Petit divertissement
Gisant dessus la langue à l'heure du naufrage,
Trois héros presque morts d'un élan amoureux
Clament leurs grands mérites avec l'ultime rage,
Trois héros, dis-je, un cil, un poil et un cheveu.
Qui mieux, dit le premier, que l'agile paupière
Papillote à demi en battements royaux,
Voilette de velours sur des feux de rivière,
Pour décocher au coeur un éclat de joyau!
Seule, dit le troisième, l'ardente crinière,
Tel un rosaire offert au souffle de Zéphyr,
Sait noyer les prunelles de flots de lumière,
Ses mèches déployées en trémails à ravir!
Le cil et le cheveu se toisant de bien haut
Ignoraient le second, ce délétère crin,
Certains que les attraits n'ont que faire d'un mot
Dont nul n'ose au salon vous rappeler l'écrin.
Le poil prend la parole, l'effet de manche est ample:
« Holà, Nobles Pileux, votre esprit déraisonne,
Vous êtes l’avant-garde, et moi, gardien du temple,
Je fais l’événement dont tout l’être résonne ;
Quand vos accroche-coeur n'accrochent que chimères,
On me fait révérence en déposant couronne ;
Quand vos œillades virent en larmes amères,
A ma racine on prie et d’extase ronronne ;
Si dessus cette langue ensemble nous voilà,
De mauvais soins, Messires, vous êtes à l’agonie ;
Mon triomphe de poil : quitter les entrelacs
Sous le joug de l’amour et de sa tyrannie !»
Cymper de Belménir (nom de plume), UNOG
MICKAEL COLLINS, 1916
L'Irlande juvénile et frêle lui donna la vie.
Un charme d'enfant ballotté par l'esprit du vent,
fidèle à sa posture,
vêtu d'un uniforme kaki,
mais où est-il ?
On dit que le soleil et la lune ont vu le révolutionnaire.
C'est peut-être ce saumon ?
C'est peut-être ce cygne ?
C'est peut-être aussi le Gulf Stream ?
Dans un souffle d’étoile,
il puisa le feu sacré,
alimenta les braises de la résistance,
et brisa les chaînes de l'animal qui ne pouvait s'élever de cette prairie inondée.
Un homme est mort !
Cessons de jouer du violon car notre patrie est en deuil,
cessez de boire vos pintes d'espoir au-dessus du Ouest Cork,
l’Homme est mort.
Par-delà les rêves éveillés et les nuits blanches,
accompagné de tourbe enflammée,
les rues de Dublin s’illuminèrent
et son cœur transperça les verrous de la nuit,
la peau de l’esclave s’assombrit,
la toile d’araignée devint transparence ;
dans son sillage les vagues du Shannon et de l’Atlantique l’allaitent en chœur.
Jour et nuit,
sa bouche généreuse délivre les cerfs-volants célestes,
sa parole enflamme les terres noires de Kildare et Tullamore,
il manie les nuages,
extirpe soleil et pierres,
perfore le brouillard,
danse avec les cheveux des méduses,
chante la complainte des anges amers.
Nuit et jour,
une pluie de fantômes, libre
et harmonieuse s’abat sur la citadelle fanée,
sous les éclairs de l’artillerie,
le sacrifice de la rose déverse son sang sur le costume
de la prostituée devenue maîtresse,
histoire de fleur noyée dans son bain d’arômes.
Le chemin inachevé ligota la feuille errante,
calomniée, fustigée, pourchassée mais vivante,
paysage déchiré à la peau fatiguée,
morceau d’étoffe déchiqueté par les hurlements de l’anarchie,
devant la foudre et les silences,
la voix devint le dessin d’un avenir en fût de chêne.
Moisson après saison,
révolte après récolte,
le peuple lui ouvrit ses bras divisés,
la semence astrale s’envola entre des corps invisibles,
la route était tracée…
De la violence des tempêtes,
jusqu'à ces lieux barbares
où la sentence finale était prononcée par l’architecture de la ronce,
chaque note ajuste le compositeur à sa symphonie.
L'île d'Émeraude est un paradigme enchanté,
souffle volcanique
ou larmes de parapluie,
volute boréale des demeures humiliées,
baiser humide sur le masque bleu du Lough Neagh,
champ d'or desséché par les rayons du soleil,
paille oubliée dans le verre de l'Angleterre,
pureté du blé dans la cage de l’oiseau solitaire.
Le guide d'une nation devint le grain qui devient orge,
puis retourne à la terre,
la plante rassemble ses racines,
de s'unir elle renaît et devient forêt.
Mon garçon apaise ta colère ;
le peuple gouverne la hauteur de sa destinée,
nécessitant parfois la voix de la sagesse humiliée.
L’oiseau migrant seul traverse le ciel d’orage,
sur son échiquier verdoyant,
il s’est sacrifié,
pleurez-le enfants, pleurez !
Que vos larmes nourrissent le terreau de l’humanité abandonnée,
désert de cris et de douleurs qu’il aima jusqu’à l’obscurité étoilée.
Pleurez-le guerriers farouches, pleurez !
Mais n'oubliez pas que l'esprit du disparu vit
dans la mémoire du vivant,
mais où est-il ?
On dit que les montagnes et les lacs ont vu le révolutionnaire.
C’est peut-être ce cerf ?
C’est peut-être ce cheval blanc ?
C’est peut-être aussi ce Trèfle ?
L'Irlande femme et puissante lui donna la vie.
Nicolas Emilien Rozeau, UNOG
LES QUATRES SAISONS
Dans l'obscurité
froide, brume d'automne, un merle tremble
sur son nid d'argent.
Le jour
timide se cache.
Les heures hivernales s'enchainent
comme un collier de perles
dans une coulée
de neige.
Déjà
les crocus lèvent
leurs bâtons. On entend les
premières notes de la pierre
qui chante.
Le cerisier
pointillé de rouge
embrasse le soleil
couchant.
Gabriel Galland & Karin Kaminker, UNOG
PATRICIA
A ras de ciel une aile sur la terre
Humain visage et pourtant sans pareil
Bête prompte à bondir biche légère
Rien qu’envol et foulée à ton réveil
Les jours non plus ne pèsent rien tes lèvres
Entrouvertes encloses sur le cri
Disent qu’il n’est de course que de fièvre
Que mouvement rompu sitôt repris
Tes doigts bougent tes doigts d’ongle et de soie
Rien qu’à les effleurer l’air devient bleu
Griffent la peau et les minutes broient
Sans bruit sous leur brûlure et de tes yeux
Jaillit l’éclair avide du rapace
Dans l’éblouissement de la hauteur
Toi l’arche d’un pont jeté sur l’espace
Partir surgi ni d’ici ni d’ailleurs
Au creux des lits défaits les fleurs marines
Flambent en se froissant dans les draps frais
Quelle déchirure dans la poitrine
Pour l’un à l’autre advenir en secret
L’un à l’autre dans un seul paysage
Jusqu’au matin et jusqu’au soir reclus
Rien que neiges et roches pour langage
Qu’une houle en son flux et reflux
Belle gisante on dirait une palme
Immobile et le monde que peut-il
Si des vivants dérivent dans les calmes
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