Ana səhifə

Un entretien avec Michel Houellebecq «Je suis un prophète amateur»


Yüklə 30.5 Kb.
tarix25.06.2016
ölçüsü30.5 Kb.
Un entretien avec Michel Houellebecq

«Je suis un prophète amateur»

Comme Daniel1, son personnage principal, l’auteur de «la Possibilité d’une île» explique comment et pourquoi c’est «l’idée d’immortalité» qui l’a attiré vers la secte des raéliens



Le Nouvel Observateur. – Il y a deux ans, vous avez défrayé la chronique en participant à un congrès de la secte des raéliens, en posant pour la photo avec le gourou Claude Vorilhon et en plaidant pour le clonage. Cette rencontre est-elle à l’origine de «la Possibilité d’une île»?
Michel Houellebecq. – Non, pas du tout. Après «Plateforme», je m’étais lancé dans un livre dont j’ai déjà écrit 60 pages, mais auquel je n’ai fixé d’autre deadline que ma propre mort: il s’agit d’un long commentaire des textes de Schopenhauer que, dans le même temps, je retraduis. J’ai laissé ce travail de côté pour commencer ce roman lorsque j’ai rencontré à Berlin la journaliste allemande Harriet Wolff dans les circonstances exactes relatées à la première page du livre. Elle était venue m’interviewer, mais avant de poser ses questions elle m’a raconté une fable dans laquelle elle m’imagine enfermé dans une cabine téléphonique après la fin du monde. Je téléphone, mais on ne sait pas si je parle à des survivants ou si je monologue. Le voilà, le vrai point de départ de «la Possibilité d’une île». La vie éternelle dans une cabine téléphonique…
N. O. – Le roman présente pour l’essentiel l’autobiographie d’un humoriste d’aujourd’hui, Daniel 1, laquelle est entrecoupée d’autres récits autobiographiques, ceux qu’ont rédigé jusqu’au xxiiie siècle les clones successifs de Daniel. Avez-vous écrit le livre de manière continue ou avez-vous intercalé après coup les témoignages des néo-humains dans celui de Daniel1?
M. Houllebecq. – J’ai écrit le roman dans l’ordre exact où il se présente à vos yeux. Je n’ai eu aucune difficulté à me glisser dans la peau et l’esprit de Daniel24 ou de Daniel25, sans doute parce que j’habitais alors en Espagne, le plus souvent seul avec mon chien, dans une résidence privée, protégée et située dans une station balnéaire hors saison. J’avais vraiment le sentiment étrange d’être coupé du monde, de vivre la situation de science-fiction que je décris dans le livre. Quand je quittais la résidence, c’était pour rouler sans fin sur l’autoroute. J’avais quitté le monde des humains. Pendant deux ans, je n’ai fait qu’écrire ce livre, surtout la nuit et le matin, sans rien faire d’autre. A deux exceptions près: une préface à la «Théorie générale de la religion», d’Auguste Comte (Mille et Une Nuits, 2005) et un compte-rendu du Festival de Bayreuth pour un journal allemand.
N. O. – Le récit de Daniel1 débute ainsi: «Comme ils restent présents à ma mémoire, les premiers instants de ma vocation de bouffon!» Si je vous dis que cet antipathique humoriste de gauche est un personnage très houellebecquien, que répondez-vous?
M. Houellebecq. – L’homme est moralement moyen, intellectuellement un peu supérieur à la moyenne, et d’une grande honnêteté, d’une grande franchise. Il ressemble en effet aux anti-héros de mes romans précédents. Il est très sombre et il fait rire. Il fait d’autant plus rire qu’il est sombre. Lorsque j’ai réalisé «la Rivière», un court métrage pour Canal+, j’ai fait appel à un directeur de casting qui avait travaillé sur la série des «Gendarmes». Je lui avais aussitôt demandé de me parler de mon idole absolue au cinéma qu’est Louis de Funès. Avec une gravité inhabituelle chez lui, il m’avait parlé de l’immense tristesse qui, parfois, saisissait de Funès. La méditation sur cette fameuse «tristesse des comiques» m’a beaucoup aidé à construire la psychologie de Daniel1.
N. O. – La vie de Daniel bascule le jour où il découvre la secte où l’on vénère et attend le retour des Elohim. Pourquoi n’appelez-vous jamais, dans votre roman, la secte par son nom, celle des raéliens?
M. Houellebecq. – Ce n’est pas, comme vous le sous-entendez, par peur des procès. C’est simplement que le mot raélien met trop l’accent sur le prophète alors que celui d’élohimite met l’accent sur la divinité qu’ils attendent.
N. O. – Comment s’est passée votre propre initiation?
M. Houellebecq. – Je m’étais à l’époque documenté sur la plupart des sectes. J’ai choisi finalement celle qui me paraissait la plus intelligente. Je sais qu’avec elle il n’y aura ni suicide collectif ni détournement d’argent. Elle est adaptée aux temps modernes, à la civilisation des loisirs, elle n’impose aucune contrainte morale et surtout elle promet l’immortalité. C’est cette idée d’immortalité qui m’a attiré vers les raéliens. Je n’ai jamais aimé la manière méprisante et suspicieuse dont, en France, on parle des sectes. Et j’ai toujours pensé que la phrase banale selon laquelle la religion est une secte qui a réussi correspond simplement à la vérité. J’avais donc besoin d’aller voir de plus près, de l’intérieur, ce qu’est une secte.
N. O. – Et comment les raéliens vous ont-ils accueilli?
M. Houellebecq. – Ils avaient conscience du danger. Mais, depuis «Lanzarote», ils savaient que je ne leur étais pas hostile. Ils ont donc pris le risque de m’accueillir et de me parler sans rien cacher. J’ai découvert la secte lors d’un stage d’été en Slovénie. Ensuite, je suis allé à une manifestation à Crans-Montana au cours de laquelle, d’ailleurs, «le Monde» a retrouvé ma trace et a suggéré que je pouvais être un adepte du gourou Raël. Ce qui est faux: je le trouve seulement sympathique. Et pour un fan de SF comme moi, ses idées sont intéressantes. Cette initiation, je la raconte dans «la Possibilité d’une île», mais à ma manière. Je suis du genre expressionniste: ce que j’ai vécu, je le relate en accentuant les contrastes et en grossissant les traits. La vie sexuelle du prophète, par exemple, est beaucoup moins débridée que je ne le dis…
N. O. – Depuis «Plateforme» et la description que vous y faites d’un attentat islamiste en Asie, on a fait de vous une sorte de voyant. Cette fois, vous prédisez la mort des grands monothéismes et le triomphe de la secte des raéliens…
M. Houellebecq. – C’est une conviction que je tire d’une simple expérience personnelle. Pendant deux années, j’ai vécu à cheval entre deux pays naguère très catholiques, l’Irlande et l’Espagne. J’y ai assisté, médusé, à l’écroulement brutal de la religion. C’est comme si les Irlandais et les Espagnols oubliaient leur civilisation originelle. La tradition catholique a totalement disparu. De la même manière, je suis sûr que l’islamisme, actuellement très en vogue chez les jeunes, disparaîtra lui aussi. De la religion musulmane, comme du mouvement punk, il ne restera rien de plus qu’une esthétique. Si, en revanche, je ne parle guère du judaïsme, c’est que je le connais mal. C’est une religion plus tribale, elle a un peu plus de chances de persister. Elle s’adresse à un peuple, une communauté, pas au monde entier. Cela dit, on a tort de lire mes romans comme autant de prédictions. On ne mesure pas, en effet, combien j’aime à me comporter en prophète amateur. Cela m’amuse autant que d’écrire de faux scénarios de films. Ce qui m’intéresse, au fond, ça n’est pas d’envisager l’avenir, c’est l’écriture. J’accorde plus de prix à la qualité de mes textes qu’à la validité de mes intuitions.
N. O. – Mais vos intuitions sont fondées sur une recherche scientifique dont on sent bien qu’elle vous passionne...
M. Houellebecq. – C’est vrai, je travaille beaucoup ce qui, dans mes livres, relève de la science. J’ai beaucoup lu sur le clonage, sur la fabrication d’un être humain à l’identique. Je pense qu’on pourra un jour créer directement un néo-humain adulte, c’est-à-dire de 18 ans, à partir du schéma fourni par l’ADN. Mais je m’interroge sur la reproduction de la personnalité, qui est encore hypothétique. C’est ça aussi qui m’intéresse chez les raéliens. Ils parlent de moins en moins des Elohim et de plus en plus de leurs projets scientifiques. Même si, parfois, ils en font trop. Je doute qu’ils aient réussi cette expérience de clonage dont ils se sont récemment vantés...
N. O. – Votre engagement en faveur d’une secte jugée dangereuse va susciter à nouveau une polémique...
M. Houellebecq. – Non, je ne pense pas. Je suis même assez optimiste. Il y a quelques mois, en pianotant sur internet, je suis tombé par hasard sur les débats qui ont entouré la sortie de «Pogrom», le livre d’Eric Bénier-Bürckel. On interrogeait les gens en leur rappelant «l’affaire Houellebecq», et la plupart répondaient: Bénier-Bürckel n’est qu’un provocateur, ce n’est pas un authentique écrivain comme Houellebecq. Or, il y a sept ans, on disait: Houellebecq n’est qu’un provocateur, ce n’est pas un authentique écrivain comme Céline. Et je me suis dit: ouf, ça y est, j’entre dans la catégorie des classiques inoffensifs. Il me semble qu’on est en train de se lasser de moi comme sujet de polémique. Ce qui compte, c’est le style. Et j’aime vraiment «la Possibilité d’une île». Je crois que c’est mon meilleur roman. Il y a un signe qui ne trompe pas. Quand je relis des pages à haute voix, j’en suis content. Pour la première fois, j’ai réussi ici à intégrer de la poésie au milieu de la prose. Ça fait sens. Je suis satisfait de ce livre, comment dire, physiquement.
N. O. – Où vivez-vous aujourd’hui?
M. Houellebecq. – Je vis toujours en Irlande. Mais je vais acheter quelque chose en Espagne. J’en ai un peu marre du monde anglo-saxon. Je ne suis presque jamais à Paris. Paris ne me manque pas. Sans doute parce que je n’y suis pas né.
N. O. – Votre roman est publié simultanément en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. A quoi tient que vous captiviez tant les étrangers?
M. Houellebecq. – J’ai maintes fois constaté que les étrangers continuent en littérature et après des décennies de déceptions à attendre quelque chose de la France. Tant pis si ma réponse n’est pas modeste, mais chaque fois que je rencontre des lecteurs de ces pays-là, jusqu’aux Pays-Bas, le pays où je vends le plus de livres par rapport à la population, on me parle de Sartre et de Camus. Il faut croire que je m’inscris dans la tradition des écrivains français qui posent des questions au monde d’aujourd’hui et ne renient pas la narration balzacienne. Fin octobre, j’assisterai même à Edimbourg à un colloque universitaire sur mon œuvre. Les Anglais sont fascinés par les sciences, et je vois bien que, sur «la Possibilité d’une île», traducteurs et éditeurs me demandent déjà des commentaires d’ordre épistémologique. C’est, me disent-ils, le livre qu’ils attendaient de moi. L’Extrême-Orient en revanche reste imperméable à ce que j’écris.
N. O. – Pourquoi, au détour de quelques pages de votre roman, cette haine envers André Breton et Michel Onfray?
M. Houellebecq. – Je n’aime pas le surréalisme, que je trouve être un mouvement publicitaire. Ni la personnalité de Breton. Je reconnais pourtant une grande beauté à son poème, «l’Amour libre», dont la RATP avait fait une affiche, mais j’aime aussi le graffiti que j’ai lu sur cette affiche: «Au lieu de vos poésies à la con, vous feriez mieux de nous mettre des rames aux heures de pointe.» En général, pour écrire un bon poème, il ne faut pas chercher à être trop intelligent… Quant à Michel Onfray, je n’ai pas attendu son «Traité d’athéologie» pour être allergique à cet indigent graphomane. Il faut être un crétin pour se définir comme un nietzschéen de gauche. Dans le roman, la production du film de mon héros a raison de préférer Jean-Pierre Marielle. Lui au moins, c’est un vrai comédien.
N. O. – Qu’avez-vous lu pendant que vous écriviez «la Possibilité d’une île»?
M. Houellebecq. – Les romans d’Agatha Christie, bien sûr, mais aussi une trilogie de Jeffrey Ford, «Memoranda», «l’Au-delà» et «Physiognomy», c’est de l’excellente SF. Parmi mes contemporains français, j’aime bien Maurice G. Dantec et puis Michka Assayas, dont une phrase d’«Exhibition» me trotte toujours dans la tête plusieurs années après: «Il se tenait sur le divan comme un tas de couvertures ayant pris par hasard forme humaine…»
N. O. – Votre état d’esprit à l’heure où nous parlons?
M. Houellebecq. – Une grande sérénité. Peu de doutes. Et un sens moral de plus en plus aigu. Finalement, je suis un romancier kantien.

Jérôme Garcin 


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət