Et doucement les cercles se resserrent
Jusqu’à la pointe au mouvoir d’une main
Laissant comme d’un souffle sur du verre
La buée d’une caresse sur ton sein
Ou sur ton ventre en sa flamme liquide
Bras et jambes regards enchevêtrés
Piégeant le temps et lui passant la bride
Pour qu’il s’arrête et qu’il aille à ton gré
Et nous porte jusqu’aux rives lointaines
Où nous rêvons d’un plus proche pays
Voleurs de feu aux lampes qui s’éteignent
D’ici venus sans doute et loin d’ici
Et de retour après d’autres errances
Pour nous reperdre et prendre à corps perdus
L’un de l’autre l’écho dans le silence
Des pas sur tant de routes confondus
Heureux amants dont il reste le calque
Sur fond de nuit quand la nuit tourne court
Le souvenir ambré d’amande et d’algue
Ombres déjà cherchant forme et contour
Dans la grisaille où s’esquisse une épaule
Chaque part de ton corps oeil ou toison
Le dur tétin sur sa douce aréole
Promet au jour sa part de déraison
Et tu te lèves haute et taciturne
De ton pas svelte impossible à saisir
Et tu gardes ton sourire nocturne
Sur ta bouche qui est songe et désir
François Hirsch, formerly UNOG
QUATRES IMAGES QUICHOTTESQUES
à l'occasion d'un quatre-centième anniversaire
I
La moustache hérisée
le regard enfiévré
et l'esprit dévoré
par ses folles lectures,
Alonso Quijano
bravait tous les obstacles
qui parsemaient la route
où ses pas l'amenaient
à défendre l'honneur
et les causes perdues.
II
Les moulins à vent
transformés en géants
dans l'imagination
du rêveur tourmenté
par les combats guerriers
évoqués dans ses livres
marquaient à leur manière
le début des exploits
toujours inattendus
de l'ardent manchego
désireux de laisser
à la postérité
l'image du héros
audacieux et vainqueur
qu'il souhaitait devenir.
III
La Dame de ses pensées,
sa très chère Dulcinée,
ne cessait pas d'habiter
l'esprit du bon hidalgo
prêt à tout lui sacrifier
en utilisant Sancho
lequel pourtant hésitait
malgré tout son dévouement
à flageller ses pauvres côtes
pour désenchanter son maître.
IV
Maese Pedro, la bonne idée
que n'avoir pas freiné le jeune Trujáman
dans son désir de montrer son savoir
malgré tout le danger auquel il s'exposait
par le fait d'encourir à coup sûr la vindicte
du Chevalier Errant.
Ton attitude, Maese Pedro,
nous vaut, outre l'intervention
du Redresseur de torts,
l'irruption quelques siècles plus tard,
de Falla au plus haut se son art...
Roger Prevel (OMT, UIOOT, BIT )
AVEC VIVALDI
Album aux pages colorées, quatre saisons...
Et dans les demeurs du coeur
où leur défilé se prolonge
s'accrochera ton souvenir, ô Vivaldi !
Car tu rêvais d'aurore, de ciels neufs, de soleils,
de printemps pleins de chants d'oiseaux,
d'arbres d'été tout languissants
sous l'immense baiser des midis dévorants,
de rires éclatants au long des vignes folles,
automnes tout marqués de rouille,
et du givre des solitudes,
hivers où les frimas envahissent notre être.
Mais pensais-tu transfigurer le temps
pour la durée d'un concerto ?...
AVEC BACH
L'air était tout plein des arpèges
du clavier où il égrenait
des notes porteuses d'espoir.
La mélodie du vent nocturne
accompagnait ce chant doré
d'une ferveur perpétuelle.
Se refusant à ces images
que suggère le faux lyrisme
des élans sans vraie profondeur
et sans cesse maître des formes,
il rendait grâce au Créateur
en inventant sans nul effort
des accords clamant Sa louange,
des rythmes vibrant de ferveur.
AVEC BEETHOVEN
Le drame l'habitait.
Il ne pouvait se conformer aux vieilles règles
qui inspirèrent aux bon maîtres du passé
le respect du bien-dire
et la solennité cadencée du discours.
La destinée de l'homme
hantait l'ardente nuit du sourd qui se cherchait
en un silence lourd de luttes pathétiques
que dans sa solitude
il évoquait en notes d'ombre et de lumière.
Le combat qu'il mena
pour assurer jusqu'à la fin
sa délivrance
l'a sauvé de lui-même,
l'ayant conduit par la souffrance vers la joie.
AVEC DEBUSSY
Nour n'irons plus au bois,
le songe n'est plus là.
Brumes mélisandiennes, tissez votre rideau
sur l'automne doré, laissez le vent d'Ouest
déchirer les jardins
tout transis sous la pluie.
Fille aux cheveux de lin, entends-tu le vieux faune
convoquer de sa flûte un pouvoir aboli ?
Une fête s'exalte
par sa lèvre ébruitée...
Tout près de sa fenêtre oû le ciel s'obscurcit
un musicien pensif reconstitue la mer,
pleine d'îles joyeuses
battues de vagues bleues, qui le trouble à jamais.
Roger Prevel (OMT, UIOOT, BIT)
PETITE CAUSE
Il se hissa
sur la pointe des pieds
vers un bouton
très haut placé
le bouton
des piétons
Les camions s'arrêtèrent
les autobus stoppèrent
les bolides s'immobilisèrent
la houle des voitures de figea
et dans cet énorme fracas
on vit traverser
sans se presser
un tout petit bonhomme
haut comme trois pommes
PASSAGE
Etait-ce l'autorité nouvelle
de son port de tête
ou du ton de sa voix?
Ou bien était-ce un reflet pâle
entrevu dans ses cheveux châtains?
Ce matin
avait-elle souri
de l'air de ceux
qui parfois pleurent?
Ou bien encore
plus simplement
avait-elle oublié
de se faire belle?
Toujours est-il
que ce jour-là
le receveur de l'autobus
l'appela Madame
Jacqueline Forget, formerlyWHO
LIMBES
Cette eau salée qui m'entoure
et qui s'insinue en moi
comme un élixir puissant
je la connais
Chaque brasse est une retrouvaille
chaque respiration
une naissance
Je suis la mer
et mon corps délié
de son contour
s'étire et se ploie
comme les ondes
Parfois j'en ris de joie
Mais le plus souvent
je suis en proie
à cet état second
où toutes sensations
se fondent
hormis la conscience profonde
qu'au début, au -dedans
et jusqu'à la fin des temps
cet élément est le mien
Jacqueline Forget, formerly WHO
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