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De retour sur la Croisette, où il a reçu le Grand Prix du jury pour «Un prophète», Jacques Audiard fait le portrait d'une dresseuse d'orques et d'un boxeur marginal. Pascal Mérigeau a rencontré le cinéaste


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Jacques Audiard :

«Marion Cotillard tournait avec des collants verts»



De retour sur la Croisette, où il a reçu le Grand Prix du jury pour « Un prophète », Jacques Audiard fait le portrait d'une dresseuse d'orques et d'un boxeur marginal. Pascal Mérigeau a rencontré le cinéaste.

Trois ans après « Un prophète », Jacques Audiard est de retour à Cannes et dans les salles. Dans « De rouille et d'os », il réunit et met en scène des orques ; une jeune femme amputée des deux jambes ; un boxeur marginal qui survit en posant des caméras de surveillance et en participant à des combats clandestins de « total fight » ; une caissière de supermarché ; un enfant pris sous la glace d'un lac ; et aussi Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts (la révélation de « Bullhead »), l'étonnante Corinne Masiero (« Louise Wimmer ») et le gentil Bouli Lanners dans le rôle d'un vrai méchant. « De rouille et d'os » est un conte moderne, ancré dans le monde d'aujourd'hui, qui ose tout ce à quoi le cinéma semble souvent avoir désormais renoncé. Renversant.





Comment êtes-vous passé d'« Un prophète » à « De rouille et d'os » ?

Jacques Audiard Je ne crois pas à la théorie selon laquelle un film se fait contre celui qui l'a précédé, mais je pense en revanche que tout film produit ses anticorps et génère les frustrations qui conduisent au suivant. C'est ainsi qu'« Un prophète » a pu susciter chez moi l'envie d'un film centré sur une histoire d'amour et faire naître le désir d'un vrai et grand personnage féminin. Les droits d'adaptation du livre de Craig Davidson (« Un goût de rouille et d'os », Albin Michel) ont été achetés avant la réalisation d'« Un prophète » et Thomas Bidegain a commencé à travailler au scénario pendant le tournage. Il s'agit d'ailleurs moins d'une adaptation que d'une transposition, car il reste assez peu du livre dans le film : les nouvelles de Davidson sont très nord-américaines de style et d'esprit. Adaptées là-bas, elles ne donneraient pas des films forcément intéressants, ou bien des choses que l'on a déjà vues. J'avais envie de les transporter ici. Ce sont moins les histoires que les images qui nous ont attirés, cette sorte d'héroïsme, ces personnages très chargés, qui sont comme des cartouches de dynamite. Dans le livre, c'est un garçon qui est amputé après un accident avec un orque, et nous en avons fait le personnage féminin principal. « Un prophète » était un film de crise - sociale, politique. « De rouille et d'os » dérive d'un certain cinéma, la comédie américaine des années 1930, de films isolés comme « la Nuit du chasseur » ou « le Charlatan » » - d'Edmund Goulding (1947), avec Tyrone Power -, de films fantastiques de Tod Browning ou de Jacques Tourneur, qui ne relèvent pas seulement d'un genre, mais dont la forme même, dans le registre de l'épouvante, sert à exprimer un état convulsif de la société. L'idée était d'inventer une forme de néo-expressionnisme susceptible de donner une image de la barbarie d'aujourd'hui. L'atmosphère des nouvelles de Davidson et ses personnages dans l'excès nous ont subjugués. Au montage, le film a chassé tout ce qui n'était pas l'histoire d'amour, les scènes en marge n'y sont pas entrées, elles n'avaient pas leur place. Et comme développer l'histoire d'amour n'aurait pu que la rendre banale, le film est resté conforme à ce que nous avions en tête au départ : il fallait que ça aille vite, que tout soit bouclé en moins de deux heures.



Le film est un mélodrame délibérément excessif et, en même temps, il demeure très ancré dans le réel. Comment avez-vous trouvé, puis maintenu, cet équilibre ?

Une lectrice du scénario a parlé d'un mélo trash, et ça me va très bien. C'est un conte, avec tous les excès propres aux personnages et aux situations des contes, mais avec une assise réaliste solide, qui est assurée essentiellement par les personnages secondaires. Sitôt qu'Alain oublie la réalité de l'existence de sa soeur et de son beau-frère, qui l'accueillent chez eux avec son fils, il est sanctionné : sa soeur est caissière de supermarché. Il profite des produits périmés qu'elle rapporte chez elle. Par le travail de surveillance auquel il participe, elle perd son emploi. Du même coup, il perd son moyen de subsistance et celui de son fils. Cette idée des caméras de surveillance dans les centres commerciaux m'était venue il y a quelques années à la lecture d'un article de « l'Humanité » : un type avait tout balancé parce qu'il n'avait pas obtenu la promotion qu'il espérait. C'est le dernier avatar du taylorisme : en plaçant des caméras pour officiellement empêcher les vols par les clients, en réalité pour fliquer les employés, cette société a organisé la surveillance des pauvres par les pauvres. La question de l'équilibre s'est posée en permanence, au moment de l'écriture, au tournage, au montage, pour les choix musicaux, du début à la fin : quand faut-il aller vers la stylisation. Quand faut-il filmer à plat ? Il fallait tout le temps être extrêmement attentif, d'autant que beaucoup de scènes étaient en extérieur, très différentes les unes des autres. On passait d'un appartement minuscule à des allées de supermarché. La forme n'était pas la même selon que nous étions sur Alain ou sur Stéphanie… Pour le tournage d'« Un prophète », en comparaison, c'était presque simple : il y avait la prison, les soixante-dix figurants géniaux, les acteurs. Le matin, je craquais l'allumette et ça partait. Il aurait vraiment fallu être branque pour que ça ne fonctionne pas. Là, chaque moment soulevait des questions de cinéma : c'est quoi la tension, c'est quoi le voltage, on filme à plat ou avec effets ? Et puis, pour diverses raisons, je n'ai pas eu le temps de préparation auquel je suis habitué et qui permet de mettre pas mal de choses au point et surtout de créer une autre matière, à laquelle je ne pensais pas avant. Là, mon approche de la scène changeait au dernier moment. Pour compenser, le tournage a été plus long et alors que d'ordinaire, après quatre ou cinq prises, j'ai des mouches dans les yeux, cette fois-ci j'en ai fait davantage, aidé en cela par le fait de filmer en numérique, qui incite aussi les acteurs à demander d'essayer encore autre chose. En plus, c'était en CinemaScope, et c'est incroyablement large. Pour des personnages de petites gens, je voulais l'écran le plus grand !



Sans oublier que le personnage féminin est amputé des deux jambes pendant la majeure partie du film…

Marion Cotillard tournait avec des collants verts, je lui disais de faire comme si elle n'avait plus de jambes et elle développait une forme de jeu différente, mais, au bout de quelque temps, tout le monde s'était habitué à ses collants verts, et le jour où nous avons reçu les effets spéciaux, où donc nous avons découvert Marion/Stéphanie sans ses jambes, le choc a été terrible. Toute la dimension sexuelle très troublante nous est apparue. Et aussi ce paradoxe très dérangeant : que serait devenue Stéphanie sans cet accident ? Serait-elle restée la même conne un peu arrogante qu'elle était avant ? L'enjeu du film pour les deux personnages était de créer une possibilité d'abandon : pas plus qu'Alain Stéphanie n'est sujette à l'abandon. Tous deux y viennent pourtant : elle, à la suite de l'accident ; lui, après avoir éprouvé le choc de la perte possible de son enfant.



Comment avez-vous abordé les scènes de combat ?

Les deux choses qui me paraissent les plus difficiles à filmer sont l'amour et la violence, dont la représentation a toujours quelque chose de faux. Je ne voulais surtout rien de chorégraphique, il fallait que ce soit réel. Quand vous demandez à un acteur de jouer l'émotion amoureuse, il va vers quelque chose qu'il connaît, qu'il peut essayer de retrouver, mais mimer la douleur est impossible. Il me semble que le réalisme est créé par le bord-cadre, par tout ce que la caméra capte à peine, ou alors comme par mégarde. Le côté plein cadre, emphase, bruits des coups, c'est n'importe quoi. Ces combats clandestins sont un signe des temps, sans aucun doute, c'est de la sauvagerie, mais ce n'est pas abject. L'abjection est dans le boulot officiel d'Alain, la pose de caméras de surveillance. Je vois les types qui font ça comme des sportifs, ils ont envie de se châtaigner, ils se châtaignent, voilà.



Schoenaerts vu par Audiard

Pour le personnage d'Alain, je cherchais un garçon très physique, très boxeur. J'ai d'abord pensé à un non-comédien, j'ai écumé les salles de boxe et vite compris que ça ne fonctionnerait pas. Quand j'ai vu « Bullhead », le film de Michaël R. Roskam, qui n'était pas encore sorti en France, j'ai su que ce serait Matthias. Son registre est incroyablement large, il n'a aucune limite. Il a tendance à s'angoisser, en cela il est le contraire d'Alain, mais je préfère ça à l'inverse. Son père, Julien Schoenaerts [mort en 2006, ndlr], était une idole en Belgique : vous parlez de lui aux frères Dardenne [qui ont participé à la production de « De rouille et d'os »], ils ont aussitôt des larmes aux yeux. Matthias est de formation très classique, il a fait le Conservatoire, et en même temps il va tous les jours à la salle s'entraîner à la boxe thaïe. Il a pris 10 kilos pour le film, je voulais qu'Alain ait de la mauvaise graisse, de la graisse de kebab. Il est très impressionnant. Je ne sais pas qui en France aurait pu faire ce qu'il a fait dans ce film. Il a le profil belge, celui d'un Olivier Gourmet par exemple, avec qui j'ai vraiment adoré travailler dans « Sur mes lèvres ». J'ai retrouvé chez Matthias ce qui m'avait impressionné chez Olivier : tous deux sont dans l'incarnation, le physique, l'épaisseur. Avec des acteurs comme eux, c'est chaque fois 15 kilos d'uranium enrichi dans le moteur du film. »



Cotillard vue par Audiard

« Le désir de travailler avec Marion est antérieur au film. Elle m'avait beaucoup touché dans « la Môme », d'Olivier Dahan, où son engagement m'avait paru assez extraordinaire. Je l'ai découverte très star, dans la dimension américaine du mot, et en même temps complètement dans ce qu'elle fait. Pour des raisons d'emploi du temps, et parce qu'elle a eu un enfant, nous n'avons pu faire ensemble qu'une lecture avant le tournage. J'ai donc pensé que peut-être nous allions nous surprendre. En réalité, elle est de ces comédiens qui travaillent énormément dans leur coin, elle est extrêmement attentive, très rationnelle, ses questions vont toujours dans le bon sens de la scène. Marion est très jeune mais possède déjà énormément de métier. C'est une combattante, un petit soldat toujours prêt à monter au feu. »



Pascal Mérigeau

© Ciné Obs



17 mai 2012


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