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1. L’anarchisme


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Luis Buuel, cinéaste surréaliste

1. L’anarchisme

L’anarchisme, comme le communisme, est une utopie politique, c’est-à-dire une représentation d’un monde idéal qui permettrait aux hommes d’être heureux mais qui reste irréalisable.

Sa caractéristique principale est de garantir la liberté individuelle en rejetant toute forme de domination, c’est-à-dire toute contrainte extérieure à l’homme. Tout type d’autorité étant rejeté, le mouvement anarchiste appelle donc inéluctablement à la révolution, de manière à détruire d’une part les gouvernements centraux (dont la domination sur les libertés individuelles est très forte) et d’autre part la société conservatrice qui est celle du début du siècle.

Cette ambition politique de libérer l’homme est éminemment proche de celle du dadaïsme et du surréalisme, mouvements artistiques qui cherchent également à libérer l’homme de tous les carcans hérités de la société bourgeoise et de la logique rationaliste qui entravent sa liberté.


Le mouvement anarchiste a rencontré un succès populaire certain au début du siècle dans

différentes régions d’Europe, et notamment en Espagne, pays d’origine du cinéaste que nous allons aborder. C’est pour cela que j’ai commencé la séquence par cette question politique : Buuel, le réalisateur des deux films que nous allons voir, était en effet anarchiste. Or, pour bien comprendre son œuvre, il est très important d’avoir en tête son appartenance politique, qui était celles de nombreux Espagnols de l’époque, en la remettant dans le contexte politique de l’Espagne au début du siècle.

En effet, au début du siècle la situation politique en Espagne est très instable. Durant les années 10, le gouvernement espagnol connaît les pires difficultés et a du mal à contenir son peuple de plus en plus mécontent. En 1923, un militaire haut gradé, Primo de Rivera, se rebelle contre le gouvernement de Madrid, qu’il trouve trop laxiste, et impose une dictature militaire sans rencontrer de résistance de la part du roi. Cette dictature militaire, qui s’inspire du fascisme italien, dure jusqu’en 1930. Durant ces 7 années, l’armée dirige d’une main de fer le pays, soumet la presse à la censure et est à l’affût de la moindre transgression des interdits moraux et sociétaux pourtant très pesants : pas question d’aborder des sujets tabous, comme le sexe ou la remise en cause du régime. Cette dictature est donc extrêmement répressive, punissant quiconque prendrait la liberté d’exprimer le moindre désaccord avec cette politique ultra conservatrice. Dans ce contexte de durcissement radical de la droite, la réaction prévisible est un durcissement radical de la gauche, incarnée notamment par les anarchistes. En effet, ceux qui considèrent qu’il faut rejeter toute forme de domination ne peuvent accepter la politique de ce dictateur symbolisant la répression la plus dure. La guerre idéologique entre les partisans d’une politique de droite et ceux d’une politique de gauche aboutira finalement à la guerre civile espagnole (entre 1936 et 1939), qui verra finalement la dictature l’emporter pour 47 ans (Franco meurt en 1976).
Ayez bien en tête ce contexte politique pour aborder les films : si Buuel est si subversif (surtout dans L’âge d’or), c’est à cause de son appartenance anarchiste dans un contexte de dictature militaire.

2. Présentation de la séquence :


  • Pourquoi les surréalistes aiment le cinéma

  • Bio-filmographie de Buuel

  • Visionnage d’Un chien andalou, après introduction et avant éclaircissements sur le sens à donner

  • Introduction, réception et visionnage de L’âge d’or

  • Genèse et comparaison des deux films

  • Exercice : pourquoi certaines scènes ont tellement choqué que le film a été interdit

  • Analyse de L’âge d’or : les caractéristiques surréalistes



  1. Introduction : le surréalisme et l’amour du cinéma

Les surréalistes adoraient le septième art. Ils étaient des assidus des salles de cinéma, allant de salle en salle découvrir les nouveautés. Différentes raisons, certaines liées à l’histoire du cinéma et d’autres à sa technique de base, expliquent cette passion.

La première raison, liée à l’histoire du 7e art, est celle de l’origine populaire du cinéma. Il ne faut pas oublier que les premiers « films », qui étaient les vues Lumière (de moins d’une minute), étaient projetés dans des foires, lieux populaires par excellence. Les gens du peuple y allaient voir des scènes de la vie quotidienne (le déjeuner de bébé, une partie de cartes, l’arroseur arrosé) ou des enregistrements plus exotiques (puits de pétrole,…), qui leur permettaient de voir le monde sans devoir dépenser de l’argent, qu’ils n’avaient pas, pour voyager. Le cinéma n’avait donc à la base rien à voir avec les arts élitistes et académiques, arts bourgeois que les surréalistes exècrent.
Leur amour du cinéma peut également être expliqué par l’incoercible, l’irrépressible impression de réalité qu’offre le cinéma, impression qui est liée à deux aspects de la technique cinématographique : le fait qu’il soit un art basé sur la photographie d’une part, et d’autre part le fait qu’il soit de la photographie animée.

Tout d’abord, le cinéma est un art basé sur le principe photographique, qui a toujours créé une très forte impression de réalité grâce à -ou à cause de ? – sa technique de prise de vues. En effet quand on prend une photo, on doit juste régler les paramètres (quand l’appareil n’est pas un jetable…) et la photo se fait « toute seule », puisqu’il ne s’agit à la base que d’une réaction à la lumière reflétée par les objets, donc une réaction purement chimique à un phénomène physique. Il s’agit donc, pour la toute première fois dans l’histoire des représentations du monde, c’est-à-dire des arts, d’enregistrer « objectivement », scientifiquement le réel. Contrairement à une peinture par exemple, en regardant une photo, on sait, ou du moins on savait avant l’arrivée du numérique- que ce qu’on voyait avait vraiment existé.



La 2e raison, liée à celle que nous venons d’évoquer, pour laquelle le cinéma offre une impression de réalité aussi forte est que c’est de la photographie animée : une seconde de cinéma = 24 photos projetées très vite. On dit que le cinéma est le 7e art, mais savez-vous quels sont les 6 précédents ? Ils sont divisés en 2 catégories : celle des arts de l’espace (l’architecture, la sculpture et la peinture), et celle des arts du temps(la danse, la musique et la poésie). Or, la photographie animée est à la fois un art de l’espace (est en 2D tout en donnant l’impression d’être en 3D à cause de la perspective) et du temps, puisqu’un film dure un certain temps et que les images changent pendant ce temps-là. Etant à la fois un art du temps et de l’espace, un art du son et du mouvement, le cinéma offre donc toutes les apparences de la vie, de la réalité.
C’est cette illusion de réalité qui a fortement charmé les surréalistes, d’autant plus qu’avec les manipulations offertes par le cinéma, ce qui est impossible dans la vie réelle devient possible à l’écran. Par exemple, dans Un chien andalou vous verrez à un moment les livres qu’un homme tient en mains se transformer comme par magie en revolvers. Le trucage est simple (on arrête l’enregistrement et puis on redémarre quand le changement a été effectué), mais l’effet saisissant pour l’époque. Ces trucages permettent également de faire coexister ce qui dans la vie réelle est incompatible : se côtoient tout à fait naturellement dans les films surréalistes le passé, le présent et l’avenir, le proche et le lointain, le réel et l’imaginaire,… Dès lors, le cinéma s’impose comme le lieu où la surréalité peut véritablement advenir : la volonté des surréalistes, liée au contexte de l’entre-deux guerres, de permettre une alliance non contradictoire d’éléments a priori opposés trouve ici son meilleur terrain d’expérimentation.
Une autre raison liée à la technique pour laquelle les surréalistes affectionnaient particulièrement le cinéma est la possibilité qu’il offre, de par sa technique de reproduction, de toucher les masses. Cette possibilité, qui avait vu le jour au XIXe siècle avec l’apparition de la presse, atteint avec le cinéma des sommets jusque là inégalés (cfr Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein en 1924). Etant un art très populaire offrant une forte impression de réalité, le cinéma ne pouvait fatalement qu’attirer des artistes engagés socialement et politiquement comme l’étaient les surréalistes, surtout à partir de 1929 avec le Second manifeste du surréalisme de Breton, qui rend incontournable l’engagement politique des membres du mouvement. Vous verrez comment Buuel utilise le cinéma comme arme révolutionnaire dans L’âge d’or.
Les régimes dictatoriaux ont très vite compris comment tirer profit de cette impression de réalité en l’utilisant à des fins de propagande. Lénine a dit : « De tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important » en 1922, soit cinq ans après la révolution et trois ans après avoir nationalisé l’industrie cinématographique russe. Le but du cinéma soviétique est de glorifier le régime d’une part en expliquant aux masses, parfois très lourdement, pourquoi la révolution communiste est une bonne chose et d’autre part en élevant au rang de héros nationaux ceux qui s’étaient les premiers insurgés contre le régime tsariste. Exemple : Le cuirassé Potemkine.

Et cette utilisation propagandiste est toujours bien vivante aujourd’hui, bien qu’elle soit dorénavant beaucoup plus discrète… Ceux qui ont aimé les idées et le style d’Ignacio Ramonet en trouveront dans son essai Propagandes silencieuses de très éloquents exemples.


Malgré cet amour très fort du 7e art, à peine 2 films surréalistes ont finalement vu le jour, et cela pour une raison très prosaïque, pragmatique, terre à terre : parce que produire un film coûte très cher. Il faut au strict minimum d’une part le matériel de base pour la prise de vues (en soi déjà très coûteux : caméras et pellicule) et une équipe technique (pour développer la pellicule, faire l’étalonnage, le montage,…), sans compter l’organisation de l’exploitation, sans laquelle le film n’existe pas. Donc, pour produire un film il faut soit avoir une fortune personnelle, soit avoir des subsides. Or qui dit subsides dit restriction des libertés de l’artiste : si une boîte de production avance de l’argent pour la production d’un film, elle attend en retour de pouvoir réaliser des bénéfices lors de l’exploitation en salle. Il faut donc que le film soit susceptible de plaire au public, ce qui était exactement ce que les surréalistes voulaient fuir… Breton, qu’on a appelé le pape du surréalisme, dit à ce propos dans le Second manifeste du surréalisme : « L’approbation du public est à fuir par-dessus tout(…). J’ajoute qu’il faut le tenir exaspéré (…) par un système de défi et de provocations ». Quand on part avec cette idée en tête, il est forcément difficile de trouver des producteurs prêts à vous avancer l’argent nécessaire… Dans les cas des surréalistes, il fallait donc compter sur la générosité de mécènes qui, faisant entièrement confiance au réalisateur, lui laissaient une totale liberté d’action. Ce qui ne fut pas souvent le cas, mais le fut au moins pour L’âge d’or.

  1. Bio-filmographie de Buuel

Luis Buuel naît dans le nord de l’Espagne en 1900. De 1906 à 1915, il fréquente des écoles catholiques dont l’aspect durement répressif le marque profondément et en fait un athée et un anarchiste irréductible.


En 1917, il part à Madrid entamer les études d’ingénieur agronome imposées par son père. Il loge dans la résidence estudiantine de l’université où il fait la connaissance, entre autres, de Salvador Dali et de Federico Garcia Lorca (auteur du poème surréaliste sur la poule), qui deviennent rapidement ses amis intimes. Il abandonne rapidement ses études d’ingénieur pour s’inscrire à la faculté de Philosophie et lettres. C’est à cette époque qu’il crée le premier ciné-club espagnol. Parallèlement à ses études, il écrit ses premiers textes, très proches du surréalisme.
En 1925, deux ans après l’instauration de la dictature militaire par Primo de Rivera, il part pour Paris, la « capitale littéraire ». Il continue d’écrire mais découvre sa vocation de cinéaste en voyant un film de Fritz Lang, ce qui le pousse à s’inscrire à l’Académie du Cinéma de Paris. En 1928, il rejoint Dali en Espagne pour quelques jours de vacances, pendant lesquels ils écrivent en collaboration le scénario de ce qui sera Un chien andalou, premier film reconnu comme étant surréaliste. En 1930 sort l’Age d’or, second film surréaliste, qui provoque un véritable scandale et est censuré.
En 1938, il part pour Hollywood, puis pour New York, où il travaille à la filmothèque du musée d’Art moderne. Mais il doit démissionner, étant accusé d’athéisme et sa paternité de l’Age d’or lui étant virulemment reprochée. Il part alors pour le Mexique, où il s’installe en 1946, où il réalise 20 de ses 32 films. Le premier est un échec cuisant, mais la réalisation en 1951 de Los olvidados, couronné à Cannes, lui permet d’être redécouvert en Europe. S’ensuit alors une période d’intense activité pour le cinéaste, qui voit plusieurs de ses films récompensés dans des festivals de films (à Cannes, Venise et Hollywood). Il meurt à Mexico en 1983.

  1. Visionnage d’Un chien andalou

  1. Introduction au film

Le court-métrage que vous allez voir dans un instant est radicalement différent de tous les films auxquels vous avez déjà eu affaire. Vous risquez en effet d’être fort surpris, chamboulés par ce que vous allez voir. C’est tout à fait normal : n’oubliez pas qu’un des traits dadaïstes que les surréalistes ont gardé est justement la volonté de choquer, même si derrière cette volonté se cache malgré les apparences beaucoup de sens.


Je vous en prie, ne vous servez pas des critères de jugements actuels. N’oubliez pas que ce film date de 1928 ! Le cinéma n’existait que depuis une trentaine d’années et n’était pas encore parlant ou en couleurs. Mais ne partez pas avec de bêtes a priori comme : « c’est muet et en noir et blanc ? Ca va être ennuyant… ». Oui, c’est vrai, les trucages nous paraissent grossiers et ringards, mais ils ne connaissaient pas encore les ordinateurs et les possibilités du numérique pour réaliser leurs effets spéciaux ! Je suis d’accord pour dire que la majorité des films de cette époque peut être rapidement soporifique, mais le film que nous allons voir et une fulgurante exception dans le cinéma français et international. Alors je prie d’aller voir au-delà des aspects techniques qui nous semblent, à raison, quelque peu archaïques.
Evitez également d’émettre des jugements de valeurs par rapport à tout ce qui a trait à la mode : la mode des années 20 n’est plus celle d’aujourd’hui et les canons esthétiques de cette époque sont relativement éloignés des nôtres. Mais selon moi des jugements ayant pour seul argument pour évaluer la valeur d’une œuvre.
Nous allons commencer par visionner le prologue du film, autrement dit la séquence d’ouverture, et j’arrêterai à la fin de cette séquence pour que nous parlions de sa portée sémantique, autrement dit du sens à lui donner. Buuel a un message à transmettre au spectateur : quel est-il ? Nous visionnerons alors le reste du film d’une traite et nous aborderons la question du sens de l’œuvre, qui vous le verrez n’est pas facile à atteindre.

2. VISIONNAGE ŒIL

Quel est le sens de cette séquence d’ouverture ?


La première chose à dire est que par cette scène, vous voyez l’adhésion au principe de Breton qui édicte qu’il faut à tout prix fuir les faveurs du public. Normalement, dans les films classiques, la séquence d’ouverture sert à s’allier le spectateur, à le mettre en confiance pour qu’il se laisse aller sans retenue dans le film. Or ici, c’est tout le contraire : dès la première séquence Buuel choque, dérange délibérément son public : face à cette lame de rasoir qui tranche l’œil, il est impossible de ne pas réagir, il est impossible de rester totalement indifférent. Mais cette acte de violence inouï n’est pas gratuit, Buuel ayant d’autres intentions que celles de choquer pour choquer : il a en effet un message à transmettre au spectateur, qui est celui de la nécessité de modifier ses habitudes spectatorielles en voyant autrement.
Quelles sont ces habitudes spectatorielles ? Ce sont celles que nous avons tous, même encore aujourd’hui, face à 90% de la production cinématographique, c’est-à-dire face aux films classiques. Ces films nous ont habitués d’une part à être confrontés à des histoires obéissant à la logique cartésienne et d’autre part à les recevoir de manière totalement passive.

Tout d’abord, nous sommes habitués à la logique cartésienne de ces films, qui sont basés sur le principe de la causalité : à une cause correspond un ou plusieurs effets, ce qui explique l’importance de l’action dans ces films où le personnage est mis dans une situation face à laquelle il va devoir réagir. Ce type de films nous donne à voir une histoire rationnelle, qui a un sens et ce sens nous est donné, révélé par le film lui-même. Le prototype du film classique est le film à énigme, qui après nous avoir exposé une énigme au début du film nous en donne la solution à la fin : au début, il y a un meurtre, celui de Monsieur X. La question est de savoir qui est le meurtrier. Arrive alors un enquêteur (policier ou détective privé) qui va explorer toutes les pistes. A la fin du film, nous apprenons que l’assassin est Monsieur Y, politicien qui a trempé dans de sales affaires de corruption et que Monsieur X faisait chanter.

Face à ce type de film, qui nous donne de lui-même et de manière explicite la clé de l’énigme, le spectateur peut donc se permettre une attitude totalement passive. Il ne doit en effet fournir aucune activité intellectuelle pour comprendre l’histoire du film : tout est expliqué, et aucune question ne reste en suspens.
Un chien andalou n’est pas un film classique mais un film d’avant-garde. Les habitudes que nous avons en tant que spectateur habitué aux films classiques doivent ici être chamboulées pour faire place à une autre logique et à une autre participation spectatorielle. La logique du film n’est en effet ici pas cartésienne mais onirique, c’est-à-dire la même que celle qui régit nos rêves. Et comme pour l’interprétation de nos rêves, la logique de causalité n’est ici d’aucune aide : nous devons pour décoder le film faire appel à la logique associative que Freud a décrite dans son ouvrage L’interprétation des rêves. Le sens du film ne nous est donc pas imposé, et nous nous devons, en tant que spectateur, rechercher activement à partir des clés d’interprétation freudiennes le sens à donner à l’œuvre. Un film comme Un chien andalou est donc relativement exigeant envers le spectateur : il exige de lui un travail intellectuel d’interprétation et non une attitude inerte, telle une vache regardant passer les trains. Ce qui est quelque part gratifiant : Buuel considère son spectateur nous pas comme un enfant qu’il faut prendre par la main du début à la fin du film, mais comme un grand garçon qui peut réfléchir tout seul (ce qui peut provoquer de grands débats et apporter une satisfaction certaine quand on commence à pouvoir lui donner un sens).
C’est pourquoi il nous choque dès le début : en nous montrant un œil tranché, il nous appelle à nous dessiller les yeux, c’est-à-dire à les ouvrir pour voir ce qu’en général on ne voit pas : l’existence de la logique de l’inconscient, qui est à l’œuvre dans les songes, dont l’existence a été mise à jour par Freud quelque temps auparavant. Ce choc a donc pour but de faire passer le spectateur de l’autre côté de la porte, de l’autre côté de la conscience pour accéder à cette logique onirique, c’est-à-dire à cette logique de l’inconscient régissant nos songes.

3. Analyse sémantique

Vous comprenez maintenant pourquoi je disais que les surréalistes adoraient le cinéma notamment à cause de sa capacité à faire surgir la surréalité : le film permet par exemple à l’homme se faisant tuer de choir non pas dans la pièce où ont été tirés les coups de feu, mais dans une prairie. De même, lorsque la femme quitte le tueur, le simple fait de passer la porte lui permet de se retrouver à la plage.


Quel sens pourrait-on trouver dans ce court-métrage apparemment incohérent, absurde pour le non-averti ? Car il y a bel et bien un sens : « Parler de manque d’enchaînement logique dans Un chien andalou ne tient pas debout. Non, simplement c’est un film surréaliste dans lequel les images, les séquences se suivent selon un ordre logique, mais dont l’expression dépend de l’inconscient, lequel, naturellement, a son ordre. Un chien andalou n’a d’absurde que le titre. »
Comme je vous l’ai expliqué, et comme vous l’avez vous-même constaté, la logique cartésienne des films classiques ne nous est ici d’absolument aucune aide pour conquérir le sens de ce qui nous est donné à voir. Par contre, si nous faisons appel à la logique onirique qui enchaîne les éléments selon une logique associative, le sens du film commence peu à peu à se livrer.
Il faut pour décoder le film faire appel aux théories générales de Freud sur l’inconscient, et tout spécialement celles développées dans son ouvrage L’interprétation des rêves, qui devait être le livre de chevet de Buuel (qui comme tous les surréalistes était un lecteur assidu de Freud). Ces théories sont les seules clés d’interprétation qui vont nous permettre de conquérir le sens du film. Il serait trop long de vous expliquer toutes les théories freudiennes sur l’inconscient pour vous faire une analyse sémantique détaillée de ce film. Néanmoins, il vous sera possible, à partir des concepts que vous avez abordés avec Monsieur Fontaine, d’interpréter certains événements.
Les interprétations psychanalytiques du film ont été très nombreuses et relativement variées. Néanmoins, elles insistent toutes sur la logique inconsciente du désir qui régit les associations entre les différents éléments du film. L’histoire du film, selon ces interprétations, serait celle de l’évolution du désir humain, de la petite enfance à l’âge adulte, telle qu’elle a été décrite par Freud.

  1. La petite enfance : époque d’indifférenciation sexuelle, d’androgynie. L’enfant n’a pas conscience de son appartenance sexuelle. Passe par différents stades : oral, anal, et génital, où il prend conscience de son appartenance sexuelle.

Dans le film : androgynie représentée par le cycliste (homme mais habits de femme), puis allusion au stade génital par l’allusion à l’onanisme (fourmis main), puis nouvelle allusion à l’androgynie avec la femme à la main. Quand celle-ci se fait renverser par la voiture : prise de conscience de l’appartenance sexuelle par l’enfant et fin de l’asexualité.

Les rapports de l’homme et de la femme sont à ce moment des rapports filiaux : elle agit avec lui comme une mère (l’embrasse sur le visage et non la bouche quand est tombé, s’occupe de ses affaires)



  1. Le complexe d’Œdipe : l’enfant, ayant pris conscience de sa différence sexuelle, découvre le désir pour le sexe opposé à travers l’amour qu’il éprouve pour son parent. Le petit garçon va tenter de conquérir sa mère, mais devra renoncer à cet amour à cause des interdits.

Dans le film : scène de tango (danse sulfureuse par excellence) qui survient dès la mort de la femme à la main. Il va alors tenter de conquérir la femme-mère, qui va lui opposer une résistance : se débat, repousse ses mains, court dans la chambre, brandit le crucifix-raquette (dérision du christianisme). Il va tenter d’accéder jusqu’à elle, mais en sera empêché par le poids des interdits sociétaux et religieux hérités de la tradition bourgeoise qu’il traîne derrière lui (pianos = société bourgeoise, prêtres = religion, ânes = cette société d’abrutis est moribonde, liège = ?). Ces interdits ont pour effet d’inhiber l’homme, de l’empêcher de laisser libre cours à son désir. La frustration qui en résulte le fait régresser, retourner à un état antérieur de son développement (se retrouve au lit).

  1. La lutte interne entre le ça et le surmoi : le surmoi, intégration des interdits, est là pour mettre un frein aux désirs du ça.

Dans le film : scène des revolvers. Le double de l’homme (même acteur), habillé bourgeoisement avec son costume et son chapeau, arrive dans la pièce et commence par lui faire la morale. Le ça, qui réagit comme un petit garçon, se fait punir pour avoir tenté de séduire la femme-mère : le surmoi lui confisque certains de ses attributs qu’il défenestre et le met ensuite au coin. Dans ses mains il met des livres, nouveaux poids qui l’oppressent. Le ça réagit en le tuant avec les revolvers (magie du cinéma : le trucage permet de substituer comme par magie des revolvers aux livres). La frustration a transformé les pulsions de vie (Eros) en pulsions destructrices et mortifères (Thanatos).

  1. Le mariage : la dernière étape du désir humain est la volonté de construire une véritable histoire avec la personne que l’on aime. Il ne s’agit donc plus d’une histoire purement sexuelle : on aime la femme non pour ses attributs érotiques, mais pour ce qu’elle est en tant que personne.

Dans le film : la femme rejoint l’homme sur la plage, et ils partent enlacés vers l’avenir. Il s’agit donc d’une représentation du mariage. Mais selon les scénaristes ce choix de vie ne peut mener qu’à l’enlisement, à une mort douce mais certaine.
Une lecture psychanalytique peut donc être réalisée afin de donner un sens à l’œuvre. Mais Buuel et Dali insistaient sur la liberté d’interprétation du spectateur, liberté aussi sacrée que celle de création. Le spectateur est donc totalement libre d’interpréter le film comme il l’entend : le film aura le sens qu’il lui donne.

  1. L’âge d’or

  1. Introduction et réception

Ce film est toujours un film de l’avant-garde surréaliste, mais il l’est différemment que Un chien andalou. En effet, même si l’onirisme, le rêve sont toujours bien présents ils ne constituent plus l’essence du film. Nous avons bien accès à l’imaginaire du couple autour duquel le film tourne, mais ce n’est que par instants : la plus grande partie du film nous montre la réalité de ce couple aux prises avec les interdits sociétaux. Il s’agit donc d’un récit de frustration permanente vécue par un couple qui n’a qu’une seule envie (s’unir physiquement) mais en est empêché par les interdits imposés par la société.


Ce récit de frustration permet à Buuel d’expliciter, de formuler clairement une critique sociétale qui n’était que latente dans Un chien andalou. En montrant les conséquences négatives d’une société trop répressive sur l’équilibre mental, Buuel ajoute à la révolution artistique une tentative de révolution politique. Il montre en effet que la frustration change les pulsions de vie (Eros) en pulsions de mort (Thanatos), et ce au moment même où on accuse la société dont Buuel fait une critique acerbe d’être responsable de la folie de la guerre 14-18.
Tout en mettant en scène dans son film cette société qu’il abhorre, Buuel prend ses distances avec elle, grâce entre autres à l’humour (une des caractéristiques du mouvement surréaliste). Le film regorge en effet de gags burlesques et d’humour noir (ceux qui ont aimé l’humour de Bernie d’Albert Dupontel ou de C’est arrivé près de chez vous vous être ravis). Mais cet humour n’a pas faire rire tout le monde…
La bonne société de Paris qui avait accueilli Un chien andalou avec un enthousiasme mondain n’a absolument pas apprécié la tournure politiquement subversive de Buuel. Pour la première projection publique, Charles et Marie-Laure de Noailles (les mécènes qui avaient financé la production) ont invité tous leurs amis au sang bleu : Madame la marquise Unetelle, Monsieur le baron Untel,… Tous sont repartis de la projection totalement silencieux, sans adresser un seul mot au couple. Le lendemain, Charles été exclu du Jockey Club, un des clubs les plus fermés du monde. Ils ont même manqué de se faire excommunier par le pape. C’est le début de ce qu’on a appelé « l’affaire de L’âge d’or ».
Fin novembre 1930, le film est projeté pendant six jours devant des salles combles, avant que des extrémistes de droite ne saccagent la salle, détruisant les fauteuils, jetant de l’encre sur l’écran, lançant des bombes fumigènes et lacérant les tableaux de l’exposition surréaliste installée dans l’entrée. Les projections du film reprennent malgré tout, mais l’affaire ne s’arrête pas là : la presse de droite, dont Le Figaro, s’insurge devant cette œuvre « impie et immorale » et réclame son retrait immédiat des écrans français. Même Dali, admirateur de Franco et de Mussolini, attaquera l’œuvre de son ancien ami, qu’il juge blasphématoire. Mais une partie de l’opinion publique soutenait Buuel : la presse de gauche a publié des articles vantant le film, tandis que le groupe surréaliste publiait un manifeste en sa faveur. Le film est finalement censuré partiellement (amputé de deux passages où on voit des évêques), puis dans son intégralité le 10 décembre, une quinzaine de jours à peine après la première projection. Toutes les copies du film sont donc saisies. Le film restera interdit jusqu’en … 1982 !
Lien avec la troisième séquence : (je commence la projection au début de la troisième séquence). Le film s’ouvre sur un documentaire sur les scorpions. Comme dans Un chien andalou (même si c’est moins agressif), Buuel bouleverse les habitudes spectatorielles de son public dès la première séquence. En effet, à l’époque soit on faisait un film de fiction, soit on faisait un film documentaire mais on ne mélangeait pas les deux. Or ici, le spectateur qui s’attend à un film de fiction est choqué par cette introduction documentaire.

Ensuite, deuxième séquence (// Un chien pour les intertitres : ici encore, Buuel les détourne de leur fonction informative traditionnelle : la précision temporelle « quelques heures après » ne nous donne aucun repère temporel précis : après quoi ?) : nous passons à l’épisode des brigands. Plans sur des évêques dont l’opulence ostentatoire contraste avec la misère des brigands loqueteux marmonnant des prières incompréhensibles. Cette séquence traduit l’anarchisme de Buuel, puisque pour les anarchistes il n’y a pas de classe moyenne, mais uniquement des très riches et des très pauvres. Nous verrons les brigands se mettre en marche pour se battre contre on ne sait qui, et nous les verrons tomber de fatigue.



  1. Visionnage

Insister sur l’extrême importance de ne pas se servir des critères de jugement actuels. Il faut se remettre dans l’esprit des spectateurs de l’époque, qui vivaient dans une société très conservatrice (contrairement à aujourd’hui, cfr tollé quand Freud a parlé de sexualité enfantine), pleine de tabous et intransigeante sur les principes moraux. Aujourd’hui c’est tout le contraire : nous sommes dans une société ultra permissive (surenchère de sexe, de violence,…). Beaucoup de scènes ne vous paraîtront pas choquantes si vous restez dans votre état d’esprit actuel, mais si vous vous remettez dans l’esprit de l’époque, vous comprendrez pourquoi le film a soulevé un tel tollé.


Expliquer que moi j’étais tellement dedans que j’ai cru que ça pourrait faire mauvais genre dans l’école, et que j’ai rigolé quand je l’ai revu après avoir fait mon analyse : c’est clair qu’aujourd’hui ça ne choque plus, mais à l’époque, quelle irrévérence !

  • Doivent penser aux caractéristiques surréalistes qu’ils repèrent et noter la scène qui leur y a fait penser.

  • Doivent aussi penser aux différences entre les deux films.

  • Doivent noter les scènes qui à leur avis ont choqué à l’époque (quelles qu’en soient les raisons).

Film parlant, mais Buuel n’abuse pas de cette nouveauté technique qui commence à se répandre autour de 1929. Expliquer la réticence de certains cinéastes à utiliser cette technique : pensent que le cinéma est arrivé à une maîtrise totale et n’a pas besoin de la parole. Cfr Chaplin qui n’a réalisé son premier film parlant (Le dictateur) en… 1941 !



  1. Genèse des films

Pour comprendre les différences existant entre ces deux films, il est nécessaire de savoir comment ils ont pu voir le jour. C’est ce que je vais vous expliquer maintenant, en abordant la question de leur genèse. Vous verrez que ces films n’ont pas été réalisés selon les mêmes ambitions ni selon les mêmes modes de production, ce qui entraîne les différences notables entre les deux.


Tout d’abord, la genèse d’Un chien andalou. Ce film est né de la rencontre des rêves de Buuel et de Salvador Dali, à l’époque où ils étaient encore des amis très proches. Invité à passer des vacances chez Dali, Buuel lui raconte le rêve étrange qu’il a eu quelques temps auparavant. Dali lui parle alors d’un rêve également étrange qu’il a eu, et les deux amis se disent : « Et si on faisait un film à partir de ça ? ». D’un commun accord, ils s’attellent pendant une semaine à écrire le scénario à partir de toutes les images qui les frappent, à condition qu’ils ne puissent en donner « aucune explication rationnelle, psychologique ou culturelle ». C’est la raison pour laquelle on ne comprend pas tout de prime abord dans ce court-métrage : c’était volontaire de leur part.

Le scénario terminé, Buuel prend conscience que sa facture et sa teneur inhabituelles lui interdisent de recourir à un système de production, de financement normal. Il demande alors à sa mère l’argent pour le produire lui-même, ce qu’elle accepte. Le tournage terminé, Buuel le montre à Man Ray et à Aragon, qui sont conquis par le film et organisent une rencontre entre Buuel et le groupe surréaliste. Celui-ci l’accueille comme un des siens. La première projection a lieu en juin 1928 devant la fine fleur de Paris (aristocrates, artistes déjà célèbres et le groupe surréaliste). Malgré les insultes qui jaillissent, le film n’est pas interdit et se maintient neuf mois durant sur les écrans.


Entre ce premier film et le second ont lieu deux événements décisifs pour l’orientation que prendra Buuel dans l’avenir, à savoir d’une part l’engagement politique et d’autre part la découverte des œuvres du marquis de Sade.

En 1929 paraît le Second manifeste du surréalisme de Breton, qui signe l’engagement politique nécessaire du mouvement surréaliste : la révolution artistique ne suffit plus, il faut lui joindre une tentative de révolution politique. Bien que Buuel ne partage pas les idéaux communistes de Breton, cet appel le touche profondément et il prend conscience qu’avec le cinéma il a en main une arme de poids pour faire changer les choses. Ses œuvres postérieures porteront toutes les signes de son engagement politico-social : il continuera jusqu’au bout à se battre contre la société bourgeoise et en faveur des laissés pour compte (paysans surtout, les indigents en général). Exemple : Los olvidados, couronné de la palme d’or.

D’autre part, à la même époque il découvre l’œuvre de Sade, grâce à un ami qui lui prête l’unique exemplaire en France des 120 journées de Sodome, qui à l’époque n’était toujours pas réédité. Sade est un auteur que les surréalistes ont réhabilité avec exaltation (Man Ray en fit le portrait pictural en 1939) à cause du fait qu’il a crié, de derrière les barreaux de sa prison, sa volonté de voir les hommes libres de faire ce qu’ils veulent. La découverte de cet auteur radicalement subversif joue dans son engagement politique : Sade rejetant tout système d’autorité au nom de la liberté de l’Homme, Buuel affirme son engagement anarchiste. D’où l’hommage dans la séquence de clôture, qui lui permet de terminer le film sur un apogée blasphématoire. Car les intertitres reprennent mot pour mot un passage des 120 journées de Sodome : la référence à Sade est donc explicite.
Passons maintenant à la genèse du film résultant de ces événements : L’âge d’or. Ce film n’a pu se faire que grâce à l’intervention d’un couple de mécènes, Charles et Marie-Laure de Noailles, qui ont pris contact avec le réalisateur après avoir vu Un chien andalou. Conquis, ils lui proposent de financer son premier long-métrage, proposition que Buuel accepte bien évidemment puisque les mécènes lui laisse une totale liberté de création.

Ainsi, fin 1929 Buuel part rejoindre Dali en Espagne pour travailler avec lui sur ce projet de film. Buuel en a déjà le squelette dans une trentaine de situations-gags qu’il avait mis par écrit et qui se retrouvent dans le film : la charrette qui passe au milieu du salon, l’homme qui tue son fils presque par caprice, l’évêque défenestré,... Mais la collaboration avec Dali prend vite fin : au bout de trois jours il s’en va, car depuis que Dali sort avec Gala, que Buuel déteste, un lien d’amitié profonde s’est irrémédiablement rompu.


Ces deux films sont surréalistes, mais comme vous l’avez vu il y a de grosses différences entre les deux. La principale raison est qu’entre ces deux films Buuel passe du simple appel à la révolte à un véritable projet révolutionnaire, qui nécessite des changements dans sa manière de concevoir ses films : pour que son message politique passe, il faut qu’il soit compréhensible. Il faut donc une histoire qui mette en scène la société bourgeoise qu’il abhorre pour pouvoir la dénoncer.

  1. Comparaison des films


// :

Sont surréalistes (révolution artistique)

Histoire d’un désir frustré

Frustration qui transforme Eros en Thanatos


>< :

Plus compréhensible

C.M. vs long métrage

Muet vs parlant

Production indépendante vs production par des mécènes

Rêve vs réalité

Engagement politique

Apparition de la société



  1. Analyse de L’âge d’or

Nous allons maintenant passer à l’analyse de L’âge d’or en tant que film surréaliste. Nous allons donc aborder les caractéristiques du mouvement surréaliste que nous retrouvons dans le film : l’humour, le collage, le rêve, la folie, la révolte et le rejet des règles classiques.


1. L’humour
Vous savez que l’humour est une caractéristique du mouvement surréaliste, mouvement qui ne voulait pas se prendre au sérieux et aimait tourner tout en dérision, de façon à rire des absurdités de la vie réelle. Dans L’âge d’or, l’humour est très présent, ce qui est normal quand on sait que la base du scénario était une trentaine de situations-gags. En plus, il faut savoir que Buuel était un fan du burlesque américain, à l’humour qu’on a qualifié de slapstick. C’est celui de Laurel et Hardy et de Buster Keaton, « le visage de pierre ». Cet humour est basé sur des coups, des chutes, des tartes à la crème.
L’humour permet à Bunuel de prendre ses distances avec la société conservatrice et répressive qu’il dénonce, de manière à éviter d’en rester trop proche.
On retrouve dans L’âge d’or différents types d’humour :

  • l’humour slapstick du burlesque : par exemple, souvenez-vous des scènes où le couple se cogne la tête au moment de s’embrasser, où l’homme se cogne la tête au pot de fleurs en se relevant.

  • L’humour noir : le coup de pied au chien, l’agression de l’aveugle, le suicide-ascencion du ministre de l’Intérieur, le garde-chasse qui tue son fils sont dignes d’un film comme Bernie, pour ceux qui l’ont vu, ou de C’est arrivé près de chez vous pour les autres. Dans ce cas, l’humour naît de la froideur et du cynisme porté sur des situations a priori dramatiques.

  • L’humour peut également devenir irrévérencieux, comme dans les scènes de la gifle ou de l’évêque défenestré, puisque dans ces cas-là c’est la classe de la bourgeoisie ou du clergé que Buuel vise directement.

Vous souvenez-vous d’autres scènes marrantes ? (mouches sur le visage du marquis, vache sur le lit, charrette,…)



2. Le collage

Une autre technique surréaliste à l’œuvre dans L’âge d’or est la technique du collage.


Voici les différents collages, qui créent une impression de mosaïque :

  • la séquence sur les scorpions : cette séquence n’a pas été filmée par Buuel, mais celui-ci l’a reprise d’un documentaire plus vieux datant de l’époque du muet. Il l’a donc « collée » à son propre film, opérant donc un mélange des genres. A l’intérieur de cette séquence, il y a un autre collage : celui des intertitres, qui n’y étaient pas à l’origine. Buuel s’est inspiré des commentaires d’un scientifique de l’époque pour rajouter ces commentaires entomologistes.

  • Un autre collage, similaire au premier, est celui des images de Rome : celles-ci ont également été empruntées à un documentaire d’époque.

  • Dans cette séquence, il y a également le collage de la maison qui s’écroule : trois fois la même chose, donc collage de pellicule.

  • Lettre : autre collage

  • Un troisième collage est celui des images d’archives montrant la foule cassant un barrage policier lors de la discussion avec le ministre de l’Intérieur au téléphone.

  • Enfin, le dernier collage est celui de la dernière séquence, celle du château. En effet, les intertitres sont directement tirés de l’œuvre de Sade, Les 120 journées de Sodome.



3. Le rêve

Le rêve est bien présent, même si c’est beaucoup moins flagrant que dans Un chien andalou (dont le scénario, ne l’oublions pas, a été fait à partir de rêves). Ici, le rêve est présent à la fois dans le film et par le film.


Dans le film tout d’abord : à plusieurs reprises, on voit les amants rêver l’un à l’autre, comme lorsque l’homme rêve de la femme en voyant une photo de femme dans une vitrine. On voit également la femme rêver, notamment quand elle est devant son miroir. Dans cet exemple, d’une part on voit qu’elle rêve par le fait que la réalité s’efface au profit de l’imaginaire (son reflet dans le miroir s’efface au profit des nuages) et d’autre part on sait à quoi elle rêve en entendant les aboiements du chien qui est à côté de l’homme et non chez elle. L’imaginaire est dans cet extrait présenté comme omnipotent, tout puissant : il permet aux amants de se retrouver alors qu’ils sont physiquement séparés. La technique cinématographique permet donc à la surréalité d’advenir : ce qui semble inconciliable selon la logique cartésienne traditionnelle est ici réuni : les amants, bien qu’étant dans deux endroits différents, peuvent malgré tout se retrouver à l’aide du rêve.
Ensuite, le rêve est représenté par le film. Je m’explique : le film, dans sa construction même, évoque le rêve par les associations libres. Qui pourrait me dire le rapport entre l’épisode des bandits et celui de l’inauguration ? Ou le rapport entre cette inauguration et la ville de Rome ? Qui pourrait m’expliquer pourquoi à un moment on voit un homme se balader avec un pain sur la tête ? On ne sait pas : il n’y a aucune logique rationnelle qui nous permette d’interpréter ces faits.

4. La folie

La folie est un thème très présent dans L’âge d’or. Tout d’abord parce que les protagonistes principaux sont fous d’amour l’un pour l’autre. Ils ne cessent en effet de penser l’un à l’autre tout le temps que dure leur séparation. Cet amour fou n’est pas uniquement celui des protagonistes : c’est celui de toute une génération aux prises avec les interdits sociétaux. Cette généralisation est permise par le fait que le couple est totalement anonyme : on ne sait pas comment ils se prénomment, ni où ils habitent : ils sont à la fois l’archétype et l’emblème des couples qui s’aiment mais ne peuvent le faire ouvertement à cause du poids des convenances.


Cet amour fou est frustré par la censure venant de l’ordre social : alors que les amants voudraient pouvoir s’unir librement, la société les en empêche. La première fois que nous les voyons tous les deux, la société (représentée par tout ce contre quoi Buuel se bat : la bourgeoisie, les hommes d’Eglise et les militaires) arrive et les sépare, outrée de les voir se rouler dans la boue en faisant l’amour. Et la deuxième fois où ils sont ensemble, dans le jardin, leur amour est perturbé par l’arrivée du chef d’orchestre, qui symbolise à lui seul l’ordre bourgeois et la Loi, à travers l’image du père. Les protagonistes ne peuvent donc laisser libre cours à leurs envies à cause des interdits sociétaux, ce qui a pour conséquence de les frustrer.
Leur frustration est rendue visible de différentes manières. La première est de les montrer se pinçant les lèvres en pensant l’un à l’autre. Ce pincement de lèvre apparaît dès la séance d’ouverture et ponctue le film. La seconde façon de montrer leur frustration est de montrer une régression, comme lorsqu’ils sont séparés dans la boue. On voit alors la femme sur le toilettes, puis on voit ces toilettes avant d’entendre un bruit de chasse d’eau et de voir de la lave en fusion (symbole du désir) qui ressemble étrangement à des excréments. Cette scène montre une régression, un retour en arrière au stade anal. La troisième manière de montrer leur frustration est de faire allusion à l’onanisme : on voit la femme chipoter sous sa jupe couchée dans son divan, une nouvelle allusion est faite avec son doigt bandé, elle ne cesse de jouer avec ses doigts ou sa bague, se polit les ongles. Il ne s’agit que d’allusions plus ou moins directes. Enfin, la quatrième est de montrer leur fuite dans l’imaginaire.
La frustration a des conséquences destructrices concernant l’homme. Celui-ci y réagit violemment : il commence par donner un coup de pied au chien, avant d’écraser violemment un scarabée, de pousser violemment l’aveugle par terre, de gifler la mère de celle qu’il aime (qui en plus de l’empêcher de rejoindre sa promise a l’audace de le salir) et de finir par perdre tout contrôle en défenestrant tout ce qu’il trouve après que sa fiancée l’a quitté pour embrasser l’ordre bourgeois symbolisé par le chef d’orchestre.

Les théories de Freud, que Buuel avait lues, peuvent nous aider à expliquer cette folie destructrice de l’homme. On pourrait dire que cette violence est le résultat du conflit qu’il vit entre son ça et son surmoi, autrement dit entre ses pulsions sexuelles et les interdits sociétaux. Ces interdits que la société lui impose provoquent une frustration qui transforme ses pulsions de vie (Eros : tout ce qu’il désire est de forniquer avec sa belle) en pulsions de mort (Thanatos : il réagit par la violence destructrice). Ainsi, ce que Buuel sous-entend c’est que c’est la société et ses interdits qui rend cet homme fou furieux, ce qui est en accord avec le contexte d’après guerre : cette guerre est le résultat de cette société qui rend les hommes complètement fous, étant capables de provoquer une guerre aussi terrible que celle de 14-18.



5. La révolte (engagement anarchiste)

Puisque donc c’est la société bourgeoise qui rend le monde complètement fou, il faut donc en finir avec elle. Vous savez déjà qu’une des caractéristiques du mouvement surréaliste est, depuis 1929, l’engagement politique. Je vous ai expliqué que Buuel était un anarchiste, je vais maintenant vous montrer pourquoi ce film constitue un appel graduel à la révolte contre la société bourgeoise judéo-chrétienne accusée d’être responsable de la guerre.


Montre que la société rend fou à cause des interdits.

Montre que cette société bourgeoise est égoïste (se moque de ce qui ne la concerne pas : ne réagit pas à la domestique qui a pris feu dans la cuisine, se moque de la charrette traversant le salon avec des ouvriers)

Se moque de ses idéaux : Patrie (scène récitation bienfaisance), Famille (gifle de la marquise = gifle de la Famille, « quelle joie d’avoir assassiné ses enfants »), Religion (évêques qui marmonnent puis squelettes au même endroit, défenestration évêque, Blangis/Christ) et Travail (défenestration du socle de charrue).

Rejette donc cette société égoïste dont les fondements limitent la liberté de l’homme en imposant un ordre tyrannique.



6. Un film d’avant-garde


Comme en littérature, le cinéma surréaliste va opérer un rejet des règles classiques. Pour percevoir ces bouleversements, il faut d’abord que je vous explique quelles sont ces règles que devaient respecter les cinéastes de l’époque qui voulaient faire un film de fiction.
La première chose est qu’à l’époque on ne mélange pas les genres : soit on fait du cinéma documentaire, soit on fait du cinéma de fiction, mais pas les deux. D’où le choc ressenti par les spectateurs lors de la première séquence, celle des scorpions : ils s’attendaient à un film de fiction, mais ce film commence comme un documentaire ! Et dure pendant 5 minutes…
Voyons maintenant les règles du cinéma narratif, donc de fiction, classique.

La caractéristique principale du cinéma classique est de se servir de l’illusion réaliste que provoque le 7e art : en voyant un film, nous avons tous une tendance plus ou moins forte à oublier que ce n’est qu’une représentation du monde et non la réalité. Le cinéma classique va tout mettre en œuvre pour renforcer cette tendance et nous donner l’illusion que ce qu’on voit à l’écran est réel, alors que ce n’est qu’une représentation subjective de ce réel. C’est cet aspect que Magritte va dénoncer dans son tableau La trahison des images : ceci n’est pas une pipe. Notre réaction est : « ben si, c’est une pipe !». Ben non : ce n’est qu’une représentation, et non pas l’objet lui-même.


Un cinéma rationnel
Globalement, le cinéma classique est le cinéma de la raison. Il tend à éclairer le monde, à l’organiser, à le rendre intelligible, autrement dit à lui donner du sens. Il donne donc l’image d’un monde où tout est rationnel, compréhensible, où cause et effets sont étroitement liés. Pourtant ce n’est qu’une illusion car le monde qui nous est donné à voir dans les films n’est jamais qu’une représentation subjective de ce monde et non le monde lui-même. Cette représentation subjective est celle du scénariste, qui est le dieu de son film : c’est lui qui décide quels seront les personnages, quel sera leur passé et leur caractère, quelles aventures ils vivront et quelle fin ils connaîtront dans le film. Le film ne fait donc que divulguer ce sens établi préalablement et subjectivement. Dans les films classiques, chaque événement a un sens, rien n’est laissé au hasard : absolument tout répond à la logique rationnelle.
Or ces ambitions du cinéma classique de nous donner à voir un monde régit par la logique cartésienne sont à l’opposé de celles des surréalistes. Ceux-ci au contraire veulent montrer que la réalité ne peut être réduite à cette logique rationnelle : comme la séquence d’introduction d’Un chien andalou voulait nous le faire comprendre, il existe une autre réalité, une autre logique : celle de l’inconscient. Ca n’a l’air de rien comme ça, mais la découverte de cette partie de nous-mêmes est révolutionnaire pour l’époque : les gens pensaient pouvoir tout maîtriser grâce à leur intelligence, mais depuis Freud on sait qu’on ne peut pas tout contrôler. La représentation du monde dans les films surréalistes ne sera donc pas celle d’un monde où tout est compréhensible, mais au contraire celle d’un monde où certains éléments ne relèvent pas de cette logique cartésienne. Le monde des films surréalistes est un monde où les opposés cessent d’être contradictoires, où le passé côtoie le futur, où le réel et l’imaginaire sont sur le même pied.
Au niveau filmique :
Le cinéma classique va tout mettre en œuvre pour que le spectateur oublie qu’il est devant une représentation du monde. Il va donc renforcer l’impression de réalité propre à la photographie animée. Les traits du cinéma narratif classique sont les suivants :

  • Vraisemblance avec le monde réel

  • Continuité de la narration : il y a une histoire, et tout se suit logiquement

  • Logique de causalité, de cause à effet : les personnages doivent réagir à des situations (d’où l’importance de l’action dans ces films)

  • Absence de temps mort : il est toujours en train de se passer quelque chose

  • Sens du film donné au spectateur

Toutes ces caractéristiques visent donc à faire oublier le spectateur qu’il est non pas devant le monde réel mais devant une œuvre de fiction.

7. Le culte de la femme


Les surréalistes vouaient un véritable culte aux représentantes du sexe dit faible, qui étaient pour eux objets de dévotion.

Ici, un culte est rendu à la femme en tant qu’ »objet de consommation » : le seul désir de l’homme semble être de la posséder physiquement. D’où les multiples allusions à l’activité sexuelle qui parsèment le film (scène de la boue, dans le jardin : doigts, vont par terre, allusion à la fellation). Ce qui a bien évidemment joué dans la censure du film : à l’époque, le sexe était un sujet tabou : on passait cette réalité sous silence.







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