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André Durand présente l’intérêt documentaire de ‘’À la recherche du temps perdu’’


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André Durand présente
l’intérêt documentaire
de
‘’À la recherche du temps perdu’’

(1913-1927)
roman de Marcel PROUST

(3000 pages)


On trouve ici les points suivants:

La peinture de la société (page 2) :

- différents lieux (page 4)

- différents milieux (page 5) : le peuple (page 6) - la petite bourgeoisie (page 7) - la grande bourgeoisie (page 7) - l’aristocratie (page 8)

- le snobisme (page 14)

- les juifs (page 16)

- l’antisémitisme (page 21)

Les événements de l’époque (page 23) - l’affaire Dreyfus (page 25) - la guerre de 1914-1918 (page 30) - l’après-guerre (page 33)

Le déploiement d’une vaste culture (page 34) : la peinture (page 36) - Elstir (page 37) - la musique (page 39) - Vinteuil (page 39) - le théâtre (page 40) - la littérature (page 41) - Bergotte (page 43)

L’exposé sur l’homosexualité (page 45) :

- Sodome (page 46) : la découverte des « hommes-femmes » (page 46) - l’analogie entre ce qui se passe dans la nature et ce qui se passe entre les homosexuels (page 46) - la théorie de la sexualité (page 48) - la condition malheureuse des homosexuels (page 49) - la variété des homosexuels (page 52) - le nombre des homosexuels (page 56)

- Gomorrhe (page 56).

(la pagination est celle de l’édition de la Pléiade en trois volumes)

Bonne lecture !

Dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, Proust, en suivant le déroulement de la vie de son personnage, Marcel, ne pouvait pas ne pas faire passer tout un flot de vie (saveurs, parfums, nourritures, œuvres d'art, princes, domestiques, rituels mondains, recettes de cuisine, investigations ou fulgurances dans le domaine du plaisir et du désir), ne pouvait pas ne pas donner, comme l’a noté Gide, de «terribles aperçus de la réalité», ne pouvait pas ne pas peindre la société où il évolua, ne pas être un ethnologue ou un historien des moeurs, intéressé spécialement par l’aristocratie et par les juifs que sépara l’affaire Dreyfus. Il fit aussi de Marcel un érudit et surtout un amateur d’art dont le sien se forgea au contact des oeuvres de créateurs. Enfin, son souci didactique s’affirma dans sa volonté de présenter l’homosexualité et même d’en faire une théorie.

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La peinture de la société
Même si Proust a refusé que « le roman fût une sorte de défilé cinématographique des choses » (III, page 890), si ‘’Le temps retrouvé’’ contient une sévère condamnation du roman à prétention documentaire (« La littérature qui se contente de décrire les choses, d'en donner seulement un misérable relevé de lignes et de surfaces, est celle qui, tout en s'appelant réaliste, est la plus éloignée de la réalité.» [III, page 885]), s’il a reproché au roman d’avoir été, de Balzac à Zola, un « magasin de documents sur la nature humaine », même s’il s’est moqué du « romancier mondain qui venait d’installer au coin de son oeil un monocle, son seul organe d’investigation psychologique et d’impitoyable analyse, et qui répondit d’un air important et mystérieux, en roulant l’r : ‘’J’observe’’ » (I, page 327), il ne cessa de prendre des notes sur des cahiers, et la lecture de ses lettres et de ses carnets intimes semble bien montrer qu’il a lui-même utilisé cette méthode, qu’il avait un sens aigu de l'observation (qu’il nia évidemment, Marcel se voyant comme « n’ayant aucune espèce d’esprit d’observation extérieure, ne sachant jamais ce qu’était ce que je voyais» [III, page 383]). Et Ramon Fernandez a noté à la suite d’unre visite qu’il lui fit : « Ses admirables yeux se collaient matériellement aux meubles, aux tentures, aux bibelots ; par tous les pores de sa peau, il semblait aspirer la réalité contenue dans la chambre, dans l'instant, dans moi-même ; et l'espèce d'extase qui se peignait sur son visage était bien celle du médium qui reçoit les messages invisibles des choses. Il se répandait en exclamations admiratives, que je ne prenais pas pour des flatteries puisqu'il posait un chef-d'œuvre partout où ses yeux s'arrêtaient... »

Et il n’en reste pas moins qu’’’À la recherche du temps perdu’’, chronique dense et lente comme la vie, qui s’étend sur la fin du XIXe et le début du XXe siècle, dont les personnages sont si nombreux qu’on a pu leur consacrer, dans l’édition de la Pléiade, un ‘’Index’’, peut être considéré comme le tableau d’une société prenant la suite de ‘’La comédie humaine’’ de Balzac et celle aussi des ‘’Rougon-Macquart’’ de Zola, comme un document sur un état de la société française, même si on y est loin des soucis d'argent de la première ou des luttes sociales qui sont dépeintes dans les seconds, même si Proust accorda moins d’importance que ses prédécesseurs aux différents milieux (n’ayant peint qu’une mince frange de la bourgeoisie et de l’aristocratie), au train du monde comme il va, aux conditions matérielles et communes de l'existence.

Il se défendait d’avoir peint un tableau d’un minutieux réalisme balzacien. À Robert Dreyfus, il se plaignit, en décembre 1913, d’un critique du ‘’Figaro’’ qui avait, selon lui, commis un papier « injuste » en disant qu’il notait tout, comme s’il n’était qu’un observateur. « Non, je ne note rien. C’est lui qui note. Pas une seule fois un de mes personnages ne ferme une fenêtre, ne se lave les mains, ne passe un pardessus, ne dit une formule de présentation. S’il y avait même quelque chose de nouveau dans ce livre, ce serait cela ». En mars 1914, il tint le même propos à Gide dans une lettre postérieure à celle où ce dernier s’excusa d’avoir refusé le manuscrit : « Moi je ne peux pas, peut-être par fatigue, ou paresse, ou ennui, relater, quand j’écris quelque chose qui ne m’a pas produit une impression d’enchantement poétique, ou bien où je n’ai pas cru saisir une vérité générale. Mes personnages n’enlèvent jamais leur cravate ».

Mais, dans ce cas encore, il se livra à une parade mensongère car, son réalisme étant sélectif (comme tout réalisme en fait, le réalisme total étant impossible), il porta une grande attention à certains éléments de la réalité, par exemple, aux toilettes féminines :

- celles d’Odette de Crécy (I, page 197 – I, page 232 - I, page 240), au portrait de celle-ci en « Miss Sacripant », la description de l’aquarelle s’étendant sur deux pages (I, pages 848-849) ;

- celles de la duchesse de Guermantes : « majestueuse, ample et haute dans une longue robe de satin jaune à laquelle étaient attachés en relief d’énormes pavots noirs» (II, page 371) - « haute et superbe dans une robe de satin rouge dont la jupe était bordée de paillettes. Elle avait dans les cheveux une grande plume d’autruche teinte de pourpre et sur les épaules une écharpe de tulle du même rouge. » (II, page 583) - « ennuagée dans la brume d’une robe en crêpe de Chine gris  (III, page 33) - elle portait des robes de Fortuny, ces robes qu’il «  a faites d’après d’antiques dessins de Venise. Est-ce leur caractère historique, est-ce plutôt le fait que chacune est unique qui lui donne un caractère si particulier que la pose de la femme qui les porte en vous attendant, en causant avec vous, prend une importance exceptionnelle, comme si ce costume avait été le fruit d’une longue délibération et comme si cette conversation se détachait de la vie courante comme une scène de roman?» (III, page 33) - « cette robe de chambre qui sent si mauvais [...] et qui est sombre, duveteuse, tachetée, striée d’or comme une aile de papillon » (III, page 43) ;

- celle d’Albertine : son « polo noir » de Balbec, coiffure de femme sans bords, puis les robes d’Elstir que Marcel lui acheta (II, page 1055), « les brimborions de la parure » lui causant « de grands plaisirs » (III, page 32) ;

- celle des femmes en 1916 : « Comme par l’ensemencement d’une petite quantité de levure, en apparence de génération spontanée, des jeunes femmes allaient tous les jours coiffées de hauts turbans cylindriques comme aurait pu l’être une contemporaine de Mme Tallien, par civisme ayant des tuniques égyptiennes droites, sombres, très ‘’guerre’’, sur des jupes très courtes ; elles chaussaient des lanières rappelant le cothurne selon Talma, ou de hautes guêtres rappelant celles de nos chers combattants ; c’est, disaient-elles, parce qu’elles n’oubliaient pas qu’elles devaient réjouir les yeux de ces combattants, qu’elles se paraient encore, non seulement de toilettes ‘’floues’’, mais encore de bijoux évoquant les armées par leur thème décoratif, si même leur matière ne venait pas des armées, n’avait pas été travaillée aux armées ; au lieu d’ornements égyptiens rappelant la campagne d’Égypte, c’était des bagues ou des bracelets faits avec des fragments d’obus ou des ceintures de 75, des allume-cigarettes composés de deux sous anglais auxquels un militaire était arrivé à donner, dans sa cagna, une patine si belle que le profil de la reine Victoria y avait l’air tracé par Pisanello ; c’est encore parce qu’elles y pensaient sans cesse, disaient-ellles, qu’elles en portaient, quand l’un des leurs tombait, à peine le deuil, sous le prétexte qu’il était ‘’mêlé de fierté’’, ce qui permettait un bonnet de crêpe anglais blanc (du plus gracieux effet et ‘’autorisant tous les espoirs’’, dans l’invincible certitude du triomphe définitif), de remplacer le cachemire d’autrefois par le satin et la mousseline de soie, et même de garder ses perles, ‘’tout en observant le tact et la correction qu’il est inutile de rappeler à des Françaises’’. » (III, pages 723-724).

Et on peut admirer l’habileté avec laquelle, dans la narration du déroulement d’une soirée mondaine, Marcel fut capable de différencier des personnages que nous ne faisons qu’entrevoir, en se fixant sur certains gestes et attitudes et, surtout, sur les paroles dont le verbatim cependant est parfois lassant (on pourrait lui reprocher de se contenter d’enregistrer, de ne pas choisir dans « la nullité des propos tenus par les personnes au milieu desquelles nous vivons » [II, page 191]).

D’ailleurs, autre preuve de sa continuelle duplicité, dans ‘’Le temps retrouvé’’, il insista au contraire sur sa documentation : « Il n’est pas un nom de personnage inventé sous lequel il ne puisse mettre soixante noms de personnages vus, dont l’un a posé pour la grimace, l’autre pour le monocle, tel pour la colère, tel pour le mouvement avantageux du bras, etc. […] Il dictait à ses yeux et à ses oreilles de retenir à jamais ce qui semblait aux autres des riens puérils, l’accent avec lequel avait été dite une phrase, et l’air de figure et le mouvement d’épaules qu’avait fait à certain moment telle personne dont il ne sait peut-être rien d’autre. » (III, page 900).


Différents lieux
Proust nous fit découvrir, située dans un paysage rustique, délimitée par ses deux « côtés » (comme on dit à la campagne,), le côté de Méséglise (qui est aussi « le côté de chez Swann ») et le côté de Guermantes, qui auront chacun un rôle symbolique dans sa vie future, chacun représentant une direction de sa vie sentimentale et sociale, la « petite ville » de Combray, « cette sombre ville de Combray » (III, page 856), ville ancienne qui s’ouvrait sur une campagne humanisée, parsemée d’églises, qui était un vaste jardin, où, derrière « la vieille maison grise sur la rue » de tante Léonie, il y avait le « petit pavillon donnant sur le jardin, qu'on avait construit pour mes parents » (I, page 47), où Marcel passait ses vacances d’enfant, qui a été son « paradis perdu », dont le souvenir l’émouvait encore dans ‘’Le temps retrouvé’’ (III, page 856), qu’il s’est donné pour but de retrouver par son art, car il avait fourni à ce mondain élégant et à l’allure un peu désinvolte ce qu’il appelait les « gisements profonds de mon sol mental » (I, page 184).

Combray était en réalité Illiers (aujourd’hui Illiers-Combray), un bourg situé au sud-ouest de Chartres, sur les bords du Loir (la Vivonne du livre), où la famille Proust passait ses vacances au cours de son enfance. Mais, dans le livre, la topographie du village et celle des environs furent plus ou moins respectées, et il fut magnifié. Ainsi, dans une page célèbre, de très petits potins sur des faits insignifiants tissèrent une sorte de réseau entrecroisé autour de l’église Saint-Hilaire, un vieil édifice « qui avait contemplé Saint Louis et semblait le voir encore » (I, page 61), et où, le dimanche matin, quand l’enfant pénétrait à l’intérieur de la massive construction, il pouvait lever les yeux sur « deux tapisseries de haute lice [qui] représentaient le couronnement d’Esther (la tradition voulait qu’on eût donné à Assuérus les traits d’un roi de France et à Esther ceux d’une dame de Guermantes dont il était amoureux) » (I, pages 60-61), le lieu devenant magique à ses yeux, étant un espace à quatre dimensions, la quatrième étant celle du temps.

Les parents de Marcel y venaient en vacances avec lui chez tante Léonie qui était « toute confite en dévotion » (III, page 78) et, depuis son veuvage, ne quittait plus son lit : « D’un côté de son lit était une grande commode jaune en bois de citronnier et une table qui tenait à la fois de l’officine et du maître-autel, où, au-dessous d’une statuette de la Vierge et d’une bouteille de Vichy-Célestins, on trouvait des livres de messe et des ordonnances de médicaments, tout ce qu’il fallait pour suivre de son lit les offices et son régime, pour ne manquer l’heure ni de la pepsine, ni des Vêpres. De l’autre côté, son lit longeait la fenêtre, elle avait la rue sous les yeux et y lisait du matin au soir, pour se désennuyer, à la façon des princes persans, la chronique quotidienne mais immémoriale de Combray, qu’elle commentait ensuite avec Françoise. » (I, page 52). Elle ne recevait guère que la visite d’Eulalie, qui se croyait pourtant elle-même toujours malade. Elle avait pour servante la fidèle et indispensable Françoise qui « était de ces domestiques de Combray sachant la valeur de leur maître et que le moins qu’elles peuvent est de lui faire rendre entièrement ce qu’elles jugent qui lui est dû. » (III, page 15). C’est tante Léonie qui offrit à Marcel une madeleine avec du thé. À sa mort, elle fit de Marcel son héritier : il plaça ses meubles dans une maison de passe et, pour faire un cadeau à Gilberte, vendit une « grande potiche de vieux Chine » (I, page 623).

Combray, où régnait « un côté castes » (III, page 658), « où chacun était à jamais classé dans les revenus qu'on lui connaissait comme dans une caste indienne », offrit encore, comme il se devait, un curé, un médecin, le docteur Percepied, mais aussi l’ingénieur Legrandin, le musicien de génie Vinteuil, les grands aristocrates du château voisin qu’étaient Basin et Oriane de Guermantes, cet autre villégiateur parisien qu’était le grand bourgeois Swann, cette conjonction d’éminentes et fortes personnalités dans une aussi modeste localité étant hautement improbable, Marcel la soulignant justement : « Du bassin de Combray où j’étais né, assez nombreux en somme étaient les jets d’eau qui symétriquement à moi s’étaient élevés au-dessus de la même masse liquide qui les avait alimentés. » (III, page 968).


Puis Proust nous emmena à Paris, et, dans ‘’Du côté de chez Swann’’, ne manqua pas de montrer la traditionnelle opposition entre la province et la capitale. Il fut un remarquable peintre de l’hiver parisien, de ses couleurs, de ses éclairages. Au début de ‘’La prisonnière’’’, furent évoqués les « bruits de la rue » (III, page 9). L’attention se porta surtout sur le faubourg Saint-Germain, quartier du VIIe arrondissement, situé entre Saint-Germain-des-Prés et les Invalides, la Seine et Montparnasse, qui fut très à la mode au XVIIIe siècle, alors que des aristocrates et de riches banquiers y firent ériger de belles demeures dont l’agrégation fut bien montrée par l’aperçu qu’en eut Marcel quand il surveilla les allées et venues des Guermantes depuis « un bon poste de vigie » (II, page 572). C’est que ses parents étaient venus, comme par hasard, s’établir dans une partie de l’hôtel qu’ils y avaient, le paillasson du vestibule de leur hôtel seigneurial lui paraissant le seuil (II, page 30), de ce faubourg Saint-Germain qui, chez Proust, désignait une aristocratie parisienne qui vivait en cercle fermé, ce que justifia Swann après avoir été chassé du salon des Verdurin : « Les gens du monde, dont on peut médire, mais qui tout de même sont autre chose que ces bandes de voyou, montrent leur profonde sagesse en refusant de les connaître, d’y salir même le bout de leurs doigts ! Quelle divination que ce ‘’Noli me tangere’’ du faubourg Saint-Germain ! » (I, pages 287-288). Ainsi, « comme beaucoup de femmes du faubourg Saint-Germain, la présence dans un endroit où elle se trouvait de quelqu’un de sa coterie, et auquel elle n’avait d’ailleurs rien de particulier à dire, accaparait exclusivement son attention [celle de Mme des Laumes] aux dépens de tout le reste. » (I’ page 335).
Les vacances conduisirent Marcel à deux reprises sur la côte normande, à Balbec, qui était en réalité Cabourg, station balnéaire que fréquenta Proust et où, d’ailleurs, la promenade porte aujourd'hui son nom. C’était un de ces lieux de villégiature propices au brassage social, où se retrouvèrent aussi les Verdurin et les membres de leur clan, Bloch et sa « tribu ». On voit les villégiateurs se rendre aussi dans d’autres localités de la côte réunies par « le petit chemin de fer d’intérêt local » (II, page 784). Marcel admira la côte et la mer, fit des promenades avec Albertine dans l’arrière-pays où ils pouvaient s’arrêter à une ferme pour y boire « du calvados ou cidre, qu’on assurait n’être pas mousseux et par lequel nous étions tout arrosés » (II, page 1015), devant de vieilles églises, dont celle de Quettelhomme où elle s’exerçait à la peinture (II, page 1013).
Plus tard, Marcel, qui, enfant, « rêvait sans cesse » de l’Italie depuis « les gravures de Titien et les photographies de Giotto que Swann lui avait jadis données à Combray » (III, page 394), avait caressé les noms de Venise, de Florence ou de Parme (I, pages 387-388), fut longtemps tourmenté par le regret de ne pouvoir y aller, s’y rendit enfin, en particulier à Venise, autre lieu qu’affectionna particulièrement l’écrivain. Le voyage qu’il y fit fut tout à la fois un dernier adieu à la jeunesse et une magnifique évocation poétique de la Cité des Doges (III, pages 624-630, 645-656). Il y sortait seul ou avec sa mère, contemplant longuement le palais des Doges et son escalier des Géants, le baptistère et les fresques de Saint-Marc, goûtant des impressions analogues à celles de Combray, mais des impressions urbaines mêlées à des impressions maritimes. Ils firent aussi un voyage à Padoue pour voir la chapelle des Giotto (III, page 648).
Différents milieux 
Tout au long d’’’À la recherche du temps perdu’’, Proust se fit le peintre d’une société que son personnage, Marcel, était censé, dans ‘’Du côté de chez Swann’’, voir avec les yeux d’un enfant. En fait, il refléta les conceptions de Proust lui-même car cette société resta à peu près semblable à elle-même dans les tomes suivants, bien qu’il ait pris de l'âge, et si, dans les derniers tomes, elle s'altéra, il fut bien précisé que c'était elle qui avait changé plus que celui qui la dépeignait.

Proust la montra soumise à l’ordre traditionnel des classes qui voulait que l’aristocratie domine, que la bourgeoisie cherche à la concurrencer et que le peuple travaille. Marcel disait que Combray et sa famille lui avaient inculqué cette conscience des castes sociales qui faisait qu’ils ne comprenaient pas que Swann ait pu fréquenter puis épouser Odette, ce mariage avec une personne d'un autre échelon social les choquant. D’autre part : « Les gens de Combray avaient beau avoir du cœur, de la sensibilité, acquérir les plus belles théories sur l’égalité humaine […] il y avait un ‘’esprit de Combray’’ si réfractaire qu’il faudra des siècles de bonté (celle de ma mère était infinie), de théories égalitaires, pour arriver à le dissoudre. Je ne peux pas dire que chez ma mère certaines parcelles de cet esprit ne fussent pas restées insolubles. Elle eût donné aussi difficilement la main à un valet de chambre qu’elle lui donnait aisément dix francs (lesquels lui faisaient, du reste, beaucoup de plaisir). Pour elle, qu’elle l’avouât ou non, les maîtres étaient les maîtres et les domestiques étaient les gens qui mangeaient à la cuisine.» (II, page 1027).


Il avait donc hérité d’elle son mépris pour le peuple, même si, le « lift » du Grand Hôtel de Balbec lui ayant parlé d’un « monsieur » qui était venu pour lui et qui était son chauffeur, lui avait donné cette « leçon de mots » : « Un ouvrier est tout aussi bien un monsieur que ne l’est un homme du monde » (II, page 1026), leçon dont il prétendit que c’était une « leçon de mots seulement. Car, pour la chose, je n’avais jamais fait de distinction entre les classes […] Je n’avais jamais fait de différence entre les ouvriers, les bourgeois et les grands seigneurs, et j’aurais pris indifféremment les uns et les autres pour amis. Avec une certaine préférence pour les ouvriers, et après cela pour les grands seigneurs, non par goût, mais sachant qu’on peut exiger d’eux plus de politesse envers les ouvriers qu’on ne l’obtient de la part des bourgeois, soit que les grands seigneurs ne dédaignent pas les ouvriers comme font les bourgeois, ou bien parce qu’ils sont volontiers polis envers n’importe qui […] Je ne peux, du reste, pas dire que cette façon que j’avais de mettre les gens du peuple sur le pied d’égalité avec les gens du monde, très bien admise de ceux-ci, satisfît en revanche toujours pleinement ma mère [qui] était trop la fille de mon grand-père pour ne pas faire socialement acception des castes. (II, page 1027).

En fait, le peuple tint peu de place dans ‘’À la recherche du temps perdu’’, n’étant guère représenté que par Françoise, par d’autres domestiques ou par les garçons des restaurants ou des cafés.



Françoise (en réalité Céleste Albaret) était entrée au service des parents de Marcel, puis de celui-ci. Montrant un curieux mélange de dévouement à ses maîtres et de cruauté pour les autres, elle était en fait plus qu’une domestique, et elle joua un grand rôle dans le roman où elle fut comme une sorte de conscience et de regard permanent pour Marcel qui ne cessa de porter des jugements condescendants sinon méprisants sur elle. S’il répéta qu’elle était une « bonne et honnête servante qui entend faire respecter son maître comme elle le respecte elle-même. » (III, page 141), il regretta que « la satisfaction et la bonne humeur de Françoise étant en proportion directe de la difficulté des choses qu’on lui demandait», et que, comme « celles qu’elle avait à faire à Balbec étaient aisées, elle montrait presque toujours du mécontentement. » (I, page 895). Cependant, « heureuse de s’adonner à cet art de la cuisine », elle prépara le repas offert à M. de Norpois, accepta les compliments de celui-ci, qui la compara à Michel-Ange (I, page 445), « avec la fière simplicité, le regard joyeux d’un artiste à qui on parle de son art» (I, page 484), car elle tenait à ces « marques de considération » qui étaient « nécessaires à sa bonne nutrition morale » (II, page 9). Marcel reconnut encore qu’elle avait « un goût infaillible et naïf », qu’elle était habillée avec « la modestie et l’honnêteté qui donnaient souvent de la noblesse » à son visage (I, page 649), que, les accompagnant lui et sa grand-mère à Balbec, elle y avait montré beaucoup de noblesse et de distinction. Mais, lors du séjour d’Albertine dans l’appartement, il lui reprocha d’écouter les conversations qu’ils avaient (III, page 748), de « poser des questions d’une façon indirecte » (III, page 748), de manifester sa désapprobation devant cette liaison car elle sentait bien qu’il n’était pas heureux, de prophétiser que la jeune fille, à laquelle elle imposa des règles, lui causerait des chagrins, de ne même pas simuler la tristesse à sa mort. Alors qu’elle fut en quelque sorte une collaboratrice de l’écrivain, en lui donnant l’idée des fameuses « paperoles », s’il lui trouvait « le regard intelligent et bon d’un chien », il considérait qu’« on n’aurait pu parler de pensée à propos de Françoise. Elle ne savait rien, dans ce sens total où ne rien savoir équivaut à ne rien comprendre, sauf les rares vérités que le cœur est capable d’atteindre directement. Le monde immense des idées n’existait pas pour elle » ; pour lui, elle faisait partie des êtres «supérieurs du monde des simples d'esprit » (I, page 650). En fait, étant issue d’une petite bourgeoisie rurale, elle avait une morale qu’elle exprimait dans ses proverbes ; de ce fait, « elle possédait à l’égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code impérieux, abondant, subtil et intransigeant sur des distinctions insaisissables ou oiseuses […] Ce code […] semblait avoir prévu des complexités sociales et des raffinements mondains tels que rien dans l’entourage de Françoise et dans sa vie de domestique de village n’avait pu les lui suggérer ; et l’on était obligé de se dire qu’il y avait en elle un passé français très ancien, noble et mal compris. » (I, pages 28-29). Marcel pensait qu’elle l’«adorait et ne perdait pas une occasion de me célébrer»  (II, page 67) ; aussi fut-il étonné quand Jupien « révéla qu’elle disait que je ne valais pas la corde pour me prendre et que j’avais cherché à lui faire tout le mal possible. » (II, page 66).

Marcel engloba Françoise dans une condamnation générale et cinglante : « Les domestiques que nous aimons le plus - et surtout s’ils ne nous rendent presque plus les services et les égards de leur emploi - restent, hélas, des domestiques et marquent plus nettement les limites (que nous voudrions effacer) de leur caste au fur et à mesure qu’ils croient le plus pénétrer dans la nôtre.» (III, page 749). Il adhérait donc au mépris exprimé, au cours du repas chez la duchesse de Guermantes, où la conversation portant un moment sur les domestiques, l’un des convives décréta : « Avec eux, il faut être bon, mais pas trop bon. » (II, page 484). Aussi se permit-il de lire et de reproduire, avec ses fautes d’orthographe et de syntaxe, la lettre du « jeune valet de pied de Françoise » (II, pages 566-567) : pourquoi cette moquerie facile et un peu trop appuyée de la part d’un bourgeois à l’égard d’un garçon du peuple si ce n’est pas par pure malignité afin qu’on puisse s’en gausser? Comme les relations entre la France et l’Allemagne étaient commentées par un hôtelier, il asséna : « Comme ce genre de sujet traité par un hôtelier me paraissait ennuyeux, je cessai d’écouter » (II, page 752). Il railla encore le valet de pied de Mme de Chevregny qui assura à M. de Charlus : « Mais je n’ai aucun camarade qu’un que vous ne pouvez pas avoir reluqué. » (II, page 987).

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