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Fatalitas ! par Gaston Leroux


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VII



Éclaircie


Nous avons laissé M. d’Haumont au plus fort de ses réflexions.

« Je ne me reconnaissais pas moi-même après six mois de bagne. Alors ? »

Alors, il n’y avait qu’un souvenir fidèle et douloureux comme celui de Mme Martens, que le remords d’une honnête femme pour retrouver sous le masque présent le visage du passé !

Il en était là de ses raisonnements quand, débouchant sur le quai du Midi, il se trouva justement en face de Mme Martens...

De qui celle-ci lui aurait-elle parlé, sinon de Gisèle ? Depuis qu’elle avait entrevu la radieuse enfant dans le salon de la villa Thalassa, Mme Martens ne pensait plus qu’à sa fille et cherchait toutes les occasions de la rencontrer et de lui parler. Les sœurs Violette avaient trouvé dans la femme de l’avocat général une cliente qui ne quittait plus leur atelier.

À cette heure du déjeuner, Gisèle était de retour chez elle, dans ce nouvel appartement en plein midi, que lui avait procuré l’attentive bonté de M. d’Haumont. Mme Martens n’eut aucune peine à décider celui-ci à l’emmener avec lui dans la visite qu’il se proposait de faire à sa « petite protégée ».

Le temps était radieux, la baie des Anges recourbait sa faucille d’éblouissant azur devant cette grève qui fait suite à la promenade des Anglais et remonte jusqu’au Rocher du Château. En cet endroit, plus de palaces, plus d’hôtels magnifiques, de villas somptueuses, mais une quantité de petits appartements ensoleillés, aux balcons fleuris, abritant de modestes ménages dont la plus grande richesse est certainement cette splendide lumière du jour dont ils jouissent, de l’aurore au crépuscule.

Sur le galet, les barques des pêcheurs ont été tirées. Les filets sèchent sur les dalles du port. Deux petits restaurants ont sorti devant leurs fenêtres des tables aux nappes éclatantes, bientôt surchargées des plats de « coquillages » réclamés par les amateurs. Quelques douzaines d’huîtres fraîches arrosées d’une bouteille de Bellet tentent les moins gourmands, dans ce décor enchanteur.

Mais Didier d’Haumont et Mme Martens n’eurent d’attention que pour la plus douce des apparitions surgie entre les branches embaumées d’un de ces petits jardins suspendus aux proches balcons. C’est Gisèle qui sourit à la lumière bienfaitrice, en poussant avec sa grâce coutumière le fauteuil où celle qui lui a servi de mère renaît à l’espoir de la vie.

À cette vue, Palas ne sent plus, pendant quelques instants, la formidable angoisse qui, nuit et jour, torture son âme, et Mme Martens oublie tous ses remords devant le fruit adorable d’une faute qu’elle a tant pleurée... Ni l’un ni l’autre ne saisissent autre chose que ces cheveux d’aurore encadrant le sourire du printemps.

Comment s’apercevraient-ils qu’ils ne sont pas les seuls à voir cela et l’apprécier ?... En quoi, du reste, pourrait les intéresser cette silhouette inconnue, à demi dissimulée dans l’ombre de la tente du restaurant en plein air ? Encore quelque amateur de « coquillages » qui a bien le droit, en vérité, d’oublier ses huîtres un instant pour goûter le charme d’un joli visage penché sur un balcon.

Déjà Palas et Mme Martens ont pénétré dans la maison.

Gisèle ne les a pas aperçus. Un petit garçon passait en courant, vendant des journaux locaux et annonçant un « terrible accidengue au cap Ferrat ».

Gisèle, inquiète tout de suite, avait jeté une pièce et descendu, comme il est d’usage là-bas, un petit panier au bout d’une ficelle.

Le camelot y avait déposé sa marchandise. Et tout à coup :

« Maman !... c’est M. de Saynthine, cet affreux homme qui me poursuivait, qui est mort avec deux de ses amis et domestiques !... Un accident en rade de Villefranche !... Les pauvres gens !... »

Mais Mlle Athénaïs n’était point disposée à pleurer la mort du persécuteur de son enfant et elle déclara avec une conviction touchante « que c’était le Ciel qui l’avait puni ! »

La naïve cruauté de cette dernière phrase ne dut point passer inaperçue du mangeur d’huîtres, car son ombre parut en recevoir quelque agrément...

Gisèle avait encore le journal à la main quand Palas et Mme Martens firent leur entrée dans l’appartement.

La première chose que fit la jeune fille fut de tendre le journal à son bienfaiteur...

D’abord Palas ne dit rien. Le coup était trop fort, sa joie intime trop immense...

La Providence, après l’avoir accablé si longtemps, se mettait soudain si formidablement de son côté qu’il en était comme assommé. Car il n’y avait pas de doute possible : à la description des personnages qui accompagnaient Saynthine dans l’auto, Palas reconnaissait qu’il était à jamais débarrassé de ses farouches ennemis.

Le simple fait divers, un banal accident, le faisait ressortir de l’abîme où il avait été à nouveau plongé... Pour lui, l’aurore nouvelle se montrait, plus radieuse que jamais, à son obscur horizon ! Il en était ébloui !

Il eût voulu relire ces lignes libératrices... Il n’y parvenait pas... trop de lumière dansait dans ses prunelles.

Et c’était cet ange, sa fille, qui lui apportait une nouvelle pareille ! Ah ! cette fois, Dieu était enfin avec lui !...

Quand il put parler, il balbutia quelques hâtives excuses et s’enfuit.

Il s’enfuit pour ne point étreindre cette enfant sur son cœur, pour ne point lui crier sa joie et sa délivrance !...

Quand il arriva sur le quai, il répétait encore, il ne pouvait s’empêcher de répéter à mi-voix, comme une litanie : « Arigonde est mort ! »

Et il passa presque en courant devant le mangeur d’huîtres...

Celui-ci, qui avait fini de déjeuner, solda son addition, alluma un cigare, et s’en fut d’un pas tranquille vers le port en murmurant : « Arigonde est mort, mais pas encore enterré. »


VIII



Une journée qui avait bien commencé et qui finit mal


L’après-midi de ce même jour, le comte Stanislas de Gorbio (mon petit Stani... disait Nina dans l’intimité) s’était rendu sur la promenade des Anglais, où il comptait trouver quelques personnages de qualité, de passage à Nice, et propres à lui fournir, innocemment, quelques renseignements dont il savait toujours tirer profit.

La journée était belle et les promeneurs nombreux. Ceux-ci passaient, potinant, entre les chaises où s’étaient installées les mères de famille penchées sur leurs travaux d’aiguille ou de tricot... avec une application qui n’était interrompue que par l’apparition d’une toilette à sensation ou de visages inconnus auxquels la curiosité des dames, toujours en éveil, cherchait immédiatement à donner des noms.

Le monde est petit, c’est toujours le même qui se rencontre, l’été sur les plages du Nord, l’hiver sur celles du Midi, au printemps et à l’automne dans les milieux mondains de la capitale et dans les allées du Bois à onze heures et à six heures.

Le comte de Gorbio s’était fait de nombreux amis dans ce monde-là, si tant est qu’on puisse donner le nom d’« amis » à tous ceux à qui l’on serre la main. Sa « personnalité » n’avait jamais été plus en vogue depuis le duel où le pistolet de M. Didier d’Haumont l’avait abattu. Dieu seul savait les histoires qui s’étaient chuchotées autour de cette aventure ! Les fiançailles du comte avec Mlle de la Boulays n’avaient été un secret pour personne et il y avait veillé lui-même, persuadé trop tôt que l’« affaire était conclue ». L’échec qu’il en avait subi avait été d’autant plus retentissant...

Aussi, plus que jamais, avait-il ses raisons de « plastronner » pour donner le change et refaire sa fortune mondaine.

Il ne perdait pas une occasion de se montrer et de prouver qu’un incident même aussi cruel (un mariage raté et un duel néfaste) ne pouvait l’arrêter en chemin. Comme il passait pour très riche et disposant des plus grandes influences, on lui pardonna vite son malheur.. Chacun était persuadé qu’un homme comme lui prendrait tôt sa revanche...

Or, cette revanche, il la tenait ! Et comment !...

L’heureux rayonnement qui éclairait son visage ne passa point inaperçu. On le félicita de sa bonne mine. Ses propos étaient enjoués et son esprit redoutable.

« En voilà un qui a de l’abattage ! » murmurait une dame un peu mûre à sa fille en âge de se marier et qui avait eu déjà quelques aventures de demi-vierge avec de notoires rastas.

Soudain, le front de Gorbio se rembrunit, ses yeux devinrent fixes, on regarda ce qu’il regardait et l’on aperçut Mme Didier d’Haumont qui s’avançait sur la promenade avec Mme Martens.

Françoise semblait heureuse et elle l’était en effet.

Depuis la minute terrible où elle avait tout appris et où elle s’était mise à épier Palas avec une angoisse si tragique, jamais elle ne l’avait vu comme ce jour-là, libre apparemment de tout souci, et d’une aisance si naturelle qu’elle était presque inexplicable pour une personne qui, comme Françoise, avait sondé l’abîme sur lequel naviguait son mari.

Celui-ci était rentré à la villa du cap Ferrat, transformé littéralement, au moral et même au physique. Certaines rides du front que Françoise avait vues se creuser de jour en jour depuis leur arrivée à Nice, s’étaient évanouies comme par enchantement.

Elle n’avait pu s’empêcher de montrer son étonnement et Palas, devinant qu’il ne devait plus être reconnaissable depuis qu’il avait appris l’accident providentiel qui le débarrassait du Parisien et de sa bande, avait jugé bon de donner à sa femme une rapide et vague explication : « J’ai eu de graves soucis d’affaires ! c’est passé ! n’en parlons plus ! »

Joliment, elle lui avait reproché d’avoir eu l’esprit occupé par quelque autre chose que leur amour, la seule chose qui comptât pour elle, au monde !...

Et elle aussi s’était réjouie intimement, persuadée que Didier venait de faire un pas immense sur le chemin où il tentait de trouver, comme Chéri-Bibi l’avait expliqué à Françoise, la preuve de son innocence dans le drame qui avait bouleversé sa vie.

Cette belle journée ne lui en paraissait que plus radieuse, et Mme Martens elle-même s’étonnait de sa gaieté qui faisait contraste avec l’expression un peu sévère et réservée qu’elle avait remarquée sur le visage de la jeune femme dans leurs précédentes rencontres.

Françoise n’avait pas encore aperçu le comte de Gorbio...

Elle ne le vit que lorsqu’elle fut tout près de lui, à la hauteur du groupe dans lequel il pérorait.

Alors, son visage changea.

Elle regarda droit devant elle, comme si elle n’avait point aperçu le personnage, mais ils savaient tous deux qu’ils s’étaient vus...

Et tout le monde qui assistait à cette scène le savait aussi...

On avait surpris le rapide croisement de leurs regards. Quelle aubaine pour ces oisifs qu’une rencontre pareille !... Qu’allait-il se passer ?... Car certainement il allait se passer quelque chose... Et il se passa ceci, que le comte salua Françoise...

Celle-ci ne pouvait pas ne pas voir ce coup de chapeau...

Françoise, qui était devenue d’abord très pâle, dès qu’elle avait reconnu le comte, sentit que son visage s’embrasait. Elle hâta le pas, en détournant légèrement la tête avec un mépris marqué...

Elle était furieuse... Elle se mordait les lèvres... Elle dit à Mme Martens :

« Vous avez vu ? Cette audace !...

– Ça, oui, répondit Mme Martens, c’est d’un insolent et d’un mufle ! Il devait ne pas vous voir. »

Gorbio était resté à sa place, continuant de regarder Françoise qui s’éloignait. Un sourire terrible crispait sa lèvre. Il y avait un grand silence autour de lui. Il dit tout haut :

« Mme d’Haumont ne me connaît plus. Elle a tort ! Elle n’a pas de meilleur ami que moi ! »

En rentrant à la villa Thalassa, la première chose que Françoise dit à son mari fut cette extraordinaire histoire du coup de chapeau du comte de Gorbio...

« J’espère que tu n’as pas répondu à son salut ? s’écria Palas.

– Je suis passée près de lui comme si je ne le connaissais pas !... »

Tant de méchante hardiesse les stupéfiait et venait jeter une ombre sur le bonheur parfait de cette rare journée.

Ils se mirent à table en pensant encore à Gorbio...

Ils savaient que le comte était en pleine convalescence, mais ils étaient loin de se douter qu’il surgirait aussi vite dans leur vie... Ils étaient en droit de penser que l’ancien rival de Didier aurait le bon goût de faire tout son possible pour passer inaperçu, si le hasard les mettait tous trois sur le même chemin... Que signifiait une incorrection aussi grave à toutes les conventions mondaines ?

Palas avait de graves raisons de se méfier du comte et, plus d’une fois, chez M. de la Boulays, il avait eu l’occasion de s’étonner de certaines de ses attitudes.

Sans qu’il pût formuler contre lui rien de précis, Palas nourrissait à l’égard de Gorbio des sentiments plutôt hostiles, en dehors même de toute rivalité d’amour, mais il avait été assez honnête homme pour se méfier de ses propres impressions et pour les mettre au compte de cette rivalité même et de sa propre jalousie.

Mais maintenant il se laissait aller à son ancienne haine pour un homme qui aurait pu posséder Françoise et qui lui apparaissait de plus en plus comme un rastaquouère de redoutable envergure.

L’incident prenait à ses yeux une ampleur soudaine. Il commençait, de ce point-là, à le considérer non plus seulement comme le résultat d’un manque absolu de tact, mais, qui sait ? comme une menace !...

Les deux époux se faisaient part de leurs réflexions et échangeaient encore des hypothèses quand un domestique entra, apportant une carte sur un plateau. Palas lut et eut une sourde exclamation :

« Lui ! c’est trop fort !

– Qui, lui ?

– Mais lui, Gorbio !

– Ce n’est pas possible !... »

Françoise prit la carte des mains de son mari et lut à son tour : « Le comte de Gorbio demande à voir M. et Mme d’Haumont pour une communication urgente ! »

« Mais je ne veux plus revoir ce misérable qui a voulu te tuer ! » s’écria-t-elle.

Le domestique attendait des ordres.

« Faites entrer dans mon bureau », commanda Palas.

« Pourquoi le reçois-tu ?

– Pour lui faire passer le goût de revenir !... » répondit Palas, qui s’essayait à reconquérir tout son sang-froid...

Le comte, dans le bureau, attendait, sans impatience... Il jouissait de l’émoi que sa seule présence apportait dans cette maison.

Il se représentait la stupéfaction et la colère des deux époux en face d’une démarche qui devait leur apparaître d’une audace incompréhensible et d’une insolence sans nom.

Qu’allaient-ils résoudre ? Il avait envisagé l’hypothèse où l’on refuserait de le recevoir... En ce cas, il aurait refusé de se retirer et, de toute façon, une explication devenait nécessaire, fatale...

Cette explication serait courte, mais foudroyante ; et, à l’idée de l’effet qu’il allait produire avec une seule phrase, sa figure prenait une expression de férocité triomphante.

Quand Didier d’Haumont parut, domptant difficilement la plus noble colère qui eut encore gonflé le cœur d’un époux outragé, il fut frappé par cette physionomie, par cette face où rayonnait une joie diabolique, et il ne put retenir plus longtemps son courroux. En quelques mots durs, prononcés d’une voix âpre, il déclara à Gorbio qu’il trouvait sa démarche, quel qu’en fût le but ou le prétexte, d’une extrême inconvenance.

À quoi Gorbio, glacé, répondit :

« J’ai quelque chose de très important à dire à Mme d’Haumont et il m’a semblé plus correct de le dire devant vous ! » »

Les deux hommes étaient alors séparés par la largeur de la pièce. Gorbio s’en vint vers Palas, le fixant de ses yeux où flambaient toutes les joies de la vengeance...

Palas comprit que cet homme était terriblement armé contre lui et redouta le pire...

Ce fut le pire, en effet, qui arriva... Gorbio prononça :

« Je veux lui dire qu’elle a épousé un forçat !... »

Palas recula sous le coup... Mais l’autre continuait :

« Une bonne nouvelle à apprendre à Mme d’Haumont, n’est-ce pas, Raoul de Saint-Dalmas ! »

Ainsi Gorbio savait tout ! Son secret, son horrible secret était maintenant entre lui et cet homme !...

À l’heure où il se réjouissait de la disparition providentielle des quatre misérables qui le poursuivaient de leurs hideuses entreprises, un nouvel ennemi surgissait, et lequel !

Celui que Françoise avait rejeté, bafoué, qu’il avait lui-même abattu par un coup inespéré et qui ressuscitait pour prendre la plus terrible, la plus effroyable revanche !... Ô misère incalculable ! Non point à cause de son mauvais destin, à lui, mais de sa douleur à elle, de son désespoir et de la mort de son amour, la mort de son cœur et de son corps !... Car une phrase comme celle-ci : « Vous avez épousé un forçat », ça tue !...

Palas ne bougeait plus, il semblait un cadavre debout...

Devant lui il y avait cette bouche qui continuait de cracher la haine et l’épouvante avec ce mot qui revenait sans cesse : « forçat ! »

Et, tout à coup, Palas ne put l’entendre davantage, ce mot-là !

Il sauta à cette gorge, son poing puissant l’étreignit et il soufflait à l’autre :

« Assez ! assez ! tais-toi ! tais-toi !... »

L’autre râlait, se débattait, ruait dans les meubles renversés et comme le mot affreux ne se faisait plus entendre, Palas lâcha Gorbio, se rendant compte soudain de son geste homicide :

« Mais assassine-moi donc !... Fais ton métier ! » glapit Gorbio en se mettant toutefois prudemment à l’abri d’une nouvelle agression derrière un meuble.

Et il ricana, sinistre :

« Tu t’y connais !... Il n’y a que le premier pas qui coûte ! »

Ah ! certes, ce premier pas n’eût guère coûté à Palas dans la voie du crime !... Si quelqu’un désira jamais « tuer », ce fut bien Palas dans cette minute terrible...

Et pendant que cette atroce scène se déroulait dans le bureau, Françoise, seule dans la salle où l’avait laissée son mari, attendait, en prêtant l’oreille aux moindres bruits.

Didier lui avait fait promettre qu’elle ne quitterait point cette pièce. Il lui avait juré qu’il serait calme et garderait son sang-froid quoi qu’il advînt, enfin, qu’après avoir vu le comte il reviendrait aussitôt auprès d’elle...

Or, il ne revenait pas...

L’entrevue se prolongeait...

L’angoisse, l’inquiétude de Françoise augmentaient de seconde en seconde. Que pouvaient se dire les deux hommes ?...

Les plus redoutables hypothèses lui embrasaient le cerveau... Françoise, cependant, ne s’arrêta point à la seule qui fût exacte : la connaissance, par Gorbio, du secret de Palas...

Cette hypothèse-là était si terrible qu’elle la jugeait impossible. Elle préférait la rejeter tout de suite...

Elle envisagea plutôt celle qui lui paraissait la moins à craindre : elle savait que Gorbio était en affaire avec M. de la Boulays. Le comte avait là un prétexte tout trouvé à cette étrange démarche... Mais encore ce n’était qu’un prétexte ! Qu’y avait-il au fond de tout cela ?...

Eh bien, au fond de tout cela, il y avait la haine de deux hommes qui aimaient la même femme !... Gorbio et Didier se haïssaient jusqu’à la mort... Françoise l’avait bien vu lors du duel !

Quel drame nouveau allait sortir de cette interminable visite ?

Elle frissonna...

Elle entrouvrit la porte de la salle...

Il lui semblait entendre des éclats de voix... Et puis il y eut un grand coup sourd, comme il arrive quand un meuble tombe sur un tapis...

Elle ne réfléchit plus à rien... Elle ne se souvint plus de ce qu’elle avait promis à Didier... Elle s’avança, haletante, du côté du bureau...

Dans le bureau, Gorbio disait à Palas :

« Je ne quitterai point cette pièce sans avoir vu Mme d’Haumont !... Je veux qu’elle sache tout !... et qu’elle sache tout par moi !... C’est moi qui mesurerai devant vous votre degré d’ignominie !... »

Palas, penché sur une table, étreignait de ses poings crispés le meuble, arrêtant ainsi l’élan qui pouvait le jeter encore à cette gorge abominable pour la faire se taire à jamais...

Il râla :

« Non, pas ça !... Tout ce que vous voudrez, mais pas elle !... Que vous me fassiez souffrir, moi, je supporterai tout !... Mais elle, épargnez-la !... »

Et il eut l’admirable lâcheté de lui souffler :

« Vous l’avez aimée !...

– Je vous hais encore plus que je ne l’ai aimée !... gronda Gorbio.

– Écoutez ! reprit Palas d’une voix rude et qui cessait d’être suppliante... je vous parle maintenant « dans votre bien »... ne me poussez pas à bout !...

– Je ne crains pas !... je ne crains pas un forçat !...

– Encore !... Ah ! taisez-vous... car tout à l’heure vous craigniez un assassin !... Gorbio, je suis capable de vous assassiner, vous savez !... »

Comme il disait cela, il entendit un bruit de pas dans le couloir. Il s’en fut à la porte, souleva le rideau, aperçut la silhouette de Françoise.

Alors, il tourna vers le comte un visage d’une pâleur mortelle, revint à sa table, ouvrit un tiroir et saisit un revolver...

Il allait tuer !... C’était inéluctable, il n’avait pas d’autre moyen de suspendre la vérité formidable sur cette lèvre maudite.

Cependant Gorbio surveillait le geste de Palas :

« Ah ! ah ! ricana-t-il, le revolver !

– Oui, le revolver, ma femme vient, elle sera ici dans une seconde, si vous dites un mot de ce qu’il ne faut pas qu’elle sache, je vous jure que je vous tue comme un chien !... »

Il répéta : « Je vous le jure. »

Gorbio haussa les épaules.

« Vous me prenez pour un enfant ! Ma mort ne garderait point votre secret ! Si vous croyez que je n’ai pas pris toutes mes précautions !... Ce ne sera qu’un crime de plus et tout à fait inutile, je vous en préviens. Si vous voulez absolument tuer quelqu’un, tuez-vous, c’est tout ce que je puis faire pour vous !

– Ce serait déjà fait si cela pouvait la sauver », râla Palas...

Puis ils ne se dirent plus rien, ils attendirent l’entrée de Françoise...

Les secondes passaient, interminables...

C’est que, dans le corridor, Françoise s’était arrêtée, la main à son cœur ; elle étouffait !...

Qu’allait-elle encore voir en poussant cette porte ? Quel spectacle d’horreur lui était encore réservé ?... Tout à l’heure, ce bruit... était-ce le bruit d’un meuble qui tombe ou le bruit d’un corps... Puisqu’elle est venue pour savoir... encore un peu de courage !... Elle regarde ! elle voit !... Non, il n’y a pas de morts dans la pièce, il y a deux vivants qui se regardent avec une haine indicible... Elle entre, spectrale...

.................................................

Devant l’attitude de bataille des deux hommes et les regards qu’ils lui jetèrent à son entrée dans le bureau, Françoise ne douta point qu’elle fût elle-même l’objet de leur querelle et la seule cause de cette scène redoutable.

Toutes les autres hypothèses s’évanouirent. Elle allait savoir jusqu’où pouvait aller l’audace amoureuse du comte, mais aussi elle était prête à châtier tant d’insolence.

« Vous aviez demandé à me voir, monsieur de Gorbio ? »

Avant de lui répondre, le comte se tourna vers Palas et alors, il eut un spectacle si nouveau que son esprit, frappé par une transformation aussi brusque, envisagea avec la rapidité de l’éclair tout le parti qu’il pouvait tirer d’un plan nouveau.

À la première attitude, si furieusement hostile de Palas, avait succédé chez le malheureux une physionomie exprimant la plus terrible angoisse et une suprême supplication.

Tout son être semblait crier : « Ayez pitié d’elle ! »

Le voyant ainsi, éperdu, si complètement à sa disposition, Gorbio se rappela ce que lui avait dit Nina-Noha : « Cet homme t’appartient... Tu peux en faire tout ce que tu voudras !... »

Ah ! certes ! il le voyait bien maintenant, dans ses yeux, qu’il pouvait tout lui demander ! Tout exiger de lui ! Le traiter en esclave !

N’était-ce pas une vengeance, celle-là ? Et plus complète, plus cruelle que celle qui consistait à tout briser d’un mot !...

S’il prononçait ce mot, qu’adviendrait-il ? Évidemment tout serait fini pour Palas, mais pour lui aussi !...

Tandis qu’il pouvait s’amuser longtemps avec cette petite histoire-là et ne prononcer le mot de la fin que lorsqu’il aurait traîné sa victime dans tous les chemins utiles pour des besognes hideuses, des travaux nécessaires à ses mystérieux desseins...

Sa résolution prise, Gorbio rompit enfin l’effrayant silence qui s’était établi entre les trois personnages, et se retournant vers Françoise :

« Madame, pardonnez-moi, fit-il en s’inclinant et sans dissimuler un sourire cynique et sournoisement triomphant... pardonnez-moi si j’ai eu l’audace de venir vous troubler dans cette heureuse retraite, mais une affaire dans laquelle nous avons des intérêts communs...

– Je sais, monsieur, que vous avez été en affaires avec mon père !

– Nous sommes toujours en affaires, madame... Les engagements commerciaux ne se rompent heureusement pas avec la même facilité que... »

Palas ne lui laissa pas le temps d’achever sa phrase. Il était allé à Françoise, et il la reconduisait à la porte, cependant que d’une voix suppliante il lui disait :

« Laisse-moi régler avec M. de Gorbio les intérêts de cette affaire sans importance !...

– Mais M. de Gorbio n’a qu’à s’adresser à mon père, fit-elle tremblante.

– Je t’en prie, murmura Palas, tu m’avais promis de ne pas venir !...

– Je t’attends dans le salon à côté ! chasse-le !

– Ce serait déjà fait si tu n’étais venue... »

Elle consentit à attendre la fin de l’entretien dans une pièce adjacente... Son impatience se doublait de l’incompréhension où la laissait l’événement... Pourquoi Gorbio restait-il ?... Qu’avait-il encore à dire ?... Et pourquoi son mari prenait-il tant de précautions après avoir montré tant de colère ?

Autant de questions qui restaient sans réponse et qui la laissaient dans un désarroi absolu...

Elle ne comprenait bien qu’une chose, c’est que si elle était restée entre ces deux hommes une seconde de plus, il se serait passé quelque chose d’irréparable...

Et maintenant, elle attendait que Gorbio voulût bien s’en aller !...

Palas, la porte refermée, était retourné auprès du comte. Fou de honte, il lui demanda sans le regarder :

« Que voulez-vous de moi ?...

– Eh ! ricana Gorbio, beaucoup de choses ! Vous comprendrez, mon cher monsieur d’Haumont, que j’ai besoin d’y réfléchir...

– Ne me poussez pas au désespoir...

– Mais non ! mais non !... Je ne suis pas un méchant homme, moi. Je vous l’ai prouvé tout l’heure ! Vous m’avez fait pitié, littéralement, et, devant votre pauvre misère, j’ai oublié tant de raisons que j’avais de vous en vouloir !... Vous verrez que nous finirons par faire une paire d’amis...

– Je ne crois pas à votre pitié... Dites-moi ce que vous voulez de moi, pour qu’elle ne sache pas... pour qu’elle ne sache jamais... »

Le comte regarda Palas et se félicita déjà de la résolution qu’il avait prise de goûter une vengeance patiente et froide...

Cela ne faisait que commencer et, vraiment, c’était un plaisir des dieux...

Ah ! que le menaçant d’Haumont de tout à l’heure était loin !

Il lui répondit :

« Je vous le dirai bientôt ! Au revoir, monsieur d’Haumont ! »

Il partit, laissant l’autre accablé, étourdi du coup qu’il lui avait porté et aussi de tous ceux dont son silence le menaçait...

Françoise vit passer Gorbio avec son sourire insolent. Dès qu’il fut hors de la villa, elle courut à Palas qu’elle retrouva dans le bureau, et qu’elle surprit avec une figure terriblement ravagée...

« Tu vas me dire ce qui s’est passé entre vous ! j’ai entendu un bruit de lutte !... Vous vous êtes battus !...

– Tu as bien fait de venir, ma petite Françoise... Cela nous a rendu quelque sang-froid à tous les deux... Sans toi, je l’aurais tué !... Ah ! je le hais bien, cet homme !... »

Elle le vit frissonnant, grelottant de haine inassouvie...

Elle le prit dans ses bras, une fois de plus, pour qu’il y trouvât un sûr refuge contre les maux qui ne cessaient de l’assaillir, pour qu’il y puisât, sur son sein, une confiance nouvelle, génératrice de la force nécessaire à la lutte contre son affreux destin. Mais, cette fois, Palas ne put que pleurer, sangloter sur son épaule, comme un enfant.

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