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BRAVO !

Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond TONDELIER.


Je m’appelle Jérôme MICHAUT. J’ai 36 ans. Je suis l’arrière petit fils de Edmond TONDELIER. Je mets ce texte à votre disposition en plus du site (c’est mon cadeau de Noël 2000). Je vous remercie d’en faire bon usage et de ne pas l’utiliser à des fins commerciales sans m’en avertir au préalable.
Faites le lire, aux petits et aux grands, diffusez-le, vous en tirerez un bénéfice intellectuel.

Le travail de transcription du manuscrit à couru sur une période de 6 années. Il a commencé en 1993. Je m’y suis abîmé la vue. Cela représente ma contribution à la fin de la bêtise humaine qui se traduit un peu partout sur la terre par des conflits inhumains, qui supprime physiquement des individus et qui détruit l’existence des autres. Dans les deux camps.


La vie a pour moi une valeur inestimable et je ne supporte pas que l’on puisse la risquer stupidement comme ce fut le cas à cette époque. A vous de voir.

Voici mes coordonnées


Jérôme MICHAUT

47, rue des Apennins

75017 PARIS

France



Prochaine adresse à partir de Février 2001


107 rue Legendre

75017 PARIS

France
01 42 26 38 38

06 88 05 26 71

Mail :

xmichaut@club-internet.fr

jmichaut@le-public-systeme.fr

jmichaut@lpsimage.net

carnet I

23 février 1915 - Aujourd’hui je devrais souhaiter la fête à Amante. Incorporé depuis le 1er février 1915 à la Soixante douzième Brigade du douzième régiment d’Artillerie,
j’ai été, après des pérégrinations ordinaires, à Vincennes (Fort), à Fontenay-sous-Bois, affecté au cantonnement Anquetil de Nogent-sur-Marne. J’ai attendu, pour noter mes impressions, qu’il fut possible d’apprécier avec un peu de recul les menus faits qui accompagnent l’installation. La formation d’R.A.T. du camp retranché de Paris, mobilisé dès le 13 août, était destinée à établir des travaux de défense supplémentaires, ouvrages avancés s’appuyant sur les forts et redoutes fixes.
Des nombreux renseignements que j’ai recueillis, je dégage que la mobilisation fut très rapide mais subit de nombreux à coups. Les hommes furent pour la plupart habillés tant bien que mal et expédiés dans un village où ils construisirent et établirent une batterie de 90, 120 et 155.

La Soixante douzième Batterie composée d’R.A.T. comprenait huit mille hommes. Les cadres étaient archi-bondés à cause du grand nombre de sous-officiers provenant du régiment de cavalerie et actuellement, les quatre cantonnements de Nogent n’en comptent pas moins de trois cents, qu’on occupe en multipliant les postes, les patrouilles, les rondes.

On organise en outre pour eux deux séries de conférence, faites chaque semaine par des conférenciers bénévoles sur les sujets les plus variés.

Les sous-officiers sont jusqu’ici logés chez l’habitant par les soins de l’administration municipale. Après une recherche et trois ou quatre rebuffades, j’ai trouvé le 1er février un hôte, Monsieur Coiffier, propriétaire 2 avenue Satin qui m’a fourni une chambre propre, un bon lit et une baignoire. Chaque soir, je dispose d'un accueil très sympathique.


Ce régime n’est pas sans inconvénient car il ne laisse pas assez de liberté. On a une chambre dont on ne peut disposer pendant le jour et, depuis mon arrivée, j’ai beaucoup souffert de l’obligation dans laquelle je me trouve d’aller au café, au cercle, parce que je ne puis rentrer chez moi. Je suis à la recherche d’une chambre qui me tiendra lieu de home, où je pourrai écrire, lire, penser sans entendre derrière moi des conversations de corps de garde ou de café.
Le cantonnement Anquetil, de formation récente (fin janvier), est installé dans une propriété inhabitée se composant d’une grande maison au milieu d’un jardin ; les différentes pièces ont été successivement occupées par les hommes qui couchent sur la paille. La cuisine a été aménagée sous un appentis, le réfectoire dans les communs, le corps de garde et la prison dans un petit logement de jardinier. Le bureau est dans la salle à manger et une chambre du premier étage est réservée aux sous-officiers.
Le jardin qui était en friche, a été peu à peu nettoyé, bêché, et aujourd’hui les allées sont refaites, le buis est taillé, les plates bandes plantées. J’admire les trésors d’ingéniosité des hommes qui se sont appliqués à transformer radicalement une habitation désolée et à lui donner cette vie intense de la caserne.
Le cantonnement a pour chef l’adjudant Allard. Le nombre des sous-officiers est très variable, il change d’un jour à l’autre et, après trois semaines, je ne sais pas encore le nom de tous mes collègues. L’un d’eux, Klein, est de Loos. Comme moi, il est sans nouvelles des siens depuis octobre. Souvent, nous sortons ensemble et unissons nos misères. Nous causons de nos chers absents, faisant toutes les suppositions, nous encourageant mutuellement, examinant les chances que nous avons tenté d’expédier une lettre ou des messagers dans le Nord.

24 février - Aujourd’hui le colonel est venu visiter le cantonnement. Gros effort général. J’admire une fois de plus le travail ingénieux de ces hommes qui ont cependant quitté la caserne depuis vingt-deux à vingt-cinq ans. Tout est d’une propreté méticuleuse. La chambrée a un peu l’aspect des jours de grande revue : tortillons de paille, couvertures pliées. Le jardin est d’une netteté qui me rappelle le Cateau. Les hommes de garde ont retrouvé l’allure et la tenue militaire jusqu’au trompette affublé d’un pantalon de fantassin, d’un étui revolver de cavalier, tous ont réellement une attitude digne et martiale. Les cuisines sont méconnaissables, les tables du réfectoire grattées au verre sont blanches ; cela vous a un petit air de ménage soigné. Mais attendons cinq heures du soir … nous verrons ce qu’il reste de tout ce travail et de tous ces préparatifs.
Conférence - A mon arrivée au corps, ma profession me désignait à l’adjudant chargé de recruter des conférenciers et je fus bientôt embrigadé. Cela me dispense des exercices et manœuvres de la journée. Je prépare d’après la brochure de J. Bédier une conférence sur les activités allemandes par des documents allemands. Auditoire très mêlé, mais attentif en général. Le sujet a intéressé.

J’en prépare un autre sur le livre de Nothomb, Les Barbares en Belgique. Ce livre est le récit effroyable des horreurs connues et contrôlées, et dont le sol belge a été témoin. Chaque fois que je l’ouvre une angoisse poignante me serre le cœur et ma peine est immédiatement à ceux que j’ai dû laisser là-bas dans la tourmente. Que faire pour leur donner des nouvelles ou pour en obtenir d’eux ?


Ronde de nuit - Je suis de ronde, c’est simple ; à vingt-trois heures quinze, accompagné d’un porte falot, je vais déposer un marron à la salle des rapports (le Cèdre) puis je vais visiter deux postes, l’un à l’école des garçons, l’autre à la gare de Nogent-Mulhouse, puis la ronde est faite. Total, une heure de promenade dans les rues noires et désertes de Nogent. Mon porte-falot, un dessinateur, me laisse un petit souvenir de cette promenade, nos caricatures assez bien silhouettées.

27 février - Je vais à la viande. Service assez agréable. A huit heures, départ du Cèdre, en voiture avec un brigadier, deux hommes pour l’abattoir de Vincennes où on nous remet sept cents kilos de viande de bœuf. J’obtiens du sergent préposé à l’abattoir des renseignements précis. Les bouchers militaires tuent soixante-dix bœufs chaque jour pour la troupe cantonnée dans le secteur de Vincennes. Je vois abattre un bœuf - Horrible!


Grande émotion au cantonnement : on fait un prélèvement considérable d’hommes qui vont partir dans la localité de grande banlieue où ont été installés des travaux avancés destinés à la défense de Paris. Cent cinquante aujourd’hui, cent soixante le 3 mars. Les sous-officiers seront désignés ultérieurement et on prévoit d’en vider dans quelques camps. D’autre part, on annonce que la ville de Nogent recevra prochainement un contingent anglais et il y a lieu de se demander s’il n’y a pas de relations entre les deux faits. On verra, mais je crois qu’il faut être prêt à tout événement et s’attendre à partir s’encroûter dans un village isolé.
Où apprendrai-je la libération de l’arrondissement de Lille ? De quel endroit pourrai-je envoyer aux miens ma première lettre ?
J’achète le coffre fort de la baronne J.… Quelle dérision ! Ce sera peut-être le premier meuble que j’aurai après la guerre.

2 mars - Un enterrement musulman - Dix heures : on nous informe qu’un cortège funèbre va passer. C’est un tirailleur marocain mort de sa blessure à l’hôpital. Cérémonial militaire, le corps est sur une prolonge d’artillerie ; autour du corps, tous les musulmans des environs chantent une mélopée monotone sur un ton élevé et nasillard. Je mets mon manteau et pars au cimetière. On forme un grand cercle, les musulmans (des soldats pour la plupart) retirent le corps de la bière et le placent sur la terre nivelée extraite de la fosse. Prières, chants, incantations à Allah!

Puis deux hommes, dont l’un sert de marabout, descendent dans la fosse, on leur passe le corps qu’ils orientent presque debout vers la Mecque ; puis, ils se hissent dehors et cinq ou six prennent les pelles, se mettent à combler rapidement la fosse pendant qu’un autre groupe d’hommes psalmodient bien vite les prières funéraires.


Quand la fosse est comblée, on place les deux plaques qui limitent la tombe et tous, fossoyeurs et chanteurs, disent en commun une dernière prière … et on s’en va sans avoir entendu une parole française à cet homme mort sous nos drapeaux: c’était Layachi Ben Allal, tirailleur au Bataillon Marocain, troisième Compagnie.

3 mars - Planton à la gare de Nogent Vincennes. Nous sommes deux sous-officiers pour ce service. A seize heures trente nous allons “au Cèdre” prendre la consigne ; elle consiste à empêcher les hommes (soldats du douzième) de prendre :

1°/ le train à la gare du chemin de fer de Vincennes

2°/ le tramway à l’arrêt de la Place Félix Faure.
Aucun soldat n’a pris le train ou le tramway aux deux points indiqués ; il n’y a pas eu un homme de moins que les autres jours pour Paris. Tous prennent le tramway en ville ou dans le bois et passent paisiblement sous notre nez. Comme nous n’avons pas mission d’arrêter les tramways ni de les visiter, chacun y trouve son compte. Notre service est bien fait et les R.A.T. vont voir leurs enfants.

A huit heures, on enlève la jugulaire et on rentre chez l’habitant!


Je prépare ma conférence sur le livre de P. Nothomb, Les barbares en Belgique, atrocités sans nom qui augmentent chaque jour mon inquiétude. J’apprends par l’Humanité que la Suisse étudie la question d’établir une communication postale avec les régions envahies. Puisse-t-elle réussir!
Monsieur Boucher m’a envoyé quelques poèmes parus dans
La Bataille Syndicaliste. Je lis peu et ne m’intéresse guère qu’à la lecture du journal où j’ai l’espoir déçu chaque jour de trouver quelque renseignement sur le Nord. André m’écrit chaque semaine. Il avait l’intention de demander à partir au premier appel de volontaires. Je lui ai fait un petit sermon. Ardemment, je ne saurai lui conseiller de manquer à son devoir, mais il ne doit pas oublier sa situation et celle de sa famille. Si le malheur voulait qu’il fut frappé, que deviendraient les siens ? J’espère que la leçon portera.

Et puis, on voit tant d’embusqués ; je suis chaque jour scandalisé par de nouvelles révélations. L’habillement, l’infirmerie, les bureaux en sont remplis. Il y a ici un homme chargé de contrôler les inscriptions relevés par la Compagnie d'Éclairage sur les compteurs électriques. Tous ces embusqués font leurs petites affaires à l’abri et se cramponnent à leur poste. Il y a un photographe à l’habillement, que peut-il bien photographier pour le plus grand bien de l’habillement ?


6 mars - Je fais ma conférence sur le livre de P. Nothomb et je sais qu’elle a obtenu quelques succès. Vais-je devenir un embusqué malgré moi ? A huit heures j’ai été appelé au Cèdre et l’adjudant D… m’informe qu’il m’a proposé pour un emploi de secrétaire du capitaine d’habillement à Vincennes. Je fais quelques réserves, mon écriture est loin d’être bonne et, d’autre part, je me vois mal en agent comptable de vestes, bottes, chemises, sous-pieds, etc. etc. Néanmoins, l’adjudant insiste et m’engage à voir le dit capitaine avant de refuser. J’irai donc faire une visite à l’habillement.
Mais dans ce bureau en verre qu’est le Cèdre, le bruit s’est déjà répandu que j’hésite et, à peine ai-je mis le pied dehors, que les sous-officiers viennent successivement me demander de les proposer, de les avertir, dans le cas où je refuserai.
Le soir, je vais à Vincennes et j’apprends que la nomination ne sera faite que dans le cas où le personnel de l’habillement, qui se compose comme par hasard de jeunes soldats et gradés de vingt-deux à vingt-huit ans, serait débusqué et envoyé au front.

C’est merveilleux! Pendant que ces jeunes gens s’amusent à l’abri derrière les piles de vêtements, on envoie les hommes de quarante-trois ans dans les tranchées.

Quel beau coup de filet on pourrait faire dans Vincennes, si on voulait vraiment faire la chasse aux embusqués. J’apprends que l’on tient à moi et que je reste malgré tout investit pour cet emploi si le capitaine devait voir s’échapper ses protégés.
8 mars - Encore une illusion perdue. J’assiste à la remise de la médaille militaire à un brave tirailleur, Sergent Petit, de Suresnes, amputé des deux mains.

Cité à l’ordre du jour pour un haut fait accompli le 30 avril. Pour rehausser un peu la cérémonie, on a convoqué des délégations de tous les cantonnements. Il y a une sections de zouaves, une délégation de l’école des Garçons, quatre opérateurs cinématographes. Tout le monde est ému dans la cour de l’hôpital. Le colonel arrive, donne lecture de l’arrêté et la citation à l’ordre du jour, agrafe la décoration, fait présenter l’arme aux zouaves et … s’en va. Chacun se bat les flancs pour trouver ce qu’il y a d’émouvant dans cette cérémonie qui aurait dû avoir un tout autre caractère. Il semble que les organisateurs et, en particulier l’officier, qui y prennent part ont voulu réduire toutes ces choses à leur plus simple expression. Pas une parole de félicitations au héros, pas un mot à l’auditoire, pas un mot aux soldats, à la jeunesse. Nous nous retirons navrés. Je rapproche cet épisode de l’enterrement du tirailleur marocain. Ah! Nogent !!!


10 mars - Grande nouvelle, le cantonnement Anquetil est supprimé. Le départ des auxiliaires R.A.T. et des pères de six enfants a éclairci les rangs, et, en se serrant un peu, on pourra supprimer Anquetil et nous verser à la maternelle (École située boulevard des Écoles). Demain matin, nous déménageons, abandonnons un cantonnement bien transformé depuis un mois, où nous étions arrivés à réaliser un confort relatif et surtout paisible. Que nous réserve la maternelle !
Hier, je suis allé à Paris et j’ai vu Darre à la Chambre ; il est pessimiste et redoute des combats terribles dans la région du Nord. Je lui ai remis une note pour qu’il prévienne ma famille aussitôt qu’il le pourra et s’il en a l’occasion. Un Monsieur Piervet de Lille me remet une carte de Suisse que je remplie, lettre qui sera expédiée de Genève à Mouvaux pour Monsieur Suller dont j’ai pris le nom
en conservant mon prénom ; si on me répond comme je le demande, je pourrai avoir des nouvelles. Aujourd’hui, on me donne une nouvelle adresse à Saint-Mandé, je tenterai encore ce moyen car je ne veux négliger aucune chance. Je fais prendre un cliché sur la demande d’André qui tient beaucoup à avoir mon portrait en militaire. Le pauvre garçon m'écrit aujourd’hui. Il se plaint un peu, probablement parce qu’il souffre beaucoup de son isolement. Il m’a entendu et ne partira pas comme volontaire et attendra son tour.

12 mars - Appel ce matin, je retourne au cantonnement Anquetil où on me paie le prix et j’y passe la matinée à préparer une lettre pour la Hollande et une lettre pour Saint-Mandé destinées l’une et l’autre à Mouvaux. J’écris en même temps à André et lui donne les renseignements nécessaires pour qu’il écrive de son côté à mes parents. A l’appel de deux heures, on expédie les sous-officiers en promenade, nous partons au Bois de Vincennes … aux jeux de boules du Nogentais, je m’assieds et tristement je regarde les joueurs tandis que des blessés convalescents coloniaux viennent à travers la clôture causer en sabir avec les badauds et fumer une cigarette. Roncin, beau-frère du Capitaine Blanche (de Lille) et quelques collègues sous-officiers veulent absolument m’enlever à mes tristes pensées et, très amicalement, m’embauchent dans une partie de boules. C’est là le seul fait saillant de ma journée.

Nous avons à la Soixante douzième Batterie une singulière façon de servir la patrie et de défendre le camp retranché.



13 mars - Mauvaise journée. J’arrive le matin à l’école maternelle et j’assiste à l’arrivée des élèves. Cela me reporte à Mouvaux et évoque une foule de souvenirs. Je suis obligé de rechercher la solitude pour cacher ma détresse morale et mes larmes …
Le communiqué annonce un mieux des anglais du côté d’Aubers-Neuve-Chapelle. J’attends avec une anxiété croissante et je redoute une action qui va toujours aller se rapprochant de Mouvaux. Je passe l’après-midi à Paris où je retrouve Louis Baudouin revenu de Niort où il repart ce soir. Je vois Démaretz qui me donne des nouvelles de Debuyne ; son beau-frère qui part demain en régiment a reçu une lettre de sa femme. Tous auront du nouveau sauf moi … J’écris à Boulogne pour le cas où une lettre serait au bureau de poste restante. Demain, je remettrai une nouvelle lettre à Démaretz. Elle sera postée dans le Nord par une infirmière qui retourne à Avesnes. Nouvel essai sera-t-il heureux ?

14 mars - Je passe le dimanche à Paris. J’ai retiré au bureau de poste du quai de Valmy une carte que j’avais expédiée à Mouvaux par Pontarlier, Bâle le 26 novembre. Encore une tentative avortée.

16 mars - Ma désignation pour Vincennes était illusoire. Quelques sous-officiers ont intrigué et comme je n’avais montré qu’un enthousiasme mitigé, j’ai été écarté. Aujourd’hui deux marchis sont allés à l’habillement. Je n’en éprouve aucun regret car il n’y a aucune liberté à espérer et on doit vivre là, dans un bureau sale, puant le cuir et la naphtaline. On a fait au cantonnement deux permanences, l’une le matin à Bry et à Villiers. Au cours de cette promenade, nous passons près de deux tombes surmontées de monuments dédiés aux soldats morts au combat de Bry, le 2 octobre 1870. Dans un chemin creux, une plaque rappelle que là furent tués trois cent cinquante zouaves, officiers en tête. A Villiers, nous visitons un vaste cantonnement installé dans une immense propriété inhabitée, véritables pépinières de marronniers de trois et quatre ans.

L’autre promenade de sous-officiers nous conduit au jeu de boules du bois de Vincennes. Je m’assieds et rédige mes notes en regardant et en écoutant les stratèges du jeu de boules.


Le communiqué est long ; action importante sur tout le front. On annonce que l’état-major allemand aurait quitté Lille pour Tournai. Est-ce vrai ? Que deviendra Mouvaux dans cette nouvelle phase des opérations ?

17 mars - Mardi - Journée insipide comme toutes les autres et un jour plus triste pour moi. Nous allons en promenade vers Champigny où nous rejoignons la route de Bry. Un escalier de cent marches nous conduit à la Marne, près du l’île des loups. Cette région est ravissante. Certainement, si je reviens un jour à Paris avec Amante, je la conduirai à Nogent voir ces paysages charmants …

Nouveau prélèvement d’A.T et R.A.T artilleurs pour aller constituer un parc de munitions et probablement un convoi d’approvisionnement à Grenoble … ou ailleurs. Une dizaine de sous-officiers et quarante hommes, dont Choquet, du casernement Anquetil en font partie. Le vide se fait peu à peu. A quand mon tour ? Et où irai-je ?



18 mars - Promenade à Rosny par la route stratégique de Fontenay et Montreuil. En rentrant à dix heures et demi, je reçois un télégramme de Weill m’annonçant qu’il est incorporé et part ce soir à Toul. En allant à la poste, l’employé m’offre une adresse pour écrire à Lille. Tentons encore cette chance après toutes les autres.

19 mars - Je fais une conférence sur la vie anglaise. Le lieutenant Jacques assiste à cette conférence. L’après-midi, je vais à la Chambre des Députés. Je vois Delattre, du Cateau, maintenant capitaine et j’apprends par Lourre, des nouvelles qui, dans l’ensemble, sont assez tristes et jettent un jour sombre sur la situation. Une dame qui arrive de Saint-Amant lui a remis un morceau de pain qui constitue la ration quotidienne dans le Nord. Vision infecte, mélange qui a l’aspect du pain d’épices. Les allemands évacuent par la Suisse la population civile des arrondissements de Valenciennes, de Cambrai, d’Avesnes. On en trouve un peu partout, à Evian, dans les Pyrénées orientales. L’arrondissement de Valenciennes ne serait qu’un vaste réseau de tranchées. Je cause avec l’abbé Ternire qui retourne à Hazebrouck et mettra une note dans son journal. Arrivera-t-elle à destination et les miens sauront-ils un jour que je suis à Nogent-sur-Marne ou au lycée Montaigne ?

20 mars - Promenade à Villiers par le Tremblay et, l’après-midi, promenade au bois de Vincennes par Fontenay et la poste Jaune. Je repasse pour la première fois par le chemin que je pris pour arriver à Nogent. Journée riante de Printemps. Pourquoi faut-il que tout me manque ?
En retournant à Nogent, je m’arrête sur la pelouse où de jeunes artilleurs du douzième, classe 15, jouent aux barres comme des gosses avec un entrain endiablé. Je rencontre un sergent-major du Quatre-vingt-quatrième, convalescent dans un hôpital de Fontenay. Nous causons. Il est de Sobre-le-Château, marié à Landrecies. Il a pris part à la retraite de Charleroi jusqu’à la Marne et me donne des détails sur les engagements auxquels il a pris part, les combats dans les tranchées à quarante mètres du boche. Le Quatre-vingt-quatrième a trinqué. Notre pauvre région a été et sera sacrifiée de toute les façons.

Le soir, conversations très amicales avec le chef Travers. Confidences mutuelles qui me font surtout ressentir la douleur d’une séparation si longue.



21 mars - Dimanche - Je vais à Paris. Promenade avec Démaretz. Nous allons à la gare du Nord où je vois de nombreux réfugiés du Cateau. Grande émotion.

Paris a été visité la nuit par deux Zeppelins qui ont lancé des bombes aux Batignolles et en banlieue à Neuilly-Desnières. Dégâts insignifiants, effet moral nul. Les Zeppelins sont venus de Compiègne, ont suivi l’Oise. Beaucoup de bruit pour rien. On attend des évacués de la région du Nord par la Suisse.



23 mars - La nuit dernière, alerte à dix heures et demi. Les clairons sonnent le garde à vous. Des Zeppelins circulent probablement car le ciel est sillonné par les projecteurs. Quelques minutes plus tard, toutes les lumières sont éteintes et la nuit noire devient plus lugubre car on sent la crainte planer. Mon hôte éveille tout le monde, bruit, appels! Je reste couché attendant la générale qu’on ne sonne pas et je me rendors tranquille. Le risque est infinitésimal. J’apprends que des Zeppelins ont été signalés mais n’ont pas dépassé Creil.

25 mars - Nuit mouvementée. Je dormais d’un sommeil agité comme toujours ; à onze heures, sonnerie de clairon : le garde à vous, je me précipite à la fenêtre, aucun projecteur en vue. C’est une alerte, conformément aux instructions qu’on nous a donné hier. Je m’habille et mon hôte me donne ses clefs. Il est plutôt inquiet. Je pars, persuadé que c’est une répétition générale. Tout est éteint, de loin en loin la sonnerie lugubre retentit, les bourgeois apparaissent aux fenêtres, s’inquiètent ou s’affolent. J’arrive au cantonnement. Les hommes du piquet d’incendie sont prêts, en armes. Ceux qui sont logés chez l’habitant arrivent peu à peu mais beaucoup d’absents : quarante et un, dont une vingtaine de sous-officiers. Il faut reconnaître à leur décharge que les sonneries sont insuffisantes, peu éclatantes. Appel, on note les absents, contre appel par le chef. On attend. Je m’allonge sur une paillasse après avoir constaté une fois de plus qu’il n’y a rien d’anormal dans le ciel, pas de projecteurs, pas de bruits de détonations.
C’est bien une simple répétition générale. Elle est piteuse. Comme résultat, à une heure vingt du matin, on nous dit que nous pouvons aller nous coucher.

Le matin, les sanctions ne se font pas attendre :

1°/ Les sous-officiers absents iront coucher cinq jour sur la paille à l’école des Garçons.

2°/ Les brigadiers et hommes dormiront au cantonnement

3°/ Privations de permission pendant un mois pour tous

Cela se passe bien.

Désigné pour aller à la viande, je suis remplacé par celui désigné d’hier.

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