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Gaston Leroux Le Fantôme de l’Opéra


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[modifier] Notes


  1. Un rapport administratif, venu du Tonkin et arrivé à Paris fin juillet 1900, raconte comment le célèbre chef de bande le De Tham, traqué avec ses pirates par nos soldats, put leur échapper, ainsi que tous les siens, grâce au jeu des roseaux.

  2. Daroga, en Perse, commandant général de la police du gouvernement.

  3. Ici le Persan aurait pu avouer que le sort d’Érik l’intéressait également pour lui-même, car il n’ignorait point que si le gouvernement de Téhéran eût appris qu’Érik était encore vivant, c’en était fait de la modeste pension de l’ancien Daroga. Il est juste, du reste, d’ajouter que le Persan avait un cœur noble et généreux et nous ne doutons point que les catastrophes qu’il redoutait pour les autres n’aient occupé fortement son esprit. Sa conduite, du reste, dans toute cette affaire, le prouve suffisamment et est au-dessus de tout éloge.

Chapitre XXIII
Dans la chambre des supplices (Suite du récit du Persan)

Nous étions au centre d’une petite salle de forme parfaitement hexagonale… dont les six pans de murs étaient intérieurement garnis de glaces… du haut en bas… Dans les coins, on distinguait très bien les « rajoutis » de glace… les petits secteurs destinés à tourner sur les tambours… oui, oui, je les reconnais… et je reconnais l’arbre de fer dans un coin, au fond de l’un de ces petits secteurs… l’arbre de fer, avec sa branche de fer… pour les pendus.

J’avais saisi le bras de mon compagnon. Le vicomte de Chagny était tout frémissant, tout prêt à crier à sa fiancée le secours qu’il lui apportait… Je redoutais qu’il ne pût se contenir.

Tout à coup, nous entendîmes du bruit à notre gauche.

Ce fut d’abord comme une porte qui s’ouvrait et se refermait, dans la pièce à côté, puis il y eut un sourd gémissement. Je retins plus fortement encore le bras de M. de Chagny, puis nous entendîmes distinctement ces mots :

« C’est à prendre ou à laisser ! La messe de mariage ou la messe des morts. »

Je reconnus la voix du monstre.

Il y eut encore un gémissement.

À la suite de quoi, un long silence.

J’étais persuadé, maintenant, que le monstre ignorait notre présence dans sa demeure, car s’il en eût été autrement, il se serait bien arrangé pour que nous ne l’entendions point. Il lui eût suffi pour cela de fermer hermétiquement la petite fenêtre invisible par laquelle les amateurs de supplices regardent dans la chambre des supplices.

Et puis, j’étais sûr que s’il avait connu notre présence, les supplices eussent commencé tout de suite.

Nous avions donc, dès lors, un gros avantage sur Érik : nous étions à ses côtés et il n’en savait rien.

L’important était de ne le lui point faire savoir, et je ne redoutais rien tant que l’impulsion du vicomte de Chagny qui voulait se ruer à travers les murs pour rejoindre Christine Daaé, dont nous croyions entendre, par intervalles, le gémissement.

« La messe des morts, ce n’est point gai ! reprit la voix d’Érik, tandis que la messe de mariage, parlez-moi de cela ! c’est magnifique ! Il faut prendre une résolution et savoir ce que l’on veut ! Moi, il m’est impossible de continuer à vivre comme ça, au fond de la terre, dans un trou, comme une taupe ! Don Juan triomphant est terminé, maintenant je veux vivre comme tout le monde. Je veux avoir une femme comme tout le monde et nous irons nous promener le dimanche. J’ai inventé un masque qui me fait la figure de n’importe qui. On ne se retournera même pas. Tu seras la plus heureuse des femmes. Et nous chanterons pour nous tout seuls, à en mourir. Tu pleures ! Tu as peur de moi ! Je ne suis pourtant pas méchant au fond ! Aime-moi et tu verras ! Il ne m’a manqué que d’être aimé pour être bon ! Si tu m’aimais, je serais doux comme un agneau et tu ferais de moi ce que tu voudrais. »

Bientôt le gémissement qui accompagnait cette sorte de litanie d’amour, grandit, grandit. Je n’ai jamais rien entendu de plus désespéré et M. de Chagny et moi reconnûmes que cette effrayante lamentation appartenait à Érik lui-même. Quant à Christine, elle devait, quelque part, peut-être de l’autre côté du mur que nous avions devant nous, se tenir, muette d’horreur, n’ayant plus la force de crier, avec le monstre à ses genoux.

Cette lamentation était sonore et grondante et râlante comme la plainte d’un océan. Par trois fois Érik sortit cette plainte du rocher de sa gorge.

« Tu ne m’aimes pas ! Tu ne m’aimes pas ! Tu ne m’aimes pas ! »

Et puis, il s’adoucit :

« Pourquoi pleures-tu ? Tu sais bien que tu me fais de la peine. »

Un silence.

Chaque silence pour nous était un espoir. Nous nous disions : « Il a peut-être quitté Christine derrière le mur. »

Nous ne pensions qu’à la possibilité d’avertir Christine Daaé de notre présence, sans que le monstre se doutât de rien.

Nous ne pouvions sortir maintenant de la chambre des supplices que si Christine nous en ouvrait la porte ; et c’est à cette condition première que nous pouvions lui porter secours, car nous ignorions même où la porte pouvait se trouver autour de nous.

Tout à coup, le silence d’à côté fut troublé par le bruit d’une sonnerie électrique.

Il y eut un bondissement de l’autre côté du mur et la voix de tonnerre d’Érik :

« On sonne ! donnez-vous donc la peine d’entrer ! » Un ricanement lugubre.

« Qui est-ce qui vient encore nous déranger ? Attends-moi un peu ici… je m’en vais aller dire à la sirène d’ouvrir. »

Et des pas s’éloignèrent, une porte se ferma. Je n’eus point le temps de songer à l’horreur nouvelle qui se préparait ; j’oubliai que le monstre ne sortait que pour un crime nouveau peut-être ; je ne compris qu’une chose : Christine seule était derrière le mur !

Le vicomte de Chagny l’appelait déjà. « Christine ! Christine ! »

Du moment que nous entendions ce qui se disait dans la pièce à côté, il n’y avait aucune raison pour que mon compagnon ne fût pas entendu à son tour. Et, cependant, le vicomte dut répéter plusieurs fois son appel.

Enfin une faible voix parvint jusqu’à nous.

« Je rêve, disait-elle.

– Christine ! Christine ! c’est moi, Raoul. » Silence.

« Mais répondez-moi, Christine !… si vous êtes seule, au nom du Ciel, répondez-moi. »

Alors la voix de Christine murmura le nom de Raoul.

« Oui ! Oui ! C’est moi ! Ce n’est pas un rêve !… Christine, ayez confiance !… Nous sommes là pour vous sauver… mais pas une imprudence !… Quand vous entendrez le monstre, avertissez-nous.

– Raoul !… Raoul ! »

Elle se fit répéter plusieurs fois qu’elle ne rêvait pas et que Raoul de Chagny avait pu venir jusqu’à elle, conduit par un compagnon dévoué qui connaissait le secret de la demeure d’Érik.

Mais aussitôt à la trop rapide joie que nous lui apportions succéda une terreur plus grande. Elle voulait que Raoul s’éloignât sur-le-champ. Elle tremblait qu’Érik ne découvrît sa cachette, car, en ce cas, il n’eût pas hésité à tuer le jeune homme. Elle nous apprit en quelques mots précipités qu’Érik était devenu tout à fait fou d’amour et qu’il était décidé à tuer tout le monde et lui-même avec le monde, si elle ne consentait pas à devenir sa femme devant le maire et le curé, le curé de la Madeleine. Il lui avait donné jusqu’au lendemain soir onze heures pour réfléchir. C’était le dernier délai. Il lui faudrait alors choisir, comme il disait, entre la messe de mariage et la messe des morts !

Et Érik avait prononcé cette phrase que Christine n’avait pas tout à fait comprise : « Oui ou non ; si c’est non, tout le monde est mort et enterré !»

Mais, moi, je comprenais tout à fait cette phrase, car elle répondit d’une façon terrible à ma pensée redoutable.

« Pourriez-vous nous dire où est Érik ? » demandai-je. Elle répondit qu’il devait être sorti de la demeure. « Pourriez-vous vous en assurer ?

– Non !… Je suis attachée… je ne puis faire un mouvement. »

En apprenant cela, M. de Chagny et moi ne pûmes retenir un cri de rage. Notre salut, à tous les trois, dépendait de la liberté de mouvements de la jeune fille.

Oh ! la délivrer ! Arriver jusqu’à elle !

« Mais où êtes-vous donc ? demandait encore Christine… Il n’y a que deux portes dans ma chambre : la chambre Louis-Philippe, dont je vous ai parlé, Raoul !… une porte par où entre et sort Érik, et une autre qu’il n’a jamais ouverte devant moi et qu’il m’a défendu de franchir jamais, parce qu’elle est, dit-il, la plus dangereuse des portes… la porte des supplices !…

– Christine, nous sommes derrière cette porte-là !…

– Vous êtes dans la chambre des supplices ?

– Oui, mais nous ne voyons pas la porte.

– Ah ! si je pouvais seulement me traîner jusque-là !… Je frapperais contre la porte et vous verriez bien l’endroit où est la porte.

– C’est une porte avec une serrure ? demandai-je.

– Oui, avec une serrure. »

Je pensai : Elle s’ouvre de l’autre côté avec une clef, comme toutes les portes, mais de notre côté à nous, elle s’ouvre avec le ressort et le contrepoids, et cela ne va pas être facile à découvrir.

« Mademoiselle ! fis-je, il faut absolument que vous nous ouvriez cette porte.

– Mais comment ? » répondit la voix éplorée de la malheureuse… Nous entendîmes un corps qui se froissait, qui essayait de toute évidence de se libérer des liens qui l’emprisonnaient…

« Nous ne nous en tirerons qu’avec la ruse, dis-je. Il faut avoir la clef de cette porte…

– Je sais où elle est, répondit Christine qui paraissait épuisée par l’effort qu’elle venait de faire… Mais je suis bien attachée !… Le misérable !… »

Et il y eut un sanglot.

« Où est la clef ? demandai-je, en ordonnant à M. de Chagny de se taire et de me laisser conduire l’affaire, car nous n’avions pas un moment à perdre.

– Dans la chambre, à côté de l’orgue, avec une autre petite clef en bronze à laquelle il m’a défendu de toucher également. Elles sont toutes deux dans un petit sac en cuir qu’il appelle : Le petit sac de la vie et de la mort… Raoul ! Raoul !… fuyez !… tout ici est mystérieux et terrible… et Érik va devenir tout à fait fou… Et vous êtes dans la chambre des supplices !… Allez-vous-en par où vous êtes venus ! Cette chambre-là doit avoir des raisons pour s’appeler d’un nom pareil !

– Christine ! fit le jeune homme, nous sortirons d’ici ensemble ou nous mourrons ensemble !

– Il ne tient qu’à nous de sortir d’ici tous sains et saufs, soufflai-je, mais il faut garder notre sang-froid. Pourquoi vous a-t-il attachée, mademoiselle ? Vous ne pouvez pourtant pas vous sauver de chez lui ! Il le sait bien !

– J’ai voulu me tuer ! Le monstre, ce soir, après m’avoir transportée ici évanouie, à demi chloroformée, s’était absenté. Il était, paraît-il, – c’est lui qui me l’a dit, – allé chez son banquier !… Quand il est revenu, il m’a trouvée la figure en sang… j’avais voulu me tuer ! je m’étais heurté le front contre les murs.

– Christine ! gémit Raoul, et il se prit à sangloter.

– Alors, il m’a attachée… je n’ai le droit de mourir que demain soir à onze heures !… »

Toute cette conversation à travers le mur était beaucoup plus « hachée » et beaucoup plus prudente que je ne pourrais en donner l’impression en la transcrivant ici. Souvent nous nous arrêtions au milieu d’une phrase, parce qu’il nous avait semblé entendre un craquement, un pas, un remuement insolite… Elle nous disait : « Non ! Non ! ce n’est pas lui !… Il est sorti ! Il est bien sorti ! J’ai reconnu le bruit que fait, en se refermant, le mur du lac.

– Mademoiselle ! déclarai-je, c’est le monstre lui-même qui vous a attachée… c’est lui qui vous détachera… Il ne s’agit que de jouer la comédie qu’il faut pour cela !… N’oubliez pas qu’il vous aime !

– Malheureuse, entendîmes-nous, comment ferais-je pour l’oublier jamais !

– Souvenez-vous-en pour lui sourire… suppliez-le… dites-lui que ces liens vous blessent. »

Mais Christine Daaé nous fit :

« Chut !… J’entends quelque chose dans le mur du Lac !… C’est lui !… Allez-vous-en !… Allez-vous-en !… Allez-vous-en !

– Nous ne nous en irions pas, même si nous le voulions ! affirmai-je de façon à impressionner la jeune fille. Nous ne pouvons plus partir ! Et nous sommes dans la chambre des supplices !

– Silence ! » souffla encore Christine. Nous nous tûmes tous les trois.

Des pas lourds se traînaient lentement derrière le mur, puis s’arrêtaient et refaisaient à nouveau gémir le parquet.

Puis il y eut un soupir formidable suivi d’un cri d’horreur de Christine et nous entendîmes la voix d’Érik.

« Je te demande pardon de te montrer un visage pareil ! je suis dans un bel état, n’est-ce pas ? C’est de la faute de l’autre ! Pourquoi a-t-il sonné ? Est-ce que je demande à ceux qui passent l’heure qu’il est ? Il ne demandera plus l’heure à personne. C’est de la faute de la sirène… »

Encore un soupir, plus profond, plus formidable, venant du fin fond de l’abîme d’une âme.

« Pourquoi as-tu crié, Christine ?

– Parce que je souffre, Érik.

– J’ai cru que je t’avais fait peur…

– Érik, desserrez mes liens… ne suis-je pas votre prisonnière ?

– Tu voudras encore mourir…

– Vous m’avez donné jusqu’à demain soir, onze heures, Érik… »

Les pas se traînent encore sur le plancher.

« Après tout, puisque nous devons mourir ensemble… et que je suis aussi pressé que toi… oui, moi aussi, j’en ai assez de cette vie-là, tu comprends !… Attends, ne bouge pas, je vais te délivrer… Tu n’as qu’un mot à dire : non ! et ce sera fini tout de suite, pour tout le monde… Tu as raison… tu as raison ! Pourquoi attendre jusqu’à demain soir onze heures ? Ah ! oui, parce que ça aurait été plus beau !… j’ai toujours eu la maladie du décorum… du grandiose… c’est enfantin !… Il ne faut songer qu’à soi dans la vie !… à sa propre mort… le reste est du superflu… Tu regardes comme je suis mouillé ?… Ah ! ma chérie, c’est que j’ai eu tort de sortir… Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors !… À part ça, Christine, je crois bien que j’ai des hallucinations… Tu sais, celui qui sonnait tout à l’heure chez la sirène, – va-t’en voir au fond du lac s’il sonne – eh bien, il ressemblait… Là, tourne-toi… es-tu contente ? Te voilà délivrée… Mon Dieu ! tes poignets, Christine ! je leur ai fait mal, dis ?… Cela seul mérite la mort… À propos de mort, il faut que je lui chante sa messe ! »

En entendant ces terribles propos, je ne pus m’empêcher d’avoir un affreux pressentiment… Moi aussi, j’avais sonné une fois à la porte du monstre… et sans le savoir, certes !… j’avais dû mettre en marche quelque courant avertisseur… Et je me souvenais des deux bras sortis des eaux noires comme de l’encre… Quel était encore le malheureux égaré sur ces rives ?

La pensée de ce malheureux-là m’empêchait presque de me réjouir du stratagème de Christine, et, cependant, le vicomte de Chagny murmurait à mon oreille ce mot magique : délivrée !… Qui donc ? Qui donc était l’autre ? Celui pour qui nous entendions en ce moment la messe des morts ?

Ah ! le chant sublime et furieux ! Toute la maison du Lac en grondait… toutes les entrailles de la terre en frissonnaient… Nous avions mis nos oreilles contre le mur de glace pour mieux entendre le jeu de Christine Daaé, le jeu qu’elle jouait pour notre délivrance mais nous n’entendions plus rien que le jeu de la messe des morts. Cela était plutôt une messe de damnés… Cela faisait, au fond de la terre, une ronde de démons.

Je me rappelle que le Dies irae qu’il chanta nous enveloppa comme d’un orage. Oui, nous avions de la foudre autour de nous et des éclairs… Certes ! je l’avais entendu chanter autrefois… Il allait même jusqu’à faire chanter les gueules de pierre de mes taureaux androcéphales, sur les murs du palais de Mazenderan… Mais chanter comme ça, jamais ! jamais ! Il chantait comme le dieu du tonnerre…

Tout à coup, la voix et l’orgue s’arrêtèrent si brusquement que M. de Chagny et moi reculâmes derrière le mur, tant nous fûmes saisis… Et la voix subitement changée, transformée, grinça distinctement toutes ces syllabes métalliques :

« Qu’est-ce que tu as fait de mon sac ? »

Chapitre XXIV
Les supplices commencent (Suite du récit du Persan)

La voix répéta avec fureur :

« Qu’est-ce que tu as fait de mon sac ? »

Christine Daaé ne devait pas trembler plus que nous.

« C’était pour me prendre mon sac que tu voulais que je te délivre, dis ?… »

On entendit des pas précipités, la course de Christine qui revenait dans la chambre Louis-Philippe, comme pour chercher un abri devant notre mur.

« Pourquoi fuis-tu ? disait la voix rageuse qui avait suivi… Veux-tu bien me rendre mon sac ! Tu ne sais donc pas que c’est le sac de la vie et de la mort ?

– Écoutez-moi, Érik, soupira la jeune femme… puisque désormais il est entendu que nous devons vivre ensemble… qu’est-ce que ça vous fait ?… Tout ce qui est à vous m’appartient !… »

Cela était dit d’une façon si tremblante que cela faisait pitié. La malheureuse devait employer ce qui lui restait d’énergie à surmonter sa terreur… Mais ce n’était point avec d’aussi enfantines supercheries, dites en claquant des dents, qu’on pouvait surprendre le monstre.

« Vous savez bien qu’il n’y a là-dedans que deux clefs… Qu’est-ce que vous voulez faire ? demanda-t-il.

– Je voudrais, fit-elle, visiter cette chambre que je ne connais pas et que vous m’avez toujours cachée… C’est une curiosité de femme ! ajouta-t-elle, sur un ton qui voulait se faire enjoué et qui ne dut réussir qu’à augmenter la méfiance d’Érik tant il sonnait faux…

– Je n’aime pas les femmes curieuses ! répliqua Érik, et vous devriez vous méfier depuis l’histoire de Barbe-Bleue… Allons ! rendez-moi mon sac !… rendez-moi mon sac !… Veux-tu laisser la clef !… Petite curieuse ! »

Et il ricana pendant que Christine poussait un cri de douleur… Érik venait de lui reprendre le sac.

C’est à ce moment que le vicomte, ne pouvant plus se retenir, jeta un cri de rage et d’impuissance, que je parvins bien difficilement à étouffer sur ses lèvres…

« Ah mais ! fit le monstre… Qu’est-ce que c’est que ça ?… Tu n’as pas entendu, Christine ?

– Non ! non ! répondait la malheureuse ; je n’ai rien entendu !

– Il me semblait qu’on avait jeté un cri !

– Un cri !… Est-ce que vous devenez fou, Érik ?… Qui voulez-vous donc qui crie, au fond de cette demeure ?… C’est moi qui ai crié, parce que vous me faisiez mal !… Moi, je n’ai rien entendu !…

– Comme tu me dis cela !… Tu trembles !… Te voilà bien émue !… Tu mens !… On a crié ! on a crié !… Il y a quelqu’un dans la chambre des supplices !… Ah ! je comprends maintenant !…

– Il n’y a personne, Érik !…

– Je comprends !…

– Personne !…

– Ton fiancé… peut-être !…

– Eh ! je n’ai pas de fiancé !… Vous le savez bien !… »

Encore un ricanement mauvais.

« Du reste, c’est si facile de le savoir… Ma petite Christine, mon amour… on n’a pas besoin d’ouvrir la porte pour voir ce qui se passe dans la chambre des supplices… Veux-tu voir ? veux-tu voir ?… Tiens !… S’il y a quelqu’un… s’il y a vraiment quelqu’un, tu vas voir s’illuminer tout là-haut, près du plafond, la fenêtre invisible… Il suffit d’en tirer le rideau noir et puis d’éteindre ici… Là, c’est fait… Éteignons ! Tu n’as pas peur de la nuit, en compagnie de ton petit mari !… »

Alors, on entendit la voix agonisante de Christine.

« Non !… J’ai peur !… Je vous dis que j’ai peur dans la nuit !… Cette chambre ne m’intéresse plus du tout !… C’est vous qui me faites tout le temps peur, comme à une enfant, avec cette chambre des supplices !… Alors, j’ai été curieuse, c’est vrai !… Mais elle ne m’intéresse plus du tout… du tout !… »

Et ce que je craignais par-dessus tout, commença automatiquement… Nous fûmes, tout à coup, inondés de lumière !… Oui, derrière notre mur, ce fut comme un embrasement. Le vicomte de Chagny, qui ne s’y attendait pas, en fut tellement surpris qu’il en chancela. Et la voix de colère éclata à côté.

« Je te disais qu’il y avait quelqu’un !… La vois-tu maintenant, la fenêtre ?… la fenêtre lumineuse !… Tout là-haut !… Celui qui est derrière ce mur ne la voit pas, lui !… Mais, toi, tu vas monter sur l’échelle double. Elle est là pour cela !… Tu m’as demandé souvent à quoi elle servait… Eh bien, te voilà renseignée maintenant !… Elle sert à regarder par la fenêtre de la chambre des supplices… petite curieuse !…

– Quels supplices ?… quels supplices y a-t-il là-dedans ?… Érik ! Érik ! dites-moi que vous voulez me faire peur !… Dites-le-moi, si vous m’aimez, Érik !… N’est-ce pas qu’il n’y a pas de supplices ? Ce sont des histoires pour les enfants !…

– Allez voir, ma chérie, à la petite fenêtre !… »

Je ne sais si le vicomte, à côté de moi, entendait maintenant la voix défaillante de la jeune femme, tant il était occupé du spectacle inouï qui venait de surgir à son regard éperdu… Quant à moi qui avais vu ce spectacle-là déjà trop souvent, par la petite fenêtre des heures roses de Mazenderan, je n’étais occupé que de ce qui se disait à côté, y cherchant une raison d’agir, une résolution à prendre.

« Allez voir, allez voir à la petite fenêtre !… Vous me direz !… Vous me direz après comment il a le nez fait ! »

Nous entendîmes rouler l’échelle que l’on appliqua contre le mur…

« Montez donc !… Non !… Non, je vais monter, moi, ma chérie !…

– Eh bien, oui… je vais voir… laissez-moi !

– Ah ! ma petite chérie !… Ma petite chérie !… que vous êtes mignonne… Bien gentil à vous de m’épargner cette peine à mon âge !… Vous me direz comment il a le nez fait !… Si les gens se doutaient du bonheur qu’il y a à avoir un nez… un nez bien à soi… jamais ils ne viendraient se promener dans la chambre des supplices !… »

À ce moment, nous entendîmes distinctement au-dessus de nos têtes, ces mots :

« Mon ami, il n’y a personne !…

– Personne ?… Vous êtes sûre qu’il n’y a personne ?…

– Ma foi, non… il n’y a personne…

– Eh bien, tant mieux !… Qu’avez-vous, Christine ?… Eh bien, quoi ! Vous n’allez pas vous trouver mal !… Puisqu’il n’y a personne !… Mais comment trouvez-vous le paysage ?...

– Oh ! très bien !…

– Allons ! ça va mieux !… N’est-ce pas, ça va mieux !… Tant mieux, ça va mieux !… Pas d’émotion !… Et quelle drôle de maison, n’est-ce pas, où l’on peut voir des paysages pareils ?…

– Oui, on se croirait au Musée Grévin !… Mais, dites donc, Érik… il n’y a pas de supplices là-dedans !… Savez-vous que vous m’avez fait une peur !…

– Pourquoi, puisqu’il n’y a personne !…

– C’est vous qui avez fait cette chambre-là, Érik ?… Savez-vous que c’est très beau ! Décidément, vous êtes un grand artiste, Érik…

– Oui, un grand artiste “dans mon genre”.

– Mais, dites-moi, Érik, pourquoi avez-vous appelé cette chambre la chambre des supplices ?…

– Oh ! c’est bien simple. D’abord, qu’est-ce que vous avez vu ?

– J’ai vu une forêt !…

– Et qu’est-ce qu’il y a dans une forêt ?

– Des arbres !…

– Et qu’est-ce qu’il y a dans un arbre ?

– Des oiseaux…

– Tu as vu des oiseaux…

– Non, je n’ai pas vu d’oiseaux.

– Alors, qu’as-tu vu ? cherche !… Tu as vu des branches ! Et qu’est-ce qu’il y a dans une branche ? dit la voix terrible… Il y a un gibet ! Voilà pourquoi j’appelle ma forêt la chambre des supplices !… Tu vois, ce n’est qu’une façon de parler ! Tout cela est pour rire ! Moi, je ne m’exprime jamais comme les autres !… Je ne fais rien comme les autres !… Mais j’en suis bien fatigué !… bien fatigué !… J’en ai assez, vois-tu, d’avoir une forêt dans ma maison, et une chambre des supplices !… Et d’être logé comme un charlatan au fond d’une boîte à double fond !… J’en ai assez ! j’en ai assez !… Je veux avoir un appartement tranquille, avec des portes et des fenêtres ordinaires et une honnête femme dedans, comme tout le monde !… Tu devrais comprendre cela, Christine, et je ne devrais pas avoir besoin de te le répéter à tout bout de champ !… Une femme comme tout le monde !… Une femme que j’aimerais, que je promènerais, le dimanche, et que je ferais rire toute la semaine ! Ah ! tu ne t’ennuierais pas avec moi ! J’ai plus d’un tour dans mon sac, sans compter les tours de cartes !… Tiens ! veux-tu que je te fasse des tours de cartes ? Cela nous fera toujours passer quelques minutes, en attendant demain soir, onze heures !… Ma petite Christine !… Ma petite Christine !… Tu m’écoutes ?… Tu ne me repousses plus !… dis ? Tu m’aimes !… Non, tu ne m’aimes pas !… Mais ça ne fait rien ! tu m’aimeras ! Autrefois, tu ne pouvais pas regarder mon masque à cause que tu savais ce qu’il y a derrière… Et maintenant, tu veux bien le regarder et tu oublies ce qu’il y a derrière, et tu veux bien ne plus me repousser !… On s’habitue à tout, quand on veut bien… quand on a la bonne volonté !… Que de jeunes gens qui ne s’aimaient pas avant le mariage se sont adorés après ! Ah ! je ne sais plus ce que je dis… Mais tu t’amuserais bien avec moi !… Il n’y en a pas un comme moi, par exemple, ça, je le jure devant le bon Dieu qui nous mariera – si tu es raisonnable – il n’y en a pas un comme moi pour faire le ventriloque ! Je suis le premier ventriloque du monde !… Tu ris !… Tu ne me crois peut-être pas !… Écoute ! »

Le misérable (qui était, en effet, le premier ventriloque du monde) étourdissait la petite (je m’en rendais parfaitement compte) pour détourner son attention de la chambre des supplices !… Calcul stupide !… Christine ne pensait qu’à nous !… Elle répéta à plusieurs reprises, sur le ton le plus doux qu’elle put trouver et de la plus ardente supplication :

« Éteignez la petite fenêtre !… Érik ! éteignez donc la petite fenêtre !… »

Car elle pensait bien que cette lumière, soudain apparue à la petite fenêtre, et dont le monstre avait parlé d’une façon si menaçante, avait sa raison terrible d’être… Une seule chose devait momentanément la tranquilliser, c’est qu’elle nous avait vus tous deux, derrière le mur, au centre du magnifique embrasement, debout et bien portants !… Mais elle eût été plus rassurée, certes !… si la lumière s’était éteinte…

L’autre avait déjà commencé à faire le ventriloque. Il disait :

« Tiens, je soulève un peu mon masque ! Oh ! un peu seulement… Tu vois mes lèvres ? Ce que j’ai de lèvres ? Elles ne remuent pas !… Ma bouche est fermée… mon espèce de bouche… et cependant tu entends ma voix !… Je parle avec mon ventre… c’est tout naturel… on appelle ça être ventriloque !… C’est bien connu : écoute ma voix… où veux-tu qu’elle aille ? Dans ton oreille gauche ? dans ton oreille droite ?… dans la table ?… dans les petits coffrets d’ébène de la cheminée ?… Ah ! cela t’étonne… Ma voix est dans les petits coffrets de la cheminée ! La veux-tu lointaine ?… La veux-tu prochaine ?… Retentissante ?… Aiguë ?… Nasillarde ?… Ma voix se promène partout !… partout !… Écoute, ma chérie… dans le petit coffret de droite de la cheminée, et écoute ce qu’elle dit : Faut-il tourner le scorpion ?… Et maintenant, crac ! écoute encore ce qu’elle dit dans le petit coffret de gauche : Faut-il tourner la sauterelle ?… Et maintenant, crac !… La voici dans le petit sac en cuir… Qu’est-ce qu’elle dit ? « Je suis le petit sac de la vie et de la mort ! » Et maintenant, crac !… la voici dans la gorge de la Carlotta, au fond de la gorge dorée, de la gorge de cristal de la Carlotta, ma parole !… Qu’est-ce qu’elle dit ? Elle dit : “C’est moi, monsieur crapaud ! c’est moi qui chante : J’écoute cette voix solitairecouac !… qui chante dans mon couac !…” Et maintenant, crac, elle est arrivée sur une chaise de la loge du fantôme… et elle dit : « Madame Carlotta chante ce soir à décrocher le lustre !… » Et maintenant, crac !… Ah ! ah ! ah ! ah !… où est la voix d’Érik ?… Écoute, Christine, ma chérie !… Écoute… Elle est derrière la porte de la chambre des supplices !… Écoute-moi !… C’est moi qui suis dans la chambre des supplices !… Et qu’est-ce que je dis ? Je dis : « Malheur à ceux qui ont le bonheur d’avoir un nez, un vrai nez à eux et qui viennent se promener dans la chambre des supplices !… Ah ! ah ! ah ! »

Maudite voix du formidable ventriloque ! Elle était partout, partout !… Elle passait par la petite fenêtre invisible… à travers les murs… elle courait autour de nous… entre nous… Érik était là !… Il nous parlait !… Nous fîmes un geste comme pour nous jeter sur lui mais, déjà, plus rapide, plus insaisissable que la voix sonore de l’écho, la voix d’Érik avait rebondi derrière le mur !…

Bientôt, nous ne pûmes plus rien entendre du tout, car voici ce qui se passa :

La voix de Christine :

« Érik ! Érik !… Vous me fatiguez avec votre voix… Taisez-vous, Érik !… Ne trouvez-vous pas qu’il fait chaud ici ?…

– Oh ! oui ! répond la voix d’Érik, la chaleur devient insupportable !… »

Et encore la voix râlante d’angoisse de Christine :

« Qu’est-ce que c’est que ça !… Le mur est tout chaud !… Le mur est brûlant !…

– Je vais vous dire, Christine, ma chérie, c’est à cause de “la forêt d’à côté !…”.

– Eh bien… que voulez-vous dire !… la forêt ?…

Vous n’avez donc pas vu que c’était une forêt du Congo ?»

Et le rire du monstre s’éleva si terrible que nous ne distinguions plus les clameurs suppliantes de Christine !… Le vicomte de Chagny criait et frappait contre les murs comme un fou… Je ne pouvais plus le retenir… Mais on n’entendait que le rire du monstre… et le monstre lui-même ne dut entendre que son rire… Et puis il y eut le bruit d’une rapide lutte, d’un corps qui tombe sur le plancher et que l’on traîne… et l’éclat d’une porte fermée à toute volée… et puis, plus rien, plus rien autour de nous que le silence embrasé de midi… au cœur d’une forêt d’Afrique !…

Chapitre XXV
« Tonneaux ! tonneaux ! avez-vous des tonneaux à vendre ? » (Suite du récit du Persan)

J’ai dit que cette chambre dans laquelle nous nous trouvions, M. le vicomte de Chagny et moi, était régulièrement hexagonale et garnie entièrement de glaces. On a vu depuis, notamment, dans certaines expositions, de ces sortes de chambres absolument disposées ainsi et appelées : « maison des mirages » ou « palais des illusions ». Mais l’invention en revient entièrement à Érik, qui construisit, sous mes yeux, la première salle de ce genre lors des heures roses de Mazenderan. Il suffisait de disposer dans les coins quelque motif décoratif, comme une colonne, par exemple, pour avoir instantanément un palais aux mille colonnes, car, par l’effet des glaces, la salle réelle s’augmentait de six salles hexagonales dont chacune se multipliait à l’infini. Jadis, pour amuser « la petite sultane », il avait ainsi disposé un décor qui devenait le « temple innombrable » ; mais la petite sultane se fatigua vite d’une aussi enfantine illusion, et alors Érik transforma son invention en chambre des supplices. Au lieu du motif architectural posé dans les coins, il mit au premier tableau un arbre de fer. Pourquoi, cet arbre, qui imitait parfaitement la vie, avec ses feuilles peintes, était-il en fer ?

Parce qu’il devait être assez solide pour résister à toutes les attaques du « patient » que l’on enfermait dans la chambre des supplices. Nous verrons comment, par deux fois, le décor ainsi obtenu se transformait instantanément en deux autres décors successifs, grâce à la rotation automatique des tambours qui se trouvaient dans les coins et qui avaient été divisés par tiers, épousant les angles des glaces et supportant chacun un motif décoratif qui apparaissait tour à tour.

Les murs de cette étrange salle n’offraient aucune prise au patient, puisque, en dehors du motif décoratif d’une solidité à toute épreuve, ils étaient uniquement garnis de glaces et de glaces assez épaisses pour qu’elles n’eussent rien à redouter de la rage du misérable que l’on jetait là, du reste, les mains et les pieds nus.

Aucun meuble. Le plafond était lumineux. Un système ingénieux de chauffage électrique qui a été imité depuis, permettait d’augmenter la température des murs à volonté et de donner ainsi à la salle l’atmosphère souhaitée…

Je m’attache à énumérer tous les détails précis d’une invention toute naturelle donnant cette illusion surnaturelle, avec quelques branches peintes, d’une forêt équatoriale embrasée par le soleil de midi, pour que nul ne puisse mettre en doute la tranquillité actuelle de mon cerveau, pour que nul n’ait le droit de dire : « Cet homme est devenu fou » ou « cet homme ment », ou « cet homme nous prend pour des imbéciles » [1].

Si j’avais simplement raconté les choses ainsi : « Étant descendus au fond d’une cave, nous rencontrâmes une forêt équatoriale embrasée par le soleil de midi », j’aurais obtenu un bel effet d’étonnement stupide, mais je ne cherche aucun effet, mon but étant, en écrivant ces lignes, de raconter ce qui nous est exactement arrivé à M. le vicomte de Chagny et à moi au cours d’une aventure terrible qui, un moment, a occupé la justice de ce pays.

Je reprends maintenant les faits où je les ai laissés.

Quand le plafond s’éclaira et, qu’autour de nous, la forêt s’illumina, la stupéfaction du vicomte dépassa tout ce que l’on peut imaginer. L’apparition de cette forêt impénétrable, dont les troncs et les branches innombrables nous enlaçaient jusqu’à l’infini, le plongea dans une consternation effrayante. Il se passa les mains sur le front comme pour en chasser une vision de rêve et ses yeux clignotèrent comme des yeux qui ont peine, au réveil, à reprendre connaissance de la réalité des choses. Un instant, il en oublia d’écouter !

J’ai dit que l’apparition de la forêt ne me surprit point. Aussi écoutai-je ce qui se passait dans la salle d’à côté pour nous deux. Enfin, mon attention était spécialement attirée moins par le décor, dont ma pensée se débarrassait, que par la glace elle-même qui le produisait, Cette glace, par endroits, était brisée.

Oui, elle avait des éraflures ; on était parvenu à « l’étoiler », malgré sa solidité et cela me prouvait, à n’en pouvoir douter, que la chambre des supplices dans laquelle nous nous trouvions, avait déjà servi !

Un malheureux, dont les pieds et les mains étaient moins nus que les condamnés des heures roses de Mazenderan était certainement tombé dans cette « Illusion mortelle », et, fou de rage, avait heurté ces miroirs qui, malgré leurs blessures légères, n’en avaient pas moins continué à refléter son agonie ! Et la branche de l’arbre où il avait terminé son supplice était disposée de telle sorte qu’avant de mourir, il avait pu voir gigoter avec lui – consolation suprême – mille pendus !

Oui ! oui ! Joseph Buquet avait passé par là !… Allions-nous mourir comme lui ?

Je ne le pensais pas, car je savais que nous avions quelques heures devant nous et que je pourrais les employer plus utilement que Joseph Buquet n’avait été capable de le faire.

N’avais-je pas une connaissance approfondie de la plupart des « trucs » d’Érik ? C’était le cas ou jamais de m’en servir.

D’abord, je ne songeai plus du tout à revenir par le passage qui nous avait conduits dans cette chambre maudite, je ne m’occupai point de la possibilité de refaire jouer la pierre intérieure qui fermait ce passage. La raison en était simple : je n’en avais pas le moyen !… Nous avions sauté de trop haut dans la chambre des supplices et aucun meuble ne nous permettait désormais d’atteindre, à ce passage, pas même la branche de l’arbre de fer, pas même les épaules de l’un de nous en guise de marchepied.

Il n’y avait plus qu’une issue possible, celle qui ouvrait sur la chambre Louis-Philippe, et dans laquelle se trouvaient Érik et Christine Daaé. Mais si cette issue était à l’état ordinaire de porte du côté de Christine, elle était absolument invisible pour nous… Il fallait donc tenter de l’ouvrir sans même savoir où elle prenait sa place, ce qui n’était point une besogne ordinaire.

Quand je fus bien sûr qu’il n’y avait plus aucun espoir pour nous, du côté de Christine Daaé, quand j’eus entendu le monstre entraîner ou plutôt traîner la malheureuse jeune fille hors de la chambre Louis-Philippe pour qu’elle ne dérangeât point notre supplice, je résolus de me mettre tout de suite à la besogne, c’est-à-dire à la recherche du truc de la porte.

Mais d’abord il me fallut calmer M. de Chagny, qui déjà se promenait dans la clairière comme un halluciné, en poussant des clameurs incohérentes. Les bribes de la conversation qu’il avait pu surprendre, malgré son émoi, entre Christine et le monstre, n’avaient point peu contribué à le mettre hors de lui ; si vous ajoutez à cela le coup de la forêt magique et l’ardente chaleur qui commençait à faire ruisseler la sueur sur ses tempes, vous n’aurez point de peine à comprendre que l’humeur de M. de Chagny commençait à subir une certaine exaltation. Malgré toutes mes recommandations, mon compagnon ne montrait plus aucune prudence.

Il allait et venait sans raison, se précipitant vers un espace inexistant, croyant entrer dans une allée qui le conduisait à l’horizon et se heurtant le front, après quelques pas, au reflet même de son illusion de forêt !

Ce faisant, il criait : Christine ! Christine !… et il agitait son pistolet, appelant encore de toutes ses forces le monstre, défiant en un duel à mort l’Ange de la Musique, et il injuriait également sa forêt illusoire. C’était le supplice qui produisait son effet sur un esprit non prévenu. J’essayai autant que possible de le combattre, en raisonnant le plus tranquillement du monde ce pauvre vicomte : en lui faisant toucher du doigt les glaces et l’arbre de fer, les branches sur les tambours et en lui expliquant, d’après les lois de l’optique, toute l’imagerie lumineuse dont nous étions enveloppés et dont nous ne pouvions, comme de vulgaires ignorants, être les victimes !

« Nous sommes dans une chambre, une petite chambre, voilà ce qu’il faut vous répéter sans cesse… et nous sortirons de cette chambre quand nous en aurons trouvé la porte. Eh bien, cherchons-la ! »

Et je lui promis que, s’il me laissait faire, sans m’étourdir de ses cris et de ses promenades de fou, j’aurais trouvé le truc de la porte avant une heure.

Alors, il s’allongea sur le parquet, comme on fait dans les bois, et déclara qu’il attendrait que j’eusse trouvé la porte de la forêt, puisqu’il n’avait rien de mieux à faire ! Et il crut devoir ajouter que, de l’endroit où il se trouvait, « la vue était splendide ». (Le supplice, malgré tout ce que j’avais pu dire, agissait.)

Quant à moi, oubliant la forêt, j’entrepris un panneau de glaces et me mis à le tâter en tous sens, y cherchant le point faible, sur lequel il fallait appuyer pour faire tourner les portes suivant le système des portes et trappes pivotantes d’Érik. Quelquefois ce point faible pouvait être une simple tache sur la glace, grosse comme un petit pois, et sous laquelle se trouvait le ressort à faire jouer. Je cherchai ! Je cherchai ! Je tâtai si haut que mes mains pouvaient atteindre. Érik était à peu près de la même taille que moi et je pensais qu’il n’avait point disposé le ressort plus haut qu’il ne fallait pour sa taille – ce n’était du reste qu’une hypothèse, mais mon seul espoir. – J’avais décidé de faire ainsi, sans faiblesse, et minutieusement le tour des six panneaux de glaces et ensuite d’examiner également fort attentivement le parquet.

En même temps que je tâtais les panneaux avec le plus grand soin, je m’efforçais de ne point perdre une minute car la chaleur me gagnait de plus en plus et nous cuisions littéralement dans cette forêt enflammée.

Je travaillais ainsi depuis une demi-heure et j’en avais déjà fini avec trois panneaux quand notre mauvais sort voulut que je me retournasse à une sourde exclamation poussée par le vicomte.

« J’étouffe ! disait-il… Toutes ces glaces se renvoient une chaleur infernale !… Est-ce que vous allez bientôt trouver votre ressort ?… Pour peu que vous tardiez, nous allons rôtir ici ! »

Je ne fus point mécontent de l’entendre parler ainsi. Il n’avait pas dit un mot de la forêt et j’espérai que la raison de mon compagnon pourrait lutter assez longtemps encore contre le supplice. Mais il ajouta :

« Ce qui me console, c’est que le monstre a donné jusqu’à demain soir onze heures à Christine : si nous ne pouvons sortir de là et lui porter secours, au moins nous serons morts avant elle ! La messe d’Érik pourra servir pour tout le monde ! »

Et il aspira une bouffée d’air chaud qui le fit presque défaillir…

Comme je n’avais point les mêmes désespérées raisons que M. le vicomte de Chagny pour accepter le trépas, je me retournai, après quelques paroles d’encouragement, vers mon panneau, mais j’avais eu tort, en parlant de faire quelques pas ; si bien que dans l’enchevêtrement inouï de la forêt illusoire, je ne retrouvai plus, à coup sûr, mon panneau ! Je me voyais obligé de tout recommencer, au hasard… Aussi je ne pus m’empêcher de manifester ma déconvenue et le vicomte comprit que tout était à refaire. Cela lui donna un nouveau coup.

« Nous ne sortirons jamais de cette forêt ! » gémit-il.

Et son désespoir ne fit plus que grandir. Et, en grandissant, son désespoir lui faisait de plus en plus oublier qu’il n’avait affaire qu’à des glaces et de plus en plus croire qu’il était aux prises avec une forêt véritable.

Moi, je m’étais remis à chercher… à tâter… La fièvre, à mon tour, me gagnait… car je ne trouvais rien… absolument rien… Dans la chambre à côté c’était toujours le même silence. Nous étions bien perdus dans la forêt… sans issue… sans boussole… sans guide… sans rien. Oh ! je savais ce qui nous attendait si personne ne venait à notre secours… ou si je ne trouvais pas le ressort… Mais j’avais beau chercher le ressort, je ne trouvais que des branches… d’admirables belles branches qui se dressaient toutes droites devant moi ou s’arrondissaient précieusement au-dessus de ma tête… Mais elles ne donnaient point d’ombre ! C’était assez naturel, du reste, puisque nous étions dans une forêt équatoriale avec le soleil juste au-dessus de nos têtes… une forêt du Congo…

À plusieurs reprises, M. de Chagny et moi, nous avions retiré et remis notre habit, trouvant tantôt qu’il nous donnait plus de chaleur et tantôt qu’il nous garantissait, au contraire, de cette chaleur.

Moi, je résistais encore moralement, mais M. de Chagny me parut tout à fait « parti ». Il prétendait qu’il y avait bien trois jours et trois nuits qu’il marchait sans s’arrêter dans cette forêt, à la recherche de Christine Daaé. De temps en temps, il croyait l’apercevoir derrière un tronc d’arbre ou glissant à travers les branches, et il l’appelait avec des mots suppliants qui me faisaient venir les larmes aux yeux. « Christine ! Christine ! disait-il, pourquoi me fuis-tu ? ne m’aimes-tu pas ?… Ne sommes-nous pas fiancés ?… Christine, arrête-toi !… Tu vois bien que je suis épuisé !… Christine, aie pitié !… Je vais mourir dans la forêt… loin de toi !… »

« Oh ! j’ai soif ! » dit-il enfin avec un accent délirant. Moi aussi j’avais soif… j’avais la gorge en feu…

Et cependant, accroupi maintenant sur le parquet, cela ne m’empêchait pas de chercher… chercher… chercher le ressort de la porte invisible… d’autant plus que le séjour dans la forêt devenait dangereux à l’approche du soir… Déjà l’ombre de la nuit commençait à nous envelopper… cela était venu très vite, comme tombe la nuit dans les pays équatoriaux… subitement, avec à peine de crépuscule…

Or la nuit dans les forêts de l’équateur est toujours dangereuse, surtout lorsque, comme nous, on n’a pas de quoi allumer du feu pour éloigner les bêtes féroces. J’avais bien tenté, délaissant un instant la recherche de mon ressort, de briser des branches que j’aurais allumées avec ma lanterne sourde, mais je m’étais heurté, moi aussi, aux fameuses glaces, et cela m’avait rappelé à temps que nous n’avions affaire qu’à des images de branches…

Avec le jour, la chaleur n’était pas partie, au contraire… Il faisait maintenant encore plus chaud sous la lueur bleue de la lune. Je recommandai au vicomte de tenir nos armes prêtes à faire feu et de ne point s’écarter du lieu de notre campement, cependant que je cherchais toujours mon ressort.

Tout à coup le rugissement du lion se fit entendre, à quelques pas. Nous en eûmes les oreilles déchirées.

« Oh ! fit le vicomte à voix basse, il n’est pas loin !… Vous ne le voyez pas ?… là… à travers les arbres ! dans ce fourré… S’il rugit encore, je tire !… »

Et le rugissement recommença, plus formidable. Et le vicomte tira, mais je ne pense pas qu’il atteignit le lion ; seulement, il cassa une glace ; je le constatai le lendemain matin à l’aurore. Pendant la nuit, nous avions dû faire un bon chemin, car nous nous trouvâmes soudain au bord du désert, d’un immense désert de sable, de pierres et de rochers. Ce n’était vraiment point la peine de sortir de la forêt pour tomber dans le désert. De guerre lasse, je m’étais étendu à côté du vicomte, personnellement fatigué de chercher des ressorts que je ne trouvais pas.

J’étais tout à fait étonné (et je le dis au vicomte) que nous n’ayons point fait d’autres mauvaises rencontres, pendant la nuit. Ordinairement, après le lion, il y avait le léopard, et puis quelquefois le bourdonnement de la mouche tsé-tsé. C’étaient là des effets très faciles à obtenir, et j’expliquai à M. de Chagny, pendant que nous nous reposions avant de traverser le désert, qu’Érik obtenait le rugissement du lion avec un long tambourin, terminé par une peau d’âne à une seule de ses extrémités. Sur cette peau est bandée une corde à boyau attachée par son centre à une autre corde du même genre qui traverse le tambour dans toute sa hauteur. Érik n’a alors qu’à frotter cette corde avec un gant enduit de colophane et, par la façon dont il frotte, il imite à s’y méprendre la voix du lion ou du léopard, ou même le bourdonnement de la mouche tsé-tsé. Cette idée qu’Érik pouvait être dans la chambre, à coté, avec ses trucs, me jeta soudain dans la résolution d’entrer en pourparlers avec lui, car, évidemment, il fallait renoncer à l’idée de le surprendre. Et maintenant, il devait savoir à quoi s’en tenir sur les habitants de la chambre des supplices. Je l’appelai : Érik ! Érik !… Je criai le plus fort que je pus à travers le désert, mais nul ne répondit à ma voix… Partout autour de nous, le silence et l’immensité nue de ce désert pétré… Qu’allions-nous devenir au milieu de cette affreuse solitude ?…

Littéralement, nous commencions à mourir de chaleur, de faim et de soif… de soif surtout… Enfin, je vis M. de Chagny se soulever sur son coude et me désigner un point de l’horizon… Il venait de découvrir l’oasis !…

Oui, tout là-bas, là-bas, le désert faisait place à l’oasis… une oasis avec de l’eau… de l’eau limpide comme une glace… de l’eau qui reflétait l’arbre de fer !… Ah ça… c’était le tableau du mirage… je le reconnus tout de suite… le plus terrible… Aucun n’avait pu y résister… aucun… Je m’efforçais de retenir toute ma raison… et de ne pas espérer l’eau… parce que je savais que si l’on espérait l’eau, l’eau qui reflétait l’arbre de fer et que si, après avoir espéré l’eau, on se heurtait à la glace, il n’y avait plus qu’une chose à faire : se pendre à l’arbre de fer !…

Aussi, je criai à M. de Chagny : « C’est le mirage !… c’est le mirage !… ne croyez pas à l’eau !… c’est encore le truc de la glace !… » Alors il m’envoya, comme on dit, carrément promener, avec mon truc de la glace, mes ressorts, mes portes tournantes et mon palais des mirages !… Il affirma, rageur, que j’étais fou ou aveugle pour imaginer que toute cette eau qui coulait là-bas, entre de si beaux innombrables arbres, n’était point de la vraie eau !… Et le désert était vrai ! Et la forêt aussi !… Ce n’était pas à lui qu’il fallait « en faire accroire »… il avait assez voyagé… et dans tous les pays…

Et il se traîna, disant :

« De l’eau ! De l’eau !… »

Et il avait la bouche ouverte comme s’il buvait… Et moi aussi, j’avais la bouche ouverte comme si je buvais…

Car non seulement nous la voyions, l’eau, mais encore nous l’entendions !… Nous l’entendions couler… clapoter !… Comprenez-vous ce mot clapoter ?… C’est un mot que l’on entend avec la langue !… La langue se tire hors de la bouche pour mieux l’écouter !…

Enfin, supplice plus intolérable que tout, nous entendîmes la pluie et il ne pleuvait pas ! Cela, c’était l’invention démoniaque… Oh ! je savais très bien aussi comment Érik l’obtenait ! Il remplissait de petites pierres une boîte très étroite et très longue, coupée par intervalles de vannes de bois et de métal. Les petites pierres, en tombant, rencontraient ces vannes et ricochaient de l’une à l’autre, et il s’ensuivait des sons saccadés qui rappelaient à s’y tromper le grésillement d’une pluie d’orage.

… Aussi, il fallait voir comme nous tirions la langue, M. de Chagny et moi, en nous traînant vers la rive clapotante… nos yeux et nos oreilles étaient pleins d’eau, mais notre langue restait sèche comme de la corne !…

Arrivé à la glace, M. de Chagny la lécha… et moi aussi… je léchai la glace…

Elle était ardente !…

Alors nous roulâmes par terre, avec un râle désespéré. M. de Chagny approcha de sa tempe le dernier pistolet qui était resté chargé et moi je regardai, à mes pieds, le lacet du Pendjab.

Je savais pourquoi, dans ce troisième décor, était revenu l’arbre de fer !…

L’arbre de fer m’attendait !…

Mais comme je regardais le lacet du Pendjab, je vis une chose qui me fit tressaillir si violemment que M. de Chagny en fut arrêté dans son mouvement de suicide. Déjà, il murmurait : « Adieu, Christine !… »

Je lui avais pris le bras. Et puis je lui pris le pistolet… et puis je me traînai à genoux jusqu’à ce que j’avais vu.

Je venais de découvrir auprès du lacet du Pendjab, dans la rainure du parquet, un clou à tête noire dont je n’ignorais pas l’usage…

Enfin ! je l’avais trouvé le ressort !… le ressort qui allait faire jouer la porte !… qui allait nous donner la liberté !… qui allait nous livrer Érik.

Je tâtai le clou… Je montrai à M. de Chagny une figure rayonnante !… Le clou à tête noire cédait sous ma pression…

Et alors…

… Et alors ce ne fut point une porte qui s’ouvrit dans le mur, mais une trappe qui se déclencha dans le plancher.

Aussitôt, de ce trou noir, de l’air frais nous arriva. Nous nous penchâmes sur ce carré d’ombre comme sur une source limpide. Le menton dans l’ombre fraîche, nous la buvions.

Et nous nous courbions de plus en plus au-dessus de la trappe. Que pouvait-il bien y avoir dans ce trou, dans cette cave qui venait d’ouvrir mystérieusement sa porte dans le plancher ?…

Il y avait peut-être, là-dedans, de l’eau ?… De l’eau pour boire…

J’allongeai le bras dans les ténèbres et je rencontrai une pierre, et puis une autre… un escalier… un noir escalier qui descendait à la cave.

Le vicomte était déjà prêt à se jeter dans le trou !…

Là-dedans, même si on ne trouvait point d’eau, on pourrait échapper à l’étreinte rayonnante de ces abominables miroirs.

Mais j’arrêtai le vicomte, car je craignais un nouveau tour du monstre et, ma lanterne sourde allumée, je descendis le premier…

L’escalier plongeait dans les ténèbres les plus profondes et tournait sur lui-même. Ah ! l’adorable fraîcheur de l’escalier et des ténèbres !…

Cette fraîcheur devait moins venir du système de ventilation établi nécessairement par Érik que de la fraîcheur même de la terre qui devait être toute saturée d’eau au niveau où nous nous trouvions… Et puis, le lac ne devait pas être loin !…

Nous fûmes bientôt au bas de l’escalier… Nos yeux commençaient à se faire à l’ombre, à distinguer autour de nous, des formes… des formes rondes… sur lesquelles je dirigeai le jet lumineux de ma lanterne…

Des tonneaux !….

Nous étions dans la cave d’Érik !

C’est là qu’il devait enfermer son vin et peut-être son eau potable…

Je savais qu’Érik était très amateur de bons crus… Ah ! il y avait là de quoi boire !…

M. de Chagny caressait les formes rondes et répétait inlassablement :

« Des tonneaux ! des tonneaux !… Que de tonneaux !… »

En fait, il y en avait une certaine quantité alignée fort symétriquement sur deux files entre lesquelles nous nous trouvions…

C’étaient des petits tonneaux et j’imaginai qu’Érik les avait choisis de cette taille pour la facilité du transport dans la maison du Lac !…

Nous les examinions les uns après les autres cherchant si l’un d’entre eux n’avait point quelque chantepleure nous indiquant par cela même qu’on y aurait puisé de temps à autre.

Mais tous les tonneaux étaient fort hermétiquement clos.

Alors, après en avoir soulevé un à demi pour constater qu’il était plein, nous nous mîmes à genoux et avec la lame d’un petit couteau que j’avais sur moi, je me mis en mesure de faire sauter la « bonde ».

À ce moment, il me sembla entendre, comme venant de très loin, une sorte de chant monotone dont le rythme m’était connu, car je l’avais entendu très souvent dans les rues de Paris :

« Tonneaux !… Tonneaux !… Avez-vous des tonneaux… à vendre ?… »

Ma main en fut immobilisée sur la bonde… M. de Chagny aussi avait entendu. Il me dit :

« C’est drôle !… on dirait que c’est le tonneau qui chante !… »

Le chant reprit plus lointainement…

« Tonneaux !… Tonneaux !… Avez-vous des tonneaux à vendre ?… »

« Oh ! oh ! je vous jure, fit le vicomte, que le chant s’éloigne dans le tonneau !… »

Nous nous relevâmes et allâmes regarder derrière le tonneau…

« C’est dedans ! faisait M. de Chagny ; c’est dedans !… »

Mais nous n’entendions plus rien… et nous en fûmes réduits à accuser le mauvais état, le trouble réel de nos sens…

Et nous revînmes à la bonde. M. de Chagny mit ses deux mains réunies dessous et, d’un dernier effort, je fis sauter la bonde.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria tout de suite le vicomte… Ce n’est pas de l’eau ! »

Le vicomte avait approché ses deux mains pleines de ma lanterne… Je me penchai sur les mains du vicomte… et, aussitôt, je rejetai ma lanterne si brusquement loin de nous qu’elle se brisa et s’éteignit… et se perdit pour nous…

Ce que je venais de voir dans les mains de M. de Chagny… c’était de la poudre !

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