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2.2 L’Aprosoma contre l’indépendance
Bien avant les meetings de l’Unar de septembre 1959 contre lesquels va s’insurger la parti Aprosoma, M. Gitera, chef de ce parti, avait publiquement pris position contre les idées indépendantistes des milieux dirigeants tutsi. Il avait aussi affiché officiellement son attachement au pouvoir tutélaire dont il prenait les représentants belges en amitié. Les milieux dirigeants tutsi ne sentaient pas Gitera qu’ils prenaient pour un «bourge» anti-Kalinga, anti-Mwami. Son tapage pro-hutu agaçait aussi ces mêmes dirigeant qui vouaient à Gitera quelques solides inimitiés. Gitera en avait même reçu des menaces. Un tract signé d’Abatabazi b’u Rwanda avait mis en collimateur Gitera et l’Aprosoma. On avait juré sa perte. Le tract disait explicitement : « Aprosoma irwanya Kalinga izatsindwa n’imbaga y’inyabutatu. Aprosoma yanga u Rwanda n’Umwami warwo izatsindwa. Aprosoma yanga u Rwanda rwitegeka izatsindwa. Aprosoma ishaka kuduheza mu buja, izabuheramo. Gitera watorewe kwanga u Rwanda, Gitera wagize ngo yanga ubwami mu Rwanda,Gitera ngo wanga ko twitegeka mu Rwanda, Iyo migozi yarusasiye, Izarumuhambiriza,… »(11).
A ce tract menaçant, Gitera prend peur et lance un cri d’alarme pathétique au Ministre belge du Congo belge et du Ruanda-Urundi lors de son passage à Usumbura le 15juin 1959. Il lui envoie une lettre dénonçant ce tract et les menaces pesant sur lui. A travers ce Ministre, c’est à tous les Belges qu’il s’adresse comme à ses frères. Il écrit en ces termes : «…Ici le parti social hutu-Aprosoma, nous sommes véritablement émus. La gravité de la situation nous oblige de faire un urgent et dernier appel au peuple belge de Belgique et d’Afrique. Nous le faisons sous le couvent de M. Van Hemerijck, Ministre du Congo-belge et du Ruanda-Urundi en l’en priant de daigner vouloir accepter d’être notre fidèle interprète auprès du peuple belge et de son roi. La société hutu, environ 1 million et demi de la population du Ruanda-Urundi, nous languissons depuis des siècles sous l’esclavagisme. Maintenant que plusieurs leaders pour la promotion de la masse rwandaise ont eu le courage d’exprimer publiquement la volonté du peuple rwandais et que l’administration belge pense remédier à cette triste réalité, les seigneurs tutsi par tous les moyens bons et mouvais font régner la terreur pour entraver toute liberté d’action et de parole… Ils sont les premiers à lancer des tracts subversifs réclamant notre mort. Ils ne ménagent rien pour y réussir sûrement : indépendance, autonomie interne, monopole scolaire, tout est mis en branle. Frères belges, aidez-nous. Frères belges, ne nous abandonnez pas maintenant que grâce à la Belgique, nous entrevoyons notre liberté. Nous luttons pour la démocratie, la même pour laquelle la Belgique a sacrifié des millions de ses enfants. Frères belges, aidez-nous sans trop tarder et sans trop tergiverser. Cette lutte nous est trop dure. Surtout elle à armes inégales. Rudahigwa et sa caste tutsi sont trop puissants. Ils sont plus en forme que nous. Si vous nous lâchez, déclarez-le-nous franchement et sans tarder »…(2).
Voilà : c’est pathétique et dramatique. La Belgique et les Belges ne répondront pas immédiatement mais Gitera ne perdra pas l’espoir. Le secours ne viendra qu’avec l’arrivée du Col. Logiest en novembre 1959 : trois mois après l’appel lancé par Gitera. Entre-temps la situation aura vite évolué. Après le premier meeting de l’Unar, à Kigali le 13.09.1959, il tiendra un autre meeting à Butare le 20 septembre de la même année. Butare est le siège symbolique du parti Aprosoma. Le meeting de l’Unar au siège de l’Aprosoma embête beaucoup Gitera.il essaie de le contrecarrer mais en vain. Il décide alors de contre-attaquer et organise un contre-meeting le dimanche du 27.09.59 sous le signe de la « Libération de Hutu à l’égard de l’esclavagisme séculaire tutsi au Rwanda »(13). C’est un véritable meeting de colère où Gitera et ses partisans se déchaînent et dénoncent à la fois l’Unar, indépendance, l’autonomie interne, l’unité nationale et les Tutsi. Tout y passe. Gitera commence par remontrer l’histoire. Il prétend que le Rwanda est l’œuvre exclusive de Gahutu ait créé le Rwanda ou y serait arrivé le premier mais parce que, dit-il, Gahutu aurait viabilisé, humanisé et valorisé le Rwanda par son travail de labour. Gitera charge les Tutsi de tous les crimes, principalement ceux d’avoir mis é mort les roitelets hutu dans le processus d’unification du pays et de création de l’Etat-Nation. Il invite tous les Hutu à s’unir pour venger ces morts en écrasant Gatutsi, en l’étouffant : «Nimuhuze umuhigo, musabanye amaboko, mwubake u Rwanda, muhoberane, muhombanye Gatutsi, abure umwuka ».
Pour enlever toute hésitation aux Hutu, Gitera déshumanise les Tutsi qu’il traite de tous les noms : Ibirura (loups), Ababisha (méchants), Abanzi (ennemis). Il conclut en affirmant que tout le Rwanda les déteste. Il leur prédit une mort prochaine par ce que la vengeance de Gahutu est inexorable. « Muratarataza ayubusa mugiye guhorwa », fulmine-t-il. Gitera dénonce ensuite l’indépendance qu’il considère comme une manière détournée et déguisée, en somme comme une ruse des Tutsi, pour rasseoir un système d’exploitation de Gahutu par Gatutsi. Il présente l’indépendance comme synonyme de la chasse au Blanc et de la réintroduction du système de corvées, d’exploitation et de tyrannie de Gatutsi : «Batutsi ba Gatutsi, uko kwigenga muvuga tuzi icyo ari cyo. Ni ugushaka kuzura ubuhake, mumaze kwikiza ababakomaga imbere (abazungu). Ni ugukomeza ruswa. Ni ukuzura uburetwa. « Ni ukugarura nguriza Umuhutu wo kwica sha !» Gitera ajoute que si les Tutsi veulent absolument l’indépendance, ils n’ont qu’à part, pour eux seuls. Cette idée d’indépendance séparée sera reprise plus tard par les leaders du Parmehutu mais cette fois-ci sous forme de création de « hutulands et de tutsilands ». Gitera rappelle les «bienfaits» de la colonisation : des maladies soignées, des famines et des disettes enrayées. Il rappelle aussi des bienfaits de l’Eglise catholique : suppression de l’idolâtrie, de la loi de la jungle, et multiples injustices. Gitera rejette l’idée d’indépendance et ajoute que si les Tutsi la réclame c’est signe veulent garder le monopole du pouvoir et donc l’exclusion des Bahutu.
A son avis, aussi longtemps que l’éveil des Hutu n’est pas encore chose acquise, ces derniers ont encore besoin de la présence et, surtout, de la protection des colonisateurs qui constituent pour eux leur seule garantie de liberté. Gitera conseille alors aux Hutu de rester sous la colonisation, c’est-à- dire sous la protection des colonisateurs et de l’Eglise : « Baba bakiri hano, aho kugira ngo musubire mu buja nka mbere ; mwaba mukibereye mu burere bw’abazungu na Kiliziya Gatilika ». entre duex maux, rappelle-t-il, il faut choisir le moindre : être sous le puissance coloniale et cléricale est de loin préférable à être sous la coupe des Tutsi, dit-il : « Hagati y’ibibi bibiri, umuntu atora icyoroshye, ngirango ikiza, cyoroshye, ni abazungu na Kiliziya ». Pourqoui ? Par ce que «les Blancs nous (Hutu) ont rendu d’inestimables services, et qu’ils nous ont tirés de loin. Et tout Hutu, sauf celui qui n’a pas de cœur, doit les en remercier». Pour Gitera donc, pas d’indépendance piégée. A son avis, tout Hutu qui est pour l’indépendance et l’unité nationale est un traître à la cause hutu. Il s’attaque particulièrement à ceux qui sont haut placés dans l’Unar : il les traite de traîtres, d’opportunistes et de valets de la féolité. Pour donner confiance aux Hutu, Gitera évoque l’idée de leur force que constitue leur nombre. En cas de conflit, dit-il, conflit dont l’éventualité est claire, les Hutu remporteraient grâce justement à leur nombre, alors que Gatutsi serait anéanti et exterminé : « Niyo haba intambara, abatutsi bayiteje, bashira bagahwana n’umubare w’Abahutu ungana n’uwabo, ariko Abahutu hasigara benshi nanone, mbese ni nko gukura agasatsi ku mutwe w’umuntu ».
Avant de terminer, Gitera énonce les « Dix premiers commandements des Bahutu » (14) et lance un appel pressant à M.Harroy et la Belgique : «Frères belges de Belgique et d’Afrique, dit-il, aidez-nous ». Le meeting se termine par une chanson intitulée «Turatsinze» qui est un hymne à l’amitié belgo-hutu. Le refrain dit : « Twebwe twikundira Uwera, uwera weza ibiganza ; yunamuye icumu mu Rwanda, Kalinga ntikica ; Nyanga-rwanda nimusange abo mwishe ; twebwe twikundira Abarayi, badukuye ibubi ». A l’indépendance Gitera a opposé la protection de l’Eglise et de la Belgique. Plus grave, il a invité la masse hutu à écraser le Tutsi, toutes classes confondues.
2.3 Le Parmehutu réclame des « hutulands» et des «tutsilands»
Au moment où le parti Unar réclame l’indépendance et que le parti Aprosomo rejette cette indépendance qu’il considère comme un pièce, le Parmehutu entre en scène le plus officiellement du monde. Il s’était préparé longuement dans les coulisses. Ses idées avaient été publiées dans la presse locale d’obédience cléricale. La leadership du Parmehutu, Grégoire Kayibanda en tête, avait tissé des liens avec les membres des multiples associations en apparence anodines, dispersées dans toutes les paroisses du pays : mutualités, légions de Marie, Associations de moniteurs, association d’anciens séminaristes, Amicales des anciens élèves, cercles sociaux, coopératives, ligues du Sacré-Cœur, chœurs des moniteurs ou des élèves, croisades eucharistiques, etc.(15). Ce large réseau avait facilité la sensibilisation, la mobilisation et la conscientisation du leadership hutu d’abord et des semi-lettres ensuite. Les auteurs de multiples lettres écrites au Mwami et au C.S.P., que nous avons évoquées, provenaient la plus part du temps de ces gens. Il en était ainsi des articles publiés dans les journaux. Kayibanda et ses compagnons avaient suivi l’évolution des idées de l’Unar et de l’Aprosoma. Leur point de vue recoupait celui de Gitera. Ils rejetaient tous les deux l’idée d’indépendance immédiate. Mais Kayibanda et le Parmehutu avaient souvent des idées propres, mieux agencées et réfléchie que celle de Gitera, brouillon et démagogue s’il en est. Au lieu de l’indépendance, le parti Parmehutu, par voix de son président, Grégoire Kayibanda, réclame auprès du pouvoir de tutelle, l’instauration au Rwanda de « zones tutsi (tutsilands) et de zone hutu (hutulands) » et « l’établissement d’une confédération entre les deux communautés » (16) à l’instar de la situation prévalant en Belgique entre Flammands et Wallons. Les raisons avancées seraient d’abord qu’« il y a une différence irréductible d’objectifs, d’orientation et d’optique entre le groupe hutu et le groupe tutsi ». Kayibanda s’explique en disant que les « Tutsi tiennent mordicus à l’autonomie indépendance en 1960-1962, tandis que les Hutu veulent un maintien de la tutelle durant une période encore raisonnable. L’opinion hutu et l’opinion tutsi sont sur cette question diamétralement opposée » dit-il. Ensuite, dit Kayibanda, « Tutsi et Hutu, malgré l’illusion factice que peut donner la dispersion mélangée de leurs habitations sur le territoire et quelques cas de mariages mistes, constituent Deux Nations dans un même Etat ». D’après Kayibanda donc, les Rwandais n’ont jamais constitué un seul et même peuple. C’est d’ailleurs pour que Kayibanda trouve que « la question de la coexistence et de la collaboration pacifique de Hutu et des Tutsi exige l’rétablissement de deux zones sans quoi ce sera la disparition de l’une des ethnies au profit de l’autre ».
L’idée d’extermination donc de génocide, est pour la première fois évoquée en termes voilés mais clairs. Seule la séparation et le partage du Rwanda en deux zones distinctes constitue « un des moyens réalistes pour assurer la paix, le travail et l’épanouissement de tous les groupes qui habitent le pays ». La survie de l’ethnie minoritaire est donc fonction du « Développement séparé » Kayibanda est d’avis que « le dialogue hutu-tutsi s’est avéré impossible sinon sous les rapports de « serf à seigneur ». Il demande alors « s’il n’est pas réaliste de déterminer une zone à ceux qui tiennent à rester seigneurs et une autre à ceux qui veulent la démocratie dans une solidarité à base de fraternité ? Une certaine indépendance de deux groupes et une communauté librement consentie est seule apte à permettre un dialogue franc et loyal ». Puisque, demande Kayibanda, » tout le monde reconnaît au Rwanda deux races différentes et différenciées, pourquoi si le dialogue s’avère impossible, ne pas donner à chacune le moyen de se développer suivant ses aspirations et suivant les programmes qui lui semblent les meilleurs ? ». Kayibanda propose donc un système proche de l’Apartheid. Kayibanda va loin de fait à l’intention de l’ONU et de la tutelle belge une proposition de répartition des zones : «la zone Tutsi serait, dit-il, la parti saine du Bugesera, le Rukaryi (commune actuelle de Bicumbi), le Buganza dans le territoire de Kigali et tout le territoire de Kibungo avec la Province du Mutara». Le reste du pays constituerait la zone hutu. « Nous estimons, conclut Kayibanda, que cette détermination de zones servirait bien plus la paix, la justice la collaboration à base d’égalité, et la démocratie authentique et l’épanouissement de toutes les populations». Quant à l’indépendance, la position de Kayibanda est claire. Il réclame d’abord «l’indépendance du peuple hutu vis-à-vis du colonialisme tutsi» (17) Kayibanda avait même averti que l’indépendance précitée» risquait d’entraîner l’extermination du groupe minoritaire» (18). Pour le Parmehutu, l’indépendance signifiait «la suppression du parallélisme de deux cadres, blanc et noir tutsi» et «l’octroi aux fils du peuple (hutu) de réels postes de commande» (19).
Le Leadership du Parmehutu avait écrit au Ministre Belge Mr Schryver pour dénoncer «l’objectif immédiat de l’Unar qui consiste à l’extermination totale de tous les leaders hutu, l’expulsion des missionnaires et le levée précipitée de la tutelle belge pour étouffer la démocratie naissante dans l’œuf et réinstaurer la dictature pré-européenne dans toute son horreur, sans rencontre la moindre résistance. Alors que la population intéressée (hutu) considère les trois forces (Elite hutu, Eglise, Tutelle) comme ses défenseurs incontestés, l’Unar des seigneurs tutsi veut s’en débarrasser par tous les moyens pour ainsi porter un coup mortel à toute tentative de promotion hutu» (20). Le document précise que «le peuple hutu a bien compris le manège quand il a entendu parler de l’autonomie-indépendance des Batutsi pour janvier 1960 sans rien demander en faveur des Bahutu. La lettre envoyée au Ministre belge propose comme mesure d’urgence, en lieu et place de l’indépendance et préalablement à celle-ci, «la nomination immédiate de 85% d’autorités coutumières hutu proportionnellement à la présentation numérique hutu dans la population totale. A défaut de cette mesure, poursuit la lettre, les autorités coutumières tutsi en place doivent être mises en disponibilité et l’administration directe du pays confiée aux fonctionnaires européens, seuls dignes de confiance de deux parties pour jouer le rôle d’arbitraires impartiaux». Pas d’indépendance donc : le Parmehutu préfère les Européens aux commandes c'est-à-dire qu’il opte pour la dépendance ou la soumission aux colonialistes.

  1. ANALYSE CRITIQUE DES FORCES ET DES FAIBLESSES DES PARTIS POLITIQUES

Il est tout de même étonnant, voire incompréhensible, que les partis Aprosoma et Parmehutu d’une part et Unar d’autre part aient adopté face à l’indépendance des positions si diamétralement opposées. L’élite hutu du Parmehutu et Aprosoma, ne sentait pas le besoin ni la nécessité de l’indépendance. Elle ne la souhaitait nullement. L’élite de l’Unar la réclamait à cor et à cor et à cri. Où donc résidaient les raisons de ce décalage, de cette rupture si profonde ? Nous allons chercher la réponse dans l’analyse des forces et des faiblesses de ces partis. Nous espérons y découvrir les raisons de leur échec car, à ne pas en douter, il y a eu échec de par et d’autre. Echec de vision politique.




    1. Forces et faiblesses de l’Unar


En 1959, la société rwandaise venait de vivre une cinquantaine d’années sous la domination politique, idéologique et culturelle du pouvoir colonial. L’élite nationale, toutes «ethnies» confondues avait été façonnée au moule colonial par les «grands mind managers» de la puissance coloniale et missionnaire. Mais cette élite était devenue bicéphale. Il y avait d’une part l’élite traditionnelle aristocratiques, d’origine tutsi, et d’autre part l’élite hutu des «self made men» d’origine fort modeste. La place que ces deux élites occupaient dans la sphère du pouvoir était différente : l’élite tutsi occupait seul le terrain du pouvoir dont l’élite hutu était exclue. Le système n’était pas hermétiquement fermé mais il n’était pas délibérément et sciemment ouvert. Il avait des blocages qui, pour les Hutu, étaient même institutionnalisés. L’élite tutsi ne se renouvelait pas par un apport extérieur venu des couches inférieures de la société. Le système paraissait fermé. En le figeant de la sorte, la colonisation l’avait condamné disparaître à moyen terme. En effet, ce blocage dans le recrutement et la circulation de nouvelles élites a été à l’origine de l’incapacité du système colonio-traditionnel à innover et à faire taire ceux qui, au nom des Hutu, dénonçaient le monopole tutsi. Par contre la non ouverture du système feodo-colonial a donné l’opportunité à l’élite hutu de canaliser les aspirations confuses des masses hutu en programmes et en politiques du parti Parmehutu. En fermant la porte devant certains Hutu qui voulaient s’associer à lui ou qui, non associés pouvaient lui porter des coups durs, voire mortels, le système a favorisé les revendications de l’élite hutu et surtout leur bien-fondé. Le système avait donc une faiblesse structurelle de taille. La faiblesse de l’élite tutsi en général et de l’Unar en particulier est de ne pas avoir pris à temps l’initiative de combattre cette fermeture et ce blocage du système. Quand cette élite tutsi s’est réveillée, elle parlait d’autonomie et d’indépendance à des gens qu’elle n’avait pas aidés à sortir de leur exclusion. C’était trop tard. Il eut été probablement mieux pour l’Unar de lutter d’abord pour l’ouverture du système, d’y associer l’élite hutu et d’acquérir ainsi une force susceptible de l’appuyer en cas de lutte pour l’indépendance. Il n’en pas été ainsi. Or le système politique, n’importe le quel, ne récolte que ce qu’il a semé. Si vous le fermez, consciemment ou non, vous n’y récoltez rien. Par contre, ouvert et intégrateur, le système récolte des résultats réels à son avantage. Le système rwandais, dans lequel l’élite tutsi et Unariste était parti prenante, a été incapable d’intégrer les exigences de l’élite hutu, de les absorber ou de les «réguler». Quoi que l’autorité traditionaliste, Rudahigwa en tête, ait essayé un peu tard, d’anticiper les exigences des groupes de pression et que, dans ce sens, elle avait supprimé contrat bovin, fouet et autres corvées, et que ceci avait accru quelque peu sa popularité, il n’empêche que cette autorité n’a pas été capable de désamorcer les revendications de l’élite hutu dont les exigences dépassaient de simples réformettes, parce qu’elles étaient devenues nombreuses, complexes et pressantes. Le système traditionaliste dont l’Unar était l’apanage ne s’y était pas préparé. Sa capacité d’analyse anticipative et de solutions intégratives était extrêmement faible. Au moindre tremblement il devait claquer. La faiblesse et même l’échec de l’Unar ne résident donc pas dans sa demande d’autonomie et d’indépendance. Ils ne résident pas dans sa rupture d’alliance avec le pouvoir colonial. Ils résident fondamentalement dans le fait que son élite n’avait pas négocié à temps des alliances utiles principalement auprès de l’élite hutu. Sa perte était inscrite dans le manque d’ouverture du système que son élite servait et dans son manque de recrutement de nouveaux membres des élites issues d’autres classes que la sienne. Le système colonio-féodal que les notables de l’Unar servaient a manqué d’adaptation nécessaire. Et l’élite tutsi ne l’a pas bousculé pour qu’il adopte les éléments hutu susceptibles de lui être une source de renouvellement et de ressourcement. Mais il aurait fallu les aménager tout en les transformant comme avait l’habitude de la faire, en son temps, le système précolonial dont la force résidait dans le renouvellement parfois rapide de son élite et sa faculté de coopter des individus venus des couches subalternes. La colonisation a supprimé cette flexibilité. Si les éléments hutu avaient été intégrés, bien avant, ils auraient du lutter au côté de l’élite de l’unar pour la conquête de l’indépendance. N’ayant pas été ni adoptés ni intégrés, les éléments de l’élite hutu n’ont pas voulu participer à la lutte pour l’indépendance ; ils ont préféré s’allier au système colonial non pas que ce dernier les ait intégrés mais parce qu’il les avait adoptés culturellement et qu’il leur promettait ce que l’élite de l’Unar ne leur donnait pas à savoir : le pouvoir. En demandant l’indépendance, l’Unar avait-il donc foi dans le consensus ? Pensait-il que tout le monde le soutiendrait ? Si oui, il a commis une erreur d’appréciation politique. Les intérêts exprimés par l’élite hutu n’étaient pas agrégés c'est-à-dire intégrés dans son discours politique. Et l’indépendance, en elle-même, ne constituait pas une garantie suffisante. Il fallait au préalable intégrer par tous les moyens, les Hutu. Il est probable que l’élite tutsi n’avait pas pleine conscience des mutations sociales intervenues au Rwanda depuis une trentaine d’années. Elle ne les ignorait pas complètement mais elle les a sous-estimées. La preuve est qu’elle n’a pas lutté avec toutes ses forces, au besoin les armes à la main, contre les colonisateurs pour intégrer les éléments hutu et casser ainsi le système qui l’enfermait dans un carcan politique. Parvenait-elle donc à déceler les besoins réels, les contradictions profondes et même les conflits latents, non pas seulement entre colonisateurs et colonisés mais même parmi les colonisés eux-mêmes, de cette société en pleine crise et en pleines mutations ? Rien n’est mains sûr. Fondamentalement l’indépendance était une bonne chose, une cause juste, dirait-on. Elle était du domaine du souhaitable, du nécessité constituait sa force. Le peuple opprimé avait besoin de libération que promettait cette indépendance. Mais l’indépendance était, comme un chèque en blanc, une sorte de promesse de bonheur futur qui sortait de l’habitation et de l’ordinaire. Or ce dernier n’était pas rassurant : d’habitude, il y avait inégalité de chances d’accès au pouvoir politique entre élite hutu et élite tutsi. L’élite hutu était même exclue. Le membre d’Unar ne montrait pas comment ses inégalités seraient levées. Ils parlaient certes «d’élections totales et libres», mais l’expérience des élections de 1953 et de 1956 n’avait pas changé l’ordre habituel des choses. Les Hutu y avaient été minorisés. Ces élections passées n’étaient donc pas une bonne référence. C’est pourquoi, semble-t-il, l’indépendance à court terme ne donnait pas les garanties nécessaires et suffisantes à l’élite hutu. Qu’il y ait élections ou non, l’indépendance nje rassurait pas les ex-exclus. Au contraire vu l’expérience passée, elle semblait semer dans leurs rangs inquiétude et désarroi. Pour cette élite hutu donc, il n y avait pas une corrélation directe entre indépendance et libération. Par contre, il y avait, pour elle, présomption d’une corrélation directe entre l’indépendance et le ré-assujettissement. Dommage ! Mais il faut reconnaître que l’indépendance n’était pas justement une baguette magique pour résoudre les problèmes d’inégalité, d’injustice et d’exclusion. Nous pouvons, aujourd’hui, a posteriori l’affirmer. Ceux qui en ont eu le pressentiment en 1959 devaient effectivement avoir des garanties plus solides que les mots magiques d’indépendance ou de démocratie. Ce qui a manqué à l’Unar et à ses partisans c’est de montrer comment le pouvoir serait redistribué plus démocratiquement en passant des mains habituelles qui le détournaient c'est-à-dire l’élite tutsi, vers d’autres élites, toutes ethnies et toutes clases confondues. L’Establishment tutsi, promoteur de l’Unar, n’a pas été à même de négocier ce processus et cette mutation. Cet Establishment ne remettait même pas en cause ni en doute ses privilèges, ses avantages et ses soi-disant droits innés au commandement. Il contestait uniquement le fait que ces droits aient été usurpés par les colonialistes Belges. Dans pareil cas, il ne devait pas compter sur l’appui des autres forces. Il a été acculé à guhangana, à l’affrontement, sur un terrain qu’il ne contrôlait pas et pour lequel il n’avait pas su négocier ni des alliances utiles, ni des moyens propres nécessaires. L’indépendance : c’est bon et c’est à l’actif de Unar mais quand on ne sait pas en négocier les moyens, on meurt victime de bonnes intentions. Ce fut le sort de l’Unar.

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