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Alphonse aulard [1849-1928] Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Paris


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Alphonse AULARD [1849-1928]

Professeur à la Faculté des lettres de l’Université de Paris

(1913)

Histoire politique de


la Révolution française
Origines et développement de la démocratie
et de la République (1789-1804)

Un document produit en version numérique par Claude Ovtcharenko, bénévole,

Journaliste à la retraite près de Bordeaux, à 40 km de Périgueux

Page web. Courriel: c.ovt@wanadoo.fr
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Courriel: c.ovt@wanadoo.fr
à partir de :
Alphonse AULARD [1849-1928]
Histoire politique de la Révolution française.

Origines et développement de la démocratie et de la République (1789-1804).
Paris : Librairie Armand Colin, 5e édition, 1913, 810 pp. Première édition, 1901.

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Alphonse AULARD [1849-1928]
Histoire politique de la Révolution française.

Origines et développement de la démocratie


et de la République (1789-1804).

Paris : Librairie Armand Colin, 5e édition, 1913, 810 pp. Première édition, 1901.

Table des matières



Avertissement
PREMIÈRE PARTIE

LES ORIGINES DE LA DÉMOCRATIE

ET DE LA RÉPUBLIQUE

1789-1792
chapitre I

L’idée républicaine et démocratique avant la Révolution.
I. Il n’y a pas en France de parti républicain. Opinions monarchistes : 1° des morts illustres : Montesquieu, Voltaire, d’Argenson, Diderot, d’Holbach, Helvétius, Rousseau, Mably ; 2° des vivants influents ou célèbres : Taynal, Condorcet, Mirabeau, Siéyès, d’Antraigues, La Fayette, Camille Desmoulins. — II. Les écrivains visent à introduire dans la monarchie des institutions républicaines, — III. Affaiblissement de la monarchie ; opposition des Parlements. — IV. Les Parlements empêchent la monarchie absolue de se réformer ; ils entravent l’établissement des Assemblées provinciales. — V. Influence de l’Angleterre et de l’Amérique. — VI. Jusqu’à quel point les écrivains sont-ils démocratiques ? — VII. État d’esprit démocratique et républicain.
chapitre ii

L’idée républicaine et démocratique au début de la Révolution.
I. Convocation des États généraux ; les cahiers. — II. Formation de l’Assemblée nationale. — III. Prise de la Bastille et révolution municipale. — IV. Déclaration des droits. — V. Conséquences logiques de la Déclaration.
chapitre iii

Bourgeoisie et démocratie

1789-1790.


I. On ne tire de la Déclaration des droits, ni toutes les conséquences sociales, ni toutes les conséquences politiques. Il n’y a, à cette époque, ni socialistes ni républicains. — II. Organisation de la monarchie. — III. Organisation de la bourgeoisie en classe privilégiée. Régime censitaire. — IV. Mouvement démocratique. — V. Application du régime censitaire. — VI. Les revendications démocratiques s’accentuent.

chapitre iv

Formation du parti démocratique et naissance du parti républicain.

1790-1791.


I. Le parti démocratique. — II. La fédération. — III. Le premier parti républicain : le journal et le salon de Mme Robert. — IV. Premières manifestations socialistes. — V. Le féminisme : les Sociétés fraternelles des deux sexes. — VI. Campagne contre le régime bourgeois. — VII. Manifestations républicaines de décembre 1790 à juin 1791. — VIII. La politique humanitaire. — IX. Résumé.
chapitre v

La fuite à Varennes et le mouvement républicain.

21 juin-17 juillet 1791.


I. Caractère de Louis XVI. Importance historique de la fuite à Varennes. — II. Attitude de l’Assemblée constituante. — III. Attitude de Paris : le peuple, les sections, les clubs, la presse. — IV. Le retour du roi fait échec au parti républicain. — V. Polémiques sur la question république ou monarchie. Siéyès, Condorcet. — VI. Le mouvement républicain en province. — VII. Les démocrates et l’affaire du Champ de Mars.
chapitre vi

Les républicains et les démocrates après l’affaire du champ de Mars.
I. Scission et réaction après la journée du 17 juillet 1791. — II. Aggravation du système bourgeois. III. L’Assemblée constituante ferme toute voie légale à la démocratie et à la république. — IV. Restauration du pouvoir royal.
chapitre vii

Depuis la réunion de l’Assemblée législative jusqu’à la journée du 20 juin 1792.
I. Élections à l’Assemblée législative et abdication provisoire des partis démocratique et républicain. — II. Premiers actes et politique de la Législative. — III. L’opinion publique. — IV. Politique du roi. La déclaration de guerre à l’Autriche. Querelle de l’Assemblée et du roi. — V. Politique antirépublicaine de Robespierre. — VI. Journée du 20 juin 1792. — VII. Conséquences de cette journée.
chapitre viii

Les préparatifs du détrônement de Louis XVI.
I. Mesures prises par l’Assemblée législative contre le pouvoir royal. — II. L’esprit public en France en juillet-août 1792. — III. Les fédérés. — IV. Les journaux parisiens et le républicanisme. — V. L’agitation sectionnaire. — VI. Attitude de l’Assemblée législative.
__________________

DEUXIÈME PARTIE

LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE

1792-1795


chapitre I

Chute du trône et établissement de la démocratie.
I. Suspension de Louis XVI. — II. Organisation du pouvoir exécutif. La Commune révolutionnaire. — III. Le suffrage universel.

chapitre ii

Évolution des idées politiques entre le 10 août et le 22 septembre 1792.
I. Adhésion de la France provinciale à la révolution du 10 août. — II. Mouvement contre Louis XVI et contre la royauté. — III. Attitude de l’Assemblée législative. — IV. Attitude du peuple de Paris. — V. Les journaux et les pamphlets. — VI. Élections parisiennes à la Convention. — VII. Le club des Jacobins. — VIII. Mouvement républicain en province. — IX. Élection des députés à la Convention. — X. Mouvement républicain dans ces élections. — XI. Projets de prendre un autre roi. — XII. Plans d’organisation de la république.
chapitre iii

Établissement de la République.
I. Abolition de la royauté (21 septembre 1792). — II. Établissement de la république (22 septembre 1792). — III. Comment l’opinion publique accueillit cet établissement.

chapitre iv

La constitution de 1793.
I. Le projet de Condorcet. — II. L’opinion. — III. Les débats à la Convention sur le projet de Condorcet. — IV. Le projet d’Hérault de Séchelles. — V. Discussion et adoption de ce projet. — VI. Caractère général de la constitution de 1793. — VII. Plébiscite d’acceptation. — VIII. Ajournement de cette constitution.
chapitre v

Le gouvernement révolutionnaire avant le 9 thermidor.
I. Définition du gouvernement révolutionnaire. — II. Le Conseil exécutif provisoire et les Commissions exécutives. — III. La Convention nationale : organisation, fonctionnement. — IV. Le Comité de sûreté générale. Le Comité de défense générale. Le Comité de salut public. — V. Les représentants en mission. — VI. Les sociétés populaires. Les Comités révolutionnaires. — VII. Le décret du 14 frimaire an II. — VIII. La Terreur. Le régime de la presse. Le Tribunal révolutionnaire. Lois terroristes. — IX. Caractère général du gouvernement révolutionnaire.
chapitre vi

Les opinions et les partis. Le royalisme avant le 9 thermidor.
I. Le royalisme en France au début de la République. — II. Le royalisme dans les régions insurgées : la Vendée, Lyon, Toulon. Attitude du comte de Provence. — III. Le royalisme dans les régions non insurgées.
chapitre vii

Les opinions et les partis. Girondins, Montagnards, Dantonistes.

Septembre 1792 à juillet 1793.


I. Organisation du parti girondin. — II. Son programme politique. — III. Ses chefs. — IV. Organisation et programme du parti montagnard. — V. Ses chefs. — VI. Conflit de ces deux partis. — VII. Chute de Danton.
chapitre viii

Les opinions et les partis.

La Montagne victorieuse. Robespierre, Hébert, Danton.

Juillet 1793 à germinal an II.


I. Le fédéralisme. — II. La France montagnarde. — III. Le socialisme. — IV. Les Hébertistes et les Dantonistes.

chapitre ix

La politique religieuse avant le 9 thermidor.
I. Maintien de la constitution civile du clergé. Lois contre les prêtres réfractaires. — II. La déchristianisation. Le culte de la Raison. — III. La politique religieuse du Comité de salut public. Persistance du catholicisme. — IV. Le culte de l’Être suprême et Robespierre.

chapitre x

La révolution du 9 thermidor.
I. Causes de la chute de Robespierre. — II. Les journées des 8 et 9 thermidor an II. — III. Insurrection et défaite de la Commune et des robespierristes.

chapitre xi

La décadence du gouvernement révolutionnaire après le 9 thermidor.
I. La réaction thermidorienne. — II. Maintien du gouvernement révolutionnaire. — III. Réorganisation du pouvoir central. Décentralisation administrative. — IV. Les représentants en mission. Les Sociétés populaires. Les Comités révolutionnaires. — V. La Commune de Paris. — VI. La garde nationale. — VII. Le tribunal révolutionnaire. Révocation de diverses lois terroristes. — VIII. Le régime de la presse. — IX. Caractères généraux de la décadence du gouvernement révolutionnaire.

chapitre xii

Les opinions, les partis, la politique religieuse après le 9 thermidor.
I. Thermidoriens de gauche et thermidoriens de droite. Rentrée des Girondins. — II. Changement dans les mœurs. — III. Réaction contre la Terreur et les terroristes. — IV. Journées de germinal et de prairial. V. La Terreur blanche. — VI. Le royalisme. Le 13 vendémiaire. — VII. La politique religieuse : séparation de l’Église et de l’État.
__________________

TROISIÈME PARTIE

LA RÉPUBLIQUE BOURGEOISE



1795-1799

chapitre I

La Constitution de l’an III.
I. Mouvement d’opinion et débats préalables. — II. Suppression du suffrage universel. — III. Rétablissement du régime censitaire. — IV. Discussions à propos du régime censitaire. — V. Organisation du pouvoir législatif. — VI. Organisation du pouvoir exécutif. — VII. Organisation administrative et municipale. — VIII. Déclaration des droits. — IX. Caractère général de la Constitution. — X. Principales lois électorales organiques. — XI. Le plébiscite. — XII. Mise en activité de la Constitution.
chapitre ii

L’application de la Constitution de l’an III.
I. Caractère général de cette période. — II. Le régime électoral : élection des députés. — III. Le régime électoral : élection des fonctionnaires. — IV. Le Corps législatif : Conseil des Cinq-Cents et Conseil des Anciens. — V. Le Directoire exécutif et les ministres. — VI. Les commissaires du Directoire. La centralisation administrative. — VII. Les clubs. — VIII. Le régime de la presse périodique.
chapitre iii

Les opinions, les partis, la politique religieuse jusqu’au 18 fructidor.
I. Les serments et les partis. — II. Les républicains bourgeois ou directoriaux. — III. Les démocrates. Babeuf et le babouvisme. — IV. Les royalistes. — V. La politique religieuse : les fêtes nationales ; la théophilanthropie. — VI. La politique religieuse : le catholicisme. — VII. Le coup d’État du 18 fructidor.
chapitre iv

La politique religieuse, les opinions, les partis après le 18 fructidor.
I. La politique religieuse : le catholicisme. — II. La politique religieuse : le culte décadaire ; la théophilanthropie. — III. Le royalisme. — IV. Républicains directoriaux et républicains démocrates. Loi du 22 floréal an VI (11 mai 1798). — VI. Réapparition de la Terreur. — VII. Résurrection des Jacobins.
chapitre v

Chute du Directoire exécutif.
I. Causes générales du coup d’État du 18 brumaire. — II. Popularité de Napoléon Bonaparte. Son retour d’Égypte. — III. Préparatifs du coup d’État. — IV. Journée du 18 brumaire. — V. Journée du 19 brumaire. — VI. Suppression et remplacement du Directoire.
__________________


QUATRIÈME PARTIE

LA RÉPUBLIQUE PLÉBISCITAIRE



1799-1804

chapitre I

Le Consulat provisoire et la Constitution de l’an VIII.
I. Le 18 brumaire et l’opinion. — II. Politique des consuls provisoires. — III. Rédaction de la Constitution de l’an VIII. — IV. Analyse de cette constitution. — V. Le plébiscite d’acceptation.
chapitre ii

Le Consulat décennal.
I. Installation des pouvoirs publics. — II. Régime de la presse. — III. Organisation administrative. — IV. Nouvelles mœurs. — V. Effets de la victoire de Marengo à l’intérieur. Attentat, proscriptions, progrès du despotisme.
chapitre iii

La politique religieuse.
I. Le régime de la séparation de l’Église et de l’État sous le Consulat. Le culte décadaire. La théophilanthropie. — II. Les deux sectes catholiques. — III. Résultats généraux du régime de la séparation. — IV. Causes de la destruction de ce régime. — Le Concordat. — VI. Application du Concordat. — VII. Avantages nouveaux accordés à l’Église romaine.
chapitre iv

Le Consulat à vie.
I. Le plébiscite de l’an X. — II. Le sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X (4 août 1802). — III. Retour aux formes monarchiques. — IV. L’opposition républicaine. Complots militaires. Bonapartisme des ouvriers. — V. Le royalisme. — VI. Complots ou prétendus complots : Cadoudal ; Pichegru et Moreau ; le duc d’Enghien. — VII. Établissement de l’empire. — VIII. Le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII (18 mai 1804). — IX. Disparition de la république. — X. Remarques générales sur la Révolution française.

Histoire politique de la Révolution française.

Origines et développement de la démocratie et de la République
(1789-1804).
AVERTISSEMENT
_______

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Dans cette histoire politique de la Révolution française, je me propose de montrer comment les principes de la Déclaration des droits furent, de 1789, à 1804 mis en œuvre dans les institutions, ou interprétés dans les discours, dans la presse, dans les actes des partis, dans les diverses manifestations de l’opinion publique. Deux de ces principes, celui de l’égalité des droits et celui de la souveraineté nationale, furent le plus souvent invoqués dans l’élaboration de la nouvelle cité politique. Historiquement, ce sont les principes essentiels de la Révolution. On les conçut et on les appliqua différemment, selon les époques. Le récit de ces vicissitudes, voilà le principal objet de ce livre.

En d’autres termes, je veux raconter l’histoire politique de la Révolution au point de vue des origines et du développement de la démocratie et de la république.

La conséquence logique du principe de l’égalité, c’est la démocratie. La conséquence logique du principe de la souveraineté nationale, c’est la république. Ces deux conséquences ne furent pas tirées tout de suite. Au lieu de la démocratie, les hommes de 1789 établirent un régime censitaire, bourgeois. Au lieu de la république, ils organisèrent une monarchie limitée. C’est seulement le 10 août 1792 que les Français se formèrent en démocratie par l’institution du suffrage universel. C’est seulement le 22 septembre 1792 qu’après avoir aboli la monarchie ils se formèrent en république. On peut dire que la forme républicaine dura jusqu’en 1804, c’est-à-dire jusqu’à l’époque où le gouvernement de la république fut confié à un empereur. Mais la démocratie fut supprimée en 1795, par la constitution de l’an III, ou du moins altérée profondément par une combinaison du suffrage universel et du suffrage censitaire. On demanda d’abord à tout le peuple d’abdiquer ses droits en faveur d’une classe, la classe bourgeoise, et ce régime bourgeois, c’est la période du Directoire. Puis on demanda à tout le peuple d’abdiquer ses droits en faveur d’un homme, Napoléon Bonaparte : c’est la république plébiscitaire, c’est la période du Consulat.

Cette histoire de la démocratie et de la république pendant la Révolution se divise donc naturellement en quatre parties :

1° De 1789 à 1792, les origines de la démocratie et de la république, c’est-à-dire la formation des partis démocratique et républicain sous le régime censitaire, sous la monarchie constitutionnelle ;

2° De 1792 à 1795, la république démocratique ;

3° De 1795 à 1799, la république bourgeoise ;

4° De 1799 à 1804, la république plébiscitaire.

Ces transformations de la cité politique française se manifestèrent par un très grand nombre de faits et dans des circonstances très complexes. « Nous avons consommé six siècles en six années », disait Boissy d’Anglas en 1795. C’est qu’en effet, l’ancien régime n’ayant pas pu se réformer pacifiquement, lentement, on dut faire une révolution violente et brusque, et opérer en hâte, presque tout d’un coup, des destructions, des changements, des constructions, qui, si on avait pu suivre une marche normale, conforme aux précédents français et aux exemples étrangers, auraient demandé un grand nombre d’années. S’il y eut tant de faits en peu de temps, la complexité des circonstances les multiplia encore, les embrouilla, et cette complexité provint de ce que la Révolution française, en même temps qu’elle travaillait à son organisation intérieure, eut à soutenir une guerre étrangère hasardeuse, aux péripéties brusques et imprévues, et aussi une guerre civile intermittente. Ces conditions de guerre extérieure et intérieure imprimèrent au développement et à l’application des principes de 1789, surtout à partir de 1792, un caractère de hâte fiévreuse, d’improvisation, de contradiction, de violence et de faiblesse. Les tentatives pour constituer la République démocratique se firent dans un camp militaire, sous le coup d’une défaite ou d’une victoire, dans l’épouvante d’une invasion ou dans l’enthousiasme d’une conquête opérée. On dut à la fois légiférer rationnellement pour l’avenir, pour la paix et légiférer empiriquement pour le présent, pour la guerre. Ces deux desseins se mêlèrent dans les esprits et dans la réalité. Il n’y eut ni unité de plan, ni continuité de méthode, ni suite logique dans les divers remaniements de l’édifice politique.

Si enchevêtrés que soient tant d’actes et de circonstances concurrents ou contradictoires, on peut arriver cependant sans trop de peine à voir une suite chronologique, de grandes périodes successives, une marche générale. Il est moins aisé de distinguer les faits à extraire de la masse et à raconter. S’il n’y a ni plan ni méthode sensibles dans la politique des hommes de la Révolution, il est d’autant plus difficile à l’historien d’avoir lui-même un plan et une méthode pour le choix des traits qui doivent composer le tableau d’une réalité si changeante et si complexe. Nous y voyons cependant plus clair que les contemporains, qui agissaient dans la nuit, ne connaissant pas l’issue des choses, la suite du drame, et qui (comme nous-mêmes aujourd’hui sans doute) estimaient importants des faits sans conséquence, et insignifiants des faits qui influèrent. Sans doute la connaissance des résultats ne nous donne pas, pour les choix des faits, un critérium infaillible, car les résultats ne sont pas encore achevés et la Révolution continue encore aujourd’hui sous une autre forme, en d’autres conditions ; mais nous voyons du moins des résultats partiels, des périodes accomplies, un développement des choses, qui nous permettent de distinguer ce qui a été éphémère de ce qui a été durable, les faits qui ont eu une conséquence dans notre histoire de ceux qui n’ont eu aucune conséquence.

Les faits qui ont exercé une influence évidente et directe sur l’évolution politique, voilà donc ceux qu’il faudra choisir pour y concentrer le plus de lumière. Les institutions, régime censitaire et régime monarchique, suffrage universel, constitution de 1793, gouvernement révolutionnaire, constitution de l’an III, constitution de l’an VIII, le mouvement d’idées qui prépara, établit, modifia ces institutions ; les partis, leurs tendances et leurs querelles, les grands courants d’opinion, les révolutions de l’esprit public, les élections, les plébiscites, la lute de l’esprit nouveau contre l’esprit du passé, des forces nouvelles contre les forces de l’ancien régime, de l’esprit laïque contre l’esprit clérical, du principe rationnel de libre examen contre le principe catholique d’autorité, voilà surtout en quoi consista la vie politique de la France.

D’autres faits eurent une influence, mais moins directe : ce sont par exemple les batailles, les actes diplomatiques, les actes financiers. Il est indispensable de ne pas les ignorer, mais il suffit de les connaître en gros et dans les résultats. Ainsi la victoire de Valmy, connue au moment de l’établissement de la République, facilita cet établissement, parce qu’elle amena la retraite des Prussiens. Si vous connaissez cet effet de la célèbre canonnade, vous en savez assez pour comprendre la partie de l’histoire politique qui en fut contemporaine, et il est inutile que je mette sous vos yeux le tableau des opérations militaires de Dumouriez. La paix de Bâle, en 1795, hâta en France l’établissement d’un régime intérieur normal : il suffit de connaître cet effet, sans entrer dans le détail des négociations ou des clauses. Le discrédit des assignats et l’agiotage amenèrent les conditions matérielles et l’état d’esprit d’où sortirent, en germinal et en prairial an III, deux insurrections populaires : il n’est pas indispensable, pour bien saisir cet effet politique, de pénétrer dans le dédale des finances de la Révolution.

J’ai donc laissé de côté l’histoire militaire, diplomatique, financière. Je ne me dissimule pas que c’est là une abstraction qui peut paraître dangereuse, et que je m’expose au reproche d’avoir faussé l’histoire en la tronquant. Mais toute tentative historique est forcément une abstraction : l’effort rétrospectif d’un esprit ne peut embrasser qu’une partie de l’immense et complexe réalité. C’est déjà une abstraction de ne parler que de la France, et, dans la Révolution, de ne parler que de la politique. J’ai tâché du moins de bien élucider les faits indispensables à la connaissance de cette politique, et, qi j’avais dû élucider aussi les faits qui n’ont qu’un intérêt indirect, il m’aurait fallu diminuer la place et le temps que je pouvais consacrer aux faits indispensables. Il n’est pas, en histoire, de livre qui se suffise à lui-même, qui suffise au lecteur. Le mien, comme les autres, suppose et exige d’autres lectures.

Voilà comment j’ai choisi les faits. Voici dans quel ordre je les ai exposés.

L’ordre chronologique s’imposait, et j’ai pu le suivre strictement dans presque toute la première partie de ce travail. Il n’y avait en effet, pour la période de 1789 à 1792, qu’à exposer, à mesure qu’elles se rencontrent, les manifestations des idées démocratiques et républicaines, en les plaçant dans le cadre de la monarchie constitutionnelle et du régime bourgeois. Pour les trois autres périodes, république démocratique, république bourgeoise, république plébiscitaire, il eût été difficile d’exposer à la fois, dans la même suite chronologique, les institutions, la lutte des partis, les vicissitudes de l’opinion publique. Ç’aurait été mettre dans le récit la confusion qui a existé dans la réalité, surtout pour la période de la république démocratique. J’ai cru devoir exposer tour à tour chacune de ces manifestations de la même vie politique, comme en plusieurs séries chronologiques parallèles. Je sais bien que les vicissitudes de l’opinion publique et celles des institutions sont connexes, se trouvent dans un rapport continuel d’influence réciproque. Aussi ai-je montré cette connexité, toutes les fois que c’était nécessaire. J’ai tâché de faire voir que ces phénomènes divers n’étaient séparés que dans mon livre, et non dans la réalité, que c’étaient les aspects d’une même évolution. A ce propos, je n’ai point hésité à me répéter, quand il le fallait, et ces redites corrigent peut-être ce qu’il y a de décevant dans tant d’abstractions, auxquelles j’ai dû me résigner, puisque c’est à cette seule condition qu’on peut mettre dans le récit une clarté qui n’est pas dans les choses, et puisque, même et surtout pour en montrer l’enchaînement, il faut considérer les faits par groupes et successivement.

Si on n’est pleinement satisfait ni de ma méthode ni de mon plan, j’espère qu’on aura du moins, quant à ma documentation, une sécurité, qui vient de la nature de mon sujet. Je veux dire qu’on n’aura pas à craindre qu’il m’ait été matériellement impossible de connaître toutes les sources essentielles. Il n’en est pas de même pour d’autres sujets. L’histoire économique et sociale de la Révolution, par exemple, est dispersée en tant de sources qu’il est actuellement impossible, dans le cours d’une vie d’homme, de les aborder toutes ou même d’en aborder les principales. Celui qui voudrait écrire, à lui seul, toute cette histoire, n’en pourrait approfondir que quelques parties et n’aboutirait, dans l’ensemble, qu’à une esquisse superficielle, tracée de seconde ou de troisième main. Pour l’histoire politique, si on la réduit aux faits que j’ai choisis, il est possible à un homme, en une vingtaine d’années, de lire les lois de la Révolution, les journaux influents, les correspondances, les délibérations, les discours, les procès-verbaux d’élection, la biographie des personnages qui ont joué un rôle. Or, voilà un peu plus de vingt ans que j’ai entrepris cette lecture. J’ai commencé, en 1879, par étudier les discours des orateurs, et, depuis quinze ans, dans mon cours à la Sorbonne, j’ai étudié les institutions, les partis, la vie des grands individus. J’ai donc eu le temps matériel d’explorer les sources de mon sujet. Si la forme de ce livre sent l’improvisation, mes recherches ont été lentes et je les crois complètes dans l’ensemble. Je ne pense pas avoir omis une source importante, ni avoir émis une seule assertion qui ne soit directement tirée des sources.

Il me reste à parler de ces sources.

Je ne les énumérerai pas en forme de liste bibliographique : on les trouvera toutes indiquées, soit dans le texte, soit dans les notes.

Voici, en quelques mots, quel en est le caractère.

Les lois se trouvent, en leur forme authentique et officielle, dans la collection Baudoin, dans la collection du Louvre, dans le Bulletin des lois, dans les procès-verbaux des assemblées législatives, et aussi, isolément, dans des imprimés spéciaux. Ces divers recueils se complètent les uns les autres. Mais les exemplaires en sont si rares qu’on ne peut les réunir chez soi pour les avoir sous la main. Je me suis donc servi, pour l’usage journalier, de la réimpression qu’en a faite Duvergier, après m’être assuré, par un grand nombre de vérifications, que cette réimpression est fidèle. Toutefois Duvergier ne donne en entier qu’une partie des lois. J’ai pris celles qu’il ne donne pas dans les textes officiels que j’ai énumérés et qui se trouvent, sauf le recueil de Baudoin, à la Bibliothèque nationale. Je me suis bien gardé d’emprunter un seul texte de loi aux journaux, qui tous, y compris le Moniteur, les reproduisent inexactement.

Les actes gouvernementaux, arrêtés du Comité de salut public, arrêtés du Directoire exécutif et des Consuls, décisions ministérielles, etc., ont été pris dans des textes officiels, dans le registre et les minutes du Comité de salut public (dont j’achève en ce moment la publication), dans le Bulletin de la Convention, dans les papiers du Directoire exécutif (inédits, aux Archives nationales), dans le journal le Rédacteur, organe du Directoire, dans le Moniteur, organe du gouvernement consulaire.

Je parle des élections et des votes populaires d’après les procès-verbaux, pour la plupart inédits, qui se trouvent aux Archives nationales.

Pour les institutions et les lois politiques, ce choix de sources s’imposait, sans qu’il y eût à hésiter. Pour l’histoire des Assemblée, des partis et de l’opinion publique, le choix était plus délicat.

C’est d’ordinaire aux Mémoires qu’on a recours pour étudier les partis et les opinions. Mais les mémoires n’ont pas seulement cet inconvénient, qu’il en est fort peu dont on puisse affirmer la parfaite authenticité, qu’il en est moins encore dont les auteurs n’aient pas préféré le souci de leur propre apologie au souci de la vérité. Écrits après les événements, pour la plupart sous la Restauration, ils ont un vice commun très grave : je veux parler de la déformation des souvenirs, qui en gâte presque toutes les pages. Je ne me suis servi des Mémoires que par exception, plutôt pour confirmer que pour infirmer d’autres témoignages, et, comme je ne m’en suis jamais servi sans indiquer ma source, on est averti qu’en ce cas l’élément d’information est accessoire ou douteux.

Pour que le témoignage soit croyable, il ne suffit pas qu’il émane d’un contemporain : il faut encore qu’il ait été émis eu moment même où a eu lieu l’événement auquel il se rapporte, ou peu après, dans la plénitude du souvenir.

Aux Mémoires j’ai donc préféré les correspondances et les journaux. Les correspondances sont si rares que je n’ai pas eu l’embarras du choix. Mais les journaux sont fort nombreux. J’ai choisi de préférence ceux qui eurent visiblement de l’influence, qui furent les organes d’un parti ou d’un individu important, comme le Mercure national, organe du parti républicain naissant, ou le Défenseur de la Constitution, organe de Robespierre.

Les journaux ne sont pas seulement les interprètes de l’opinion : ils rendent compte aussi des débats des Assemblées, et ils sont seuls à en rendre un compte détaillé. Il n’y a pas alors de compte rendu officiel in extenso ou analytique. Il y a un procès-verbal officiel, mais si court et si sec, qu’il ne peut donner une idée des luttes de tribune. Je me sers du procès-verbal pour fixer la suite et comme le cadre des débats, et j’ai recours ensuite aux comptes rendus des journaux, surtout du Journal des Débats et des Décrets et du Moniteur, pour toute la Révolution à partir de 1790, et, pour certaines périodes, du Point du Jour, du Journal logographique et du Républicain français. Il n’y a pas de sténographie. Parfois le journaliste donne un discours d’après le manuscrit que lui a remis l’orateur. Le plus souvent il reconstitue après coup les opinions et les débats d’après les notes qu’il a prises en séance. Je prends, selon l’occasion, celui des comptes rendus qui me paraît le plus clair, le plus complet, le plus vraisemblable. Il m’arrive aussi d’en utiliser plusieurs à la fois pour un débat, en indiquant les changements de sources. Quand je ne cite pas de source, c’est que je me suis servi du Moniteur.

Beaucoup de discours et de rapports furent imprimés à part, par les soins des orateurs eux-mêmes, sur l’ordre ou sans l’ordre de l’Assemblée : j’y ai recours toutes les fois que je les ai rencontrés. Un certain nombre de ces pièces ont été réimprimées de nos jours, dans les Archives parlementaires. On peut les y lire. Mais je ne me suis jamais servi de ces Archives pour les débats des Assemblées. Le récit des séances qu’on y trouve est fait sans méthode, sans critique, sans indication de sources. On ne sait ce que c’est. Si ce recueil est officiel par son mode de publication, les comptes rendus de débats qu’il contient ne sont pas officiels, et n’ont aucun caractère d’authenticité.

J’aurais encore beaucoup à dire sur les sources : mais il m’est arrivé plus d’une fois de les critiquer d’un mot, dans les notes au bas des pages, et on verra sans doute, par l’emploi même que je fais de ces sources, quel est mon sentiment sur la valeur de chacune d’elles.

Quant à l’état d’esprit où je me suis trouvé en écrivant ce livre, je dirai seulement que j’ai voulu, dans la mesure des mes forces, faire œuvre d’historien, et non pas plaider une thèse. J’ai l’ambition que mon travail puisse être considéré comme un exemple d’application de la méthode historique à l’étude d’une époque défigurée par la passion et par la légende.

A. Aulard.


Histoire politique de la Révolution française.

Origines et développement de la démocratie et de la République
(1789-1804).

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