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Lorsque Louis de Funès met les pieds dans le plat…


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Lorsque Louis de Funès met les pieds dans le plat…

Tout l’art de Louis de Funès, c’est d’avoir su donner à la gastronomie une dimension qui lui manquait lourdement jusqu’alors : la drôlerie.

La gastronomie, ce monument kitsch et saucier était jusqu’alors isolé et triste à périr.Elle soliloquait seule dans son coin, rosissait les carnations, faisait fleurir les nez en tarins moyen ageux. Elle parlait seule à elle-même, dans son miroir, neurasthénique et dépréciée. Elle dépérissait dans le sépia et l’embonpoint ; la calorie et la flanelle.

La cuisine était alors un art mineur, ravalée au bas-ventre, à la panse et la domesticité. Lorsque dans les années 70, Henri Gault et Christian Millau se glissent sous la table, histoire de chatouiller les pieds du sacro-saint guide Michelin. Ils rigolent des sauces enfarinées, des flambages et des digestifs, de la triple tenture et des doubles mentons. Ils mettent en avant les halogènes, les baies roses, les plats allégés. Habillent les sauces à l’eau et les patronnes en robe de cuir Alaïa. La cuisine sort alors de la suie, de la buée et des néons. S’engouffrent toute une génération de chefs ravis de sortir enfin de leur igloo enfumé, de faire la couverture des journaux et découvrir les duty free shops. Le film , de Claude Zidi tombe à cette époque (1976). Louis de Funès est en pleine forme, il est le directeur du guide Duchemin. Les restaurants, il connaît par cœur puisque dix années auparavant, il avait été le directeur du , chez Septime. On retrouve dans ces deux films cette drôlerie face à un exercice qui se prétend si sérieux, patrimonial et tout le tralala, à savoir la cuisine. La gastronomie est sans doute est des univers qui est bien le seul à prendre un petit pois au sérieux (le risque du sublime) tout en évoluant au bord du ridicule. Cette subtile frontière qui est régulièrement franchie (amuse bouches miniatures, sole au chocolat, hamburger de foie gras…) est pourtant l’expression de l’appropriation du risque ; tout le monde le prend : l’ouvrier sur le chantier qui se balade sans casque ; l’artiste en décapant un morceau de marbre. La cuisine n’avait jamais été visitée de la sorte. Tout à coup le cocasse surgit, on se moque à tour de bras de soi-même (so frenchie), tout en dénonçant au passage, l’irruption de l’agro alimentaire et de son cynisme commercial.

Louis de Funès s’engouffre avec un appétit sans nom. Il zébulonne dans les postures du critique roué et exalté : surprendre les coulisses de sa propre affaire comme dans le Grand restaurant, faire sursauter ses maîtres d’hôtels, humer l’haleine des sommeliers. Tout à coup, la table si austère et frigide dans ses atours, bascule dans la marrade, la comédie. Les musiques sont allègres comme un menuet . On est au bord du coussin péteur, du verre baveur. Dénoncer le folklore empesé du restaurant tout en valorisant ses lieux de spectacles uniques que constitue celui des tables. Jamais la société ne s’y résume autant et en cela de Funès est comme une épingle avec un bigorneau : il se faufile et pique droit au centre. Il y aussi dans son jeu, une sorte d’amour vache, de sadisme aux yeux exaltés (le couvercle du piano claqué sur les doigts du pauvre pianiste, in le Grand restaurant) qui parfois se retourne contre lui comme ainsi la désopilante scène de  : le restaurateur dégradé du Relais de la Cigale, lui fait bouffer, le tenant en joue du bout de son fusil, les plats infâmes de l’usine Tricatel (bing, bong, bang : des pustules fleurissent sur son visage). Et ce en pleine époque des restaurants Jacques Borel et l’entrée en force des plats reconstitués. De Funès sait qu’avec la drôlerie, il peut accéder directement à une certaine vérité, la faire passer comme une lettre à la poste, résumer en une roulade ce qu’un long documentaire se fatiguerait à développer. Il a aussi cette dimension des anorexiques mentaux propre à la profession de critique gastronomique qui pousse les autres à manger : lui-même, maigre comme un haricot vert, ne fait que goûter et souvent par le biais de ces pipettes planquées dans sa veste jaune canari (L’aile ou la Cuisse). Il est en quelque sorte le messager, le rapporteur cocasse, le doigt pointé ; ce que bien souvent les chefs prennent pour un .

Aujourd’hui, le rôle de la critique a explosé avec internet. Il s’est vaporisé. Tout le monde peut ramener sa fraise, ce qui est louable, mais le niveau critique a sensiblement baissé avec des avis voltigeant dans l’apesanteur. Louis de Funès serait égaré dans ce monde qui dit tout et son contraire. Il se ferait attaquer par les chefs pour


. Le monde de la table est devenu à présent beaucoup plus structuré, nervuré par les affaires avec une explosion d’expressions (toutes les cuisines du monde à présent se valent et rivalisent), l’hégémonie française n’existe plus que dans la tête de nos concitoyens qui se croient toujours champions du monde. Le Michelin est toujours avec son ethno centrisme et sa lubie de gouverner le monde et sans doute, il serait ausant de revoir de Funès débarquer dans l’autocélébration du Fooding, brouiller les codes de l’Internet, photographier les soles au yuzu. Son hystérie trépidante le rangerait vite fait dans la catégorie des cocaïnomanes, ses déguisements de grande mère l’emmèneraient au violon, et ses agissements sur son personnel aux prud’hommes. Voilà pourquoi, revoir ses films est plus qu’une drôlerie, il y a là comme une hygiène de la rébellion, de la moquerie et d’une dimension que la cuisine connaît bien, à savoir la farce. L’art précisément de glisser dans les entrailles d’une innocente volaille, ce qu’il y a de plus raffiné, cher et savoureux. Ce rentre-dedans génial et poilant, cette façon de rentre dans le buffet, et de rire de bon cœur, ça aussi un exercice vintage, s’avère encore aujourd’hui délicieusement désuet et revigorant. Lorsqu’on sort d’un film de de Funès, on a envie d’aller à son tour, chatouiller les plantes des pieds des costumes gris.
François Simon, grand reporter et critique gastronomique au Figaro.


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