redire à quel point il était persuadé que l’amour doit se vivre même sous la menace et dans l’imminence de la mort. Il se moqua également des fous de guerre.

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En 1961, Pierre Prévert réalisa, pour la télévision belge, ‘’Mon frère Jacques’’, six émissions de cinquante minutes chacune, suite d'entretiens avec des amis et collaborateurs de Jacques Prévert : Marcel Duhamel, Raymond Bussières, Jacques-Bernard Brunius, Jean Gabin, Arletty, Pierre Brasseur, Marcel Carné, Paul Grimault, René Bertelé, le peintre Nepo, mêlée d'extraits de films et de poèmes illustrés. En 2004, une nouvelle version restaurée par Catherine Prévert fut éditée en DVD.

En 1962, Jacques Prévert commenta un album de reproductions d’André Villers et de Picasso : ‘’Diurnes’’.

En 1963, après le précédent recueil intitulé ‘’Histoires’’ publié en 1948 sous une signature double, chacun des deux auteurs ayant depuis récupéré ses propres poèmes, chansons et jeux, Prévert publia :

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‘’Histoires’’

(1963)
Recueil de poèmes


Le volume est divisé en deux parties : ‘’Histoires’’ (qui reprenait les textes de Prévert dans le recueil de 1948) et ‘’D’autres histoires’’ où on retrouve ‘’Contes pour enfants pas sages’’, ‘’C'est à Saint-Paul-de-Vence’’, ‘’Charmes de Londres’’, tandis que, parmi les inédits, se trouvait par exemple :

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‘’Arbres’’
Poèmes
Extrait
«En argot les hommes appellent les oreilles des feuilles

c'est dire comme ils sentent que les arbres connaissent la musique

mais la langue verte des arbres est un argot bien plus ancien

Qui peut savoir ce qu'ils disent lorsqu'ils parlent des humains

Commentaire
Les poèmes, dédiés à Georges Ribemont-Dessaignes, étaient un commentaire de ses planches gravées.

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En 1963, Jacques Prévert exposa ses collages dans plusieurs villes de France.

Il adapta avec son frère un autre conte d’Andersen, ‘’Le Petit Claus et le Grand Claus’’, moyen métrage qui fut réalisé en 1964 par Pierre Prévert pour la télévision.

Il écrivit :

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‘’La maison du passeur’’

(1965)
Scénario


Jacques Prévert se moque des anciens combattants et des fous de guerre.
Commentaire
Le téléfilm fut tourné par Pierre Prévert.

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‘’Fatras

avec cinquante-sept images composées par l’auteur’’

(1966)
Recueil de textes et de collages


On y trouve :

- des citations des bêtes noires de Jacques Prévert : Pascal, Pierre Teilhard de Chardin, le maréchal Pétain, le général de Gaulle, le professeur Alexis Carrel, le brigadier général J.H. Rothschild, etc. ;

- des citations de ses « têtes blanches», entre autres : Boris Vian, Garcia Lorca, Rimbaud, Blake (‘’Noces et banquets’’ lui est dédié et fait plusieurs références à l’homme et à l’œuvre) ;

- son guignol coutumier qui s'accroît ici de quelques têtes de Turc ;

- des poèmes, des aphorismes et des blasphèmes, des monologues et des dialogues ;

- la réaffirmation du refus de la religion dans ‘’Graffiti’’ ;

- des portraits de peintres (Léger, Picasso, Miro, Max Ernst) ;

- des évocations d'animaux (taureaux, chèvres, singes, boucs, chiens, chats, caïmans) ;

- ses avis sur les dernières nouveautés : l'« alittérature » et l'art sans images ;

- des humains sous-mariniers, survivants de l'ultime catastrophe.

- cinquante-sept collages.
Commentaire
Le titre, un terme que les dictionnaires définissent à la fois comme «amas confus de choses » et comme «composition poétique », convient bien au recueil où Prévert entrelaça des textes de toutes sortes et des collages en tous genres. Il y proposa une autre manière de voir la poésie. Mais il continua d’y prendre le langage au piège de la lettre :

« Le Temps nous égare



Le Temps nous étreint

Le Temps nous est gare

Le Temps nous est train

Le Temps nous est Orly Caravelle Mistral train onze bus métro taxi

Le Temps nous sépare

Le Temps nous unit

Le Temps nous est parcimonieux

ou fastueusement conté

et nous voilà tous deux à la terrasse de l'Univers. »
« Comme cela nous semblerait flou

inconsistant et inquiétant

une tête de vivant

s'il n'y avait pas une tête de mort dedans. »

Parmi ses aphorismes, on peut citer : « Les secrets les mieux gardés sont ceux qui n’ont jamais été demandés » - « L'étoffe des héros est un tissu de mensonges ».

On admire la concision des ‘’Graffiti’’ (« Quand les éboueurs font grève, les orduriers sont indignés» - «Les sosies sont innombrables mais n'ont aucun signe de reconnaissance» - « L'amour / Éternité étreinte. / ANNA GRAM »). Mais ce recueil a quelque chose de navrant, avec son athéisme maniaque (« Une foi est coutume »), ses contrepèteries de gamin vieilli (« Du pouvoir des mots sur le mouroir des peaux »), ses truismes (« II n'y a pas cinq ou six merveilles dans le monde, mais une seule : l'amour »).

S’il parla de peintres qu’il aimait, l'approche comparative lui était odieuse, et, ayant fait du mot « grand» sa bête noire, il disait à Fernand Léger, à Picasso : « Vous n'êtes pas de grands peintres, vous êtes de bons peintres. »

Sa technique picturale des collages s’apparentait au jeu verbal des mots-valises. Fruits de la plus constante activité de Jacques Prévert, à la fin de sa vie, ils sont étranges et superbes, minutieux et éloquents.

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En 1966, pour la télévision, Jacques Prévert adapta avec son frère ‘’The cop and the anthem’’ d’O’Henry, sous le titre ‘’À la belle étoile’’, et le film fut réalisé par Pierre Prévert.

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"Varengeville"

(1968)
Recueil de poèmes


Commentaire
Ils sont accompagnés d’illustrations de Georges Braque.

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‘’Imaginaires’’

(1970)
Recueil de poèmes


Extraits
«En favorisant le croisement d'une souris d'autel avec un rat d'église, saint Sulpice créa le rat d'art, fort habile à dénicher les chefs-d'œuvre pies et le premier à vulgariser l'art des icônes ou Pope Art

«Vous qui appelez terre la terre de la Terre, appelez-vous lune la lune de la Lune?»

«La nuit, quand la maison s'ennuie, la porte s'entrebâille et vient le colporteur d'images avec la lanterne des rêves. Ou des cauchemars
Commentaire
Plutôt que des poèmes ou des nouvelles, ce sont des collages de mots, d'images ; de petites histoires, parfois des bribes de dialogues qui, souvent, s'appuient sur différents jeux de mots et font sourire. C'est frais, c'est agréable. De vrais collages fort bien réussis font référence aux morceaux de texte, en rappellent certains aspect, agrémentent le livre.

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En 1970, Jacques Prévert écrivit le scénario, intitulé ‘’Le diamant’’, d’un dessin animé réalisé par Paul Grimault.

En 1971, à l'initiative de sa femme, qui espérait l'éloigner des tentations de la vie dissolue, et sur les conseils du célèbre décorateur de cinéma Alexandre Trauner, il abandonna sa résidence d’Antibes pour venir s’installer dans la campagne normande, somptueuse et marine, à Omonville-la-Petite, près du cap de la Hague, où, aimant flâner près du port Racine, il devait finir ses jours.

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‘’Choses et autres’’

(1972)
Recueil de 67 textes


On y trouve ;

- un ample texte autobiographique, ‘’Enfance’’, qui évoque les années 1906 et 1907, à Neuilly-sur-Seine, Paris, Nantes et Toulon, et, avec beaucoup d'émotion et d'admiration, son père ;

- des liens tissés avec les recueils précédents, des suites aux ironiques ‘’Écritures saintes’’ de ‘’Paroles’’ et aux ‘’Graffiti’’ de ‘’Fatras’’ ;

- des révélations sur la « source» du « raton-laveur» d'’’Inventaire’’ ;

- des textes qui expriment le refus et la dérision de la religion : ‘’J'ai toujours été intact de Dieu...’’, ‘’Règlement de comptes’’, ‘’Homélie-Mélo’’ ;

- un texte qui marque une distance à l'égard de l'engagement idéologique : ‘’Malgré moi...’’ ;

- un texte qui dénonce le racisme : ‘’Angela Davis’’ ;

- un pastiche de roman de la « Série Noire» qui dénonce toutes les formes de tuerie dans le monde : ‘’Règlement de comptes’’ ;

- un témoignage de solidarité avec les contestataires : ‘’Mai 1968’’ ;

- de brèves saynètes ;

- des hommages d'une extrême précision critique aux ‘’Carmina Burana’’ de Orff ou à ‘’Hymnen’’ de Stockhausen : on y lit que la musique est « le soleil du silence » ;

- un hommage à la peinture de Gérard Fromanger : ‘’Rouge’’ ;

- un monologue, ‘’La femme acéphale’’, montage de fragments à la première personne du féminin singulier.
Commentaire
Le titre du recueil s'apparente à ‘’La pluie et le beau temps’’ ou ‘’Fatras’’ : il est apparemment sans prétention et ouvert à tous les sujets, mais à prendre aussi à la lettre, comme le signe d'un choix délibéré de l'hétérogénéité et du mélange des genres, combiné à un refus de toute hiérarchie. La simplicité de la prose du récit d'’’Enfance’’, qui est une mine pour les biographes de Prévert, est le produit d'un grand travail attesté par brouillons, manuscrits et dactylographies.

Si "J'ai toujours été intact de Dieu" redit le refus obstiné de la religion et de ses émissaires, il ne fait précisément que redire, et, de ce fait, sa charge poétique est pratiquement nulle. Par un étrange paradoxe, cette poésie qui devait être partout, est absente du poème qui est constitué de six alinéas de prose où répétitions et homophonies prennent des allures de rabâchage et où le jeu de mots final, concetto populaire, paraît bien laborieux.

Parmi les brèves saynètes, certaines sont saisissantes : « Souvent, au Bois, un cerf traversait une allée. Un peu partout, les gens mangeaient, buvaient, prenaient le café. Un ivrogne passait et hurlait : « Dépêchez-vous ! Mangez sur l'herbe, un jour ou l'autre, l'herbe mangera sur vous ! »

Le texte de ‘’La femme acéphale’’, où Prévert témoigna de sa compréhension du féminisme, a été dit sur scène et enregistré par la comédienne Sarah Boréo.


Le recueil fut publié chez Gallimard, dans la collection ‘’Le point du jour’’, dirigée par René Bertelé.

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En 1972, fut publiée une série d'entretiens entre Jacques Prévert et André Pozner qui avaient eu lieu en 1969 : ‘’Hebdromadaires’’. On y lit cette belle définition : « La poésie, c'est un des plus vrais, un des plus utiles surnoms de la vie» ; cette tranchante formule d'agnostique : «La poésie est partout comme Dieu n'est nulle part » qui résume la conviction positive et la conviction négative sur laquelle s'établit tout l'œuvre poétique de Prévert, ce système s’étant encore durci dans ses dernières années.

En 1973, Prévert perdit ses chers amis Picasso et Bertelé.

Il écrivit :

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‘’Le chien mélomane’’

(1973)
Scénario


La musique n’adoucit pas les moeurs, et le film donne une sombre et même apocalyptique vue de l’avenir. Il finit sur ‘’Le petit soldat’’, l’une des oeuvres de Grimault les plus poignantes et les plus aimées.
Commentaire
Le film, tout à fait surréaliste, fut un dessin animé, réalisé par Paul Grimault.

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"Eaux-fortes"

(1973)
Recueil

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En 1974, Jacques Prévert devint grand-père d'une petite Eugénie.

En 1975, il perdit Marcel Duhamel.

À partir de 1975, il commença à souffrir de troubles respiratoires dus à la cigarette, et, à court de souffle, ne répondait même plus au téléphone.

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‘’Adonides’’

(posthume, 1978)


Commentaires d’un album de reproductions de Miro

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D’autres publications posthumes de Jacques Prévert révélèrent successivement ses derniers textes, les collages qu'il avait conservés et plusieurs de ses pièces destinées au Groupe Octobre ou aux théâtres d'Agnès Capri :

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‘’Soleil de nuit’’

(posthume, 1980)


Recueil de textes
Commentaire
Arnaud Laster, avec le concours de Janine Prévert, réunit les textes écrits par Jacques Prévert entre 1936 et 1977, dont un grand nombre d'inédits.

Le titre fut choisi pour manifester, au-delà de la mort et au milieu même de la nuit, la présence vivante et rayonnante de Jacques Prévert, de son humour éclatant, de sa tendresse chaleureuse, mais aussi de ses colères ardentes. « Soleil de nuit » est une image apparue dans ‘’Lumières d'homme’’, le premier poème du présent recueil. Elle désigne aussi, un peu plus tard et ailleurs, le mystérieux éblouissement de l'amour.

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‘’Collages’’

(posthume, 1982)

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‘’La cinquième saison’’

(posthume, 1984)


Recueil de textes
On y trouve :

- quelques chansons qui rappellent le Prévert de ‘’Paroles’’

- des textes comme celui consacré à la marmotte : « La marmotte dort, si on la réveille elle mord. Quelquefois on la tue alors elle ne se réveille plus. Son sommeil c'est toute sa vie, quand elle meurt elle meurt et puis c'est fini, tandis que le poète quand, par hasard, il meurt, sa vie continue. Une plaque de marbre sur une porte, des plumes qui grincent sur le papier, un peu d'eau pure qui tremblote dans la coupe d'un conférencier, les petits rouages de la postérité sont bien graissés, la statue est sur la place, il y a même des drapeaux. Les chants désespérés sont toujours les plus beaux. Mauvaise habitude. Il faudra bien qu'un jour le poète apprenne à vivre, c'est-à-dire à mourir ou bien alors il sera appelé à disparaître de son vivant comme disparaîtront sans aucun doute les amateurs du fromage à deux têtes, les ecclésiastiques, les goitreux mélomanes et tous ceux qui trafiquent du sanglot. »

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‘’Prosper aux enfers’’

(posthume, 2007)


Scénario pour un dessin animé
Prosper, l’ours blanc accompagné de sa petite ourse, se rend à un bal réservé aux ours noirs. Il est refoulé. Un ours noir à la carrure imposante fumant un gros cigare n’hésite pas à séduire la petite ourse blanche, à lui passer la bague au doigt, à l’habiller d’une peau noire arrachée à un congénère. Prosper, seul et désespéré, prend une corde et se suicide. Il se retrouve en enfer puis sous les étoiles à la recherche de sa petite ourse. Des diables ailés et d’autres créatures surréelles le persécutent. Heureusement, l’amour de la petite ourse le délivre.
Commentaire
D’une simplicité apparente, ce texte interroge et soulève de graves sujets tels le racisme, le suicide et les blessures sentimentales. C’est un hommage à l’amour salvateur.

L’écriture entrecoupée de dialogues, à la fois chantante, un peu saccadée, rédigée au présent, se porte facilement à haute voix. Les nombreux dessins aux traits précis, fourmillant de mille et un détails aux couleurs primaires et lumineuses, répondent bien au style évocateur et aux expressions poétiques utilisées par Prévert.

On peut découvrir le processus de création de ce scénario, et cela nous fait encore plus regretter de ne pas avoir le résultat sur pellicule.

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‘’La chèvre de Monsieur Pablo’’

(posthume, 2007)


Nouvelle
La chèvre de monsieur Pablo se mêle des « affaires artistiques » de son maître, le peintre, qui est en constant émerveillement face au paysage qu'il modifie grâce à ses pinceaux. « Le paysage et tout cela est encadré et tout cela on l'emporte dans un musée. Je l'ai vu faire, c'est comme ça qu'il fait », dévoile la chèvre.

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Le 12 avril 1977, Jacques Prévert mourut d'un cancer du poumon, à Omonville-la-Petite (Manche), où se trouve sa tombe sur laquelle fleurissent les roses qu’il aimait. Non loin, à Saint-Germain-des-Vaux, se trouve le jardin ‘’En hommage à Jacques Prévert’’.
Ses centaines de milliers de lecteurs ont eu alors sûrement du mal à croire que l'auteur de ‘’Paroles’’, si familier et, surtout, tellement proche, était une grande personne âgée de trois quarts de siècle. Il conserva toute sa vie cette jeunesse qu'on peut garder jusqu'à un grand âge, la jeunesse du cœur qui ne cesse jamais de s'étonner devant l'absence de cœur des imbéciles. Pour Georges Bataille, qui est celui qui a le mieux défini son esprit, ce qu’il a gardé « ce n'est pas la jeunesse - ce serait peu dire -, mais l'enfance, le léger éclat de folie, l'enjouement d'une enfance qui n'a pour la ‘’grande personne’’ aucun égard. La sorte d'éveil aigu, de coude à coude, d'ironie sagace et de ‘’mauvaise tête’’ de l'enfant.» Dans ses écrits de théâtre, dans ses dialogues de films, dans ses poèmes et dans ses contes, il ne prit pas le parti des enfants contre les « gens comme il faut» pleins de mépris pour les « gens comme il ne faut pas», contre les Grandes Personnes qui croient qu'on a raison simplement parce qu'on est une personne plus grande que d'autres. Il ne prit pas leur parti, parce qu'il faisait partie d'eux. Il avait l'insolente innocence de poser les questions qu'il ne faut pas poser, qui mettent les adultes rassis comme du pain sec sur des charbons ardents : « Les enfants ne battent pas leurs enfants. Pourquoi les parents battraient-ils leurs enfants?» Ayant cette oreille narquoise et terrible qui caractérise Alice au pays des merveilles, il fut maître dans l'art d'écouter parler ceux qui s'écoutent parler sans s'entendre être bêtes et méchants.

Dans les années cinquante, il fut décrit par Claude Roy : « Un homme bredouillant et volubile, qui parle sa vie et vit ses paroles, avec des yeux ronds et clairs, un chapeau rond et clair, les bords relevés, gris, un chien plutôt bâtard, recueilli dans les rues et baptisé “Dragon”, des scénarios de cinéma plein les poches et des amis plein les rues. » ; par J. Poilevet-Leguenn : « Des yeux globuleux de poisson chinois, grands ouverts sur l'insolite spectacle du monde comme l'objectif toujours avide d'une caméra. » Mais c'est son ami, le photographe Robert Doisneau, qui a su capter l’image mi-figue mi-raisin, désormais presque légendaire, d’un vieux gamin toujours prêt aux quatre cents coups coups, la casquette de titi posée sur une tête ronde aux yeux grands ouverts, émerveillés d'une enfance qu'il n'a jamais voulu quitter, mais son mégot rougeoyant se consumant éternellement au coin de sa lippe, sous le regard cerné. En effet, ce grand fumeur se montrait constamment « la clope au bec ».

Inlassable piéton, il déambulait dans les rues de Paris, à l'affût du moindre «fait divers ». Malicieux et cordial, il avait la langue bien pendue, le mot imagé prêt à l’usage. Il ne « faisait» pas « du Prévert» : il était Prévert du matin au soir. Ainsi, à un ami revenant de Londres avec lui sous une pluie battante, et qui grommelait : « Sale temps ! », il répondit : « Attention, le temps est très susceptible ces temps-ci. Tout ce qu'on gagne à lui parler mal, c'est qu'il reste couvert. » Des années plus tard, pendant sa dernière maladie, il confia à un ami médecin qui lui demandait : « Comment ça va?», « Même assis, je ne tiens pas debout. » Mais c’est en se tenant droit comme un I qu’il accueillait un visiteur qu'il écoutait (il écoutait bien). Puis il parlait et parlait, tenant un monologue plutôt qu'une conversation. On a noté l'emprise dominatrice de sa personnalité. Tout de suite, le visiteur était précipité loin de toute trivialité commune. Il a parlé toute sa vie, parlé sa vie et vécu selon ses paroles. Il avait besoin de la journée pour avoir des contacts avec les gens avec lesquels il travaillait directement.

Et il a travaillé sa vie entière, même si, liant à l'entière absence de sérieux la plus vive passion, il se proclamait paresseux. Il travailla à son rythme, à sa main, pendant la nuit, ce qui fit qu’on ne le vit jamais écrire. Et, manifestant longtemps le refus d'édifier une oeuvre en tant que telle, il dispersa ses textes au gré des amitiés et des circonstances dans les revues littéraires, les catalogues d'exposition, les ouvrages préfacés, etc.. Aussi défient-ils le recensement, et il est difficile de fixer sa bibliographie. Que « les écrits restent », rien n'était moins sûr au départ avec lui. Ses amis s'aperçurent au lendemain de sa mort qu'on ne trouvait nulle part de manuscrit des scénarios de ‘’Quai des Brumes’’ ou des ‘’Disparus de Saint-Agil’’, et, quand ses projets de films n'ont pas été réalisés, il n'en reste en général aucune trace. Sa réputation s'est faite, non pas sans doute malgré lui, mais en dehors de lui et sans qu'il l'ait jamais recherchée.

L'incroyable flux de sa créativité passa par le cinéma, par la poésie comme par les collages.
L’homme de cinéma
Le cinéma, qui fut une de ses passions majeures, couvrit une grande partie de sa vie, s'étendant de 1928 à 1966, son influence étant profonde. Scénariste et dialoguiste hors pair, il a écrit entièrement, ou a participé à, environ soixante-dix films. Mais beaucoup d’entre eux sont restés à l’état de projet.

Il collabora avec son frère, Pierre, et, de cette fratrie libertaire, fantaisiste et touche-à-tout, Serge Reggiani écrivit : «0n ne sépare pas plus les frères Lumière, les frères Montgolfier que les frères Prévert», tandis que Pierre Brasseur constatait : «Les Prévert, ça marche ensemble ». Jacques écrivit alors des scénarios personnels où se mêlaient burlesque et fantastique, non-sens et subversion, qui n’étaient pas vraiment surréalistes, mais qui, par les éléments destructeurs qu'ils contenaient, par leur violente moquerie contre les autorités, par leur souveraine satire des puissants, par la révolte gentille mais terriblement efficace qui battait dans le coeur de chacun d'eux, bousculaient les spectateurs, les transformaient, les rendaient disponibles, les libéraient, les affranchissaient, les désenchaînaient. Mais les sarcasmes des Prévert les déconcertaient au lieu de les faire rire. Aussi si Jacques le funambule des mots et Pierre le saltimbanque des images furent complices durant toute leur vie, ils n'eurent pourtant pas droit à la même place dans la mémoire collective. Leur tandem ne rencontra jamais son public au cinéma, à cause, sans doute, de trop de loufoquerie.

Puis, aimant le travail d’équipe mais étant très exigeant et faisant peu de concessions sur ses scénarios, Jacques Prévert collabora avec un grand nombre de réalisateurs, connus ou inconnus, parfois les plus grands du temps, montrant tout au long de ses associations diverses, la cohérence de son parcours. Les films auxquels il participa offrent tous ce ton Prévert aisément reconnaissable qui alliait réalisme et poésie, lyrisme et fantaisie, ironie et jeu sur les mots, déformation des lieux communs et remise en question des généralisations abusives, paroles d’humour et paroles d’amour (et rien n'est chaleureux comme un de ses dialogues d'amoureux). Ce ton donne l’impression d’être immédiat et spontané mais résulte d’un travail minutieux. Et les thèmes se répondirent et s’enrichirent d’un film à l’autre.

Dans ses adaptations, il s’éloigna parfois de l’œuvre originale, moins parce qu’il voulait prendre ses distances avec elle que par un phénomène habituel chez lui : un texte qui l’inspirait lui suggérait d’autres voies. Quelquefois, l’œuvre adaptée servit de point de départ.

Cependant, il ne fut pas dans ses films le Prévert le plus violent, le plus révolté, le plus corrosif (qu’il faut plutôt chercher dans son théâtre, dans certains de ses poèmes). C’est que le public n'a pas l'intelligence cinématographique bien vive, n'aime pas être dérangé brutalement dans son conformisme esthétique et surtout moral. Sans doute les spectateurs se reconnaissaient-ils trop clairement dans les personnages odieux ou ridicules de l'écran. Aussi fallait-il prendre quelques précautions, raconter une histoire qui ne déroute pas trop les Français qui se croient cartésiens. « Les gens aiment bien qu'on leur raconte des histoires », constatait-il, ajoutant aussitôt : « ...Il faudrait leur en offrir qui soient un peu plus propres que les histoires habituelles... J'adore le cinéma à la condition qu'on lui laisse un peu de liberté vivante. Je préfère les films un peu gênants, qui mettent les gens mal à l'aise. »

Marcel Carné est le réalisateur avec lequel il a le plus collaboré. Pendant plus de dix ans, ils formèrent une équipe solidement unie par l'amitié, qui produisit des chefs-d’œuvre. On a parfois décrété que les images raffinées et esthétisantes de Carné s’accordaient mal avec le style direct et populaire des dialogues de Prévert. En évoquant leur association, Georges Sadoul a parlé de «réalisme poétique», Pierre Mac Orlan de «fantastique social», désignations qui reflètent bien la dualité de ces films, où des personnages issus de milieux modestes évoluent dans les décors inquiétants et splendides de Alexandre Trauner, portés par la musique de Maurice Jaubert ou de Joseph Kosma. Qu’ils errent dans une brume qui les dévore, se réfugient au sommet d’un immeuble gigantesque qui les isole, ou tentent de trouver une issue dans une foule qui les sépare, les protagonistes (des « natures » de femmes ou d'hommes violents, emportés, qui s'expriment avec une éloquence passionnée) sont souvent les victimes de personnages destructeurs, le plus souvent possessifs et jaloux, incarnations d’une société oppressive. Les dialogues, tour à tour naturels et percutants, suggèrent pourtant des voies de salut : la solidarité, la révolte, le refus des conventions, l’amour dans le respect de l’autre et de sa liberté.

Si Prévert fut un chantre de la vie, un tenant du rêve, dans la réalité qu'il dépeignit le pessimisme l'emporta. Dans un moyen d'expression à tel point dominé par les soucis commerciaux où faire passer pareil message est déjà une gageure, il a dit ce qu'il avait à dire, sans fards, il a créé sinon comme il l'entendait, du moins suffisamment pour qu'on l'entende. Il a toujours su marquer de sa personnalité une forme d’art essentiellement collective : il transparut toujours derrière les différents réalisateurs pour lesquels il a travaillé.

Il eut une influence importante sur tout un cinéma « réaliste » d'après-guerre. Mais sa critique sociale ne rencontra guère d'écho chez certains cinéastes de la « Nouvelle Vague », aux ambitions purement formelles, car un auteur de films qui n'était pas un réalisateur ne pouvait guère intéresser les jeunes théoriciens qui prônaient « la politique des auteurs ».


Le poète
Prévert, qui ne se considérait pas comme un poète, qui n’aimait pas qu’on l’appelle poète, ne fut pas un de ces « pohaites » qui s'efforcent de sublimer le réel en l'habillant de formules aussi nobles qu'usées. Il ne fut pas non plus de ceux qui font de la poésie un jeu savant réservé aux seuls initiés. Il rejeta aussi bien l'art ésotérique des cénacles que la « poésie dessus de cheminée » des salons bourgeois. Avec lui, c'est l'air de la rue qui entra dans la poésie. Aussi la poésie de ce parolier et poète de la rue, de cette sorte de Villon du XXe siècle, fut-elle, populaire au plein sens du terme, c’est-à-dire d’inspiration populaire. Et le terme a été parfois repris de façon parfois péjorative, par certains qui firent la moue devant la facilité avec laquelle ce poète « facile» est devenu le plus populaire des poètes de son temps.

C’est parce que sa langue maternelle était celle d’un titi parisien, qu’il fut si aisément à l'écoute des mots des gens du peuple, pour lesquels il composa des poèmes. Cette langue était un français du nord de la Loire, insoucieux de domestiquer les « e » muets, de sorte que, dans la perspective d'une métrique rigoureuse, on compterait chez lui un bon nombre de faux alexandrins, souvent beaux, comme « les roues de vos carrosses savaient où vous alliez ». Depuis la communale, il écrivait comme il parlait, parlait comme il respirait et respirait comme la liberté. Il se louait de sa langue de « certifié d'études» (et, dans ‘’Mea culpa’’ [‘’Histoires’’], il s'excusa auprès de ses lecteurs d'avoir écrit « giraffe »). Il fut avant tout un maître de la parole dont la conversation fut une perpétuelle création et récréation, la « récré » d'après la classe où l'on s'ennuie. Aussi n'eut-il, en écrivant ses poèmes, aucun souci de la corrélation entre l'oral et l'écrit. L’irrégularité de ses vers marque les respirations d'une poésie avant tout orale. Pendant toute sa vie, sa poésie fut faite pour être parlée, fut pour lui le plus court chemin du cœur aux lèvres, et ne ressembla en rien au lyrisme à majuscules.

Mais, avec des mots familiers, il créa un langage unique en son genre, mélange de tendresse, de gouaille populaire, d’ironie féroce, de chagrin aussi. Et son œuvre, très neuve et très originale, qui ne prend pas de grands airs mais nous fait tourner la tête comme une bouffée d'enfance, mérite plus d’être qualifiée de «poésie vivante » car elle fut débordante, incontrôlée, avec un rythme qui est celui de la vie même. Poète quotidien et inattendu, plein de verve, au langage poétique et débraillé, il fut un lyrique spontané qui montra une apparente simplicité, son charme étant d'être frais comme il est vrai.
Chez lui, l’esthétique était mêlée à la pratique, n'a jamais fait l'objet de la moindre théorisation. Il refusa toute définition de la poésie, de l'humour, etc. Il n’adhéra pas vraiment au surréalisme qui lui donna cependant l’exemple des jeux de mots d'un Duchamp et d'un Desnos, des expérimentations verbales d'un Vitrac ou d'un Leiris. Il y joignit le jeu du « cadavre exquis » et sut, comme le recommandait Breton, laisser les mots « faire l'amour » pour mieux engendrer la merveille. Il garda aussi du surréalisme ce sens du « dépaysement » que très naturellement il introduisit dans ses textes, où il a porté à son plus haut point d'efficacité burlesque la technique de l'énumération, de l'inventaire ; le naturel concerté de tout ce qu’enferme de charme hétéroclite l’enregistrement verbal des choses, des êtres et des gens ; la conviction que les choses et les êtres parlent un langage à la fois proche et inattendu.

Artisan d’une véritable rénovation poétique, il bouscula la « poésie pure » et son désir d’identité immuable. Mais, s’il n’y eut pas chez lui de recherche d'une perfection ciselée, si l'abord de ses textes est aisé, ils furent en fait très écrits et travaillés. Il ne fut nullement un poète qui écrit tout ce qui lui passe par la tête. L'erreur absolue serait de croire à des galopades inconséquentes, à une poésie hagarde tirant, au nom de l'insolite, à hue comme à dia. Sa « facilité » n'est qu'apparente, et c'est là où beaucoup se sont laissé prendre. Son intense poésie fut plus élaborée et composée qu'elle n'en avait l'air. Son esthétique ne fut pas celle du n'importe quoi, et il fit preuve d’une « gaucherie adroite » (Maurice Rat). Ses jeux ne furent pas gratuits : à travers eux, il poursuivit un travail méticuleux de démystification, de nettoyage, de dissociation, pour faire éclater le sens conventionnel du discours.


S’il utilisa une langue parlée, familière (‘’Vous parlez d’une histoire de famille [...] Mais le plus marrant de l’histoire...’’, lit-on dans ‘’Les petits plats dans les grands’’), un lexique souvent pauvre, parfois vulgaire (on note l’emploi répété du mot «connerie»), il exploita avec virtuosité la veine populaire d'invention verbale, y apporta les ressources inépuisables de sa fantaisie personnelle et de son tempérament poétique, sa liberté de langage et son imaginaire foisonnant. Pour Robert Doisneau, « L'élégance de Jacques Prévert est faite de cette allégresse légère que l'on retrouve dans sa façon de faire danser les mots. »

Il fit flèche de tous les mots, jongla avec eux, pour de savoureuses trouvailles. Certaines sont des jeux purement sonores :

- des paronomases : l’isthme de Panama devient «l'asthme de Panama», la retraite de Russie devient «l'arthrite de Russie» ;

- de joyeux déferlements d’allitérations, d’assonances et de rimes : « Ceux qui croient / Ceux qui croient croire / Ceux qui croa-croa » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’) - « Dans les bois de Clamart on entend les clameurs des enfants qui se marrent [...] l'aiguille s'affole dans sa boussole, le binoclard entre au bocard et la grande dolichocéphale sur son sofa s'affale et fait la folle » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’) - « L'amiral Larima / Larima quoi / la rime à rien / l'amiral Larima / l'amiral Rien. » (‘’L’amiral’’) - « Comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz » (‘’Promenade de Picasso’’) - «  La pipe ô papa du Pape Pie pue » ;

- d’amusantes contrepèteries, Blanche de Castille devenant «Clanche de Bastille», le «pouvoir des mots» devenant «le mouroir des peaux» (‘’Graffiti’’) ;

- des accumulations (« cette pluie de fer / De feu d'acier de sang), des répétitions (« Rappelle-toi Barbara [...] Rappelle-toi Barbara»), qui apparentent ses poèmes à des chansons tristes ou gaies, aigres-douces ou révoltées, tendres ou grinçantes, son style, sans rime apparente, tout en rythme et en musicalité, s'adaptant aux styles nouveaux de la chanson.


D’autres trouvailles sont des jeux sur les significations des mots, sur leur interprétation littérale, qui leur font parfois retrouver un sens premier :

- des calembours : «C’est bon signe, signe que vous pouvez signer » (‘’Pour faire le portrait d’un oiseau’’) - «Être étrange, c’est étrange».

- des coq-à-l'âne : «La plus noble conquête de l'homme, c'est le cheval, dit le président, et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là. » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’) ;

- des amplifications ;

- des antinomies : « Quand les éboueurs font grève, les orduriers sont indignés» (‘’Graffiti’’) ;

- d’étonnantes associations : « Soldats tombés à Fontenoy, le soleil d’Austerlitz vous contemple » (‘’La bataille de Fontenoy’’) - Napoléon, « plus tard il prit du ventre et beaucoup de pays » (‘’Composition française’’) ;

- des lieux communs pris au pied de la lettre et revivifiés ; des formules usuelles complètement rafraîchies ou définitivement assassinées ; des expressions toutes faites et des clichés retouchés pour leur faire dire autre chose ;

- des images colorées et entrechoquées ; des comparaisons et métaphores insolites : «les dents serrées comme un sécateur » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’) ;

- des raccourcis évocateurs : les « grimaces instruites » des gens de la bonne société, « ivres d'Histoire de France et de Pontet-Canet » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’) ;

- des créations : « Ceux qui tricolorent [...] Ceux qui andromaquent / Ceux qui dreadnoughtent / Ceux qui majusculent [...] Ceux qui brossent à reluire [...] Ceux qui mamellent de la France » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’) ;

- des traits d’un humour qui fait penser à celui de Jarry (« Louis XIV fuyait les miroirs tant il craignait l'insolation»), qui pouvait être aussi de l’humour noir (« Bien sûr, des fois, j'ai pensé mettre fin à mes jours, mais je ne savais jamais par lequel commencer»).
Prévert, qui ne craignit pas les invectives, les blagues, les pirouettes, mêla l'argot aux formules de politesse, le bon et le mauvais goût, l'horrible et le délicieux, bref, donna du Prévert et des pas mûres !
Manifestant des qualités narratives exceptionnelles, il donna à ses narrations toutes les caractéristiques du langage parlé : elles se font au présent et au passé composé ; la subordination est rare, réduite aux propositions les plus fréquentes, la coordination est redondante, le pronom de forme réduite et d'usage familier « ça » est fréquent. Surtout, comme le fait un enfant avec sa poupée, il manipula ses phrases, les culbuta, les chahuta, les démonta, les disloqua, désordre qu’accentue l'absence de ponctuation. Mais, si elles se trouvent sens dessus dessous, elles révèlent un sens profond et libérateur. Car, selon la leçon corrosive du surréalisme, il se livra à une entreprise de démantèlement du langage qui fit éclater le caractère conventionnel et dérisoire du discours bourgeois. Disloquant les associations d'idées consacrées et confortables, rafraîchissant un langage trop cuit, il montra la société à l'envers, surprise et enfin changée en elle-même : vraie et telle quelle. Il démasqua les idées reçues qui circulent dans le plus parfait incognito.
Ces poèmes faciles à retenir surent toucher le plus vaste public, avec cependant, peut-être, cette conséquence qui peut surprendre et paraître paradoxale : ils seraient responsables de la désaffection pour la poésie des lecteurs français qui ont pu croire qu’il suffisait d'avoir été amoureux et d'aligner quelques mots pour obtenir un poème. Leur succès est d’autant plus grand que, parmi une infinie variété de formes (contes, inventaires, charades, monologues, saynètes), ils furent mis en musique et trouvèrent dans la chanson un moyen d’expression et de diffusion privilégié.

Aussi Prévert fut-il l’un des écrivains français les plus populaires du XXe siècle, obtenant des ventes record dans un genre où l’on espère plutôt se faire voler ses livres !


Le dénonciateur
À travers son oeuvre, Prévert a toujours pris de fermes positions.

Mais il exécrait l'intellectualisme, « la vaisselle cérébrale » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’), les systèmes de l'esprit qui en fin de compte ne font jamais que se renvoyer à eux-mêmes, dans une opacité délirante (ainsi, selon lui, de la scolastique ; mais la dialectique ne le rassura pas). Détestant toute prétention en général, il se moqua d’un conférencier en lui faisant dire : « J'ai des vestiges / Je ne suis pas quiconque / J'ai des références ». Critique d’une époque trop abandonnée aux charlatans de l'abstrus, il interpella ses contemporaiss : « Hommes à la tête d'éponge / hommes aux petits corridors.» Sa poésie refusa donc toute spéculation intellectuelle parce que les êtres qui se perdent dans leurs pensées, en s’isolant du monde extérieur, se coupent de toute possibilité d’émerveillement et de colère, en un mot, de passion, devant le monde présent, face aux« pépins de la réalité ». Les titres de ses recueils expriment ce désir de rester sur terre, de retenir ce que chacun peut voir, tous ces « faits divers » qui « font la vie ».

Il reste que ses multiples activités relevèrent toutes de la même démarche, du même élan pour dire et pour montrer, pour communiquer une «poésie de la réalité, poésie du monde réel et du monde moderne [qui] exprime notre vie la plus simple et la plus immédiate » (G. Picon), hors de tout mysticisme et de toute abstraction ; que cet indispensable écrivain libertaire composa une oeuvre militante. Penseur libre, il ne fut pas un poète sage pour enfants sages. Il y avait tout de même de la dureté dans son regard bleu. Et sa proposition de libération par l'acte poétique dirigé contre les conventions sociales parfois ne fut pas pacifique : « Moi je joue de l'orgue de barbarie / et je joue du couteau aussi » (‘’L'orgue de Barbarie’’).

On peut considérer qu’il fut surréaliste aussi par la rigueur de sa contre-morale. Il disait : « J’écris pour faire plaisir à beaucoup… et pour en emmerder quelques-uns», ces « quelques-uns » qui figuraient tous dans la fameuse ‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’. Sa poésie, ancrée dans une perception aiguë de la réalité sociale, prit valeur d'avertissement et de protestation. Chez lui, toujours la rébellion couvait sous la tendresse, et sa poésie fut loin de l'image parfois mièvre qu'en donnent les manuels scolaires. Il bouscula les habitudes, dérangea les opinions reçues.

Fidèle à la tradition anarchisante du début du XXe siècle, il ne manifesta aucun goût pour les appartenances, demeura réfractaire au prosélytisme des idées, fut un non-conformiste qui exhala une permanente révolte du coeur bien plus qu'il ne se montra disposé à célébrer l'espoir, jugé illusoire, de la révolution. S’il était proche du parti communiste, il était aussi très attaché à sa liberté de pensée, à son indépendance d’esprit et à son goût pour une insolence qui compose sa grille d’écriture. Aussi ne formalisa-t-il jamais son engagement politique et, à ce sujet, badina : « M’inscrire au Parti? Moi, je veux bien... On me mettrait dans une cellule. »

Ne voulant aimer que les élus de son propre choix, il se refusa aux alliances et aux sectes, aux récriminations et alternances d'un pouvoir, fût-il révolutionnaire. Il conserva une profonde indifférence aux systèmes critiques et au qu’en-dira-t-on. Du premier texte publié (1930) jusqu'à ses derniers écrits, il fut toujours fidèle à lui-même, ne cessa pas de dire mêmement des choses simples, et n'écrivit jamais que ce qui lui vint en tête d'écrire, pourvu que ce fût avec assez de force, d'authenticité. Toujours, il s'est refusé à des renoncements, à des révisions, des seconds choix, dans le même esprit radical de non-carrière, qui s'imposait à lui comme une évidence. Ce qu'il entreprit fut toujours à son image : étrange et libre, irréductible aux définitions, insaisissable. Ne faisant pas de choix, attendant des rencontres qui surviendraient au grand bonheur la chance, sans cesse il leva l'ancre, sachant qu’il y aurait toujours une tempête à affronter.

Lançant des invectives, maniant l'insolence, sans discours et sans démagogie, dans un souffle de révolte qui est, aujourd'hui plus que jamais, un exemple précieux, il se montra hostile à toutes les forces d'oppression, prêcha l’émancipation de tous les pouvoirs, de toutes les institutions qu’elles soient politiques, religieuses, scolaires ou familiales. Rejetant l'ordre établi et les hiérarchies sociales et esthétiques, il professa toujours son refus de l’obéissance. En prenant la parole, il la prit pour tous ceux à qui on dit en général plutôt : « Mange ta soupe et tais-toi », « Ne pose pas de questions » ou « Silence dans les rangs ». Proclamant la nécessité absolue de la liberté, il s'insurgea contre toutes les institutions qui, selon lui, façonnent dès l'enfance les esprits en vue de les soumettre. D’où, dans ‘’L'enseignement libre’’, cet enfant qui, « en entendant parler / d'une société sans classe / rêve d'un monde buissonnier ».

Il mit au jour toutes les infamies, toutes les injustices, les abus de pouvoir et d'autorité. Il vitupéra une société ou règne le profit, où quelques-uns en exploitent d’autres, s'accommodant du chômage et de la guerre. Il évoqua « les cicatrices des combats / livrés par la classe ouvrière / contre un monde absurde et sans lois » (‘’L’effort humain’’), pensant qu’il n’y aura de délivrance que si les pauvres restent unis (‘’Événements’’) et prennent conscience de leur nombre (‘’Le paysage changeur’’). Désignant les responsables de la misère, il épingla et caricatura les bourgeois.

Il prêta sa voix à toutes les victimes, prit délibérément parti pour les petits, les humbles, les pauvres, les laborieux, les humiliés (« Ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille, qu'on assomme... » [‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’]), les lampistes (« Les sorciers lorsqu'ils font de terrifiantes conneries, on accuse toujours l'apprenti. »), « les enfants qui s'aiment», les « étranges étrangers » (titres de poèmes de ‘’La pluie et le beau temps’’). Il constata : « C'est toujours dans les bas-fonds qu'on pousse les hauts cris. » Trouvant dans la rue un champ d'exploration humaine inépuisable, il manifesta sa solidarité avec les gens qu’on y trouve.

Refusant l’exclusion, il condamna le colonialisme, parlant «de grandes îles avec des arbres à pneus et des pianos métalliques bien stylés pour qu'on n'entende pas trop les cris des indigènes autour des plantations quand les colons facétieux essaient après dîner leur carabine à répétition » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’), accusa « ceux qui pensent qu’une poignée de riz suffit à nourrir toute une famille de Chinois pendant de longues années » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’). Il se réjouit de la décolonisation et de la déconfiture des colonialistes : « Ce qui les inquiète, les dépossède, les désintègre, c'est qu'aujourd'hui les Noirs commencent à parler grand-Nègre. »

Parmi les pouvoirs, il rejeta celui de la religion. Il affirma son athéisme, proclamant, dans ‘’Choses et autres’’ : « J'ai toujours été intact de Dieu ». Dans ‘’Hebdromadaires’’, il eut cette tranchante formule d'agnostique : «La poésie est partout comme Dieu n'est nulle part ». Il alla jusqu’au refus de la transcendance : « Il y a des gens qui dansent sans entrer en transe et il y en a d'autres qui entrent en transe sans danser. » (‘’Spectacle’’). Il exprima son mépris pour la foi : « Une foi est coutume » (‘’Graffiti’’) - « Les jeux de la Foi ne sont que cendres auprès des feux de la Joie. » (‘’Intermède’’, dans ‘’Spectacle’’). Il se moqua des « saintes Écritures » : « Et Dieu / surprenant Adam et Ève / leur dit / Continuez je vous en prie / Ne vous dérangez pas / Faites comme si je n'existais pas » - « J.-C. tombe pour la nième fois, il ouvre un large bec et laisse tomber le fromage pour réparer des ans l'irréparable outrage ». Le poème ‘’Les petits plats dans les grands’’ est une parodie de la Cène vue comme « un grand dîner de Première Communion », qui réunissait notamment « le cousin Ponce Pilate » et « l'oncle Sam » et où « on n'attendait plus que le père Ubu / Soudain la porte s'ouvre / Et c'est le père Éternel qui entre / C'était le même / Vous parlez d’une histoire de famille [...] Mais le plus marrant de l’histoire / C’est qu’il avait le Fils de l’homme-sandwich sous le bras / Il l’a jeté sur la sainte table / Ah les joyeux anthropophages». Dans ‘’Pater Noster’’, il détourna la célèbre prière : « Notre Père qui êtes aux cieux / Restez-y / Et nous nous resterons sur la terre / Qui est quelquefois si jolie. » Signifiant son animosité face à l’institution catholique, il en montra le ridicule : « En favorisant le croisement d'une souris d'autel avec un rat d'église, saint Sulpice créa le rat d'art, fort habile à dénicher les chefs-d'œuvre pies et le premier à vulgariser l'art des icônes ou Pope Art. » (‘’Imaginaires’’), se gaussa de ses pompes, de ses desservants (« Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche. »), d’une « Homélie-Mélo ». Rejetant ses dogmes, comme l'idée d'un péché originel, il signala les perversions qu’ils entraînent, et stigmatisa les méfaits de l'Église.

Il épingla les politiciens, « représentants de commerce du Peuple», dont les plaidoiries, se croisant, ont l'air d'un ballet cocasse de phrases renversées, mais dont les cabrioles verbales révèlent le cynisme avec une vérité cruelle : « Qu'est-ce que ça peut faire que je lutte pour la mauvaise cause si je suis de bonne foi? Et qu'est-ce que ça peut faire que je sois de mauvaise foi puisque c'est pour la bonne cause?» (‘’Représentation’’, dans ‘’Spectacle’’). Il condensa en dix mots dix gros volumes d'analyses politiques dans ce « proverbe de l'enfer» des tyrannies : « Quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie. »

Férocement antimilitariste, il cria son refus de la guerre (« Quelle connerie la guerre »), du patriotisme (« Comme une orange abîmée lancée très fort contre un mur par un gamin mal élevé, la MARSEILLAISE éclate » dans ‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’), du sacrifice des jeunes générations, blâmant « Ceux qui donnent des canons aux enfants / Ceux qui donnent des enfants aux canons » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’), les avertissant : « Soyez prévenus vieillards / soyez prévenus chefs de famille / le temps où vous donniez vos fils à la patrie / comme on donne du pain aux pigeons / ce temps-là ne reviendra plus » [‘’Le temps des noyaux’’), se moquant des proclamations belliqueuses : « Soldats tombés à Fontenoy, le soleil d’Austerlitz vous contemple […] À la guerre comme à la guerre. Un militaire de perdu, dix de retrouvés. Il faut des civils pour faire des militaires ; avec un civil vivant on fait un soldat mort… » (‘’La bataille de Fontenoy’’), signalant la collusion entre les capitalistes et les militaires : « Des petits artisans vendent de la mort aux rats, de grands industriels vendent de la mort aux hommes, aux femmes, aux arbres, aux enfants. La mort aux hommes, c'est aussi la guerre, cette connerie. L’œil était dans la bombe et regardait tout le monde. » - « Mourrons-nous de faim si nous arrêtons de fabriquer des machines à mourir de guerre? Que viennent ces couteaux généreux supprimant les généraux coûteux. »

Il rejeta même l’école lorsqu'elle ressemble à une prison, vilipenda le système scolaire en subvertissant la formule habituelle « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » par « Éducation nationale : Tout condamné à vivre aura la tête bourrée », persifla les professeurs (« Il n'y a pas de problème, il n'y a que des professeurs»), les visant peut-être avec son « binoclard » qui « entre au bocard » dans ‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’. Toutefois, ils ne semblent pas trop lui en vouloir puisque son nom orne les frontons de certains collèges.


Dans ses dernières années, se méfiant notamment du progrès, « trop robot pour être vrai », il fut préoccupé par une forme de déshumanisation de l'existence. L’informatisation de la société, qui s'amorçait alors, lui fit écrire « Cybernétique = Cythère bernique », ce qui était plutôt bien trouvé. Il ne se berça pas trop d'illusions sur les vertus émancipatrices des progrès technologiques : « Ne rêvez pas / pointez / grattez vaquez marnez bossez trimez / Ne rêvez pas / l'électronique rêvera pour vous / Ne lisez pas / l'électrolyseur lira pour vous / Ne faites pas l'amour / l'électrocoïtal le fera pour vous / pointez / grattez vaquez marnez bossez trimez / Ne vous reposez pas / le Travail repose sur vous. »

Familier de la logique médiatique, il en fut aussi un solide critique qui proposa des «moyens d'autodéfense intellectuelle» pour survivre à ce type de discours. Sensible au «phénomène d'unicité dans la représentation du monde proposé par la presse écrite», il nous invita à la lucidité devant la logique immédiate et sensationnaliste imposée par les médias. Il rappela la nécessité de s'informer à de nombreuses sources et de refuser l'argument d'autorité.

Son nom même l’y prédestinant (comment, quand on s’appelle Prévert, ne pas être « vert »?), l'écologie fut au cœur de ses préoccupations. Par exemple, il s’inquiéta de la qualité de l’environnement urbain : « L’architecture d'aujourd'hui n'a pas de fleur à sa bétonnière », regretta-t-il en prédisant ailleurs que « les bâtiments modernes feront de vilaines ruines. De quoi préférer l'anarchitecture », concluait-il. Le traitement infligé à la planète au nom du sacro-saint progrès et de la rentabilité lui arracha de sérieuses mises en garde : « Ne videz pas les poubelles dans le frigidaire, il pourrait se mettre en colère / N'agacez pas, n'empoisonnez pas, n'emmerdez pas la mer, elle est capable de se venger / Et si vous continuez à tourner la terre en dérision, un beau jour elle vous éclatera de rire au nez. » S’il affirma le besoin d'humaniser la vie des êtres humains, il fut sensible aussi au sort fait aux animaux, dénonça les usines à viande où le veau est gavé, soufflé aux oestrogènes, nourri à la machine, amphétaminé, emprisonné dans d'étroites petites cages dites d'« attendrissement », et il imagina le jour où craqueront les billards parce que « les vrais éléphants viendront reprendre leur ivoire » (‘’Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France’’).
S’il exerça une satire corrosive, Prévert se livra à son jeu de massacre iconoclaste dans des textes habituellement d’une grande drôlerie, car on le vit plus souvent rire aux éclats devant les rapports de force qui président aux sociétés humaines et en faire des rapports de farce. Cela n’empêche pas ses textes d’être d’une grande efficacité critique, car ils nous ramènent aux saines vérités premières qu'on voudrait parfois nous faire oublier, sous prétexte que ce sont des vérités primaires, quand elles ne sont que les premières des vérités. En voulant à l’autorité, celle de Dieu ou celle des humains, car elles mutilent, il leur opposa les mots, le rire, le cocasse, des impertinences de toutes sortes.
Le grand coeur
L’oeuvre de Prévert étant une alliance de lucidité et de sensibilité, d'ironie et de générosité, de grâce et de férocité, de violence et de tendresse, il ne fut pas qu’un dénonciateur, il fut aussi un poète d’un vrai lyrisme.

Cependant, ce lyrisme ne fut pas celui de ces écrivains amoureusement occupés à disséquer leur âme et à nous en livrer les plus infimes émois. « Raconte pas ta vie » était une de ses phrases préférées. Et il se moqua de ses futurs biographes : « Quand je ne serai plus, ils n'ont pas fini de déconner. Ils me connaîtront mieux que moi-même. »

Soucieux, malgré les horreurs, de ne pas escamoter la beauté, il s'émerveilla devant le spectacle du monde, devant « la terre / Qui est quelquefois si jolie ». Il affirma : « La vie est belle quand elle est belle, et cela lui arrive souvent » - « J'aime la vie et elle de même, sinon, il y a longtemps qu'elle m'aurait laissé tomber. »

Il l’envisagea dans sa plénitude : « La vie est une cerise / La mort est un noyau / L'amour un cerisier. » En effet, s’il montra un grand respect de la vie humaine, il se montra éminemment conscient de son caractère éphémère, donnant ce conseil si clairvoyant et cruel : « Mangez sur l’herbe, dépêchez-vous, un jour ou l’autre l’herbe mangera sur vous. » (‘’Choses et autres’’). L’inéluctabilité de la mort lui fit dire : « Moi, fonctionnaire de la vie, je touche mon salaire et de jour et de nuit ; l'heure me paie, les années me ruinent et déjà me remercient. » (‘’Fatras’’) - « On a beau avoir une santé de fer, on finit toujours par rouiller. » Il l’accepta comme inhérente à la condition humaine : « Comme cela nous semblerait flou / inconsistant et inquiétant / une tête de vivant / s'il n'y avait pas une tête de mort dedans. »

Manifestant sa confiance en l'être humain libéré du masque patriotique et religieux, il célébra l’amour entre hommes et femmes : « II n'y a pas cinq ou six merveilles dans le monde, mais une seule : l'amour » (‘’Graffiti’’), avec peut-être une sentimentalité romantique soudain masquée sous la gouaille du titi : de Gavroche à Prévert il n’y a qu’un pas. Cet amour pur, libre de tout dogme et de tout calcul, vécu dans la joie et dans la peine, lui parut d’une grande force : « L’amour, quand on lui bande les yeux, c'est pour le fusiller. Mais, les yeux grands ouverts, il traverse la vie sans se faire écraser. »

Donnant ce sage conseil : « Même si le bonheur t’oublie un peu, ne l'oublie jamais tout à fait », il indiquait qu’il se trouve dans sa recherche même, qu’il est atteint dans la simplicité, au-delà des règles, des gouvernements, des religions. Il faut y mettre du sien, car la vie est riche de promesses qu'elle sait tenir si on fait son effort.

Il chanta l’enfance, univers de tous les possibles, univers précieux, inaccessible aux conformismes adultes, hermétique à toute norme, à toute loi. Il marqua son souci de préserver sa fragilité. Celui qui écrivit : « Cela peut sembler de l’enfantillage mais j’accorde autant d’importance, et même beaucoup plus, aux petites choses sans importance écrites pour les enfants qu’aux grandes choses définitives écrites pour d’importants adultes », fut un des rares écrivains à avoir compris que les enfants aiment aussi les choses qui leur échappent… et à savoir que peu de choses leur échappent. D’ailleurs, les enfants sont sensibles à son œuvre, et il fut un important pilier de la littérature jeunesse : depuis trente ans, on estime à un million et demi le nombre d'exemplaires vendus.
Négligeant les contradictions (qu’il voyait « comme des moustiques » [‘’Lumières d'homme’’]), ou plutôt les assimilant, les dévorant toutes, les emportant dans sa poésie, son attitude fut un formidable acquiescement. Cette subordination inconditionnelle à ce qui est lui dicta à la fois ses enthousiasmes et ses refus, ses bonheurs et ses rejets, en même temps que son esthétique. En définitive, lui qui était d'une extraordinaire lucidité mais ne supportait pas la délectation morose, donna donc un message d'espoir, fort bienvenu aujourd'hui.

Destinée de l’oeuvre
Durant Mai 68, une nouvelle génération sembla puiser dans les textes et « graffiti » de Prévert l'inspiration des siens. Ce qui s’écrivait alors de meilleur sur les murs n’aurait sans doute pas eu la même couleur sans son oeuvre irréductiblement contestataire, aujourd’hui encore scandaleuse.

En 1992, son entrée dans la prestigieuse ‘’Bibliothèque de la Pléiade’’ fit événement.

En mars 1993, mourut sa veuve. Quelques jours après, fut révélée l’existence dans sa maison d'Omonville-la-Rogue, d’une cachette où on a découvert des tableaux de maître (un Corot et un Picasso) et le manuscrit original des ‘’Enfants du paradis’’.

Depuis 1993, la société ‘’Fatras’’ s,est donné pour but de faire vivre l’ensemble de l’oeuvre. Sa petite-fille, Eugénie Bachelot-Prévert, qui en est dépositaire veut «empêcher de réduire sa pensée si revendicative à une portion congrue de ses textes. »

En 1997, à l'occasion du vingtième anniversaire de sa disparition, dans le cadre de la collection ‘’Un siècle d'écrivains’’, Gilles Nadeau, en collaboration avec Alain Poulanges et Jeanine Mare Pezet, réalisa un documentaire intitulé ‘’Jacques Prévert, le cancre magnifique’’.

En 2007, l’anniversaire des trente ans de sa mort vit la parution de trois livres, ‘’L’humour de l’art’’, ‘’Octobre’’ et ‘’Portrait d’une vie’’ qui témoignèrent d’un foisonnement d’écrits, de chansons, de scénarios de films et de collages souvent inédits.



En 2008-2009, Jacques Prévert eut les honneurs de l'Hôtel de ville de Paris, pour une exposition dont le titre, ‘’Paris la belle’’, fut emprunté au court-métrage réalisé par son cadet. Son héritière, Eugénie Bachelot-Prévert,ouvrit généreusement son coffre aux trésors.
Aujourd’hui, par-delà les modes et les théories éphémères, des générations d'adolescents n'en finissent pas, adultes, d'être habités par les petites phrases de cet homme singulier. Il séduit de plus en plus d'interprètes, y compris parmi les groupes de rappeurs. D'ici peu, il pourrait devenir une référence pour les formes nouvelles de l’expression musicale populaire.
André Durand
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